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THE PARTISAN


Léonard Cohen ne chantait pas encore Le Partisan, moi je vivais ce qu'il chante dans son fameux disque qui explose en 1968, autre date fétiche, ultime vague de la tempête personnelle qui ne sera pas la moins grosse ni la moins dangereuse. Mais à Bruxelles, je prépare activement mon départ pour l'Algérie. Jusque là, l'idée d'épargner de l'argent ne m'avait même pas effleuré, je dépense tout ce qui rentre et il y a comme un équilibre magique dans mes bilans, pas de dettes, pas d'économies. Or, j'atteignais ma majorité civile, date à laquelle devait me revenir une somme qui représentait la part paternelle du fond de commerce vendu par ma mère en 1956. La Caisse d'Epargne de Mulhouse tenait à ma disposition une somme de deux cent cinquante mille francs (anciens), ce n'était pas une fortune, mais une belle somme d'argent qui me permettrait sans problème de rejoindre Alger et de voir venir. Mais, comment percevoir cet argent sans me rendre dans ma ville natale à mes risques et périls ? J'en parle à Jacques qui me propose de se rendre en France à ma place, si j'arrive à obtenir de l'Ambassade de France une procuration en bonne et due forme. Il n'y a qu'un seul hic à cette solution, c'est que mon passeport est périmé, et que je ne possède pas d'autres carte d'identité exceptée la fausse qui, en l'occurrence est inutilisable. En examinant attentivement mon petit carnet bleu, je me rends compte qu'il ne faudrait que peu de chose pour modifier la date de validité en s'y prenant habilement. Il suffisait en fait de gratter une petite boucle pour transformer le chiffre deux en un beau trois. Je m'attaque donc personnellement au problème, avec un grattoir et un stylo quelconque dont j'avais vérifié la correspondance de couleur avec le bleu du passeport. Le résultat n'est pas mauvais, il est catastrophique : il suffit de regarder la page en transparence pour se rendre compte qu'il y a un véritable trou lumineux là où j'avais gratté. Rien à faire, pas le temps ni les techniques nécessaires pour fabriquer le papier et restaurer quelque chose de sûr. Il faut donc que je prenne le risque ou que j'abandonne le projet. Banco, je me décide à franchir la porte de l'Ambassade de France à Bruxelles où je suis reçu fort courtoisement et les choses se passent comme si de rien n'était. On me rédige une procuration sans même me demander pourquoi je ne me rends pas moi-même à Mulhouse pour toucher mon héritage, la bureaucratie fonctionne sans le moindre soupçon, à moins que, là encore il ne faille voir la main cachée d'un service qui aurait décidé de laisser faire plutôt que de m'arrêter sur le champ, ce qui aurait pu m'arriver étant donné le caractère d'extraterritorialité de la représentation française à Bruxelles. Par ailleurs, je ne pense pas, et c'était ce qui m'avait décidé à tenter le coup, que Paris aurait pris le risque de faire éclater un scandale, même un petit, dans la future capitale européenne. Je ressorts quand-même avec un grand ouf de soulagement, car non seulement il ne m'était rien arrivé, mais j'avais en main la promesse concrète d'un enrichissement dont j'avais absolument besoin. Jacques n'attend pas, prend le premier train pour l'Alsace, et revient le lendemain avec une liasse de billets tout neufs. Non seulement il refuse toute commission, mais il a tenu à financer lui-même les frais annexes du voyage, et notamment la nuit d'hôtel qu'il eût à passer à Mulhouse. Bref tout est bien qui finit bien, et octobre peut se profiler à l'horizon, je serai prêt sur toute la ligne. Inutile, évidemment, de tartiner sur le fait qu'en un mois j'apprends à peu près tout ce que l'on peut savoir sur le Mozambique, pays mystérieux dont le seul nom m'enchante depuis toujours. Lourenço-Marques, la capitale, est renommée dans le monde entier comme le paradis des touristes fortunés et la porte maritime vers l'Océan indien et le Pacifique. Or ce pays est loin de se résumer à cette ville magnifique, couverte de fleurs et de piscines, il est découpé en plusieurs provinces et des dizaines d'ethnies dont j'apprends les noms, les mœurs tout en m'initiant aux rudiments de la langue vernaculaire de tout l'Est africain, à savoir le swahili, langage fortement influencé par l'arabe.

Ce premier séjour bruxellois va donc s'achever. Doudou m'accompagne en pensée, car elle ne veux pas me suivre malgré mes propositions et vers le milieu d'octobre 62 j'achète un billet de train Bruxelles - Naples, d'où il est prévu que je rejoigne la Tunisie par le ferry qui relâche presque toute une journée à Palerme, ce qui me donnera l'occasion de visiter la capitale de la mafia et même de tenter de rendre visite à l'un de mes héros de la non-violence qui vit habituellement à Partinico, un petit village de la montagne auquel on accède très rapidement par un train à crémaillères. Je caressai le rêve de rencontrer Lanza Del Vasto qui vivait dans une grande maison entourée d'un haut mur percée d'un portail impressionnant orné du marteau classique. Après quelques coups répétés, je vois s'entrouvrir une minuscule jalousie grillagée derrière laquelle se tenait une sorte de duègne antique, l'air peu amène, comme si j'étais l'assassin qu'elle attendait depuis toujours. Hélas, mon héros littéraire n'était pas là, in viaggio lontano, et clac. Comme il me restait du temps, on était dimanche, je cherche un restaurant, l'unique restaurant situé sur la grande place, une place que connaissent tous ceux qui ont vu le chef d'œuvre de Federico Rosi consacré à la vie du mafioso Salvatore Giuliano. Dans une salle vide, le patron me reçoit d'un air méfiant et me place à l'écart d'une grande table déjà mise que je vais voir se garnir en quelques minutes de personnages aussi divers que ceux que j'avais aperçus dans une arrière-salle de pharmacie à Athènes. Un général, quelques carabinieri gradés, un évêque et des hommes à l'allure la plus classiquement sicilienne, c'est à dire en atours de mafiosi, costume de velours noir et Lavallière sur chemise immaculée. Je reprends mon train après un repas on ne peut plus furtif, les invités n'ayant pas semblé apprécier la présence d'un étranger aussi étrange que ce jeune blondin francese qui se débrouillait pas mal du tout en Italien. J'ai toujours eu ce don qui consiste à absorber la langue du pays où je me trouve avec le café du matin. Bref, j'arrive juste à temps à Palerme pour me précipiter dans une calèche à destination du port, choix peu judicieux car je me fais délester de dix-mille Lires, un vol manifeste mais la passerelle était sur le point d'être retirée et je n'avais pas la moindre seconde pour discuter du prix. Une bonne leçon sur une perte sèche, car mon pactole avait fondu. Mon argent partait vite, d'autant qu'emporté par ma fantaisie naturelle, j'avais cru bon d'inviter Marc Husson, mon vieux collègue de Saint Clément et compagnon de beuverie, à me rencontrer à Bâle et à m'accompagner, à mes frais, jusqu'à Rome où nous eûmes à peine le temps de manger une pasta avant ma correspondance pour Naples. Mais cette rencontre à Bâle mérite d'être racontée car elle me réserve une surprise fort désagréable que seul mon culot et mon audace rageuse me permettent de surmonter, je dirais, glorieusement.

En effet, le Bruxelles-Rome en première classe-couchette passait par Cologne et Bâle. Or, pour ne pas être dérangé à la frontière suisse, le contrôleur m'avait proposé de lui remettre mon passeport pour l'entrée en Suisse. Malgré mes craintes concernant la fameuse fenêtre que j'avais grattée sur une page du document, je le lui confie sans crainte. Arrivé à Bâle, il me le tend normalement et je prends le chemin du buffet de première classe où nous devions nous rencontrer. Or, j'avais à peine trempé mon premier croissant dans mon café-crème, exception rarissime, que je vois la porte à tourniquet s'ouvrir avec une violence particulière. Deux hommes en sortent, vêtus de gabardines évidentes et chaussés de semelles de crêpe totalement silencieuses. Dans mon esprit les choses se mettent en place immédiatement, ce sont des flics, et ils viennent pour moi. Bingo, les deux hommes s'asseyent chacun d'un côté et me demande mon passeport. C'est lui, bon, vous allez nous suivre, vous êtes en état d'arrestation. Vous suivre ? Soit, mais je vous préviens, si à la sortie de ce tourniquet vous comptez obliquer à gauche pour entrer dans la zone française, je vous fonce dans le lard et je vous ferai très mal sans parler du bruit que je suis capable de produire. Alors si vous m'emmenez dans votre commissariat qui se trouve, je le sais, à droite, pas de problèmes, je vous suis sans faire d'histoires. Les deux hommes se concertent du regard, hésitants, puis acquiescent en silence. Arrivé au poste, je suis prié sans ménagement de me délester des objets qui encombrent mes poches, dont une liasse de billets fort suspecte, de ma ceinture et de mes lacets, après quoi on me conduit dans une cellule pendant que je continue de hurler en direction du Commissaire qu'il prend un grand risque à maltraiter un réfugié politique, et que, contrairement à ce qu'il prétend, je n'ai jamais été expulsé de son pays. Allusion à l'accord passé à Lausanne, qui avait cependant fait l'objet d'une signalisation à toutes les frontières, d'où cette tragi-comédie qui va se régler en quelques minutes. En effet, à peine assis sur le grabat qui faisait office de lit, que l'on revient me chercher, cette fois avec tous les égards, et je bois du petit lait en écoutant les explications embarrassées du commissaire qui me couvre d'excuses en me tendant les objets qui n'avaient même pas été enregistrés. Pas de jugement, pas d'expulsion, et la Suisse est le coffre-fort du FLN par qui on me croit protégé, ce qui n'est qu'à moitié vrai, je peux continuer tranquillement mon voyage d'autant qu'il s'agit d'un simple passage. Merci, au-revoir, Monsieur le Commissaire, dommage d'avoir fait votre connaissance dans ces conditions. Marc était là lorsque je retourne au Buffet, et nous finissons nos festins du matin dans une atmosphère de gaieté parfaitement sereine. Mais je n'en ai pas fini avec les deux inspecteurs de la gare de Bâle, nous nous retrouverons deux années et quelque plus tard, par un hasard étrange mais toujours significatif. Marc est aux anges lorsque nous grimpons dans le Simplon Express, destination Rome. Cette fois nous sommes en deuxième classe, nous allons voyager de jour, rien ne justifie une dépense supplémentaire. C'est vraiment un beau voyage qui me rappelle mon premier périple en compagnie de Mulot. Les tunnels du St Bernard sont magnifiques et nous trouvons une Italie en fin de récolte, jaune et sèche. La plaine du Pô a donné tout son riz et tout son maïs mais la torpeur ne tarde pas à nous envahir et Marc s'endort. A côté de moi, une jeune Italienne assez jolie se rapproche imperceptiblement de moi, et je sens comme une odeur de libido qui transpire à travers ses vêtements moites. Pris de vertige, mes mains m'échappent, et se plaquent sans ménagement sur la cuisse gauche de ma voisine. Regard complice, elle me tend ses lèvres et dans un compartiment en apparence endormi, nous donnons tous les deux libre cours à nos instincts. Ma main fouille son corps trempé de désir et je dois la bâillonner avec ma bouche pour éviter de réveiller les autres voyageurs. Mais Marc n'a rien perdu de la scène, il s'était réveillé et restait là, fasciné par le spectacle dont nous ne parlerons même plus lorsque les choses seront rentrés dans l'ordre. Etrange succès auprès de ces Italiennes, car il m'arrive exactement la même chose dans le train qui me mènera à Naples, mais là, j'aurai affaire à une femme mûre, attendue sur le quai par un mari qui ne s'apercevra de rien, alors que son épouse est encore toute rouge de confusion, tremblante de peur que son apparence la trahisse, le péché marqué dans les fines stries de son visage de madone. Voilà pour le sexe, et pour longtemps, enfin jusqu'à Alger, où m'attendent d'autres adoratrices des hommes blonds, prêtes à tout, excepté de perdre leur virginité. Pour ma part je ne souffre d'aucun manque, la question sexuelle me laisse indifférent et ces deux aventures m'ont pris au dépourvu, circonstances qui n'ont fait qu'intensifier jusqu'à de certains paroxysmes, la puissance du plaisir. Il y a là de quoi méditer sur la condition normale de l'être humain face à ses pulsions, et aux conséquences désastreuses de la socialisation sur la qualité réelle possible du bonheur sexuel libre de toute attache, de tout passé et de tout avenir. Si elles vivent encore, je suis certain que ces deux femmes n'ont pas encore oublié ces quelques instants de leur vie où la folie les a accepté en son sein pour leur faire don de ce qu'elles ne recevront jamais ailleurs.

Curieuse écriture que celle d'une autobiographie aussi minutieuse, car je perds de plus en plus souvent le sens de la chronologie exacte, comme si la vie possédait un ordre totalement différent de la temporalité normale, ordre que reproduit la mémoire, cette chair fluorescente de l'âme, kaléidoscope qui donne la structure vraie de ce qui passe. Car me voici déjà sur mon ferry, en vue de la côte tunisienne, l'angoisse se roule en boule au fond de ma gorge, car il va m'arriver quelque chose de terrible : je vais débarquer dans un pays arabe, dans un pays où ces hommes face auxquels j'avais acquis une sorte de peur panique, étaient la majorité, et non plus quelques exceptions rencontrées au détour d'une rue de la ville de mon enfance. Car je ne vous ai pas raconté l'expérience la plus pernicieuse qui marqua mes dix ans et qui fut à l'origine de cette peur panique des immigrés musulmans, porteurs de chéchias ou de tapis en travers des épaules. Cette peur avait empoisonné toute mon adolescence.. Nous allions voir comment se passerait ce que je redoutais sans le dire depuis Bruxelles, à savoir mon immersion dans le monde arabe. Mais que m'était-il donc arrivé de si grave pour provoquer de tels affects, aussi puissants qu'une véritable phobie ? J'avais été victime d'un enlèvement par des immigrés kabyles, dans ma propre rue, mais dans la portion réservée aux très pauvres, là où habitait la bonne de maman, épouse d'un ouvrier de l'industrie chimique gazé pendant la première guerre mondiale et la tête remplie de shrapnels, mais que l'industrie chimique trouvait à employer malgré tout. Les faits sont les suivants : Madame Heoffler, notre bonne, m'avait laissé seul pendant un quart d'heure dans une chambre de son taudis du haut de la Grand'rue et je regardais par la fenêtre lorsque je m'entends hélé d'en bas. Un immigré d'origine maghrébine me tendait un billet de vingt francs en criant -limonade ? - Toujours attiré par les sucrerie quelles qu'elles soient, je descends à sa rencontre et il m'entraîne dans une taverne borgne, uniquement peuplée de ses corréligionnaires. Là on m'entraîne dans une arrière-salle où l'on m'assoie sur un banc entre deux hommes hilares tout en me remplissant mon verre de cette limonade promise. Mais leur crime s'arrêtait là, car quelqu'un avait observé la scène, et la police débarque soudain avec une violence inouïe et totalement disproportionnée avec la nature des faits. En fait d'enlèvement, je crois qu'il y a eu une fable de quartier qui a pris corps grâce à l'intervention des autorités policières. Le seul crime qui a lieu ce jour-là et les jours suivants, c'est le lavage de cerveau dont je suis l'objet par rapport à ces arabes - on les appelait les " mouchi-mouchi " (expression d'origine turque et qui se rapporte à la vente de tapis, ce qui était leur spécialité, lorsqu'ils ne faisaient pas simplement partie des contingents d'ouvriers recrutés sur place, au Maghreb). Pendant des jours ma mère ne cessera de me mettre en garde en décrivant toute sorte de fantasmes qui finirent par produire leur effet sur ma psyché fragile. Pendant des années, ces hommes m'inspireront de la terreur brute, me faisant changer de trottoir lorsque j'en apercevais au loin. Et me voici à la Goulette, le chenal d'entrée dans le Port de Tunis, découvrant avec horreur un sol couvert de la couleur rouge des chèches tunisiens. Je descends la passerelle du ferry les jambes tremblantes pour me confondre dans la foule où quelques rares Européens me prouvent que je ne suis pas ce consul romain, Regulus, qui, pour tenir sa parole est revenu se livrer aux Carthaginois après l'échec de son ambassade à Rome et qui mourut dans les pires tortures que l'on puisse imaginer.

Et là, miracle, ma phobie s'évanouit presque d'un coup. Je me retrouve dans les rues de Tunis en touriste épanoui, me risquant dans un restaurant à couscous, met que j'avais déjà découvert dans le ventre de Bruxelles, mais qui paraissait ici d'une autre sorte. Je ne vais pas vous faire de cours exhaustif sur le couscous, quoique je sois un grand spécialiste, mais sachez qu'il y a en gros deux genres de ce plat presque quotidien dans tout le Maghreb, le couscous Algérien et les autres. La différence se trouve dans la consistance de la " marga ", cette sauce rouge dans laquelle cuisent les viandes et les légumes. En Tunisie et au Maroc, cette sauce est servie épaisse et beaucoup plus grasse qu'en Algérie où il s'agit d'un véritable bouillon. Mais je m'égare totalement, car couscous ou pas, il faut que je trouve un moyen pour rejoindre l'Algérie par le plus court chemin. A tout hasard je me rends à l'aéroport de la capitale tunisienne, où j'ai la surprise d'apprendre qu'un DC3 d'Air-Tunis est sur le point de décoller à destination de Bône, la capitale de l'Est algérien. Je ne fais ni une ni deux, me procure je ne sais comment un billet, et prend place dans le petit appareil américain qui prend son envol dans les minutes qui suivent. A bord, presque personne, deux hommes en costume trois pièces qui me considèrent avec un air surpris. Mais de Tunis à Bône il y a à peine une heure de vol et déjà l'appareil amorce son atterrissage sur une piste d'apparence militaire tout simplement parce que le tarmac est encombré de jeeps et de troupes à casques blancs, je commence à me faire du mouron car ces soldats sont aussi français que moi, et ma position n'est pas confortable, même si l'Algérie est désormais indépendante et que l'armée française n'a plus aucun pouvoir juridique sur les civils. Je descends par conséquent avec prudence, tâchant de ne pas attirer l'attention, mais rien ne se passe, et non seulement tout reste calme et serein, mais nous sortons de l'aéroport sans le moindre contrôle de passeports ou de visa, comme si la Tunisie était déjà une province de l'Algérie. En fait, l'armée algérienne, l'ALN, basée en Tunisie pendant les derniers mois de la guerre n'avait pas fini de faire mouvement vers l'Ouest, et toute cette magnifique cité balnéaire grouillait de militaires de tout bord, légionnaires français, ex-maquisards du FLN, qui se croisaient dans une atmosphère bon enfant. Le bordel complet, ou presque, car lorsque je me pointais à la gare, il me restait à rejoindre Alger via Constantine, par chemin de fer, seul moyen dont je dispose, on me regarde avec beaucoup de curiosité. Je grimpe néanmoins dans un wagon, le voyage semble gratuit car il est impossible de trouver un bureau de l'ex-SNCF où l'on puisse se procurer un titre de transport. Or dans le long train dans lequel j'embarque, il n'y a que des militaires, et au milieu d'eux des hommes costumés qui ressemblent à des cadres en civil. Je me retrouve seul dans un compartiment de ce qui avait été une première classe, et m'apprêtait à payer mon passage dans le train, lors d'un éventuel contrôle. Contrôle il y eut, certes, mais pas celui auquel je m'attendais. Cela se produisit à environ une demi heure de notre départ, le train roulait lentement, semblant grimper en direction des montagnes des Aurès, spectacle extraordinaire que je découvre, un pays magnifique qui me fait soudain penser à l'Etranger de Camus, automatisme psychique et intellectuel qui montre l'implication beaucoup plus profonde que l'on ne pense de la poésie et de la vie quotidienne. Mais pendant que je rêvasse ainsi, la porte de mon compartiment s'ouvre sur deux personnages en civil, l'air sombre et peu porté à la courtoisie. Qui êtes-vous ? Que faites-vous dans ce train militaire ? Militaire ? Je ne savais pas que ce train était réservé aux militaires, il figurait sur les horaires que j'ai vu à Bône. C'est un train de l'armée algérienne, alors vos papiers svp ! il va falloir que je m'explique, et je me mets à leur raconter ma situation et la raison de ma présence en Algérie. Ils se regardent, sceptiques, et me demandent si je suis conscient des risques que j'ai pris en montant dans ce train. Réponse : je n'ai rien à craindre de mes amis. Comment vos amis ? Vous êtes Français et vous vous considérez comme nos amis ? Oui, et je vais vous le prouver. Ce disant je me saisis de ma valise et l'ouvre devant deux hommes de plus en plus nerveux. Par bonheur j'avais placé mon sésame sur le haut de mes affaires, et quand ils voient la chose, ils se figent, sidérés : j'avais placé en bonne vue une pile de disques 33 tours édités par le FLN en Suisse et qu'on ne trouvait même pas encore en Algérie. Ce disque à la couverture aux couleurs du futur drapeau algérien, contenait d'abord l'hymne national que j'avais appris un peu par cœur, et puis l'ensemble des chants de guerre du FLN ainsi que quelques discours politiques. L'atmosphère change du tout au tout, mais venez donc dans notre compartiment, vous nous raconterez toute votre histoire, merci et re-merci, j'avais évidemment commencé par leur offrir à chacun deux exemplaires de ces disques qui viennent de me sauver au moins d'un séjour désagréable dans un train qui va mettre presque vingt-quatre heures pour arriver en gare d'Alger. C'est aussi l'occasion pour moi de faire la connaissance d'un Commissaire de Police qui me tirera bientôt une sacrée épine du pied alors qu'il dirige déjà, il a à peine vingt-deux ans, le commissariat principal de l'ex-rue Michelet, actuelle rue Abane Ramdane, sauf erreur.

L'argent, toujours l'argent. En descendant du train à Alger, il me reste cinq francs en tout et pour tout, et j'ai faim, dans le secteur des exigences de l'estomac rien ne change. En remontant vers le centre-ville j'aperçois une sorte de mini-marché où on trouve de tout, y compris des pois-chiches en cornet, mesuré à cinq francs. Chiche ! Je manque m'étrangler tellement ces pois sont forts en piment, mais c'est quand-même très bon et je vais le regretter bientôt encore plus. Rue du Chemin Pouyanne svp ? Oh là, c'est pas tout près ça dites-donc, et c'est compliqué, vous devriez prendre le bus jusqu'à El Biar, et là vous redescendez un peu, sinon vous prenez les escaliers que vous voyez là et vous montez jusqu'en haut, le plus haut que vous pouvez. Mais attention, vous allez arriver d'abord sur le Telemly, il faudra alors prendre légèrement sur la gauche, et à cent mètres de l'autre côté vous avez le Chemin Pouyanne, une ruelle très étroite avec de belles villas, vous ne pouvez pas vous tromper. Quel boulot, avec ma valise bourrée de disques et de livres, pas question de prendre le bus, y a pu de francs ni de centimes. C'est donc pedibus jambis que je vais arriver à bout de souffle à la villa du Chemin Pouyanne. J'aimerais bien me souvenir avec exactitude du numéro de la maison, il me semble que c'était le vingt-sept, un bâtiment indescriptible sinon par ses multiples fonctionnalités toutes dirigées vers le plaisir d'exister. D'abord la situation, dominant pratiquement toute la ville d'Alger, bien au-dessus du plus haut des minarets, un paysage mangé par le bleu de la Méditerranée et du ciel presque confondus à certaines heures de la journée. Et pour donner un contenu pratique à cette position transcendante, tout le côté Nord-Est de la maison, c'est à dire celui qui révélait la ville et l'océan était bordé par un balcon d'où l'on pouvait jouir ce paysage de chromo. D'ailleurs on ne vivait qu'au premier étage, le rez-de-chaussée n'était qu'une immense salle sombre et froide, où je m'installai immédiatement sur un matelas à même le sol. Ce fut un grand plaisir que cette chambre hors de proportions, dénuement total, pas la moindre décoration, un papier peint indéfinissable dont la fonction était avait tout d'éviter la réflexion et donc la chaleur. Je dormais en fait dans la salle de cérémonie ou le salon, un lieu que je resterai seul à fréquenter tant il était sombre et vide. En quittant l'Algérie dans la panique, les Pieds-Noirs avaient pratiquement laissé tous leurs meubles, et Chemin Pouyanne, il semble que les riches propriétaires aient pu sauver une partie de ce qui se trouvait dans ce salon, car les deux étages supérieurs étaient équipés comme si les occupants étaient partis la veille. La cuisine, les salles d'eau, et une série de chambres donnant sur le balcon, tout cela formait le premier étage, l'étage où l'on vivait. Mais chaque chose possède ses modes d'emploi secrets, des fonctions qui appartiennent au projet du créateur ou de l'architecte, et les barbares qui pillent d'anciennes cités passent le plus souvent à côté de l'essentiel du plaisir qui est programmé dans les objets et les constructions. Comment expliquer autrement la discontinuité qu'il y a dans le progrès technique entre la civilisation romaine et ce qu'on appelle le Moyen Âge ? Comment expliquer comment on est passé du raffinement gréco-romain à la saleté d'un dix-septième siècle ? Montaigne lui-même est sidéré par le retard technique de sa région par rapport au Nord-Est alsacien et allemand où le raffinement romain semble avoir survécu et s'être même développé. A Bordeaux il n'y avait même pas encore de fenêtres, alors que les maisons suisses ou badoises connaissaient déjà l'eau courante et les chambres soigneusement calfeutrées par des fenêtres à carreaux et des volets. Mes compagnons s'étaient installés ici bien avant moi, et aucun d'entre eux n'avait voulu de cette grande pièce vide et froide. Sauf le Che, qui est venu un temps partager ma solitude, et s'est retrouvé heureux dans ce frigo, alors que Ben Bella lui avait préparé la grande suite du Saint Georges.

Mais revenons à mon arrivée. J'étais attendu et Fernando était là, sa tournée dans l'Est n'a pas donné grand chose d'autre qu'un peu d'argent pour tenir quelques temps. Surprise, Fernando me présente les compagnons du groupe. Deux Parisiens, Jean-Paul Ribes et Mylène Dubois, et puis un Italien que nous appellerons pour l'instant Giovanni, car ma mémoire me trahit. L'écrivain fasciste Roland Gaucher fait une allusion aux occupants du Chemin Pouyanne, mais il n'a visiblement pas de bons tuyaux. Il cite ainsi un John, alors qu'il n'y a jamais eu de John, du moins dans la période dont je parle, à moins qu'ignorant mon nom, il m'ait affublé de ce prénom qui ne mange pas de pain. Gaucher se fonde d'ailleurs sur un article tardif de Ribes dans Actuel, où il raconte son aventure au Mozambique sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure. Mais ce qui est sûr, c'est que dans cette grande maison vivent cinq personnes, sans compter les invités de passage. Qui sont-ils ? J'ai suffisamment présenté Fernando pour que nous ne soyons pas obligé d'y revenir. Jean-Paul Ribes et Mylène Ddubois forment un couple qui a fait partie des porteurs de valises pendant la guerre et qui ont passé quelques mois à Fresnes avant d'être libérés en mars 62. Giovanni, lui, est un anarchiste italien, blessé à la cuisse lors d'une attaque de banque en plein Lisbonne, miraculé grâce à l'efficacité des réseaux anarchistes et trotskystes qui couvraient l'Amérique du Sud et la péninsule ibérique. Dans le roman qui s'intitule Mayta, Vargas Llosa fait une allusion passagère à Maitan, l'un des dirigeants trotskystes-anarchistes qui furent les lointains ancêtres des guérilleros du Sentier Lumineux, mais qui n'avait en réalité rien à voir avec leurs thèses maoistes. Comme quoi le célèbre écrivain libéral traînait aussi quelques casseroles gauchistes derrière lui, et c'est tout à son honneur. Bref, Giovanni était l'un de ces aventuriers auxquels la presse internationale ne faisait pas une grande publicité, le Pentagone planifiait déjà toute la future répression dont le premier test sera le mini-Chili que connaîtra en 63 l'Uruguay et son mouvement révolutionnaire internationaliste des Tupamaros. Notre ami italien était un fils de grand bourgeois du Nord de l'Italie, et son père broyait des millions de tonnes d'olives en allongeant l'huile avec des graisses diverses dont celle de la baleine. Mais au cours de ses nombreuses attaques de banques, de Buenos-Ayres à Montevideo et Lisbonne, Gino avait amassé une petite fortune qui lui permettait de vivre très correctement, se faisant acheter des grands steaks lorsque nous mangions du riz et des pâtes. Cette situation m'avait immédiatement fait tiquer, et je me rendis vite compte que la fameuse démocratie sur laquelle je m'étais engagé n'était que du vent.

Mais les choses étaient loin d'être claires, et nous n'en étions pas encore aux décisions cardinales. Pour l'instant, il fallait trouver du travail et ma foi, Fernando avait déjà préparé le terrain. Le lendemain je devais me présenter au Ministère de la Jeunesse et des Sports, où m'attendait une certaine Didar Fawzi, un personnage dont j'étais loin d'être à même de jauger l'importance, mais qui me séduit sur le champ. C'était une femme dans la trentaine, un peu comme Doudou, des traits incontestablement sémites sous des cheveux d'un blond suédois, une beauté du genre intouchable et à la fois une femme simple, bonne et d'une grande ouverture d'esprit. Elle dirigeait le service de presse du Ministre, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, l'actuel Président de la République Démocratique d'Algérie et avait visiblement été chargée par une instance mystérieuse de me recruter sur la simple déclaration de mon rôle joué sur le continent pendant la guerre et ma désertion. Du jour au lendemain, je devenais Secrétaire-Administratif auprès du service de l'information et de la communication du Ministère situé en plein cœur d'Alger, dans la fameuse rue d'Isly qui avait été le champ de bataille de la grande manifestation des pieds-noirs contre les Accords d'Evian. Dans quelques jours cette rue changerait de nom pour devenir la rue Abane Ramdane, l'un des héros de la guerre, en réalité trahi par son propre camp lors de la Soumam, nom de la vallée où se tint la réunion clandestine de tous les chefs du FLN à l'intérieur de l'Algérie, et qui fut l'occasion de règlements de compte sanglants entre les chefs de l'intérieur, et ceux de l'extérieur qui ne croupissaient pas encore dans les cellules de Fresnes. Or à propos de ces commentaires sur ce qui se passait en Algérie ou sur ce qui s'était ou allait se passer dans l'avenir, je tins à mettre les choses au clair immédiatement avec Didar, qui était devenue une amie en quelques minutes. Lors de nouvelles rencontres, c'est une constante dans les réseaux clandestins que ce passage quasi instantané à une grande familiarité, voire une intimité sans façon. Elle semblait ravie de m'entendre m'engager avec force dans une position de neutralité absolue par rapport à la politique intérieure algérienne. Je n'étais pas venu à Alger faire la révolution des Algériens. Alger était déjà devenu la base et le territoire d'espérance pour de nombreux pays africains qui n'en étaient encore qu'au balbutiements de leur combat, et les premiers Angolais qui avaient déclenché la rébellion depuis plusieurs années déjà, débarquaient pour installer leur QG dans la grande ville africaine libérée, et je ne m'intéressais qu'à cette Afrique là, m'interdisant d'intervenir ou de m'engager d'une manière ou d'une autre dans les affrontements intérieurs qui avaient déjà commencé depuis l'entrée sur le territoire des régiments de l'ALN stationnées au Maroc et en Tunisie. On se souvient de la seconde bataille d'Alger, c'est à dire des combats que se sont livrés les soldats algériens entre eux au moment de la prise de pouvoir. Ben Bella n'avait été qu'un compromis boiteux, et tout le monde le savait, Boumediene attendait son heure en la préparant fébrilement avec l'aide, d'ailleurs, de Bouteflika, son plus fidèle partisan. De plus, il y a en Algérie une tare historique rédhibitoire qui explique en grande partie les horreurs qui marqueront les années quatre-vingt et quatre-vingt dix. Il y a en fait deux Algéries : la première est l'Algérie d'origine, la Berbérie qui comprend la grande et la petite Kabylie, les Aurès et le grand désert du Sahara ; la seconde comprend tout le reste, à savoir la grande plaine qui va d'Alger jusqu'au Maroc, arabisée à 90 % et qui est aussi le réservoir des grandes richesses agricoles du pays. Lorsque j'ai débarqué fin octobre 62 dans ce pays, il croulait encore sous les richesses agricoles ; les céréales, les légumes et les fruits, surtout les agrumes, et puis le vin, faisaient de l'Algérie un pays de cocagne, un paradis que la politique cynique de De Gaulle va vider de sa substance en quelques mois. En quelques mois, les contrats d'achat de l'ancienne métropole vont être annulés les uns après les autres. Le vin, en particulier, ne passait plus la Méditerranée, le vin, principale source de trésorerie ne trouvait plus preneur auprès de ceux qui ont construit des fortunes sur le mélange de leur piquette du Languedoc-Roussillon avec ces crus de Mascara et de Sidi-Bel-Abbes qui titraient jusqu'à dix-neuf degrés d'une qualité rarissime. Un an plus tard, devenu instituteur dans le Sud, à Saïda, j'ai eu l'occasion de trouver dans un chais abandonné où les foudres de plusieurs milliers de litres avaient été détruits par les fuyards, une dame-jeanne pleine de ce liquide noir comme de l'encre et pur nectar. Je pensais, en le buvant, à ce vin de l'Antiquité que les Grecs coupaient toujours avec de l'eau, ce qui me parut un vrai sacrilège au regard de la qualité de ce jus vinifié par les dieux. Le plus surprenant était que ce vin ne contenait pas une trace de sucre, c'était un vin d'une pureté totale. Bref, Alger mis ses millions d'hectolitres de bons crus à l'encan sur le marché international où on se passa le mot, et seuls les pays de l'Est se portèrent acquéreurs, mais à des prix qui correspondaient à leur pouvoir d'achat. Ironie de l'Histoire, le Vatican aussi devint acquéreur de vin algérien.

Me voici arrivé à un point extrêmement délicat. Toujours la question du pourquoi ?En insistant sur ma détermination à ne pas me mêler de la politique intérieure algérienne contrairement à ce que feront quelques-uns des Français qui avaient également pris le parti de la lutte anticolonialiste, je ne faisais que tirer une conséquence logique de mon choix initial : si je me bats contre le colonialisme, ce n'est pas pour aller donner mes leçons de politique aux ex-colonisés. Ce débat intérieur reflète un débat beaucoup plus vaste, qui divisait les réseaux de soutien pendant la guerre, mais dont on peut déjà constater l'existence à l'époque d'autres odyssées de résistance, celle des Espagnols contre le fascisme, ou celle des quelques Français qui ont osé s'attaquer aux nazis. Le mot autour duquel pivote tout ce débat est " internationalisme ". Les communistes et les socialistes se définissaient encore à cette époque comme internationalistes et ne se privaient donc pas d'appliquer leurs catégories politiques à n'importe quelle situation ou conjoncture, et surtout là où des mouvements de révolte violents leur donnaient du grain à moudre. Or, il y a des tas de choses dans tout cela qui ne vont pas de soi, et il faut descendre - ou monter - dans les parties les plus complexes de la théorie du matérialisme historique, pour décider d'une morale politique. Nos discussions à l'époque, tournaient essentiellement autour de la redéfinition maoïste du prolétariat, qui tentait d'en finir avec la notion de prolétariat-ouvrier, notion qui seule pouvait légitimer celle que l'on reprochera longtemps à Marx d'avoir intégré dans son Programme de Gotha, à savoir la notion de Dictature du Prolétariat. Si le prolétariat comprend par exemple les paysans sans terre, et d'un point du vue plus général tout être humain qui ne possède rien en propre, qui n'est pas propriétaire de ses moyens de production et de survie, alors il faut en tirer les conséquences au plan de l'organisation. Impossible, en effet, de continuer de confier l'organisation de la lutte, voire le gouvernement de tout un pays, à la seule classe ouvrière éclairée par le Parti Communiste, " conscientisée " à la fois par le travail théorique mais aussi par des rapports de production capitalistes historiquement déterminés. Autrement posé, la question est de savoir si un cultivateur de rizière est dans la même position de compétence et de " pureté idéologique " que l'ouvrier de la Rhur, organisé en syndicats et en partis. Le mouvement anticolonialiste était en quelque sorte contraint de se poser cette question, du moins pour les membres qui se définissaient comme socialistes ou communistes. D'autant que les événements mondiaux avaient placé le paysannat au centre des mouvements révolutionnaires, que ce soit en Chine ou plus tard au Vietnam. Il y avait, dans les réseaux de résistance à la Guerre d'Algérie, quelques individus qui ne se rattachaient pas forcément à la gauche française. La " gauche chrétienne ", issue des mouvements de l'entre-deux guerre possédaient même des représentants prestigieux et efficaces comme le Professeur de la Sorbonne André Mandouze qui avait longtemps enseigné à Alger, ou l'abbé Robert Davezies, rameau anarchisant du mouvement des prêtres-ouvriers. Il y avait aussi, on aurait grandement tort de les négliger, des anarchistes et des Trotskystes de pure souche. Les deux " Quatrième Internationale " rivales, (ce qui explique aujourd'hui le dédoublement de l'extrême-gauche en deux partis tantôt rivaux tantôt alliés) ont chacune milité activement et concrètement pour aider les Algériens pendant la guerre. Pablo, le leader du mouvement le plus actif, a même organisé un trafic d'armes régulier entre certains pays européens comme les Pays-Bas et le Maroc et dirigeait un véritable bureau de fabrication de documents d'identification, passeports, cartes d'identités etc... Rien d'étonnant donc de le voir occuper un bureau du QG, le quartier général du gouvernement Ben Bella et ex-QG de l'armée française, un bureau à partir duquel il exerçait une influence importante sur la politique intérieure et extérieure du Président de la nouvelle Algérie. Pour ma part, cependant, les choses étaient loin d'être simples, et si j'avais adopté cette position de totale neutralité par rapport aux Algériens, j'avais quelques raisons de penser que je ne faisais que reporter le même problème plus loin, au plan d'une Afrique qui avait certes besoin qu'on l'aide à se libérer - et encore cela n'est pas une certitude - et qu'en réalité il valait mieux que je définisse mon action comme entièrement subjective. Autrement dit que je ne cherche pas à théoriser ou à légitimer idéologiquement mes choix, faute de quoi ma perplexité risquait de demeurer sans limites. Il faut garder la tête froide et reconnaître le plus simplement du monde qu'il ne va pas de soi qu'on prenne position contre le colonialisme comme je l'ai fait. D'ailleurs, le destin ultérieur du continent africain n'est pas encourageant à cet égard, et il m'est arrivé de m'interroger sur la pertinence de mon attitude. Cela dit, je n'ai jamais exhibé la moindre prétention théorique, prenant sur moi, en aventurier connaisseur d'histoire - il y a quand-même quelques évidences historiques incontournables par rapport auxquelles on a le droit et le devoir de se déterminer publiquement, l'impérialisme et l'esclavagisme européens ont fait assez de ravages en deux mille ans pour qu'il aille de soi qu'on cesse au vingtième siècle de se comporter en Christophe Colomb ou en Cortès. En aventurier, j'insiste sur ce mot, car je pense qu'il est le plus honnête. Dans les moments dramatiques que j'ai vécu à Alger autour de cette époque, je me suis souvent senti dans la même situation que lorsque la faim me torturait en Grèce, et que l'horizon était vide de toute perspective vitale. Dans toute situation existentielle " dure ", mais cela vaut en réalité pour n'importe quelle situation de vécu, le moi ne coïncide jamais avec des convictions théoriques, religieuses ou idéologiques précises. Je suis tout à fait convaincu que seul le doute confère au héros l'ultime touche qui en fait un être supérieur aux autres. C'est une des leçons de Cervantès ou Shakespeare, et le doute est aussi ce qui donne leur marque spécifique aux personnages de Dostoïevski. En mots plus simples : personne ne se sacrifie pour des mots, personne ne prend des risques pour des raisonnements ou des arguties. Chaque fois qu'un être humain met sa vie ou seulement sa santé en jeu, que ce soit à la guerre ou même dans un sport, c'est quelque chose de très intime qui décide, ou peut-être même qu'il recherche, c'est un secret personnel qui soutient toute son entreprise. Souvent il peut tout simplement ignorer le motif profond de ce qu'il fait, sort commun à la majorité d'entre-nous dont le ressort demeure hélas toujours la peur. Je n'ai pas fini cette parenthèse, car il y va de faits concrets et de personnes concernées par ce que j'écris là, et ceux qui ont cru pouvoir me manipuler à certains moments doivent à partir de ce texte remettre en question leurs préjugés, préjugés qui concernent autant leurs propres positions que le fait même de juger autrui comme ils l'ont fait.

D'ailleurs nous allons directement nous en référer aux faits. Rappelez-vous Bruxelles et ma rencontre avec Fernando Rosa, le torturé de Lourenço-Marques (actuel Maputo), fugitif de deux régimes tyranniques, celui de Salazar et celui de l'Apartheid, deux gouvernements qui ont étroitement collaboré pour démultiplier l'efficacité de leur exploitation des Africains. Fernando ne m'a jamais donné beaucoup de détails sur sa vie au Mozambique, quelque chose allait de soi dans ce qu'il affirmait, et j'avais une foi spontanée en cet homme dont les analyses semblaient rejoindre les miennes d'une manière parfaitement homothétique. Sans doute aussi, avais-je le désir inconscient de le croire afin de ne pas manquer la perspective de l'aventure qu'il me proposait. Aventure qui ressemblait en beaucoup de points à celle de la Grèce, c'est à dire dans son caractère suicidaire. Suicidaire mais dans un cadre grandiose. Jadis c'était la Grèce de Platon que je comptais prendre comme cadre de mon déclin, et jusqu'à un certain point ça a magnifiquement marché, jusqu'à un certain point seulement car j'ignorais aussi les ressources également inconscientes de continuelles pulsions de resocialisations qui vont marquer toute ma vie. Toujours partir, toujours revenir, jusqu'au moment où le retour semble se figer dans l'attente de la mort, mais aujourd'hui encore, rien n'est joué, et rien ne m'empêche d'envisager un nouveau départ. Je ne devrais pas parler du présent, mais c'est impossible, car le temps ne peut pas se découper selon la logique des mots - c'est ce qui fait toute l'imbécillité de l'histoire comme science - le présent instaure son autorité sur la temporalité dans son ensemble, et en écrivant ici et maintenant, je lui obéis sans discuter. Donc, je crois pouvoir dire que jamais les conditions d'un départ n'ont été aussi libres que maintenant. Ce que j'appelais plus haut la ressource de resocialisation, ne me sert plus à rien, car tout le social est derrière moi, sauf à ce qu'il vienne me chercher là où je suis et que j'accepte de répondre à son appel.

J'avais conditionné étroitement mon aventure avec Fernando, car les autres membres de ce groupe, je ne les connaissais pas. Cette condition, vous vous en souvenez, est la parfaite démocratie à l'intérieur de notre groupe, de sorte qu'il ne sera jamais question ni d'une gestion autocratique, ni d'un centralisme démocratique stalinien qui ne diffère guère de l'autocratie tout court. Je n'ai pas la place ni la vocation ici de faire un cours de science politique sur le centralisme démocratique, mais on peut quand-même en dire quelques mots pour le résumer. Comme le dit l'expression elle-même, le pouvoir est " centralisé ", c'est à dire qu'au sommet d'une pyramide dite démocratique, il y a un homme, en général un Secrétaire Général, titre plus modeste que celui de Président, et cet homme a tout à fait autant de pouvoir que le premier autocrate venu. Staline n'était pas le Président de l'URSS, mais son pouvoir était sans limites, totalement personnel, aussi personnel que celui de Louis XIV, l'un des rares souverains qui lui soit comparable. Le " démocratique " dans tout cela, c'est le mode de nomination de l'homme du sommet, or les paliers de la pyramide sont tous eux-mêmes conçus sur le même schéma que la pyramide toute entière, ce qui fait qu'à chaque niveau il y a un personnage qui possède les pleins pouvoirs liés au niveau en question. Au total, nous aurons des élections complètement décalées : la base va élire des petits secrétaires de la plus petite unité structurelle du parti, la cellule ou la section, puis ceux qui sont élus sont à leur tour élire des personnages qui appartiennent à un niveau supérieur de décision, décision qui peut se résumer en pouvoir d'élire soit directement l'homme du sommet, soit un groupe intermédiaire de plus. Au PS par exemple, il y a les sections, puis le BE, le Bureau Exécutif, puis le BP, le bureau politique. Lorsqu'un homme comme Lionel Jospin est donc élu Secrétaire Général du PS, il ne faudrait pas croire que ce sont les militants de base qui l'ont élu, mais ce sont quelques membres d'un cercle très réduit de super-secrétaires, ceux qu'on appelle en général les éléphants du parti. Inutile de préciser qu'il en va de même dans tous les partis ou presque, car là où c'est différent, c'est encore pire comme par exemple au Front National où la décision est prise unilatéralement par le Chef. Fernando et moi étions d'accord sur ce point, par question de centralisme démocratique, à quelque niveau de développement du parti que ce soit. En arrivant rue du Chemin Pouyanne à Alger, mon premier souci en faisant la connaissance de mes nouveaux compagnons, est donc de leur demander s'ils sont sur cette même longueur d'onde politique, à savoir partage intégral du pouvoir et usage de la démocratie pour quelque décision que ce soit. Apparemment ils sont tous partisans de la même doctrine, et dans les semaines qui viennent, nos activités semblent se dérouler selon cette éthique qui ne souffre aucune dérogation. Le comportement de Gino évidemment ne me plaît pas, car ce démocratisme comprend également un communisme des moyens, et le voir se goberger de viande de premier choix pendant que nous mangions des spaghettis me laissait perplexe. Il y a toujours un commencement à un processus de dégradation des mœurs, et peut-être aurais-je dû tout de suite intervenir pour en finir avec cette attitude arrogante qui n'avait pas d'autre sources qu'un certain passé " héroïque " de militant anarchiste, anarchisme qui lui servait aussi de paravent idéologique et théorique. Gino récusait tout démocratisme, ou toute sorte de règle correspondant à un système politique quelconque, il se disait anarchiste intégral. Il y avait donc une certaine logique dans son comportement, et il me restait donc le choix de m'opposer à sa présence dans notre groupe, ou bien de cesser d'en faire partie moi-même, ce dont il n'était évidemment pas question. En écrivant ainsi ces mémoires, je fais des découvertes, je mets en lumière des faiblesses de mon comportement, car je me souviens très bien de ce problème soulevé par ce désaccord politique, désaccord qui allait justifier par la suite bien d'autres manquements à l'éthique que j'avais lucidement décidé de tracer comme limite à ma participation à quoi que ce soit. Et les choses se gâteront gravement jusqu'au point de rupture. Mais n'allons pas si vite.

Au Ministère je mène une vie très active. En fait j'apprends beaucoup de choses et j'en enseigne aussi pas mal. Mon cadre de travail est un bureau assez vaste, dans lequel on a installé des armoires à archives suspendues, système qui n'est pas facile à maîtriser si on ne vous donne pas la clé du fonctionnement. J'improvise donc à partir de zéro pour inventer un classement, car il s'agit de classer les articles de presse que je suis chargé tous les matins de repérer dans la presse - surtout évidemment les articles concernant le Ministère pour lequel je travaille - de les découper puis de les encoller sur une feuille 21/29. Cette revue de presse est destinée à la lecture du Ministre dès son arrivée le matin. C'est donc vers cinq heures du matin que je descends en ville, les journaux arrivent vers la demi et je peux commencer à travailler vers les six heures. Le Ministre arrivant vers neuf heures, c'est le moment pour moi de prendre l'ascenseur qui mène au neuvième étage, nos bureaux étant situés au cinquième, si mes souvenirs sont bons. Il m'arrive parfois de rencontrer Monsieur Bouteflika dans l'élévateur, l'occasion pour lui de me préciser ses souhaits par rapport au contenu des articles que je choisis. Il sait bien comme moi que son Ministère n'attire guère la presse, et il faudra attendre quelques grandes opérations organisées à partir de nos services pour que quelques journaux nationaux daignent faire un peu de publicité à ce ministre ambitieux et peu connu du public. Tellement ambitieux qu'il se fait largement absent du travail proprement dit de son Ministère, préférant préparer avec son vrai patron Boumediene le futur coup d'état dont il sera l'un des organisateurs. La légende qui court sur lui est toute militaire. Pendant la " guerre " il aurait été l'agent de liaison principal entre les pays africains du Sahel et le maquis, chargé de contrôler les tribus nomades et d'alimenter en armes et munitions les quelques troupes qui hantent encore les Aurès. Car la guerre proprement dite est pratiquement terminée depuis 1958. Deux opérations d'envergures, les opérations Jumelles et Pierres Précieuses, ont littéralement désertifié l'ensemble du territoire, privant ainsi les " rebelles " de toute possibilité de ravitaillement sur place. Par zone de cinq kilomètres sur cinq, l'armée française fait le vide, massacrant tout ce qui bouge ou qui peut servir de nourriture, troupeaux de chèvres, de dromadaires, de moutons etc… C'était la fin pour des maquisards qui dépendaient très largement du soutien de la population et du cheptel dans lequel ils pouvaient puiser sur place. Passer les lignes Morice côté tunisien ou marocain était devenu quasi impossible, en tout cas trop difficile pour permettre de faire passer des vivres et du matériel en grande quantité. C'est pourquoi la voie du désert était vitale pour le FLN, et lui permettait de rester présent sur le terrain jusqu'au bout. C'est sans doute ce qui a valu son portefeuille à mon Ministre, de même que son appartenance au " groupe de Tlemcen ", une famille politique qui fera la pluie et le beau temps pendant encore des décennies et qui tire son nom du fait que la plupart d'entre ses membres sont des arabes originaires de la ville de Tlemcen, située dans l'extrême sud-ouest du pays, non loin de la frontière marocaine. Ce détail apparemment sans importance est essentiel, car il marque la différence profonde entre les forces politiques d'origine berbères, en gros Kabyles et Aurésis, et les familles arabes qui se sont emparé du pouvoir avec l'aide des puissances arabes du Moyen-Orient. Au Caire, à Tunis et à Rabat, il y a des luttes d'influences dont le résultat immédiat sera un gouvernement disparate et divisé, mais Ben Bella lui-même est également un arabe de l'Ouest, il est originaire d'Oujda et pour l'instant il éclipse largement l'inconnu que demeure Boumediene pour la plupart des Algériens. C'est ainsi que j'ai appris qu'en politique on a toujours deux vies, l'une qui est de façade et qui porte sur la mission qu'on a fait mine de vous confier, gérer les Finances ou la sécurité intérieure, et puis l'autre vie qui consiste à jauger en permanence sa propre longévité politique et à se placer de manière à durer. Pour le petit employé de bureau que je suis, tout n'est qu'apparence. Il m'arrive d'assister à l'une ou l'autre réunion du cabinet où je fais la connaissance du futur Président du CSA, un certain Hervé Bourges, qui deviendra aussi mon grand patron dans l'audiovisuel, mais qui fera mine à ce moment-là de ne m'avoir jamais vu de sa vie. Parmi les autres membres de ce cabinet il y a un personnage haut en couleur, un Allemand portant le nom de Mustapha Müller, dont je ne sais pas s'il faisait partie des réseaux Gehlen (les services secrets allemands d'après-guerre) ou bien s'il était, comme pas mal d'autres Allemands qui se baladaient dans les couloirs des ministères algériens, un ex-déserteur de la Légion Etrangère. Müller semble avoir fait une très longue carrière avec Abdelaziz Bouteflika et passait pour son conseiller le plus écouté. Contrairement à Bourges qui, en tant que Chef de Cabinet possédait un certain pouvoir et le faisait savoir, Müller était un homme de terrain plein d'humour et d'une intelligence pleine de simplicité. Mais nous y reviendrons. Au bout de quelques semaines, nous étions encore au début de novembre 62, on me gratifia d'un assistant, un jeune Algérien né en France près de Marseille, et qui avait, en dehors de ses grandes qualités de gai luron, la chance de cousiner avec notre Directeur de Cabinet, un certain Temmar, fils de grande bourgeoisie algérienne et personnage qui appartenait au cabinet " obscure " du Ministre, celui qui préparait les choses sérieuses. Il prépara en particulier la purge qui toucha la plupart des pieds-rouges(5) qui comme moi avaient trouvé une place dans l'appareil d'état. Lorsqu'en 1965 Boumediene pris le pouvoir " sans violence ", il ne restait pratiquement plus que quelques coopérants officiels comme Bourges dans les rouages de l'état algérien. Je raconterai plus loin comment on se débarrassa de moi.

Mais d'abord quelques bonnes choses amusantes, dans le genre " comment j'ai fait la connaissance de Léonide Brejnev ". Comme vous le savez, la fête de la Révolution d'octobre russe tombe un mois plus tard parce que la Russie n'a adopté le calendrier Grégorien qu'un an après la Révolution d'octobre 1917, qui eut donc lieu en novembre. Fidèles à cette différence, les Russes continuent de fêter leur Révolution en Novembre, et comme l'Algérie était devenue une tête de pont prioritaire pour toute politique africaine, Moscou avait décidé de faire la fête à Alger et pour cela de mettre les petits plats dans les grands. Et quand le Kremlin prend une telle décision, je ne peux que vous plaindre de n'avoir pas eu l'occasion de mettre vos doigts dans les plats en question. A ma grande surprise, je me retrouve avec un carton d'invitation à l'Ambassade d'URSS, une grande bâtisse à peine meublée, les Russes n'avaient pas encore eu le temps de s'installer sérieusement dans cette cité devenue stratégique pour eux. Après un contrôle en règle par une série de gorilles fort sympathiques, le protocole me dirige vers les puissances invitantes, or Khrouchtchev étant très occupé à gérer les retombées de la crise cubaine, c'est le second personnage de l'état qui était venu représenter la deuxième grande puissance du monde. Officiellement, Brejnev était d'ailleurs le Premier Personnage de l'état puisqu'il était Président du Présidium Suprême du Parti Communiste. Mais tout le monde sait que ce poste est loin du pouvoir réel, tenu par un Secrétaire, titre modeste mais qui convient au sérieux de la gestion de la souveraineté internationale du communisme. Léonide avait donc été chargé de cette mission et avait accompagné dans son propre Sukoï, les deux ou trois avions cargo chargés des victuailles directement envoyées par Moscou. Or, par un luxe et un raffinement inattendu de la part de ces camarades prolétaires, certains plats étaient préparés dans les avions-cuisines qui les transportaient afin qu'ils soient à point lors de leur atterrissage à Alger. La petite dizaine d'esturgeons tièdes, cuits au four puis reconstitués sur d'interminables plats en argent, ces animaux faisaient au bas mot un mètre et demi chaque, attiraient par curiosité la plupart des invités. Après un bon serrage de louches entre camarades, j'ai été étonné de la vigueur de la poignée de main de Léonide par rapport à l'air mou qu'il dégage en général, les invités ont été invités à se ruer sur les assiettes chargées de montagnes de caviar, les esturgeons à la chair exquise et les multiples à-côtés sucrés et salés, le tout arrosé du seul vin qui corresponde à toute cette magnificence, à savoir un Champagne bien français, les vignes de la Géorgie ne paraissant pas encore à la hauteur de la diplomatie internationale. Je garde un souvenir étonné de cette soirée, n'ayant jamais su ce que je venais faire dans cette galère, mais sans aucun regret d'avoir eu une occasion dans ma vie de déguster du caviar à la louche et sans limites. Les circonstances avaient aussi quelque chose d'irréel pour le jeune " camarade " secrétaire administratif et simple saute-ruisseaux que j'étais, et qui se retrouvait autour des mêmes tables que le Président Ben Bella, son propre Ministre et tout le gratin de la Révolution algérienne dont il ne connaissait que les noms et quelques épisodes de leur combat.