Afin que tous les engins ne touchent pas terre en même temps, on nous fit faire un détour en contournant Jersey et
Guernesey si bien que nous n'arrivâmes en vue d'Omaha Beach que vers 14 heures.
Notre bateau jeta l'ancre à quelque distance de la plage car la tête de pont n'était pas encore complètement déterminée
et qu'il fallait tailler au bulldozer les voies de dégagement pour que les matériels débarqués libèrent la place,
sur le rivage.
Notre pacha voulut envoyer un de ses six engins à terre donner un coup de main et il désigna le nôtre dont l'équipage
comptait un officier, l'enseigne de vaisseau Robert Carter, et quatre hommes.
Pendant que les bossoirs nous affalaient à l'eau, le capitaine nous ordonna de débarquer là où pleuvaient les obus,
de trouver le "commandant de plage" et de revenir prendre ses ordres.
La plage était jonchée de toutes sortes d'équipements. On voyait partout des fûts d'huile, des camions endommagés, des chars,
des embarcations, des gilets de sauvetage et des cadavres, certains entiers, d'autres pas. J'aperçus une tête d'homme
écrasée, ailleurs un corps gisait sans vie,ses intestins étalés sur le sable.
Avant le débarquement, on nous avait précisé que les gaz de combat étaient proscrits par les lois de la guerre mais que si
les Allemands décidaient d'en employer, ce serait certainement à ce moment. Alors, en approchant de la plage, j'avais revêtu
ma tenue imperméable et je m'étais entièrement aspergé, y compris mes bottes, d'un liquide destiné à neutraliser le gaz.
Nous portions également un masque.
Finalement, nous trouvâmes un espace de sable dégagé et nous fîmes avancer notre engin en abaisant la rampe.
A une vingtaine de mètres devant s'élevait une hauteur abrupte, couverte de hautes herbes et d'ajoncs. Un soldat muni d'un
détecteur y fut expédié et constata qu'elle n'était pas minée. Il déroulait derrière lui un ruban blanc pour montrer le chemin.
Si quelqu'un devait grimper sur cette butte, il ne lui faudrait jamais s'écarter de ce "corridor" large de 1,50 mètres.
Une confusion totale régnait sur la plage et nul ne put nous dire où se trouvait le "commandant de plage". Un médecin nous demanda
si nous pouvions évacuer ses blessés vers un navire-hôpital à l'ancre au large. Comme nous avions à notre bord une petite salle
d'opération et neuf médecins, nous embarquâmes une vingtaine de blessés et tentâmes de déhaler.
Extrait d'une lettre de Joseph P. Doyon
Mémorial de Caen
Traduit par Pierre M.Reyss
Juno Beach : Un aumonier canadien
Le souffle coupé, nous restions là à regarder et c'est alors que ce leva l'aube écarlate. Le soleil n'apparaisait pas; les
nuages volaient bas et lourds; les vagues brisaient, froides et peu engageantes, et sur le rivage, nos obus et nos bombes
commençaient de tirer un rideau cramoisi.
Nous nous alignâmes sur le pont, ainsi que nous l'avions maintes fois répété lors des exercices. Je tirai un ciboire
de ma poche et reçus la communion; puis, alors que les obus tonnaient et sifflaient et que nos avions rugissaient
au-dessus de nous, je donnai à mes hommes une absolution générale. Il était 7 heures.
Pas un instant à perdre, les bateaux nous ayant mis à terre devaient repartir aussitôt; plusieurs furent atteints et
coulèrent; l'eau était couverte de débris divers, Joël Murray,de Cross Point, et moi débarquâmes ensemble; nous avions
pied et nous pûmes rejoindre la terre ferme. Un garçon près de moi, tomba frappé d'une balle. Je le tirai au sec et,
au milieu du chaos épouvantable, je m'agenouillai près de lui, pendant une seconde qui me parut durer une éternité,
et lui administrai les derniers sacrements.
C'était le premier de tous ceux à qui je devrais donner l'extrème-onction dans la bataille. Devant nous s'étendait un
espace découvert d'une cinquantaine de mètres avant de pouvoir gagner la protection d'un mur de béton. Si l'on atteignait
le mur, on était à l'abri du feu ennemi, du moins pour un temps. Mais, hélas, combien de nos gars n'ont pu y parvenir. Ils
gisaient sur le sable, tués ou blessés. Notre devoir était d'aller auprès d'eux. Aidés de nos brancardiers et des infirmiers,
le docteur Patterson et moi retraversâmes en rampant ces cinquante mètres d'enfer.
Le vacarme était assourdissant et nous ne pouvions même pas entendre le bruit de nos chars qui avaient commencé de débarquer
et taillaient leur route sur le sable. D'ailleurs, certains ne les ayant pas entendu venir, furent écrasés sous leurs chenilles.
Une formidable explosion secoua le sol, comme un tremblement de terre; le génie venait de faire sauter le mur. Dans le même
temps, les obus ennemis tombaient de plus en plus dru; pendant que nous rampions, nous pouvions entendre les balles et les éclats
faisaient gicler le sable tout autour de nous. Quand un obus arrivait en hurlant, on tentait de s'enfouir dans la terre,
retenant notre respiration, attendant l'explosion et la pluie de pierres et débris qui suivait. Puis, quand venait une
seconde de calme, quelqu'un à qui l'on venait de parler quelques instants plus tôt, gisait mort. D'autres, à l'agonie,
ouvraient les yeux en nous voyant approcher. Sur leur plaque-matricule attachée au cou, je pouvais lire leur religion. S'il
s'agissait d'un catholique, je lui donnai l'extrême-onction en lui ondoyant le front. Mais s'il était d'une autre religion,
je le préparai au grand départ en lui demandant de se repentir de ses péchés. J'en fus souvent remercié d'un regard et d'un
signe de tête. Il n'était pas facile de déposer les blessés sur une civière et de les amener à l'abri du mur.
Jamais je n'oublierai la bravoure de nos brancardiers. Si certains soldats sont encore en vie, aujourd'hui, ils le doivent à des hommes
comme le lieutenant Heaslip de Vancouver et à ses brancardiers. Je me rappellerai toujours le courage des infirmiers de notre
régiment, Eymard Hache, Buddy Daley et Bob Adair. Ils sont demeurés avec nous, sur la plage exposée au feu, jusqu'à ce que
nous ayons transporté tous les blessés en sécurité au pied du mur et leur ayons donné les premiers soins dont nous disposions.
Comme un patient transporté dans un hôpital, on perd, dans l'action, toute idée du temps. Le temps ne signifie plus rien.
On nous a dit, par la suite, que nous étions sur la plage depuis deux heures.
Pour le moment, ce qui restait de notre régiment nettoyait le village, débusquant les Allemands de leurs retranchements.
C'était une bataille enragée, à bout portant, au corps à corps.
Révérend R. Myles Hickey,
The Scarlet Dawn,
Edition Unipress, Canada, 1980
Traduit par Pierre M. Reyss
Sword beach : docteur Patterson du 4ème commando de lord Lovat
Beaucoups de corps gisait dans l'eau, l'un d'entre eux s'était littéralement enroulé autour
d'un obstacle tripode.
Je vis des blessés, parmi les morts, cloués au sol par le pois de leur équipement.
Le premier auprès de qui je m'empressai fut le petit sapeur Mullen. Il avait de l'eau jusqu'au
menton et ne pouvais pas bouger.
Je réussis à grand peineà sortir une paire de ciseaux et, de mes mains engourdies qui me semblaient faibles et inutiles, j'entrepris de couper les courroies
de son harnachement. Hindmarch surgit près de moi et fit de même de l'autre côté. Il avait l'air perdu mais il se
reprit quand je lui eus parlé et dit que faire. Alors que je me penchais, je sentis un choc
à la fesse, comme si quelqu'un m'avais donné un coup avec un gros bâton.
C'était un éclat d'obus, comme on s'en aperçut plus tard, mais il n'avait rien touché d'important. Je jurai et continuai.
Nous finîmes par tirer Mullen au sec.
Le commando était au contact et, manifestement, il avait de la peine à s'en sortir. Hindmarch et
moi revînmes vers les blessés restés dans l'eau. Je remarquai avec quelle vitesse la marée
montait et les blessés commençaient de crier et de hurler en se rendant compte qu'ils risquaient
d'être vite noyés. Nous travaillâmes d'arrache-pied; je ne sais combien d'hommes nous avons pu
tirer sur le sable sec, mais j'ai bien peur que ce ne soit pas plus de deux ou trois.
Docteur J. H. Patterson,
Chronique médicale du premier jour, commando n°4,
in lord lovat, March Past, Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1979,
Traduit par Pierre M. Reyss
Sam Gibbons : j'y étais ! Capitaine au 501ème régiment d'infanterie de la 101 ème division aéroportée
Il faisait nuit noire, un léger brouillard montait du sol. Je sautai et mon parachute s'ouvrit
avec un grand claquement de toile qui traduisait la surcharge de mon équipement de combat.
J'avais 24 ans, capitaine au 501ème régiment d'infanterie rattaché à la 101ème division
aéroportée qui, avec la 82ème division, avait lâché du haut du ciel 12000 hommes au cours de
cette fameuse nuit. Nous étions le fer de lance de l'invasion de l'Europe.
A cette occasion, on nous avais rasé les cheveux-les chirurgiens avaient déclaré que cela serait
plus commode pour recoudre les plaies du crâne-nos visages et nos mains avaient été passés au
noir de fumée pour être moins visibles. Nous portions un treillis de combat et des bottes de saut
spéciales. Tous nos vêtements, y compris sous-vêtements et chausettes, avaient été imprégnés
d'un produit chimique destiné à nous protéger des gazs et nous sentions aussi mauvais qu'une
meute de putois. En temps normal, je pesais un peu plus de 80 kg mais, cette nuit-là, je
dépassais largement les 100 kg.
Mon équipement comprenait tout ce qu'il fallait pour le saut de cette nuit.
Deux parachutes, l'un dans le dos et celui de secours sur le ventre. Nous portions tous un gilet
de sauvetage gonflable parce que nous devions survoler la mer et sauter près d'une rivière.
D'ailleurs, beaucoups d'hommes furent heureux d'en avoir été pourvu cette nuit-là.
Nous portions également un baudrier et une cartouchière autour des reins, lestée de 30 cartouches
de calibre 45 pour pistolet automatique et d'une centaine de balles de 30 pour notre carabine.
Ajoutez à cela deux grenades à main, un pistolet de 45 chargé et armé, une carabine à crosse
pliante de 30, également chargée et armée, un poignard avec une lame de 30 cm attaché à la guêtre
gauche pour les combats au corps à corps, une gamelle avec un quart, une cuillère et un plat
métallique pour cuisiner, des comprimés pour purifier l'eau, une trousse d'urgence fixée au filet
de camouflage du casque, une autre trousse médicale comprenant deux doses de morphine injectable,
un desinfectant, des compresses. Dans une poche sur la cuisse, on avait glissé une petite mine
anglaise antichar car les blindés pullulaient dans les parages, un masque à gaz (j'avais ajouté
deux boites de bière). Sur les épaules, un havresac contenant un poncho imperméable, une
couverture, une brosse à dents, du papier toilette et six boîtes de rations "K" de survie.
Notre fourmiment comptait aussi une pelle-pioche pour creuser un abri individuel, des cartes,
une lampe torche et une boussole. On nous avait en outre remis une "trousse d'évasion" contenant
une boussole miniature, une carte de France imprimée sur soie et l'équivalent de 300 dollars en
billet de banque français usagés. Pour parfaire notre équipement, nous avions reçu deux autres
"gadgets". D'abord une plaque-matricule d'idendification soudée à une chaîne métallique autour
du cou et conçue de telle sorte qu'elle ne fasse aucun bruit malgré nos mouvements. Ensuite, à
la veille de l'invasion, on nous avait munis d'une ultime surprise : un "criquet", petit objet
métallique de bronze et d'acier. Quand on pressait la languette d'acier, l'objet émettait une
sorte de claquement sec et quand on le relâchait, il refaisait le même bruit. Nous ne nous étions
jamais servi, nous n'en avions même jamais entendu parler, mais il allait devenir, au cours de
cette fameuse nuit, le moyen essentiel de reconnaissance, pour distinguer dans l'obscurité un
ami d'un ennemi.