Haguenau, 6h40, le 15 mars 1995.

Le train roule vers Le Puy en Velay. Il pleut. Je ne réalise pas vraiment que je viens enfin de partir pour ce pèlerinage à St. Jacques de Compostelle qui a occupé mes pensées depuis 3 ou 4 ans.
J'ai prévu 3 mois de marche pour 1600 km environ et cette distance m'inquiète un peu.

J'ai pas mal d'entraînement à la randonnée et porter un sac à dos pendant 2 ou 3 semaines ne m'a jamais été pénible. Mais pendant 3 mois...?
Mais, bon, je suis tout de même parti car le désir de faire une randonnée aussi prestigieuse était très fort. Et à 64 ans on ne peut pas repousser indéfiniment les projets. Je change à Lyon. Il fait froid, gris, pluvieux.
J'ai préparé cette randonnée soigneusement, prévoyant, à partir de mes "capacités" physiques assez faibles, une moyenne de marche journalière de 18 km environ.

J'ai repéré les possibilités de logement du parcours, j'ai l'habitude de lire une carte, et une douche froide, une nourriture simple et un couchage sommaire me sont plus un plaisir qu'une contrainte. Je me suis inscrit dans une association Lyonnaise des amis de St. Jacques qui m'a envoyé différents documents me permettant d'organiser cette randonnée plus en détail, une feuille de route à faire tamponner à chaque étape, ainsi qu'un bulletin mensuel qui contient quelques passages des "mémoires" de pèlerins alsaciens qui m'ont précédé et auxquels j'ai téléphoné. La jeune femme qui m'a répondu m'a assuré avoir parcouru deux fois le chemin, respectivement à partir de Vézelay et du Puy, et a manifesté une joie délirante en m'évoquant ses souvenirs.

Cependant, afin de n'éprouver que des sentiments qui me soient personnels et de faire mes propres découvertes, je n'ai lu aucun des nombreux livres écrits par d'autres pèlerins.

Mais, bizarrement, si je suis content de partir enfin, l'enthousiasme n'y est pas vraiment.

St. Etienne. Deuxième changement. La pluie a cessé, Un peu de bleu et de soleil dans le ciel. Dans l'autorail montent aussi trois porteurs de sacs à dos, arborant ostensiblement une coquille St. Jacques, marque traditionnelle des pèlerins de Compostelle.

Parmi les différentes explications concernant le port de la coquille, j'ai retenu celle qui dit que ce coquillage se trouvait alors en abondance le long des côtes proches de Compostelle et que les pèlerins, pour justifier qu'ils avaient atteint leur but, en rapportaient avec eux. Et, comme on ne peut vraiment se dire pèlerin de St. Jacques qu'après avoir avoir fait ce pélerinage, je suis parti sans coquille.

17h30. Le Puy. Il fait beau. Je cavale à l'Office du Tourisme pour me faire indiquer un logement pour pèlerins car je veux éviter les hôtels autant que possible. Ce sera la première des nombreuses courses au gîte d'étape.

L'accueil est chaleureux, enthousiaste. Karine est précisément chargée de s'occuper des pèlerins depuis cette année. Elle se heurte à une situation que je retrouverai presque journellement sur le parcours français: trop tôt en saison, tout est fermé, on n'ouvre qu'en juin. Elle insiste pourtant auprès d'un interlocuteur qui accepte alors de me recevoir si je supporte sans ronchonner le bruit et la poussière causés par un chantier en cours. Je serai donc logé, très confortablement malgré les travaux, à "La Providence", un organisme religieux situé quasiment au centre-ville. Karine me fournit, en plus des diverses informations sur la ville du Puy, des documents intéressants pour la suite de mon voyage, en particulier une liste des hébergements possibles pour les 15 prochaines étapes.

A la “Providence” l’accueil est froid, très distant. Peut-être prend t-on ce vieux bonhomme, seul et sans coquille, plus pour un vagabond que pour un pèlerin.
(En 1997 et en 2000 je logerai Chez les Franciscaines, tout en haut de la ville. Dans le petit jardin auquel on accède par la cuisine réservée aux pèlerins, on se trouve au pied de l’impressionnante statue de Notre Dame de France. L’accueil est très sympathique).

Je rencontre là un belge qui est venu de son pays en 35 jours et un Landais arrivé avec le train. Sur le parcours français, durant mes trois pèlerinages, je verrai très peu de monde.
Le Belge est un ancien militaire. Il porte un sac très lourd qui ne semble pas lui peser. Il me dit avoir déjà fait le pèlerinage mais que cette fois il veut revenir à pied.

depuis la carte vous pouvez aller à chacune des étapes, et revenir à la carte, en cliquant sur le nom de l'étape

Le Puy

Je me lève de bonne heure. Il fait très beau. Je monte à la cathédrale, accessible par un escalier impressionnant.
Un abbé charmant tamponne ma feuille de route, cette "Crédencial" qui est obligatoire en Espagne pour accéder aux refuges. Chaque jour il me faudra faire tamponner cette carte du pèlerin, ce qui prouvera que j'ai bien suivi le Chemin et me donnera droit, à St. Jacques, à la "Compostela", qui est le "diplôme" du pèlerin.

Je feuillette le livre d'or sur lequel j'ajoute ma prose. Les pèlerins qui m'ont précédé venaient de Suède, du Japon, de Bretagne... Une émotion me serre un peu la gorge, je prends peut-être conscience que je suis sur ce Chemin déjà suivi par des milliers d'autres pèlerins.
J'assiste à la messe de 9h. Au fil des jours je serai pénétré par la dimension religieuse de ce pèlerinage et les rencontres qui me laisseront, en France, l'impression la plus marquée, seront le fait de religieux, ou de laïcs qui donnent une dimension religieuse à leur accueil. Et les très nombreuses croix de fer, de bois, de pierre, qui jalonnent le chemin seront un rappel constant de cette dimension religieuse.

Je fais du tourisme tranquille. La vieille ville est extrêmement plaisante, mais les dentellières et un bon nombre de leurs boutiques sont absentes de l'animation, ne se manifestant qu'à partir de juin.
La cathédrale est un magnifique monument. Je ne ferai pas d'autres commentaires car mes connaissances en art en général et en architecture en particulier sont quasi nulles. Je ne pourrais que répéter ce que disent les guides touristiques.
Cette cathédrale est vaste et complexe mais sa visite pratiquement impossible car je tombe en pleine période de travaux et il y a des échafaudages partout à l'intérieur.

La grimpe à Saint-Michel-d’Aiguilhe se fait par des escaliers faciles. La visite vaut la peine car l’intérieur est ravissant.

Spécialités de la ville, en plus de la dentelle: liqueur de verveine et lentilles vertes (appellation d'origine !).


St Privat

6h15. Je suis sur le Chemin, enfin pèlerin de St. Jacques. Mais cette "constatation" n'éveille toujours pas en moi de sentiments particuliers tant le but me semble lointain et quasiment irréel. Il fait encore nuit mais, le temps de traverser la ville et le jour sera là. Il fait frais, un temps idéal pour un randonneur. Le sentier commence tout de suite à grimper et domine rapidement le paysage. Je regarde longuement l'aspect surprenant de cette ville du Puy, dominée par le rocher Corneille couronné par la statue de Notre Dame de France et l'étonnante image du rocher St. Michel d'Aiguilhe sur lequel à été construit une église.

Le vent s'est levé et souffle très violemment. Je traverse 6 villages ou hameaux d'aspect sinistre, comme désertés. J'arrive à Montbonnet à 10h45, bien plus tôt que prévu. J'ai marché 15 km en montant constamment, freiné par un vent debout et glacé qui m'aveuglait mais je me sens dans une forme superbe malgré mes mains gelées.

Il y a un gîte et un bistrot . J'avais prévu de m'arrêter ici mais il est très tôt et le village est vraiment trop triste. Je bois un thé en discutant un peu avec le patron.

Encore 7km et j'arrive à St. Privat d'Allier. Le gîte est fermé jusqu'en juin et héberge, pendant l'hiver, des vieilles personnes de la région qui ont besoin de soins médicaux et qui, étant dispersées dans les hameaux alentour, seraient difficilement accessibles aux médecins et infirmières pendant la mauvaise saison.

Mais je suis fort bien reçu à l'Hôtel du Nord dont la patronne est gérante du gîte en été et qui de ce fait, hors saison, loge et nourrit les pèlerins dans son hôtel pour un prix plus que raisonnable.
(En 1997, l’hôtel du Nord est fermé et je m’impose au gîte alors réservé aux personnes âgées mais où je suis quand même bien reçu. En 2000 je logerai dans un gîte tout neuf, en ville, où l’accueil de Christine est extrêmement sympathique.)

Je retrouve le pèlerin des Landes, très taciturne. Il se plaint de ne pas trouver de convivialité sur ce chemin. Mais nous ne sommes que deux pèlerins et je ne suis pas très bavard. J’essais d’engager la conversation, mais il répond avec beaucoup de réticence. Il me dit avoir 35 ans et être au chômage.

Le village est petit mais bien vivant avec ses trois bistrots très fréquentés. Je monte voir l'église romane, massive et simple, que me fait visiter un habitant qui se trouvait là et qui en possède la clé. Il possède aussi le tampon de la paroisse et m'invite chez lui, tamponne ma feuille de route. Sa femme m'offre le thé. Il est retraité militaire et, au hasard des cantonnements, il a connu Strasbourg et Kehl, villes de ma région d’adoption.


Saugues

Le sentier suit un tracé tout en dénivellations permanentes entre 600 et mille mètres. Beau soleil mais froid vif. Arrêt-thé à Monistrol-d'Allier, après une descente risquée à travers bois pour couper les méandres d'une route qui n'en finissait pas. De Monistrol, le sentier grimpe dur. De 600 mètres, il faut monter à près de 1100 mètres avant d'arriver en vue de Saugues. Le long du chemin qui domine Saugues et descend vers la ville, sont dressées des sculptures en bois, "modernes" ou en forme de totems, travail d'un artisan du coin.
Sur l’un de ces totems est gravé ce texte qui vient me rappeler que je suis sur le Chemin de Compostelle:

Toutes les rivières mènent à la mer
Toutes les routes mènent à Compostelle
Tous les chemins mènent aux Hommes
Mais seuls les sentiers mènent à Dieu

A cause des dénivellations assassines du chemin, je suis assez fatigué. Je me loge dans une ferme-auberge. Accueil très chaleureux, thé gentiment offert mais chambre glacée.


La Roche de Lajo

Le sentier serpente entre 950 et 1300 mètres et le vent est toujours violent. Je fais un arrêt-thé à Villeret-d'Apchier. Au départ, j'ai ressenti la fatigue résiduelle de la dure étape d'hier, mais j'ai terminé en forme. J'apprécie beaucoup de rencontrer un bistrot de temps en temps car je ne peux me reposer qu'en étant assis confortablement. Mais les sentiers de Grande Randonnée, dans le but d'éviter aux randonneurs la marche sur le goudron, passent dans des hameaux isolés et sans café ou, le plus souvent, uniquement dans la campagne; s'il pleut ou si le vent est fort il n'est pas possible de s'arrêter confortablement et il m'est souvent arrivé de marcher plus de 5 heures sans possibilité de repos et sans voir âme qui vive.

Le bistrot est aussi une source de renseignements sur la vie et l'histoire du village, pourvu que le tenancier soit causant.

Il faut faire un détour important pour passer au domaine du Sauvage. L’étape est très sympatique, conviviale. On peut s’y procurer tous les produits de la ferme et les cuisiner sur place.

A partir d'une petite chapelle isolée, fort jolie mais fermée, je quitte le sentier pour partir tout droit à travers les prés vers La Roche-de-Lajo, hameau isolé où se trouve une possibilité d'hébergement.
Je suis accueilli avec thé et gâteau chez madame Jalbert, une vieille dame qui occupe sa retraite à accueillir les randonneurs dans sa maison. Le soir elle me prépare un excellent souper auquel assiste l'une de ses petites filles, Laure, qui est venue pour voir le visiteur. Discussion pendant le repas. Madame Jalbert avait 40 ans lorsque son mari s'est tué dans un accident de tracteur. Elle a fait marcher la ferme tout en élevant ses 4 enfants. L'un d'eux à repris l'exploitation et les 3 autres, après le bac, ont étudié tout en travaillant, pour devenir l'un greffier de tribunal, l'autre fonctionnaire des Télécom et le troisième enseignant.


Aumont-Aubrac


Il est 6h25. Mme Jalber s'est levée pour me préparer le petit déjeuner. Il a neigé cette nuit. Il fait très froid -le village est à près de 1200 m d'altitude- mais il y aura un beau soleil.
A 9 heures arrêt-thé à St. Alban-sur-Limagnole. 13h15: je viens de grimper longuement et je fais une halte dans une clairière en plein soleil.

Encore une heure de marche. Logement à l'hôtel.

Prinsuéjols

Je démarre à 7 heures. Toujours le soleil mais aussi toujours un vent glacé. Le sentier est en altitude entre 1000 et 1200 m. A partir de Lasbros commence la traversée des monts d'Aubrac, mais le chemin, encore bien balisé, traverse des bois et, au lieu-dit "Quatre-chemins" le pèlerin est tout surpris de trouver, dans ce début de désert, le bistrot de Régine. On me sert là, pour 26 francs, un casse-croûte "self-service" composé de la motte de beurre, du pain entier, d'oeufs durs et du saucisson également entier. Bien réchauffé, je repars vers Prinsuéjols, étape hors sentier mais seule possibilité de logement.

J'aurai ce jour-là les parties les plus mauvaises du Chemin. Si le sentier est large et bien balisé, il est terriblement marécageux. Il passe au milieu des près et je dois, à plusieurs reprises, passer sous les barbelés pour contourner les parties inondées avant de revenir au chemin .

Prinsuéjols est un hameau situé dans un site superbe. Tout juste quelques maisons (9 habitants) mais un gîte communal agréable, tenu par une charmante dame, et un restaurant aménagé dans un vieux bâtiment très bien restauré. La commune, pour tenter de redonner vie au village, a favorisé la venue d'un jeune couple qui a pour mission d'attirer les visiteurs par son accueil et sa cuisine.

Je suis le seul client, mais la jeune femme, qui est la cuisinière, me fait un repas excellent.
L'orientation de la salle à manger permet d'admirer le magnifique et étonnant paysage de croix et de rochers.
J'éprouve un bien-être intense. Je ne me sens toujours pas vraiment pèlerin de Compostelle mais j'éprouve, à être sur ce Chemin, un sentiment de joie que je ne ressentais pas lors des randonnées précédentes.


Nasbinals

Je marche dans un paysage aride. D'où viennent toutes ces pierres qui ont permis de construire les multiples clôtures qui délimitent les parcelles de prairie à des kilomètres à la ronde ?

A Mongros, un village perdu à plus de 1200 mètres d'altitude, je trouve un hôtel de luxe, La Maison de Rosalie, qui me sert un thé bien que ce soit le jour de fermeture.
Le patron me dit que, malgré son air désolé, le pays est riche. Actuellement les près sont déserts et l'herbe rase mais au printemps le paysage change complètement : l'herbe est très haute et des milliers de vaches garnissent les pâturages.

A midi je suis à Nasbinals. Je déjeune, assis sur les marches de l'église, en plein soleil et à l'abri du vent . Le gîte est très en dehors du village; c'est un relais équestre rustique mais sympathique. Un bonhomme, qui voyage en voiture et qui loge ici, veut savoir quelles sont les motivations qui me font marcher vers St. Jacques et me fait subir pendant une heure un discours sans intérêt. Les motivations des actuels randonneurs du sentier de Compostelle sont un sujet de questions sans réponses, sans réponses précises ou de réponses stéréotypées. Bien sûr, pour les tenants du pèlerinage, sur ce sentier on ne voit que des pèlerins, pas des randonneurs, d'où la confusion entre les questions et les réponses.

Dîner en famille dans une très bonne ambiance avec les chevaux comme sujet de discussion.

St Chély d'Aubrac

Les exigences des chevaux obligeant la patronne à se lever dès potron-minet, j'ai eu sans problème le petit déjeuner de bonne heure. Je dois 140 francs et je n'ai que 100 ou 200 francs sans autre monnaie. Marie-Claude n'a pas de monnaie non plus et me fait donc cadeau de 40 francs, me demandant de lui envoyer une carte de Compostelle, ce que je ferai, bien sûr. Mais dès mon retour je lui enverrai tout de même un chèque de 40 francs.

Le parcours est magnifique. Neuf kilomètres de solitude. Le guide indique qu'autrefois l'Aubrac était une forêt qui couvrait toute la montagne. Les pèlerins du moyen-âge étaient avertis que c'était là " un lieu d'horreur et de profonde solitude ". Aujourd'hui c'est un espace dénudé à perte de vue, le chemin n'est qu’une trace à peine visible et des plaques de neige recouvrent le sol de place en place.

Le topo donne des explications dans ce genre: « après le pont, le sentier emprunte d'abord un sous-bois, ensuite, en terrain dégagé, une draille partiellement marquée qui monte vers deux burons, s'oriente vers le sud, puis vers l'ouest, et à travers des pâturages, se dirige vers le buron de Ginestouse-Haut qu'on laisse au nord-ouest ».

Ouf et bonjour la boussole. Il faut savoir qu'une draille est un chemin et un buron une petite maison de pierre utilisée en saison d'été pour faire le fromage. En cas de brouillard ce parcours doit-être une aventure.
Le terrain est "balisé" dans plusieurs directions par de grands piquets qui doivent être des repères pour skieurs. Je trouve, sur certains, les marques rouges et blanches du sentier, très délavées mais suffisantes pour me tranquilliser .

Arrêt-thé à Aubrac dont le guide signale les " hôtels, restaurant, gîte d'étape et musée. Mais ce 23 mars, le village situé à 1307 m d'altitude, n'abrite que 5 habitants, c'est à dire la famille qui tient le restaurant dans lequel je bois mon thé, tout le reste est fermé.

12 h35. Arrêt casse-croûte devant une cascade, bien au soleil. Le but de ma randonnée est toujours aussi éloigné sur le terrain comme dans ma tête, mais je suis dans une grande sérénité et je marche dans le moment présent, oubliant souvenirs ou projets. Je n'ai aucun problème d'aucune sorte. Mes pieds, gros souci habituel du marcheur, se font, comme toujours, complètement oublier. J'ai la chance de les avoir secs et sans ampoules ou autres misères. Il est vrai que mon sac est plutôt « léger » et que mes étapes font rarement plus de 20 km.

Quelqu'un a dit qu'il est difficile d'apprécier les poètes avec un soulier qui vous blesse. Il doit être impossible d'avoir la moindre pensée hors du temps ou un quelconque sentiment de paix si les pieds sont un sujet de gêne permanente.

Le sac, environ 11 kg, ne pèse pas sur mes épaules. Les paysages toujours changeants, le plaisir de trouver un chemin balisé avec discrétion et l'accueil sympathique que je reçois à chaque étape me font oublier tous les soucis du monde.

Le sentier descend d'abord assez doucement vers le rocher du Belvezet à 1144 m puis la pente devient abrupte pour arriver à 800 mètres à St Chély. Ce dernier tronçon se fait en partie dans le lit d'un ruisseau et, en cas de pluie, on doit avoir de l'eau à mi-mollets. Mes chaussures sont heureusement encore en bon état et mes pieds restent secs.

Gîte d'étape et accueil des pèlerins sont encore fermés et je dois me loger à l'hôtel. Le village est certainement vivant en été mais triste et désert en cette saison. Le monument aux morts , au milieu du bourg, indique 98 morts en 14/18. Epouvantable pour un petit village.


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St Côme-d'Olt

Des descentes pénibles sur des chemins caillouteux. Aucune possibilité d'arrêt confortable. L'altitude passe de 800 à 400 mètres et la température s'adoucit.

St. Côme est une ville agréable mais sans vie apparente, situation due sans doute à la saison. Je loge dans un bâtiment vieux de quelques siècles, construit en grosses pierres et dans lequel on rentre par une porte d'aspect moyenâgeux. L'intérieur est glacé. Les pierres visibles à l'extérieur le sont aussi à l'intérieur et le granit ne dégage pas beaucoup de chaleur. Il y a des douches chauffées au gaz mais les bouteilles de gaz sont vides.

Chaque jour je dois laver un peu de linge, ayant emporté le minimum de rechange et il est impératif de partir chaque matin avec des chaussettes propres. Lorsque tout est froid, le séchage est problématique.
Il y a une cheminée monumentale et du bois disponible. J’allume un feu qui commence par enfumer la pièce mais apporte tout de même une chaleur bienvenue. Arrivent le pèlerin belge et un nouveau pèlerin, Joël. Ce dernier ne semble pas très motivé et j’apprendrai plus tard qu’il a abandonné à Cahors.

Je suis le seul client du restaurant de l"Hôtel des Voyageurs ". La salle est froide, à peine éclairée, mais la patronne est charmante et me prépare un repas savoureux et copieux qui me permet de faire connaissance avec des spécialités du pays : aligot, mélange de purée de pommes de terre et de fromage du cantal frais, et tripoux, genre de paupiettes de veau ou de mouton.

Estaing

Départ à 7h. Temps brumeux et froid. Je note sur mon carnet : 2 passages difficiles, mais sans autres détails.
Je traverse le village d'Espalion, très agréable mais que je ne prends pas le temps de voir en détail, ne pouvant ajouter la fatigue du chemin à celle des visites. Ce sera ainsi presque tout le long de ce pèlerinage, et mon plus grand regret.

A St. Pierre de Bessuejouls, une église romane en pleine nature, superbe et curieuse avec une chapelle ravissante nichée au premier étage du clocher. Je m'attarde longuement.
J'arrive à Estaing à 13h15. Juste en face du pont qui donne accès à la ville, et qui porte une superbe croix en fer forgé, se trouve un restaurant qui affiche un plat du jour à 35 francs. J'ai une faim de loup et, jusqu'à ce jour, je n'ai jamais fait un repas de midi convenable, mais toujours sur le pouce dans une nature plus ou moins accueillante.

Oui! malgré l'heure tardive je peux encore avoir ce plat du jour : agneau aux flageolets délicieux.
Je suis reçu chaleureusement dans un gîte qui fait partie d'un réseau "Hospitalité St. Jacques" qui comprend alors 17 lieux d'hébergements pour pèlerins, répartis entre Le Puy et St. Jean Pied de Port. La plupart de ces refuges sont tenus par des religieuses ou religieux dans leurs couvents ou par des prêtres dans leurs cures.

Ici, c'est une famille de laïcs qui s'est donné pour vocation de recevoir les pèlerins dans un bâtiment appartenant à l'évêché. J'apprendrai plus tard que lui est médecin et qu'il aurait abandonné son métier pour se consacrer aux pèlerins.
Le gîte est superbe, très bien tenu et chauffé.

Je me promène un peu dans cette ville médiévale, dominée par un colossal château.
Dîner sympathique en famille où l’on parle du Chemin.


Golinhac

Changement d'horaire pour l'heure d'été. Le jour se lève une heure plus tard et je pars à 7h30 seulement. Le gérant du gîte m'accompagne à travers la ville jusqu'au début du sentier.

La gentillesse de l'accueil à toutes les étapes sera le meilleur souvenir de ce pèlerinage. Jusqu'à présent je suis seul sur le sentier et souvent dans les gîtes et il est certainement plus facile de recevoir un seul hôte que 10 ou 20 à la fois comme cela doit être le cas en été. Mais la gentillesse qui m'est témoignée presque chaque jour m'a beaucoup touché car je n'avais rien connu de semblable sur les centaines de kilomètres de sentiers que j'ai précédemment parcourus.

Le sentier est facile mais grimpant. Il longe agréablement le Lot pendant quelques kilomètres et part à travers bois.

A Golinhac je trouve un gîte communal superbe, chauffé, tenu par une hôtesse que je dérange un dimanche sans que cela altère sa gentillesse, et une épicerie encore ouverte. Situé à flanc de coteau, le village offre une vue superbe sur la vallée du Lot.
Je dîne au restaurant où l'on me servira de l'aligot, si apprécié à St. Côme-d'Olt.


Conques

Dès le départ, la pluie menace. Le sentier est sans problème et un poncho, couvrant le sac et le pèlerin, me protège suffisamment de la pluie qui a décidé de tomber drue.

Vers midi, dans le village de St Marcel, l'église étant ouverte (clé sur la porte !) je m'y arrête pour déjeuner. C'est le seul lieu d'accueil de ce petit village qui n'a ni restaurant, ni bistrot.

La descente vers Conques se fait toujours sous la pluie, mais par un très agréable chemin.
La liste des hébergements de l'Hospitalité St. Jacques indiquant que la communauté des frères Prémontrés de l'abbaye Ste. Foy reçoit les pèlerins, je sonne à leur porte. Sonnette et frappe restant sans réponse je vais à l'office du tourisme qui me dit que le lundi les frères sont absents mais que je peux rentrer et m'installer sans risque de choquer.

Je retourne donc à l'abbaye, et m'installe dans la première chambre venue.
A une entrée annexe se trouve une boîte destinée à recevoir les dons des pèlerins. Une affiche indique que la nuitée est de 35 francs et que préparer son repas coûte 10 francs. Mais personne n'est là pour réclamer quoi que ce soit.

Je rencontre un autre pèlerin, qui se présente comme “Bernard-de-Nantes”. Il est parti du Puy deux jours après moi et continuera le pèlerinage dès le lendemain alors que j'ai l'intention de prendre une journée de repos.
Je prépare mes repas en compagnie de François, qui me dit être un ouvrier du bois faisant un stage de charpentier à Decazeville tout proche. Il loge chez les frères durant ce temps. Sa conversation me semble montrer une très forte motivation pour la religion catholique. J'ai parfois l'impression qu'il est postulant pour être frère Prémontré.

Jour de repos à Conques
Il fait un temps splendide. Je renvoie à ma famille les documents concernant le chemin que je viens de faire et qui ne me sont donc plus utiles.

La visite de Conques est rapide. Le village est petit, bâti à flanc de montagne et y circuler est très pénible, les rues étant toutes très en pente. Seul le parvis devant la cathédrale est horizontal et voit débarquer de nombreux autocars "3ème âge" dont les occupants ne s'attardent pas, beaucoup ayant de la peine à "escalader" les rues en pente et les escaliers. De plus les quelques boutiques et salons de thé sont encore fermés. Seuls peuvent être intéressants la cathédrale (XI-XIIIème siècle) et son trésor que l'on dit être le plus fameux qui nous soit parvenu du moyen-âge. Mon inculture concernant l’art me fait prendre les vitraux pour des verres de remplacement en attente des vitraux définitifs. C’est bien plus tard que j’apprendrai que ces vitraux seraient des chefs-d’œuvre d’un certain Soulage.

Le village est isolé au milieu d'un paysage de montagnes qui le domine de toutes parts.
Je me trouve seul à la cuisine en train de déjeuner lorsque arrive l'un des frères Prémontrés. Un rapide bonjour, me demande si tout va bien et retourne à ses occupations. Dommage, j’aurais aimé parler avec lui du Chemin et de la vie de la communauté.

Figeac

Je suis sur le départ à 7 heures. Il fait nuit, il pleut et la montagne disparaît dans le brouillard.
Je petit-déjeune avec François qui va partir à son stage à Decazeville, mon étape du jour. Voyant le temps si exécrable, François propose de m'emmener. Vais-je tricher? Le brouillard et la montagne rébarbative me font accepter sa proposition.

Il me dépose à 800 mètres de St. Roch, village qui se trouve sur le sentier. De là, j'irai jusqu'à Figeac qui sera mon étape de ce soir alors qu’elle devait être celle du lendemain.
Le Ciel s'est vengé de ma tricherie, car j'ai eu le plus mauvais temps de tout le pèlerinage avec vent, grêle et pluie en permanence.

J'arrive à Figeac fatigué et les chaussures détrempées. Il n’y a pas de gîte et je me loge dans le premier hôtel venu. La patronne compatissante emmène à la chaufferie tout ce que j’ai d'humide.
L'hôtel ne fait pas restaurant et je dois ressortir pour dîner alors que j'avais envie de dormir jusqu'au lendemain.

Pas de regrets. La ville, avec ses nombreuses maisons moyenâgeuses bien entretenues, est superbe. Ici est né Champollion dont la mémoire est pérennisée par une reproduction géante de la pierre de Rosette qui couvre le sol d'une place piétonne dite "place des Lettres".

En 1997 j’ai court-circuité Figeac et j’ai fait étape à la Cassagnole, au Relais St. Jacques. Etape très sympathique. En 2000, avant de rejoindre La Cassagnole, j’ai fait un détour par Capdenac-Haut, très vieux village avec des ruines millénaires et dominant la grande ville de Capdenac-gare. Le curé du lieu me reçut fort bien et me raconta l’histoire de Capdenac-gare : « Au départ, il y eut seulement une gare sur une plaine vide, gare qui fut très importante, comptant près de mille cheminots. A partir de cette gare se construisit la ville actuelle, qui n’a pas de rapport avec Capedenac-Haut, car les deux Capdenac ne sont ni dans le même département ni dans le même diocèse. Le nom qui fût donné à la gare fût tout simplement celui du village le plus proche. »

Gréalou

Départ 7h40. Rude montée au départ mais sentier superbe et temps magnifique. Arrêt-thé à La Cassagnole, au Relais St. Jacques ou l'accueil est très empressé.

A Faycelles, j'admire une vieille maison superbement fleurie. J'échange quelques mots avec la propriétaire qui se laisse photographier au milieu de ses fleurs. Je lui enverrai cette photo au retour et je recevrai une réponse charmante.

A midi je suis à Béduer où je peux faire un repas extra à "La Bonne Franquette" devant un magnifique panorama sur la vallée de la Célé, rivière qui passe à Figeac. Le sentier continue d'être superbe et le balisage parfait.
Gréalou à 16h. Pas de gîte et un seul hôtel trop étoilé à mon goût, mais je n’ai pas le choix..


Cajarc

Sentier et balisage toujours bien. Petite étape pour compenser les 21 km de la veille. J'avais pensé faire un jour d'arrêt chaque semaine, mais je crois préférable d'avoir un rythme de marche plus régulier et j'ai remplacé les jours de repos par des étapes courtes de temps à autre, en fonction des possibilités de logement.
Le gîte municipal est très bien et la gérante absolument charmante.

J'ai un compagnon jeune, sympa et qui me dit être un peu vagabond; je n'ai pas pu en savoir plus.


Limogne en Quercy

7h15. Le temps est couvert mais il ne pleuvra pas. Le balisage un peu léger me fait confondre 2 carrefours sur la carte et je me promène par erreur pendant une heure dans une forêt .
Retour au point litigieux et reprise du bon chemin, un sentier odorant bordé de buis sur des kilomètres.

Au presbytère de Limogne, je suis accueilli comme un vieil ami par le père Henri, extraordinaire de gentillesse. A 75 ans il manifeste une vitalité de jeune homme. Après 15 ans de mission en Amérique du Sud, il ne pense pas à une retraite et continue à desservir 8 "clochers" dans les villages alentours.

Pendant qu'il prépare son bulletin paroissial, je remets un peu d'ordre dans sa cuisine de célibataire, car il a insisté pour que je dîne avec lui.
Il sortira de son réfrigérateur toutes sortes de légumes que j'éplucherai et qui nous feront une potée excellente pour le repas du soir.

Le presbytère est vaste et ne semble pas voir le balai bien souvent. N'y a t-il pas de paroissiennes qui viennent entretenir tout cela ? Les gens d'ici, me dit-il, sont radicaux, alors le prêtre....!
Ce soir il doit dire une messe dans un village voisin, à 20h30 et insiste pour m'emmener; mais j'ai toujours peur d'accumuler une fatigue qui ne me permettrait pas d'aller jusqu'au bout (il me reste 65 étapes sur des chemins inconnus) et je préfère aller dormir. Mais je regrette encore ce refus. La rencontre de cet homme de Dieu restera l'un des meilleurs souvenirs de ce pèlerinage. Il me laisse seul dans le presbytère pour la nuit, car il loge à Cajarc dans une communauté d'anciens missionnaires, et refuse tout paiement pour son hospitalité.
(En 1997, le père Henri était décédé. Son remplaçant ne m’a pas semblé avoir de sympathie particulière pour les pèlerins mais il y a un bon gîte communal au village)


Vaylats

Surprise au réveil ! le père Henri est revenu après la messe et la table est mise pour le petit déjeuner : serviette, couvert, pain, fruits, fromage, thé et une tablette de chocolat. Je me laisse aller à la douceur de cet accueil si chaleureux et je ne partirai que vers 9 h.

Temps et sentier toujours magnifiques mais pas âme-qui-vive pendant 12 km.

A Bach je trouve enfin une cabine téléphonique pour rappeler à Valérie que son pèlerin de père pense à ses 19 ans. Je veux déjeuner dans le petit restaurant du village mais l'on ne peut me recevoir, car l'établissement est accaparé par une noce qui occupe toute la place. Le patron, compatissant, me dit qu'il peut me fournir un sandwich si je veux accepter de m'asseoir dans un coin du bar. Va pour le sandwich qui se révèle être une pantagruélique assiette de charcuterie et de crudités accompagnée d'une bouteille de Contrex de 1,5 litre, pain à volonté, le tout pour 20 francs !
(En 1997 ce restaurant était fermé. Le propriétaire, ne pouvant assumer les frais qu’exigeaient les règlements sanitaires et de sécurité, avait abandonné son commerce.)

Je continue en direction de Vaylats, qui est hors sentier mais seule possibilité de logement avant 15 km.
A Vaylats c'est un couvent de religieuses qui héberge les pèlerins. Accueil charmant, thé, gâteaux, chambre et douche presque luxueuses.

Ce couvent est également une maison de retraite et je prendrai le dîner avec une dizaine de vieilles dames plus ou moins valides. Devant ces sortes de situations je remercie toujours le Ciel de me permettre, à 64 ans, de pouvoir faire un tel pèlerinage malgré les handicaps que j'ai pu "collectionner" tout au long de ces 64 années. Si je n'ai jamais levé la tête vers le Ciel pour demander, je l
a lève souvent pour remercier.

Le Pech

Le sentier est une ancienne voie romaine, large, herbeuse, rectiligne et horizontale sur la totalité du parcours. Ce genre de sentier est paradoxalement plus fatiguant qu'un sentier escarpé car terriblement monotone et je fais de fréquents arrêts. Comme il fait très beau, je me promène tranquillement, l'esprit libre pour refaire le monde en pensée car il n'est nul besoin d'être attentif au balisage.

Fin de parcours sur une route qui grimpe dur et j'arrive au Pech à midi dans un gîte équestre magnifiquement situé.

Mme Latour me reçoit gentiment et me prépare un gros plat de pâtes qui me réjouit le coeur et l'estomac, plat dégusté sous une terrasse couverte devant un panorama superbe.

M. Latour me parle de l'histoire des fermes qui entourent son domaine, fermes qui étaient florissantes et occupaient de nombreux employés il y a moins de 50 ans.
Certains bâtiments sont encore très bien entretenus mais il n'y a aucune vie apparente dans le hameau. Les tours rondes ou carrées que je vois fréquemment sont des pigeonniers.

De nombreuses maisons actuelles de la région ont incorporé ce détail d'architecture dans leur construction à des fins décoratives, la fonction pigeonnier n'étant plus utilisée.


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Cahors

Encore un magnifique parcours en pleine nature mais la descente sur Cahors, très abrupte, est pénible. La vue de la ville, enveloppée dans un méandre du Lot, est superbe et me console un peu de mes chevilles qui se tordent sur les cailloux du chemin.

Il fait un magnifique temps de printemps et, en ville, les terrasses des cafés sont pleines.
Je loge dans une Auberge de Jeunesse en plein centre et très confortable : vaste chambre individuelle, douche et petit déjeuner.

En plus des routards et autres pèlerins, cette AJ héberge 25 jeunes en difficulté. Ils doivent payer un loyer de 1350 fr par mois et sont suivis au jour le jour afin qu'ils ne se laissent pas aller à ne rien faire. Certains ont du travail et les autres sont aidés pour essayer d'en trouver. Quelques uns sont là depuis des années et ont aménagé leur chambre selon leurs désirs, l'un d'eux ayant même installé un aquarium.

Le talon de ma chaussure gauche s'usant vite, je dois trouver un cordonnier qui accepte de réparer cela pour demain car je ferai relâche.
Le premier bouif que l'on m'indique, dans le vieux Cahors, est fermé définitivement et le deuxième est au bout de la ville moderne. J'aurai ainsi "visité" une bonne partie de Cahors.

Relâche, donc, mais je suis debout à 7 h. Après le petit déjeuner je retourne dans la ville ancienne. Je fais tamponner ma feuille de route à la Cathédrale et je vais au coiffeur.
Je vais retirer du courrier en poste restante, j'expédie topo et documents qui ne me sont plus utiles et je vais chercher ma chaussure. La réparation est impeccable et, voyant ma satisfaction, le cordonnier me propose une carte de fidélité. Comme je lui explique les raisons de mon passage à Cahors, il se fige d'étonnement et reste sans voix, sa carte à la main, me regardant partir sans dire un mot.

Je vais reconnaître le départ du sentier que je dois suivre le lendemain car l'étape sera longue et je ne veux pas perdre de temps à errer dans la ville alors qu'il fait encore nuit.
Bien m'en a pris, car sitôt passé le pont sur le Lot, le sentier grimpe très fort et devient rapidement un véritable parcours de montagne pendant quelques centaines de mètres, avec des poignées métalliques scellées dans les rochers pour aider à la progression.

Noyées entre les rochers et la végétation, les marques sont très difficiles à voir. Sitôt sorti de ce passage "sportif ", le sentier continue dans un paysage qui ne permet pas la pose fréquente des balises. Il faut deviner le sentier dans le sable et les cailloux, mais j'arrive tout de même à la Croix de Magne qui domine la ville et à partir de laquelle le sentier se poursuit sur la route.

Lascabanes-Escayrac

6h10. Il fait encore nuit et je prends la route qui mène à la Croix de Magne, au lieu du sentier que j'ai parcouru la veille et sur lequel j'aurais dû avancer à tâtons.
Cette route monte raide et il fait chaud malgré l'heure si matinale. Les chemins qui suivent sont caillouteux, les côtes fréquentes et j'arrive fatigué à Lascabanes. Las, le couvent des Dominicaines, étape de la chaîne Hospitalité St. Jacques, n'est pas ici, m'explique une passante, mais à Escayrac, à 3 km. Je continue donc pour arriver dans un hameau sans vie apparente mais le couvent est bien là.

La petite soeur âgée qui me reçoit exige d'abord ma carte de pèlerin, qu'elle me rend signée “Soeur Marie-Lucie” et me loge ensuite dans un bâtiment annexe. Douche, chauffage, lit confortable. Ai-je faim? Oui, mais j'ai de quoi manger dans mon sac, sauf du pain que l'on m'apporte aussitôt. Partout cette gentillesse.
Comme le village est sans particularité, ce sera après la lessive, repos jusqu'au moment où soeur Marie-Lucie, accompagnée d'une jeune soeur toute en sourire, m'apporte le dîner et tout ce qu'il faut pour le petit déjeuner du lendemain.


Lauzerte

Je paresse et ne pars qu'à 8h10. Gros brouillard mais cheminement sans problème sur une petite route horizontale dans un paysage dégagé. Le soleil commence à se montrer et, après 2h de marche, au lieu-dit "Berty", je m'arrête en bordure d'une superbe propriété sans clôture, pour boire et casse-croûter. Je suis assis à la limite de la magnifique pelouse. La maison et le paysage sont superbes. Le véhicule, stationné dans la cour est immatriculé en Grande-Bretagne, voilà, sans doute, pourquoi la pelouse est si belle.

Le chemin continue à travers bois, en montagnes russes. A 2 km de l'arrivée, alors que je m'apprête à quitter une petite route pour entamer une descente à travers les près, une voiture s'arrête à ma hauteur et le conducteur engage la conversation. Il est vétérinaire et maire de Lauzerte. Il m'explique qu'il vient justement de reconnaître le tracé du sentier de St. Jacques qu'il veut améliorer sur certains tronçons qui passent sur sa commune et nous discutons de la qualité du balisage.

Descente abrupte sur Lauzerte, suivie d’ 1km de petite route plate avant "l'escalade" qui mène à la vieille ville où se trouve le centre Jeanne-d'Arc, maillon de la chaîne d'accueil St. Jacques. Les soeurs, de la même confrérie que celles de Vaylat qui m'ont logé 5 jours plus tôt, me reçoivent à bras ouverts. Je suis à chaque fois "remué" par ces accueils chaleureux de la part de gens qui ne demandent rien en échange.

Question rituelle : avez-vous déjeuné ? Non mais j'ai vu un restaurant en face qui acceptera peut-être de servir un pèlerin malgré l'heure tardive, 13h30 ? "Inutile si vous acceptez les restes de notre déjeuner".
Et me voilà attablé devant un plat de lentilles, une omelette et un plateau de fromage. La soeur cuisinière s'affaire, m'apporte une bouteille de vin que, abstinent impénitent, je suis désolé de ne pas toucher, et me prépare un café.

Après l'habituelle trilogie: douche, lessive et repos, je fais un peu de tourisme. La vieille ville, perchée au sommet d'une colline, domine le paysage à une altitude quasi "aérienne". Ancienne forteresse du XII ème siècle, on peut y voir de vieilles maisons des XIII et XV ème siècles ainsi qu'une superbe place avec ses couverts (arcades) extrêmement plaisante. La jeune femme du bureau de tourisme me dit être de Rouen. Venue ici en vacances il y a 4 ans et conquise par le site, elle est restée. Comme je déplore qu'une vieille maison, qui a une façade superbe, me semble être laissée à l'abandon, elle m'apprend qu'elle appartient à un américain qui devrait venir prendre sa retraite ici. On espère alors qu'il fera faire les travaux nécessaires.

Dîner familial avec les deux religieuses. Elles reçoivent de nombreux pèlerins l'été dont beaucoup sont contents d'arriver ici, car la prochaine étape étant Moissac, qui possède une gare, ils pourront enfin rentrer chez eux pour mettre fin au calvaire de leurs pieds.
Moins ambitieux j'irai à Moissac -32 km- en deux étapes et mes pieds resteront intacts.


La Baysse

Départ à 8 heures après un adieu charmant des petites soeurs. Beau temps mais chemin herbeux, plein de rosée qui détrempe les chaussures, et beaucoup de dénivelés.
J'arrive au gîte vers midi et je déjeune avec le couple de gérants. L'ambiance est triste. Il semble que mes hôtes ne voient pas arriver assez de monde pour rentabiliser leur gîte. Aurais-je aperçu quelque foule sur le chemin? Hélas non.

Il fait un grand soleil et je peux faire une grande lessive de chemises et pantalons, qui sèchent rapidement.
Dans la salle commune je trouve un livre qui raconte un pèlerinage fait en compagnie d'un âne. Ce récit me gêne sur plus d'un point. En particulier le narrateur semble avoir considéré comme normal de ne pas payer son écot dans les gîtes. Si certains points d'accueil n'exigent pas de paiement il serait malhonnête d'ignorer la petite boîte mise en évidence. Et s'il n'y a pas de boîte, comment penser que les petites soeurs de Lauzerte, par exemple, puissent loger, nourrir, chauffer et doucher chaud le pèlerin avec, pour seule contrepartie, de chaleureux remerciements. Je suis gêné aussi de lire qu'il y a obligation de couper des barbelés à longueur de chemin.
Curieux ce besoin, que semblent avoir certains auteurs, de "dramatiser" ou "embellir" outrageusement les aventures qu'ils ont vécues.

Sans prétendre que ce chemin est facile à suivre, -c'est un sentier de randonnée comme il en existe mille autres-, il se parcourt sans ressentir d'autre problème qu'une fatigue physique plus ou moins accentuée si l'on veut bien rester un peu en deçà de ses capacités physiques. Il peut être amusant de comparer les récits de deux pèlerins qui ont parcouru le même chemin au même moment.

Ainsi, ma relation de la traversée de l'Aubrac (23 mars) diffère très fortement de celle qu'en a fait cet autre pèlerin dans le bulletin de l'Association Rhône-Alpes des amis de St Jacques. Parti du Puy le 15 mars, soit 2 jours avant moi, il a subi la même météo, qui était stable pendant cette période. Il raconte:
«...parlons du chemin lui-même. Dès le départ du Puy les problèmes commencent. En premier lieu il faut parler du balisage qui pour le moins est fantaisiste, fait par des personnes qui connaissent le chemin et qui ne voient pas l'utilité de signaler un changement de direction. On devrait signaler que le lac de l'Oeuf n'est qu'un infâme marécage où il serait facile de disparaître sans laisser de traces.
Parlons de la Margeride et de l'Aubrac: c'est l'horreur et l'enfer....mais c'est tellement beau que l'on rêve d'y retourner, ceci malgré les fausses pistes, la neige, la boue, les rivières à la place des chemins, la solitude ne laissant aucun doute sur la disparition à tout jamais en cas d'accident, la brume qui tombe plus vite que la nuit et qui cache les deux ou trois balises existantes, le vent qui hurle comme la troupe de loups que l'on s'attend à voir au détour du chemin.
Du chemin...., parlons-en du chemin dans ce pays maudit ! Ce n'est que sentes fangeuses, cailloutis sinistres, prairies spongieuses, horizons chargés de nuages lourds et agressifs ne pensant qu'à vous chasser de là. »

Ouf, je l'ai échappé belle ! Mais, c'est vrai, le vent était violent.

En ce qui concerne le balisage en France, il est parfois léger mais toujours suffisamment présent et précis si l'on se repère souvent par rapport au topo. Pour ma part, je notais l'heure de mon passage à chaque point marquant du topo et je savais ainsi à tout instant où je me trouvais.

Ce travail de repérage fréquent ralentit la marche, bien sûr, mais permet de cheminer l'esprit libre car il n'est alors pas possible de se perdre. Et il faut remercier les baliseurs, toujours bénévoles, sans lesquels le pèlerin ne devrait marcher que sur la route.

Et puis, faut-il être pressé ? Je pense que le but est plus important que le chemin lui-même et je ne m'appesantirai jamais sur les difficultés éventuelles telles que boue, caillasse, herbe humide, descentes abruptes, pluie ou vent, qui sont des situations normales sur tous les sentiers.

Et j'ai maintes fois remercié le ciel de m'avoir fait naître avec un esprit assez heureux pour aller, avec indifférence, au-devant de ces obstacles insignifiants . Sans importance, aussi, les problèmes "d'intendance" . Les couchages sommaires, les douches froides, la frugalité de nombreux repas apportent au pèlerin la joie de vivre dans la simplicité. Et cela est d'autant mieux perçu que l'on constate une étonnante condition physique à mesure que le temps passe.

Repas du soir en famille, toujours dans une ambiance tristounette. On parle des motivations du pèlerin.
Les quelques pèlerins que j'ai rencontrés en France n'avaient pas de motivations religieuses. C’étaient tous des retraités pour qui parcourir les sentiers était un passe-temps, randonneurs de longue date pour la plupart, et qui entretenaient une forme physique remarquable.

En Espagne, où j'ai vu beaucoup de monde, les conversations étaient difficiles mais je n'ai pas ressenti de foi particulière chez les pèlerins que je retrouvais dans les refugios, chaque jour, pendant deux ou trois semaines . L'ambiance était souvent excellente, la vie très communautaire et je n'y ai pas remarqué de manifestation de foi tels que prières, assistance aux offices religieux ou lecture d'évangile ou de chapelet.

Je ne pense pas que le pèlerin d'aujourd'hui puisse se comparer à celui du moyen âge. Les pèlerins de l'an mil, comme bien des "savants" de l'époque, croyaient savoir seulement que la terre était le centre du monde et que l'attention du Créateur était concentrée sur cette terre. Et ils ne savaient que cela. Leur foi était basée sur une croyance simple et était certitude. Leur confiance dans le pouvoir de guérison des reliques était totale ainsi que la croyance dans les miracles.

Les "vérités scientifiques", les multiples attaques contre la religion, les écrivains et "philosophes qui ont démontré la “fausseté” des croyances, ont, peu ou prou, semé le doute et le désarroi dans les esprits contemporains. Je ne pense pas que l'on puisse trouver aujourd'hui sur le Chemin un pèlerin dont la foi serait identique en certitude à celle de son confrère des anciens temps.

Moissac

Debout, très en forme à 6h30, et départ à 8h après un copieux petit déjeuner. Chemin facile et je suis à Moissac avant midi. Pas de gîte ouvert d'où logement à l'hôtel.

Je suis, une grande partie de l'après-midi, assis au soleil dans le cloître magnifique. J'adore l'architecture des cloîtres. Je passe aussi un moment au centre de documentation de l'Art Roman qui possède une magnifique collection de lettrines. Je recherche un motif à sculpter sur ma poutre de cheminée et je trouve un entrelacs que je reproduirai effectivement et qui me rappelle le Chemin à chaque instant.
(En 1997 et 2000 j’ai logé dans un gîte tenu par le curé. Gîte confortable avec cuisine. Accueil très sympathique.)

Auvillars

Le sentier commence par une promenade le long du canal latéral à la Garonne, puis rejoint la Garonne que l’on traverse avant de grimper à Auvillars. Très beau gîte municipal, superbe marché ancien, et petit musée qui raconte l’histoire du village, principalement la vie industrielle et commerciale. On y apprend que, sur la Garonne, fonctionnaient un bon nombre de moulins, actionnés par le courant, que l’absence de pont permettait l’existence de passeurs, que les industries du pays étaient la pêche et la fabrication de plumes à écrire, faite de plume d’oie, industrie dont la disparition est dûe aux Anglais, inventeurs de la plume métallique.

Saint Antoine

Tout petit village. À la sortie, un gîte privé. Je fais là une petite étape-repos. Pas de cuisine mais les repas de la propriétaire sont pantagruéliques.

Flamarens

Très bon chemin mais en montagnes russes en fin de parcours, dont une forte grimpe pour arriver au village. Je me repose un instant, assis sur un banc qui n’attendait que moi. De la maison d’à côté sort un bonhomme qui vient discuter avec moi. Je ne sais pas comment on en est venu à parler Histoire, mais il m’assomme de son érudition sur l’histoire du Brésil et je profite d’un instant où il reprend son souffle pour continuer mon chemin. Je loge à la sortie du village, chez Isabelle, Xavier et leurs cinq enfants. Étape emblématique du chemin.

Lectoure

Sentier sans problème; la pluie n’a fait que menacer. J’arrive à midi au presbytère.
Accueil par le curé qu’Isabelle avait prévenu. Chambre chauffée. Il y a deux curés pour cette paroisse. Je suis leur invité pour déjeuner avec eux.

Vers 17 heures j’assiste à la messe du deuxième abbé. Cérémonie pathétique dans la chapelle glacée de la sacristie : le pauvre abbé s’est démis une épaule le matin même et dit sa messe engoncé dans un anorak, le bras en écharpe, avec son étole pour tout vêtement ecclésiastique, devant des fidèles réduits à une vieille dame qui fait les réponds et à moi qui écoute attentivement son prêche.

La Romieu

7 h. Il fait frais, je suis en forme et j’avance bien. De très loin, le pèlerin s'étonne en apercevant le village dominé par un monument énorme, presque monstrueux, qui se révèlera être une collégiale du début du XIVème siècle.
Le gîte, au milieu du village, est très confortable et une cuisine bien équipée me permettra de préparer tous mes repas.

Un peu d'histoire. Ce village a vu naître un certain Arnaud d'Aux, cardinal apparenté au pape Clément V, celui qui a transporté le St. Siège à Avignon.

Ce pape consacra une partie de sa fortune à embellir le village de son parent, village qui se trouvait sur le chemin des "romieu", nom donné alors aux pèlerins en ce temps de forte croyance en la religion romaine. D'où le nom de La Romieu que le village porte toujours et l'existence de cette collégiale qui a résisté au temps et aux destructions, ce qui permet d'admirer aujourd'hui une église superbe et un cloître magnifique.

Ce village, qui serait ignoré sans sa collégiale, reçoit beaucoup de visiteurs et entretient l'aspect médiéval de ses anciennes ruelles.

Dans les anfractuosités de vieux murs, autour de la place, sont placés des chats en faïence, illustration d'une vieille légende dite "des chats d'Angéline".

Après une longue visite au cloître, je m'installe au bistrot à l'enseigne "Café", tenu par une vieille dame et je profite longuement d'un thé. Il fait beau et je ressens un grand bonheur composé de plein de petites joies, celles d'être dans ce village charmant qui a une histoire, de connaître ce cloître si beau et d'être sur le chemin de Compostelle.

Ce soir, depuis de longs jours, je ne serai pas seul dans le gîte qui accueille deux autres pèlerins, Pierre et Bernadette, originaires de Melun, partis de Moissac et en route pour St. Jacques. Lui, 67 ans est plutôt taciturne. Elle, 60 ans vive, souriante et active. Ils seront rejoints dans quelques jours par leur amie Solange, 63 ans. Nous nous retrouverons presque chaque soir jusqu'au bout du Chemin.


Condom

A 7h je suis au "Café". La vieille dame s'est levée pour me préparer un petit déjeuner de chocolat et de confiture.

Le chemin est très beau, le temps magnifique. Après 6km, se trouve, en pleine campagne, "Sainte Germaine", une ravissante chapelle romane entourée d'un enclos fleuri.
La porte est ouverte et un livre d'or invite le visiteur à laisser une trace de son passage.

Je marche allégrement et avant midi je suis à Condom, logé dans un gîte communal confortable et dont la gardienne est très sympathique.

Et l'après midi je me laisse aller à la paresse à une terrasse de bistrot.

Seviac

Levé de bonne heure pour me préparer un bon petit déjeuner, mais en silence pour ne pas réveiller mes deux compagnons. Il faudra que je m'habitue à ne plus disposer des gîtes pour moi seul.

Le très agréable chemin passe en dehors de tout endroit habité; 19 km de solitude sous un soleil radieux. Même si l'on doit être attentif au tracé du sentier, marcher dans les conditions de ce jour c'est un temps propice à la réflexion que l'on peut porter sur tous les sujets qui peuvent passionner le pèlerin.

Trois ou quatre arrêts, là ou le paysage est beau. On s'assied pour manger lentement un carré de chocolat et un morceau de pain et on leur découvre une saveur qu'ils n'ont pas lors d'un goûter à la maison. La joie par la frugalité.

Avant midi je suis à Montréal-du-Gers et je déjeune "Chez Simone", restaurant sympa dont le comptoir est garni d'une superbe collection de bouteilles d'armagnac, la liqueur du pays.

A Séviac, le pèlerin est logé sur le site d'une villa gallo-romaine qui, en son temps, fut sans doute somptueuse. Aujourd'hui, quelques mosaïques et des gravats qui sont des restes de murs, reçoivent, me dit la gardienne, 25.000 visiteurs par an.

Fouiller un tel site avec l'espoir d'y découvrir un monument remarquable, un art inconnu ou un magot est sans doute captivant, voire émouvant pour un passionné d'archéologie. Mais trop souvent, comme ici, le résultat de ces fouilles ne se traduit que par la "découverte" de débris de poteries, d'empilements de briques, de gravats et de mosaïques dont la "valeur" ne tient qu'au renom de la civilisation qui les a vu construire.

Le gîte est froid et humide. Dans un bâtiment annexe il y a une cuisine mais, avec Pierre et Bernadette nous allons dans une ferme voisine où nous sommes reçus comme de vieux amis par notre hôtesse qui nous sert un fameux repas dans une salle commune superbe et devant un feu de cheminée fort bienvenu.
Tardivement arrive au gîte un couple de retraités enthousiastes, lui en pleine forme, elle épuisée, partis de St. Jean Pied de Port. Ils vont ainsi jusqu'à Paris.

Eauze

Départ à 7h, arrivée à 11h30.
Chemin facile et monotone. Les 7 derniers km du parcours se font sur le tracé d'une ancienne voie ferrée, en pleine forêt. Aucun souci de balisage.

Pas de gîte. Ce sera "l'Hôtel de l'Armagnac". De l'armagnac, on en vend partout ainsi que l'apéritif du coin, le "Floc", à base d'armagnac bien sûr.

Et pour la couleur locale: la ville est équipée d'une arène qui affiche "Féria del Toro".

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Nogaro

Chemin à travers vignes et prés. A Manciet, arrêt casse-croûte chez "Monique". Avant-hier, à Montréal, j'ai déjeuné chez "Simone". C'est tout mon harem.

A Nogaro, gîte et hôtels complets. J'apprends que dans cette ville il y a un circuit pour courses automobiles. Tous les ans à Pâques c'est la ruée des fans de la bagnole pendant 3 jours.

"Inutile de chercher à vous loger dans les environs" me dit la jeune fille du bureau de tourisme,"c'est complet à 50 km à la ronde". Elle me donne l'adresse d'un abbé en retraite qui pourra peut-être me dépanner "si je ne suis pas trop difficile". Je lui assure que non et qu'une botte de foin dans une grange ferait mon affaire alors va pour l'abbé.

C'est un homme charmant qui me ramène au centre ville et m'installe sous les arènes, dans un réduit aménagé pour les SDF !! ce que, en fait, je suis depuis 25 jours. C'est un local prévu à l'origine pour stocker du matériel mais fort propre, chauffé, avec douche chaude et 4 matelas. Seul ennui: on ne peut fermer la porte que par le verrou intérieur, l'abbé ne donnant pas de clé.


Il y a un autre locataire qui me dit être là pour les courses. Sympa, peut-être un peu simplet, mal rasé, très calme, il ne me fera aucun problème; il tentera seulement de me taper de quelque argent , mais sans insister.

Si la fête dure 3 jours et si la fille du tourisme a dit vrai, je ne pourrai partir pour Aire-sur-l'Adour que lundi.
J'hésite à sortir à cause de cette porte ouverte à tous vents. Je ne peux pourtant pas porter mon sac en permanence. A la grâce de Dieu, je laisse tout sur ma paillasse et je vais faire quelques commissions. La ville est comme morte; pas une seule âme dans les rues. Il fait gris et froid, mais où sont donc les foules qui ont envahi la place?

Je vais boire un thé dans une pâtisserie et dîner dans une pizzeria.
Retour au logis. Rien n'a bougé. Mon sympathique collègue m'attendait pour pousser le verrou et je dors comme un loir.

Jour de Pâques à Nogaro

Grasse-matinée. Mon collègue est déjà parti et je peux me doucher et manger mes provisions tranquillement. Il fait froid, pluvieux et la ville est toujours aussi calme qu'un cimetière.

Je suis seul à déambuler dans les rues. Le décor est aussi froid que le temps et les reliques de St. Austinde (?) qui sont le trésor de l'église ne m'apportent aucun réconfort.

Retour au gîte, heureusement bien chauffé. Allongé sur ma paillasse, je laisse couler le temps. Je crois avoir, entre-autres chances, celle de ne jamais m'ennuyer. Boulimique de lecture, aimant bricoler, je pourrais, alors que je suis privé de l'une et l'autre de ces occupations, me laisser aller à quelque agacement. Mais ma cervelle est toujours occupée à se poser des questions sur les mystères du monde, à cogiter sur les détails des travaux qu'il me reste à faire dans la maison, à reprendre une idée ou à rêver. Jamais je ne ressasse les évènements passés et je pourrais faire mienne cette maxime relevée je ne sais plus où: je donne le passé à l'oubli, le présent à l'indifférence et le futur à la Providence.


Et comme la Providence a toujours été bonne avec moi, m'ayant, à chaque erreur, rattrapé avant la limite, je me laisse aller à un bien-être sans mélange.
(Je repasserai par Nogaro en 1997 et 2000 en dehors du temps des courses et je logerai au gîte communal très confortable)
.

Aire sur l'Adour

Pressé de partir. A 5h30 je marche sur la route que je suivrai jusqu'au bout.
J'ai marché bon train et à 10h30 je suis à Aire sur l'Adour. Le gîte doit se trouver dans un centre de loisirs que je cherche désespérément. Pendant plus de 2 heures je tourne en rond avant de revenir au centre-ville où je trouve à me loger dans un hôtel vieillot et sympathique.

Douché et chaussé de sec, je cavale vers un restaurant aperçu à mon arrivée dans la ville et qui affichait "repas à toute heure".
Las! c'est lundi de Pâques et le patron me dit qu'il a eu tellement de monde à midi qu'il ne lui reste plus rien.
Et, bien sûr, les boutiques également ouvertes le matin sont maintenant fermées.
Retour à l'hôtel où je mange mes provisions: un gâteau de riz et quelques noix.

Une fois revenu à la vie commune, je lirai, dans un compte rendu de pèlerinage, que son auteur assure avoir fait, en suivant le chemin de Compostelle, l'apprentissage de la pauvreté. Si être pauvre consiste à manquer du nécessaire, le terme pauvreté me semble inexact. C'est de la frugalité que l'on fait l'apprentissage.

Miramont

La patronne s'est levée de bonne heure et je peux partir à 6h10 après un bon petit déjeuner.
Fléchage excellent pour sortir de la ville.

A 7 heures je longe un lac artificiel. Calme absolu. Le jour se lève à peine. Marcher dans une ambiance aussi sereine me cause un plaisir sans mélange. Inconsciemment, le pas se ralentit, comme si le marcheur voulait s'imprégner de cette sérénité.

Comme souvent, le sentier est tracé en pleine campagne et ne passe par aucun lieu habité.
Miramont est un petit village d'une propreté extraordinaire, mais tout en pente, donc pénible à visiter.
Gîte communal dans la cour de l’école. Petit, mais avec cuisine et douche.

La vue depuis l'église est superbe et je me laisse aller à un long moment de bien-être, allongé sur la pelouse qui entoure le site.


Arzacq Arraziguet

Départ à 6h40, très en forme. Le sentier est superbe, toujours en pleine nature.

Pourtant, au lieu-dit "Loustaou", juste au bord du chemin, on passe devant une demeure dont le portail est grand ouvert et dont le propriétaire a fait apposer, sous un auvent, une plaque gravée indiquant que, ici, on peut avoir de l'eau et que Compostelle est à 924 km.

La cour de la maison est décorée de coquilles St. Jacques en béton. Tables et chaises sont-elles là pour le repos du marcheur? J’aurais aimé parler avec l'habitant du lieu mais il n'y a personne. A-t-il fait le pèlerinage ou a-t-il été sensibilisé au Chemin en voyant défiler les milliers de pèlerins qui passent devant sa porte?

A Arzacq, le gîte, en plein centre-ville est très confortable mais sans cuisine. Je m'offre donc le restaurant.
Lorsque je suis arrivé, une foire se tenait sur l'immense place du village. L'après-midi tout est vide et il pleut des cordes.


Uzan

Pluie tout le long du chemin. Depuis le village de Fichous-Riumayou, ou je me suis arrêté un instant, je suis accompagné par un chien. Il doit connaître le chemin car il marche devant moi, se retournant de temps en temps comme pour regarder si je suis toujours là et ne se trompant jamais aux carrefours.

Le topo-guide indique “abri au foyer rural“. Je suis reçu par madame le maire qui, aidée par une autre jeune femme, me fournit un matelas, récupéré dans une annexe, et un réchaud à gaz. Le foyer rural est un bâtiment dont toute une façade est constituée de porte-fenêtres, ce qui fait que je suis exposé à tous les regards. Mais je ne verrai âme qui vive durant ma présence dans le village.

Il pleut par intermittence et je profite d’une éclaircie pour aller visiter l’église Sainte-Quitterie, en contre-bas du village. Mon compagnon à quatre pattes ne me quitte pas, mais je n’ai rien pour le nourrir. Il demande à sortir et passera la nuit dehors. Le lendemain il aura disparu.

Pomps

La pluie ne fera que menacer. Le sentier, mal balisé, ne rencontre que quelques constructions éparses. Tronçons de chemins herbeux et humides qui détrempent les souliers.

Pomps est un petit village aux maisons éparpillées, qui héberge les pèlerins dans sa salle polyvalente.
Cette salle a dû être construite au temps de quelques splendeurs passées car, pour l'heure, elle semble être à l'abandon. Qu'est-ce qui a bien pu justifier une telle construction dans un lieu si peu habité ?

J'installe mon campement: 2 tapis de gymnastique très durs et crasseux sur une claie de bois. Les douches sont sales, froides et humides.

Mais le village possède une petite épicerie et un restaurant tenu par une jeune femme sympathique qui me présente deux cahiers remplis de commentaires de pèlerins. Le logement est spartiate mais les repas seront excellents.

Je fais une visite à la petite église dédiée à St. Jacques et je passe l'après-midi à rêver sur ma paillasse improvisée.
(En 1997, la salle polyvalente est toujours ouverte aux pèlerins et il y a des lits de camp qu’il faut installer et des douches chaudes)


Artez de Béarn

Etape courte mais sous une pluie constante. Le gîte est au presbytère où l'on me reçoit assez froidement.
Je serai bien, à condition d'être seul car c'est tout petit. Petit mais complet avec cuisine équipée, chauffage et douche. Je peux faire sécher tout ce que la pluie a détrempé et le soir je cuisinerai selon mon désir: radis, pâtes au beurre et orange.

Village sans grâce tout en longueur mais à partir duquel on a une vue superbe sur les Pyrénées. Tous ces villages que je traverse ont eu leur heure de gloire en d'autres temps, mais les guerres, de religions ou autres, n'ont souvent laissé que des ruines ou quelques lignes dans un prospectus touristique.

Ici s'élevait une commanderie des Augustins dont le monastère a été détruit. Seul reste un ancien donjon qui sert de clocher à l'église.
(Je logerai encore au même endroit en 1997. Mais en 2000 ce gîte est fermé. Un gîte communal a été aménagé en centre ville).

Sauvelade

Chemin fatiguant, caillouteux, en montagnes russes. Je traverse le Gave de Pau. Les Pyrénées, très enneigées, se font admirer sur une grande partie du parcours.

Peu avant l'arrivée, alors que je longe une ferme, un brave homme rieur sort de sa grange et veut parler. Après m'avoir demandé si j'avais des "raisons religieuses" de faire ce pèlerinage il me dit "croire en Jésus Christ fils de Dieu, être sûr d'aller au ciel" et me demande si je suis sûr de ne pas aller en enfer. Peu porté à faire du prosélytisme je le laisse parler et nous nous quittons bons amis.

Le gîte, au bord du chemin, en pleine campagne, est installé dans un ancien monastère qui fut Bénédictin, puis Cistercien. Ravagé en 1569, il fut restauré en 1630, puis vendu lors de la révolution en 1793. L'état des bâtiments est excellent et un couple, jeune et très sympa, est chargé de son entretien. Elle, travaille à Pau et lui se transforme en maçon, électricien, carreleur, menuisier pour aménager ce lieu qui doit devenir un centre culturel.

Coucher et repas sont très bien, les douches sont luxueuses. Ceci en 1995. En 1997 le couple n’est plus là. Tout a été démonté. Je dormirai sur la moquette. Mais il y a une cuisine bien équipée et des douches chaudes. En 2000 des couchettes sont de nouveau installées. C’est l’épouse du maire qui viendra m’ouvrir le gîte en m’apportant une grande portion de soupe aux légumes, bien chaude. Le lendemain, lorsque je lui reporterai la clé, elle m’offrira un petit déjeuner.

Le site est très isolé et les maisons du village très éparpillées. Il n’y a que l’église du monastère, ouverte, qui permet de voir un peu de monde venu la visiter.


Navarrenx

Un kilomètre de sentier. Le reste du chemin emprunte de petites départementales désertes.
A Navarenx, le curé assure le gîte et le couvert aux pèlerins mais ne peut recevoir que 3 personnes. Pierre et ses deux femmes, qui ont annoncé leur arrivée par téléphone, ont pris toute la place. C'est donc l'hôtel.
(En 1997 et 2000 je logerai au gîte municipal, vaste et bien équipé)

Le curé de Navarrenx est fort réputé sur le Chemin. Si l'on en croit un certain nombre de pèlerins dont j'ai lu les "mémoires" au retour, la rencontre de ce curé a été, pour eux, “LA Rencontre”.
Cela tient au fait que son accueil se traduit surtout par l'attention personnelle qu'il porte à chaque pèlerin, en lui demandant, lors de la remise du tampon, quelles sont les motivations qui l'ont lancé sur le Chemin.

Monsieur le Curé, écoute très attentivement, et termine l'entretien en inscrivant sur la feuille de route les commentaires personnels que lui ont inspiré les confidences qui lui ont été confiées.
Si se rendre en pèlerinage c'est se rendre sur un lieu particulier par dévotion, alors je ne peux pas dire que j'ai fait un pèlerinage. Et pourtant !


Ce que j’ai dit au curé de Navarrenx:
« Une maladie que l'on guérissait mal à ce moment là s'en est prise à mon genou gauche lorsque j'avais 3 ans. Après "guérison", le genou est resté difforme et douloureux et l'articulation coincée dans une mauvaise position.
J'ai traîné cette misère jusqu'à l'âge de 21 ans sans trop m'en soucier. Les braves gens disent: "il faut faire avec". Je faisais avec et je ne me souviens pas avoir imaginé qu'il puisse exister une possibilité d'amélioration de cette situation.
Vers cette période, après 5 ans d'une vie d'apprentissage et de travail très suivis, je me retrouvais "chômeur", situation inhabituelle pour l'époque, et assez désemparé.
J'avais alors rendu visite à ma grand-mère paternelle, femme au coeur bon et très croyante mais sans concession ni atermoiement.
Elle ne pouvait rien faire pour moi, bien sûr, que m'ouvrir sa porte pour quelques jours. Et pourtant ! Elle m'entraîna à l'écart des autres habitants de sa maison, me fit asseoir et, après avoir d'office relevé la jambe de mon pantalon, aspergea abondamment mon genou malade d'eau de Lourdes, qu'elle avait ramenée dans une bouteille, lors d'un précédent pèlerinage.
J'étais, à cette époque, d'une totale inconscience concernant le Sacré, ne croyant, ni ne m'intéressant ni à Dieu ni à Diable.

Aucune pensée, aucun espoir, ne me vint à l'esprit après le geste de ma grand-mère, geste que j'ai peut-être alors considéré comme celui d'une bigote.

Quelque temps plus tard je me suis retrouvé à la gare de Dijon où j'avais rendez-vous avec un parent. La rencontre ne s'est pas faite et je suis resté décontenancé sur le quai de la gare, ne sachant ni quoi faire ni où aller.
J'ai, à Paris une marraine qui avait été très attentionnée envers ma famille en des temps difficiles et je pris donc le train pour la capitale.

Cette marraine est une femme également très croyante et d'un caractère très proche de celui de ma grand-mère. Et, comme ma grand-mère, elle ne vit, dans ma personne, que ce genou d'infirme.
Vivant dans un milieu médical, épouse d'un chirurgien, elle n'eut de cesse que de m'avoir emmené chez un spécialiste qui affirma pouvoir "arranger ça".
Peu de temps après, l'opération était faite et réussie et un mois plus tard je pouvais commencer à marcher sans douleur ni problème d'aucune sorte.

Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai commencé à randonner plusieurs semaines pendant les vacances et que le désir m'est venu de partir longtemps sur les chemins.
J'avais donc décidé, une fois en retraite, de parcourir le GR 5, sentier qui part de la Hollande pour arriver au bord de la Méditerranée. Je ne sais pas comment le pèlerinage de Compostelle s'est imposé et a éliminé le GR 5 de mon esprit, mais le désir de parcourir ce sentier prestigieux ne m'a plus quitté.
Lors de la préparation de cette randonnée, le mécréant que je suis a découvert la composante religieuse du Chemin et alors sont revenus à la surface de ma mémoire l'anecdote de l'eau de Lourdes et les évènements qui ont suivi jusqu'à la transformation d'un infirme en randonneur de grands chemins.


Il fallait donc que je fasse ce pèlerinage, en hommage à ma grand-mère à laquelle j'aurais voulu pouvoir dire que, comme il est écrit dans l'évangile: « il est advenu selon ta foi ».

Patient, le brave curé m'a écouté jusqu'au bout et a écrit ce qui suit sur ma carte de pèlerin:
«Gilbert, vraiment vous êtes bon. Vous êtes le fruit merveilleux de la providence divine et de la responsabilité humaine. Merci pour votre passage à Navarrenx. Et bonne route. Vous avez beaucoup à faire encore».

Ce curé est un brave homme et j'avais, c'est vrai, encore 45 jours de marche.


Aroue

Départ à 7 heures après un copieux petit déjeuner. Sauf sur une courte distance, c'est la route tout le long. J'arrive rapidement au gîte, installé dans un garage, glacé, humide, plein de courant d'air et dont l'agencement douche-toilette est des plus curieux.

Sept autres pèlerins sont arrivés et, pour la première fois, je logerai dans un gîte complet. Déjeuner et dîner très bien et bien au chaud chez la dame qui s'occupe du gîte.

Les deux étapes suivantes ont été faites en 1997 et en 2000

Saint Palais

Petite étape et logement chez les franciscains. Repas en commun.

Ostabat

L’arrivée au gîte se fait par un sentier qui est un véritable ruisseau. Le gîte est très bien, mais situé tout en bas du village et il faut grimper dur pour arriver sur la place où se trouvent boutique et bistro.

Larcevaux

Départ à 7 h. Demain je serai à St. Jean Pied de Port, dernière étape avant l'Espagne. Je suis très en forme et je ressens un grand bonheur.

Le sentier est épouvantable mais le balisage est très dense. Sans doute ceux qui ont déterminé ce tracé ont dû penser que le randonneur ne pourrait imaginer que les fondrières et les bourbiers qu'il doit affronter puissent constituer un honnête sentier de randonnée et ont donc multiplié les balises pour rassurer le pèlerin.

A Uhart-Mixe, je trouve oh! bonheur, un bistrot qui me sert un sandwich et un thé. Je ne m'arrêterai pas à Ostabat, étape traditionnelle du pèlerinage.
Dans ce village, en effet, se rejoignaient les différents chemins qui amenaient aux Pyrénées les pèlerins qui venaient de diverses régions de France.

La route passe dans un superbe paysage vallonné, aux prairies d'un vert intense, parsemées de moutons.
A Larceveau je trouve un hôtel bien chauffé, ce qui me permettra de faire enfin sécher mes chaussures, humides depuis plusieurs jours.

J'ai un ami, receveur des postes à Irrissary, un village voisin de Larceveau. Il vient me chercher et je dîne dans une ambiance familiale sympathique.

St Jean Pied de Port


Un peu de farniente pour la dernière étape en France et je ne pars qu'à 9 h.
Pluie permanente pendant 13 km jusqu'à St. Jean le Vieux, où je déjeune dans un restaurant glacé, d'un repas assez minable. Mais cette ambiance morose se réchauffe quand, à la fin du repas, la patronne vient m'offrir le café du pèlerin et que le patron vient discuter avec moi un long moment.
Après mon départ, il me rattrapera en voiture pour me rapporter le K-Way que j'avais oublié.

Il me reste 4 km à parcourir. La pluie a cessé. Je marche tranquillement, savourant mon arrivée à St Jean-Pied-de-Port et je ressens un intense moment d'émotion lorsque je passe la porte St Jacques qui débouche sur une vieille rue moyenâgeuse.

Je me loge chez un couple très sympathique. Lui est menuisier, très causant, et il offre volontiers un petit verre d'alcool du pays.

Valérie, ma fille, qui a quelques soucis à partager avec son père, vient me rejoindre. Je vais la chercher à la gare et nous passerons ensemble, en touristes, 3 jours agréables dans cette petite ville très animée, à visiter les boutiques, la Citadelle et la prison des Evêques.

Pierre, Bernadette et Solange viendront nous rejoindre mais partiront dès le lendemain.

Je fais la connaissance de Mme Debril, personnalité marquante du Chemin de St Jacques, qui donne le tampon et la Crédencial à ceux qui partent de St. Jean Pied de Port. Mais elle se montre très pointilleuse sur la qualité de pèlerin, lequel doit parcourir le Chemin en marcheur de Dieu et non pas en sportif ou pour tout autre motif profane. Après un accueil assez sec, elle se révèle très sympathique et me donne tous les renseignements que je désire sur l'Espagne.

( Il faut maintenant passer les Pyrénées. Le trajet suivi en 1995 est raconté ci-après. En 1997 je suis passé par la montagne à partir de la route Napoléon. On m’avait assuré qu’il n’y avait plus de neige, ce qui était exact. Je suis parti à 6h20, alors que St Jean-Pied-de-Port était dans le brouillard. La montée est facile et au bout de quelques kilomètres je suis arrivé au dessus des nuages. La vue de cette mer de nuages qui recouvrait St.J.P.de P. était un spectacle magnifique, mais le vent devient violent. Arrivée au monastère vers 14 heures, juste avant la pluie.
En 2000 il y avait des risques de neige et j’ai pris la route nationale mais j’ai voulu faire le trajet en une seule étape car j’avais le souvenir d’une marche facile en 1995, alors que j’avais fait le parcours en 2 étapes. C’est la route seule jusqu’à Valcarlos. Ensuite on quitte fréquemment cette route pour prendre des sentiers souvent abruptes. Il a plu tout le temps et je suis arrivé au col, où se trouve une chapelle, très fatigué).

Valcarlos

Pour aller à Roncevaux (Roncevalles en espagnol), j'ai le choix entre la route et le sentier. Bien sûr, seul le sentier doit-être suivi par un randonneur digne de ce nom. Mais il a beaucoup neigé et madame Debril m'avait dit que le sentier était impraticable. Plus tard, un pèlerin rencontré en Espagne m'affirmera qu'il y avait 50 cm de neige sur ce sentier qui monte jusqu'à 1350 m d'altitude avant de redescendre sur Roncevaux.

Je prendrai donc la route à regret, accompagné par Valérie sur quelques centaines de mètres. Cette route monte régulièrement mais sans excès. C'est samedi et la circulation est nulle.

J'arrive rapidement à Arneguy, dernier village français, situé juste à la frontière. Je bois un ultime thé “goût français”, je téléphone à Suzanne, ma femme, pour lui dire que dans 2 minutes je serai en Espagne et je continue vers Valcarlos, ma première ville espagnole.

Suite de Valcarlos, sur le "Chemin en Espagne"