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PAIN ET CHOCOLAT
Lausanne est une ville étrange et fatigante. Elle borde le Lac Léman comme Genève, mais d'une manière abrupte, elle plonge dans l'eau à pic, et en plein centre il y a un pont vertigineux qui relie deux quartiers totalement différents, l'ancien Lausanne et celui des nouvelles tours. En fait, l'ancien quartier de Genève est également situé sur une butte, anciens choix tactiques qui utilisaient d'abord le terrain, monotonie de la nature humaine. Mon " contact " habite au cœur moderne de Lausanne, Bel-Air, où il dirige une maison d'édition et une librairie. Ils sont deux à m'accueillir, un homme aux cheveux presque déjà gris, et un jeune individu de mon âge, en survêtement et baskets fatigués. François, c'est son nom, dit-il, me fascine par nos ressemblances physiques et bien d'autres encore. Mon domicile, ce sera chez lui, tout en haut de Lausanne, dans une banlieue ouvrière, un deux-pièces crasseux et sombre dans une sorte d'HLM des années quarante. A cette époque, une telle chose existe encore dans cette capitale de l'argent, il faut bien loger les immigrés qui travaillent dans les soutes. Mais François est largement responsable de la saleté des lieux, dans un coin j'aperçois tout de suite un pile d'ordures très homogène, des cartons de lait vides et vides aussi, une montagne de boîtes de maquereaux au vin blanc. C'est la seule nourriture que prend François. Nous nous racontons nos parcours respectifs, le sien est impressionnant et il m'explique sa colère, colère que j'avais cru percevoir immédiatement, instantanément comme une composante structurelle de sa personnalité. François ne digère pas le coup qu'on lui a fait, le priver de guerre, de sa guerre. Pris en charge par un réseau comme moi, il avait demandé à se battre en Algérie aux côtés des Moudjahidine du FLN, des fellaghas. On le transfert donc au Maroc où il suit un entraînement intensif dans des unités que l'on préparait pour leurs missions dans le Djebel algérien. Mon entraînement à Toul ressemble à un cours de gymnastique pour enfants à côté de ce qu'il me raconte ; des journées et des nuits entières passées à courir sur les crêtes de l'Atlas, puis foncer vers le fond des vallées en quelques secondes pour disparaître comme par magie. Les Anciens de l'Algérie peuvent se souvenir de cette tactique extraordinaire, qui leur ravissait leurs cibles au moment même où ils allaient appuyer sur la détente de leur arme, et la peur qui s'en suivait, car on ne savait jamais par où ils allaient ressurgir. François crapahute sur les cimes pendant trois mois, s'enquérant chaque jour de la date de son passage de la Ligne. Il apprend vaguement l'arabe et partage la vie quotidienne des futurs martyrs ; mais il n'est pas encore, à cette époque, question de suicide, même si ceux qui entrent au pays savent qu'ils n'ont pas beaucoup de chances d'en ressortir vivants. Et puis un beau jour, il est appelé à l'état-major où il se présente avec ce qui lui reste de ses baskets, car on ne l'a même pas équipé comme un guérillero classique, à savoir chemise, short et Pataugas. Equipement léger, qui donnera du fil à retordre à l'armée française qui transformait ses bidasses en légionnaires romains. On avait convoqué François pour lui demander de rendre son arme et reprendre le chemin de l'Europe ; l'état-major de Tunis, commandé par Boumedienne, avait opposé son veto à l'aventure du jeune Français, pas question de faire confiance à des roumis, même ceux qui paraissaient les plus dévoués. Pas question sans doute aussi qu'un fils de l'ennemi du djihad soit accepté dans les rangs de l'armée de la révolution. François avait mal joué, n'acceptant pas de se convertir à l'Islam ou au moins de faire semblant, car à cette époque les jeux étaient fait entre les révolutionnaires musulmans et les autres, les socialises, communistes ou athées. Boumedienne préparait son entrée en Algérie avec le Coran à la main, et le ton du journal El Moudjahid avait bien changé depuis les débuts de la rébellion. On était passé au Djihad malgré les divisions qui subsistaient au sein du GPRA, le Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne dont la majorité des chefs croupissaient à Fresnes depuis leur interception par avion lors d'un vol Tunis-Rabat. Ces divisions se manifesteront dès les premières semaines de l'Indépendance par de véritables batailles entre Willayas ennemies, une willaya étant une sorte de département dirigé par un Préfet à la française. Alger, la willaya 4 si je me souviens bien, a tellement bien résisté à la pression des troupes qui venaient de l'Est, que le premier gouvernement dirigé par Ben Bella sera le fruit d'un compromis qui ne durera que trois ans, Boumedienne, le moine-soldat prendra le Ministère clef en main , celui des armées et son ombre complice, Bouteflika, sera chargé de la Jeunesse et des Sports.
Bref, François se retrouve comme moi à Lausanne, avec un peu d'argent, la somme qui lui permet de tenir grâce à son régime d'ascète. A part ça, j'ignore ce qu'il fait de ses journées sinon de lire, et curieusement je ne me pose aucune question à ce sujet, la discrétion est déjà devenu une seconde nature. L'ennui pour moi c'est la distance entre son appartement et mon lieu de travail, environ trois kilomètres en descente abrupte le matin et l'inverse le soir, vers une heure du matin, lorsque je suis au bord de l'épuisement le plus total. Cet ennui m'en vaudra de bien plus grand, à peine un mois plus tard, mais n'allons pas trop vite. Et encore, le matin je pars trop tôt pour avoir le premier bus, et le soir c'est encore l'inverse, trop tard pour le dernier. C'est dire l'exercice quotidien que représente pour moi mes déplacements en plus de mon travail qui s'avère tout de suite à la limite du faisable. Mon service derrière le bar commence à six heures ; à cette époque les gens travaillent encore assez tôt le matin, et les cafés-croissants défilent à grande vitesse jusque vers neuf heures. De dix à onze, je baguenaude dans Lausanne, que je découvre peu à peu, les boîtes où les jeunes ont déjà pris la place des vieux bourgeois désœuvrés et des truands, le casino du bord du Lac, pour y descendre il faut prendre le train à crémaillère . Il aurait mieux valu que je ne découvre jamais cet endroit, mais attendons. De onze à quatorze heures c'est le coup de feu permanent, des milliers de clients qui doivent être servis en même temps par des garçons qui font constamment le siège de mon bar. L'après-midi je n'ai pas le temps de rentrer, trop loin. Je me repose donc comme je peux, soit dans un coin du restaurant, soit en poursuivant ma visite de Lausanne, décidément une ville surprenante et magnifique. A six heures commence la dernière ligne droite sans limite d'horaire. Le patron peut décider de fermer à minuit, mais si la clientèle traîne un peu, où si des groupes de fêtards viennent encore à onze heures soigner leur gueule de bois, ça peut traîner jusqu'à deux heures du matin. Je gagne cinq cents francs suisse - le change est encore à peu près à un pour un - nourri mais pas logé. Arrivé au bout de mes peines, il me reste encore mes trois kilomètres à grimper avant de me jeter sur ma couche, un matelas jeté par-terre.
(Hors-texte III) Cela fait maintenant cinq semaines qu'ils LUI ont ouvert le ventre pour recoudre son hernie. IL a aussi mal que le jour où IL a quitté l'hôpital, Son médecin traitant parle de cruralgie, l'équivalent d'une sciatique sur un autre trajet nerveux. Selon le bon Docteur Turlot, le chirurgien aurait peut-être pété un petit nerf en passant ? IL en saura peut-être plus long dans une semaine. En attendant, IL constate que rien ne change à son programme pathologique, quand ça s'arrête ici, ça reprend ailleurs. La douleur est à Son programme depuis la nuit des temps. Pourvu que le repos éternel ne soit pas une de ces mauvaises farces que LUI joue le langage !
A Lausanne je trouve une parade à cet amoncellement de fatigues, pire qu'à l'armée. Je mange du matin au soir. Dès cinq heures et demi, j'arrive toujours une demi-heure avant l'ouverture, je me fais une demi-douzaine d'express très serrés, des cafés ristreti, un grand bol d'ovomaltine surchocolatée et sucrée sans parler des croissants tous frais que j'avale par demi-douzaines. Dans la journée, j'ai mis au point un système d'échange avec la cuisine dont je contrôle le passe-plat : j'envoie deux ou trois bocks de bière, et on me redescend immédiatement un steak ou une escalope de veau. Tout cela fonctionne à merveille, je reprends couleur et ma fatigue s'estompe au point qu'il m'arrive désormais de sortir après mon service du soir. Je sympathise avec deux jeunes coiffeurs du quartier et il m'arrive de dormir chez eux jusqu'au jour où l'un des deux m'entreprend dans son lit, ils sont tous les deux homos et ne s'en cachent pas. Ils me propose donc un jour d'essayer, je suis encore vièrge…hé hé. D'un côté je me considère comme parfaitement libre de ma sexualité, de l'autre mon corps a subi contre son gré dès mon plus jeune âge ce genre de plaisirs amers. Ce soir-là je cède mais l'expérience tourne court, leur comportement est de plus en plus étrange, à un moment je les soupçonne de vouloir prendre des photos, et enfin, pris de panique par un pressentiment je saute par la fenêtre pour finir ma nuit sur mon grabat. Je ne les reverrai jamais, mon pressentiment était fondé, ce sont encore des flics provocateurs, il faut tout faire pour me discréditer, me fabriquer un dossier en béton pour l'avenir, ce qui ne manquera pas de me venir aux oreilles une dizaines d'années plus tard. Dans l'esprit de beaucoup de personnes habilement initiés, je ne suis qu'un sale pédé, l'époque est encore loin de la loi contre l'homophobie et le discrédit marche à plein régime. En Mai 68, l'une de mes copines est la fille du Préfet de Région. Pour l'écœurer sur ma " véritable nature ", ce salaud lui tend mon dossier secret, mille pages de raclures de bidets et de mensonges à vomir, mais elle ne craque pas, ou presque… N'est-ce pas Marie-Christine ? Si un jour tu lis ça, essaye de te rappeler l'effet réel qu'a fait sur toi la lecture de ce torchon que j'ai fait dénicher plus tard par la CNIL, la commission nationale information et liberté, mais pour sa destruction, il faudra repasser. Bon, pas si vite.
Cours de morale pratique.
Avant de condamner avec toute la rigueur nécessaire le viol et tout ce qui tourne autour de la pédophilie, il faut bien se pénétrer de toute l'horreur de ces actes et surtout de ses conséquences. J'en ai déjà parlé ici, mais il faut apporter à ce sujet une précision quasi scientifique, il ne doit demeurer aucun reste, aucun doute sur la valeur négative radicale de ce crime, car je pense qu'il s'agit d'un crime à l'instar du meurtre. En effet, le viol peut se comparer à la pose d'une camisole pathologique définitive sur l'existence sexuelle à venir du sujet victime : il détruit en définissant un contenu aléatoire et étranger du plaisir et donc d'un certain bonheur d'exister. L'humiliation que subit une femme violée ne provient pas de l'agression elle-même ou de la pénétration par force ou par peur mais du plaisir qu'elle risque d'être contrainte de prendre dans l'opération. Un vrai violeur n'est jamais satisfait du simple fait de se masturber dans une étrangère capturée au passage, mais du plaisir qu'il lui inflige. Je pense que la plupart des meurtres qui suivent les viols proviennent justement de l'absence de cette satisfaction. Les femmes qui réussissent à se dérober à ce plaisir sont donc toutes en grand danger, et il vaut mieux, si l'on tient à survivre, aller jusqu'à mimer le plaisir pour éviter les risques du dépit " amoureux " physique. Pour les enfants, c'est pire, car le viol originel, le premier orgasme qu'un adulte ou un autre garçon lui inflige, on ne peut pas employer d'autre mot, détermine, oui je sais je l'ai déjà dit mais je le répète à dessein et parce que ma vie à été défigurée par des agressions répétées sur ma très jeune personne, le sens de l'amour et du plaisir. Pour un être ainsi violé, il n'y a plus aucune chance de faire sa propre découverte de la dimension transcendante par définition de cet amour et de ce plaisir. Je ne referai pas une deuxième fois le procès des philosophes grecs qui ont défini le plaisir de la manière la plus triviale, mais il est bien connu que les enfants grecs étaient les victimes hélas consentantes par tradition, des adultes. Il était fatal que la définition du plaisir et de l'amour finisse ainsi par se limiter à des affects physiques au sens le plus bas du terme, au sens " scientifique " c'est à dire chiffré en termes d'intensité ou encore de multiples autres façons les plus méprisables les unes que les autres. En résumé, s'il existe un domaine prioritaire du sacré, c'est celui du destin de l'enfant par rapport à l'amour et au sexe. Les Jésuites, encore les Jésuites sont très attentifs à cet aspect de la personnalité de leurs ouailles et ne se gênent nullement pour s'informer sur l'expérience et les pratiques sexuelles de leurs élèves. Cela fait partie de la fiche anthropométrique…Je déclare cela le plus sérieusement du monde et suis prêt à en rendre compte devant n'importe quel tribunal. En résumé, aucune personne ne peut se former sur une déformation préalable ; un enfant violé est donc un adulte handicapé à vie, chaise roulante invisible mais bien réelle, porteuse de malentendus et de mensonges nécessaires futurs, nécessaires à la survie des couples et des familles. Aujourd'hui le divorce arrange tout le monde, mais le laxisme de la société par rapport à cette légalisation de la séparation provient directement de cette pulsion engagée très tôt dans le mauvais sens, ou dans un sens étranger à la singularité de chacun d'entre-nous. C'est un cautère sur une jambe de bois.
Fin du cours de morale pratique.
Au Restaurant " Jour et Nuit " - il existe encore aujourd'hui, mais réduit à un petit bistrot avec un autre propriétaire - mes affaires fleurissent. Je deviens un véritable danseur du mixer, du Fendant et du ristreto. Je fais mille opérations en même temps tout en organisant en permanence les stocks de façon à les avoir à portée exacte de main, selon l'offre et la demande, en fait le patron se rend compte que pour cet énorme établissement, je suffis à une tâche qui demanderait en réalité deux voire trois salariés. Non seulement il s'en frotte les mains, mais finit par rêver à des vacances dans les îles. Il me convoque un beau jour, et après un déluge de compliments sur mon travail, me propose tout de go de prendre la gestion de tout le restaurant pour deux mois ! Je reste un peu atterré, ne sais pas quoi répondre d'autre que oui et prends mes jambes à mon cou. Mais la vie propose et le destin dispose : quelques jours plus tard, je me trouve au casino par un bel après-midi de mai, et je m'assoie dans la salle où l'on danse, activité dont je suis très friand. Je ne savais pas que j'allais signer mon arrêt de mort, ou presque, en invitant une jeune personne fort accorte et tout à fait séduite par mes propos un peu bidons, il faut bien l'avouer, sur ma position de poète vagabond, sans préciser que ce vagabond était aussi plongeur et barman dans un restaurant de Lausanne Centre. Or, la catastrophe se précise lorsque je raccompagne la demoiselle à sa table, table qui n'est autre que celle de mon patron qui chaperonnait la belle en la courtisant, évidemment. Le lendemain le patron débarque avec la fille, et se contente de me montrer du doigt depuis la porte, la fille rougit et s'enfuit dépitée. Pas grave, je pense, en oubliant les conséquences sur le patron et la jalousie haineuse que cet incident a dû engendrer dans sa petite tête de crapule.
Deux jours plus tard je reçois la facture : le patron vient me voir au bar, m'accuse d'avoir détourné cinquante francs suisses de la caisse et me prévient qu'il va me retenir cet argent sur ma prochaine paye. Comme je ne gère aucun argent dans ma fonction, son accusation est un pure impossibilité, mais il prétend avoir déposé cette somme dans un tiroir de mon comptoir, je ne peux rien prouver. Mais c'est mal me connaître, et dans le quart d'heure qui suit je réunis tout le personnel de la maison, une demi-douzaine de serveurs et autant de cuisiniers pour leur faire part du coup du patron. Apparemment il n'en est pas à son coup d'essai car tous mes collègues se disent d'accord pour cesser le travail jusqu'au retrait de la menace patronale. Malheureusement, l'un des garçons, un espagnol déjà âgé, intervient pour demander le report de la grève au lendemain pour des raisons d'efficacité, et tout le monde approuve. Pour moi ça ne changeait pas grand chose, sauf que ce retard cachait une combine digne du film Pain et Chocolat que je m'en vais vous compter. Le soir même mon travail s'arrête vers une heure du matin, et la journée ayant été dure je suis épuisé, nerveusement et physiquement. C'est alors que l'un des cuisiniers, un Autrichien qui fait partie de mes fournisseurs d'escalopes, me propose de me raccompagner à mon domicile si lointain avec la voiture qu'il vient d'acquérir. En chemin, il me raconte qu'en réalité il l'avait volée, mais que je ne risquais rien étant donné qu'il allait me déposer chez moi dans les cinq minutes. Et en effet, je rentre sans encombre, un peu en rogne contre ce petit voyou qui vient encore me gâcher cette fin de journée brûlante. J'ôte ma veste et n'ai pas le temps de poursuivre qu'on frappe à la porte, c'est mon pote qui me demande de lui ouvrir, ce que je fais sans me méfier. Deux policiers en tenue pénètrent sans demander la permission et m'arrêtent pour complicité de vol d'une Fiat 500 immatriculée….. Mon " copain " leur avait même prêté sa voix pour que je ne fasse pas de difficulté pour ouvrir la porte. Ils m'entraîne vers une voiture de police et nous fonçons à travers la ville en direction du Lac. Là, le véhicule oblique soudain à travers un grand porche en fer forgé donnant sur un vaste parc au milieu duquel se tenait une sorte de petit château. C'est difficilement croyable mais c'est pourtant authentique, on me fait entrer dans un ascenseur qui descend au lieu de monter, un, deux puis troisième sous-sol, tout le monde descend. Une cellule assez étroite pour ne contenir qu'un petit lit sur le quel je m'assoie pour attendre l'aube en réfléchissant sur les événements de ces dernières heures. Il est trop tôt dans ma petite intelligence pour faire le lien entre mes ennuis avec mon patron et ce qui m'arrive, mais je vais comprendre dès le lendemain. Au petit matin, j'entends dans le couloir de la geôle une voix qui propose des petits déjeuners et bien sûr j'exige ma part quand le flic me précise que c'est tant et tant de francs le café et tant et tant le pain. Alors là je pique une grosse colère, et ceux qui ont déjà entendu la force de ma voix quand je suis en colère savent que ça fait mal. Le gars laisse le plateau sur mon lit et s'en va dare-dare, flic, il a peur de ma détermination, mais j'aurais à peine le temps d'entamer mon café qu'on vient me chercher. Ascenseur vers le haut, cette fois, et changement de décors, une salle où quelques policiers en civil semblent travailler normalement. On me prie de m'asseoir et là on ne fera pas de fioritures, on ne nie même pas que je me suis fais avoir dans un piège grossier, on me propose l'alternative suivante : ou bien je quitte le canton dans les quarante-huit heures, ou bien on m'inculpe immédiatement pour complicité de vol, témoin garanti, je risque à la fois l'expulsion et une condamnation. Comme rien ne me retient à Lausanne, je hausse les épaules, tant qu'on ne me fait rien signer, j'acquiesce à leur proposition de départ forcé et je me retrouve sur un trottoir inconnu dont je ne connais même pas la localisation par rapport au centre-ville. Lorsque j'arrive au restaurant, le patron me reçoit avec un sourire radieux et me tend un enveloppe avec ma feuille de licenciement et mon dû, il n'a pas donné suite à l'affaire des cinquante francs, mais il a gagné sur toute la ligne, un coup bien monté, comme les Suisses savaient le faire pour se débarrasser des immigrés devenant trop gênants dans le syndicalisme ou dans les conflits sociaux. Pain sans chocolat.
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