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Valcarlos
Il pleut et j'arrive dégoulinant
pour me présenter au premier hôtel venu. Ouf! la dame
qui me reçoit parle français. Elle n'a pas de place
pour moi et m'envoie chez un particulier à l'autre bout du
village qui n'a pas de place non plus et me conduit chez un voisin.
Explications compliquées jusqu'à ce qu'un brave homme
qui parle quelques mots de français réussisse à
me faire accepter.
J'ai une chambre à l'ancienne avec un lit très haut.
Je ferai sécher vêtements et lessive devant le feu
de la cheminée du séjour et je pourrai dîner
et avoir le petit déjeuner chez le premier particulier.
Le village n'a d'autre intérêt que d'être situé
dans une nature magnifique et je crois comprendre que toutes les
possibilités de logement sont réservées aux
touristes. Mais je ne vois personne dans le village et il pleut
par intermittence. Je rentre donc potasser mon manuel de conversation
franco-espagnol, mais il me faudra quelques jours de fréquentation
des indigènes pour oser sortir quelques phrases.
Roncevalles
Parcours très agréable.
Le chemin quitte fréquemment la route pour des sentiers superbes.
Il fait très beau et je me promène comme un gamin
faisant l'école buissonnière.
Au col, des policiers encagoulés contrôlent les voitures,
mais le pèlerin est ignoré. J'arrive vers midi au
monastère. La langue commence à être un obstacle.
Le brave abbé qui me reçoit ne connaît pas un
mot de français et je feuillette désespérément
mon manuel sans rien trouver qui puisse m'aider.
Je vais maintenant à “Santiago” en suivant le
“Camino”, il me faudra demander où se trouve
“l'albergue” (ou refugio) de “peregrinos”
pour me loger et la carte de pèlerin s'appelle désormais
"crédencial".
J'obtiens tout de même le tampon, une liste des hébergements
possibles en Espagne, et que l'on me conduise là où
peuvent loger les pèlerins. Je comprends aussi qu'il y a
une messe des peregrinos à 18 h.
C'est dimanche, il y a énormément de monde sur le
site et l'église est envahie d'une foule de visiteurs bruyants
qui flashent à tout-va.
Roncevaux, dans la mémoire des Français, c'est Charlemagne,
et Roland appelant au secours mais c'est le pèlerinage qui
a pérennisé le site.
Le monastère a été
fondé en 1132 par l'évêque de Pampelune, pris
de pitié devant le sort des pèlerins victimes de la
neige et des loups. Les pèlerins y étaient nourris
et soignés et avaient à leur disposition coiffeur
et cordonnier.
Sa fonction
d'accueil ne diminua qu'à partir du 17ème siècle
mais est toujours présente. Un hôtel plein d'étoiles,
un restaurant abordable mais pris d'assaut par la foule du dimanche,
une boutique de souvenirs et un bureau de tourisme, c'est, avec
les bâtiments du monastère, tout le village de Roncevalles.
La jeune fille du tourisme parle fort bien le français. Je
lui demande de m'écrire en espagnol quelques mots et phrases
qui m'ont semblé utiles, ce qu'elle fait volontiers. Au magasin
de souvenirs je trouve un guide du Camino, en français, qui
se révélera très exact en ce qui concerne les
distances et le tracé du parcours, mais fantaisiste pour
les réfugios, en indiquant certains qui n'existent plus,
d'autres qui n'existent qu'en projet et oubliant certains de ceux
qui sont bien là.
Est également oubliée, ou indiquée incomplètement,
l’existence de boutiques d’alimentation et de restaurants.
J’arriverai donc chaque jour dans un lieu où je serai
à peu près sûr de trouver un logement, mais
j’ignorerai souvent si je pourrai me nourrir ou non.
Je porterai toujours quelques provisions dans mon sac, mais assez
peu pour des questions de poids, et j’aurai souvent une vie
très frugale.
En plus du changement de langue, il y a un changement de rythme
de vie, qui me perturbera beaucoup. Dans les restaurants, le déjeuner
est servi de 13h30 à 15 h et le dîner de 20h30, voire
21 h, à 22 h. Les bureaux de poste ou les banques peuvent
ouvrir de 10 à 14 h et rester fermés pour le reste
de la journée. Certains refugios n'ouvrent qu'à 16
ou 18 h. Ce ne sera que vers les derniers jours que je saurai enfin
organiser mon temps en fonction de ces horaires.
Le refugio de Roncevalles met
une cuisine bien équipée à la disposition des
pèlerins mais il n'y a aucune boutique pour se procurer des
victuailles et je n'ai pas de provisions dans mon sac. Il me faudra
faire une "queue" de 1 h pour déjeuner.
A 18 h j'assiste à la messe des pèlerins dans une
église surchargée de dorures, décor inhabituel
pour moi qui fréquente depuis 30 ans les églises et
les temples alsaciens particulièrement dépouillés.
Nous sommes une dizaine de peregrinos alignés devant les
officiants et j’entends avec émotion la supplique finale:
priez pour nous à Compostelle.
Larrasoana
Le chemin n'offre aucune difficulté.
Le balisage rouge et blanc du GR français est doublé
par les flèches jaunes, les bornes spéciales et les
pancartes grand format du parcours espagnol et, jusqu'à Santiago,
à part deux ou trois passages délicats, les marques
seront partout nombreuses et très visibles.
Il fait un temps magnifique. A trois kilomètres du but je
quitte le sentier pour trouver un restaurant dans lequel je m'arrête
longuement. Je viens de faire 23 km sans arrêt et j'ai besoin
de repos.
Le maire de Larrasoaa est un fan du Camino (et il s'appelle Santiago).
Il s'occupe du refugio avec l'amour d'une mère pour son enfant
et reçoit les peregrinos très chaleureusement. Le
pèlerin trouve là un gîte impeccable avec une
cuisine complète. C'est la fête du Travail, les boutiques
sont fermées et c'est le bar du village qui me fera un excellent
dîner.
Le village est charmant et tranquille. C'est un lieu de passage
obligatoire du Chemin depuis toujours et on y accède par
un pont appelé le Pont des bandits, allusion aux voleurs
qui détroussaient les pèlerins obligés de passer
par là.
Les deux chapelles du village rappellent que deux confréries
accueillaient les pèlerins jusqu'au 18ème siècle.
Pampelune-Cizur
Départ à 6h30.
J'avance vite, d'abord sur la route puis sur un chemin superbe.
Le temps est toujours magnifique. A Villava, grande agglomération
avant Pamplona, il faut que je me débrouille pour demander
où est la poste (correos) afin d'acheter des timbres pour
expédier quelques cartes postales.
A la sortie de Villava, un superbe chemin piétonnier équipé
de bancs me conduira jusqu'à Pamplona.
Moment de grosse émotion lorsque, après le passage
d'un antique pont -levis, j'arrive dans la vieille ville, superbe
avec ses vieilles rues étroites, ses maisons centenaires
admirablement entretenues. Il est 10h30 et tout est calme. Je vais
à la cathédrale toute proche faire tamponner ma crédencial.
Une fois de
plus je regretterai de ne pouvoir ajouter la fatigue des visites
à la fatigue du chemin mais je profiterai du spectacle de
cette ville en la traversant lentement. Le chemin vers Cizur est
une promenade aménagée et je marche tranquillement,
savourant le paysage et le beau temps.
Un couple accompagné d'un jeune homme m'arrête et me
demande d'où je viens. Admiration de la dame qui s'étonne
qu'un vieux bonhomme traînant la jambe puisse venir de si
loin pour aller encore si loin et satisfaction du vieux bonhomme
qui se laisse admirer.
Isabel Roncal a construit un refugio dans le parc de sa propriété
et reçoit chaleureusement les pèlerins. Je pourrai
cuisiner après avoir été chercher des provisions
au village voisin et j'aurai tout le temps de profiter du soleil,
du parc et de la conversation de la senorita Isabel.
Il y a une cidrerie dans le
village, qui fait restaurant et dont l'ambiance, selon Isabel, est
typique.
Mais, sauf obligation, je vivrai frugalement sur le Camino et je
n'irai donc pas déguster le cidre. Le village n'a d'autre
intérêt que ses deux églises. Mais, comme la
plupart des églises du Chemin, elles sont fermées.
Puente
la Reina
Départ 6h30. Encore un
sentier superbe. La grimpette au sommet du Alto de Santa Maria -780
m- est facile et le point de vue magnifique.
Le chemin espagnol est souvent très différent du chemin
français car il passe fréquemment au milieu de paysages
dégagés avec de nombreux points de vue admirables
alors que le sentier français passe la plupart du temps en
forêt. Mais il est aussi, paradoxalement, beaucoup plus fatiguant,
car tracé sur un sentier souvent rectiligne et peu escarpé.
On y marche donc sur un rythme régulier et monotone qui finit
par devenir lassant.
Rencontre avec un couple de touristes qui chemine tranquillement.
Lui, s'arrête constamment pour "camescoper", elle,
attendant patiemment qu'il veuille bien continuer à marcher.
Lorsque j'arrive à leur hauteur ils m'abordent, désirant
savoir d'où je viens et où je vais. J'apprends ainsi
qu'ils sont Hollandais, qu'ils sont également pèlerins
sur le Chemin qu'ils parcourent à raison de 400 km par an
depuis la Hollande. Nul ne les verra jamais dans les refugios car
ils logent en camping-car et s'organisent de la façon suivante:
depuis l'étape de départ ils emmènent le véhicule
à l'étape suivante et se font ramener en taxi au point
de départ, recommençant chaque jour le même
processus.
Le gîte, bien équipé, est tenu par une congrégation
de religieux, les pères Reparadores. L'accueil, fait par
des jeunes est sans chaleur, très administratif, la crédencial
est exigée d’emblée, et le nom du pélerin
inscrit sur un registre. Essai de discussion avec un Espagnol qui
est parti de Lourdes.
Le village est très commerçant et très "couleur
locale". Nombreuses boutiques où l'on vend des coquilles
et des bâtons de pèlerins et la référence
au Chemin est souvent présente dans les noms de rues et les
enseignes.
Estella
A 6h35 je suis sur le sentier.
Je traverse 5 ou 6 hameaux déserts et, après l'un
d'eux le long d'une antique chaussée romaine, se trouve une
borne qui indique "Santiago 621 km
Pas de refugio à Estella mais un hôtel qui a des dortoirs
pour 600 pesetas (100 pta = 4,2 Fr), ce qui me convient parfaitement.
La vieille ville est très plaisante avec ses étroites
rues piétonnes, ses places à arcades et ses multiples
boutiques. Comme beaucoup de petites villes que je traverserai,
Estella conserve quelques vestiges d'un riche passé historique
ou religieux et l'on peut encore admirer l'église San Pedro
et deux galeries de son cloître, ainsi que le Palais des Rois
de Navarre. (En 2000, je logerai dans un gîte communal dont
le luxe de l’entrée fait penser à celle d’un
hôtel trois étoiles. Ce luxe est ridicule. On peut
utiliser la cuisine, sauf pour le petit déjeuner mais il
y a des machines qui distribuent du café et du chocolat.
Un jeune couple arrive avec un enfant de 6 mois porté sur
le dos, abrité par un petit toit de toile alors qu’il
pleut et fait beaucoup de vent).
Los
Arcos
Départ à 6h25.
Il fait beau avec un vent frais, mais un peu trop violent. Vers
10 heures, je trouve, au bord de la route, une "cabane"
construite avec des blocs de paille. C'est un abri extra pour un
pique-nique à l'abri du vent décidément pénible
à supporter.
Pas de refugio à Los Arcos. Un passant m'explique qu'il est
prévu d'en construire un mais que ça n'est pour l'instant
qu'un vague projet (En 2000 je logerai dans un refugio superbe tenu
par des Belges).
Il m'emmène chez une vieille dame avec laquelle il palabre
très longtemps avant qu'elle me fasse rentrer chez elle,
mais par le garage. Elle me demande une carte d'identité
avec photo, laquelle carte est examinée avec grand soin.
Il semble qu'elle ait peur de recevoir chez elle un vagabond qui
se ferait passer pour un pèlerin. Elle hésite encore,
puis me rend ma carte et me demande si je veux dormir ici, dans
le garage, sur des planches posées à même le
sol. Non! je veux un matelas dans une pièce autre qu'un garage.
Mais c'est 800 pesetas, me dit la dame. Aurais-je une tête
d'insolvable?
Je lui dis que c'est tout à fait d'accord pour les 800 pesetas
et elle me montre alors une chambre sympa, avec literie. Je lui
règle immédiatement le prix de la chambre et nous
devenons dans l'instant les meilleurs amis du monde.
Pas de possibilité de faire la cuisine et je vais au restaurant.
Le patron parle un français impeccable et insiste pour me
faire venir dans son hôtel: pour 5000 pesetas j'aurais tout
le confort moderne.
Mais, outre qu'un excès
de confort est contraire à ma façon de vivre habituelle,
l'esprit du Camino veut que le pèlerin loge en refuge.
De son passé pèlerin, Los Arcos possède encore
une église qui s'est complétée entre les XIIème
et XVIIIème siècles. Mon guide explique que s'y intègrent
les styles roman, gothique, plateresque et baroque. Ce type de monument
doit-être un régal pour les férus d'histoire
de l'architecture.
Plateresque serait typiquement espagnol et se dit d'un style d'architecture
de la première Renaissance espagnole, caractérisé
par une ornementation comparable à celle des pièces
d'orfèvrerie. Je me cultive.
Il y a un cloître superbe, simplement gothique flamboyant
, dans lequel je m'attarde longuement.
Viana
Départ à 5h30.
Chemin moitié sur route et moitié sur sentier. Superbes
panoramas. A mi-chemin, un arrêt aménagé pour
les pèlerins et dominant une chapelle, me permet de faire
une pause casse-croûte à l'abri du vent qui n'en finit
pas d'être froid et violent.
Le balisage conduit droit au refuge de Viana, lequel devrait être
ouvert puisqu'il affiche "ouverture de 10 h à
22 h". Des ouvriers travaillant à proximité me
disent d'aller chercher la clé au poste de police. On ne
me donne pas la clé mais on me signale que le gîte
ouvrira à 17 h. Je m'installe dans le parc qui se trouve
près du refugio, sur une terrasse qui domine la plaine alentour
et je déjeune de quelques provisions. A l'abri du vent il
fait très chaud et je peux faire la sieste en attendant 17
h.
D'autres pèlerins arrivent, dont une vieille dame avec un
chien, qui affirme terminer une étape de 35 km, et deux jeunes
filles espagnoles sympathiques qui vont interroger tout le voisinage
pour savoir comment on peut rentrer dans ce refugio. Enfin le préposé
à la clé arrive à 19h30.
Les installations sont vastes et superbes mais la cuisine, très
moderne, ne contient aucun matériel tel que casseroles, assiettes
ou couverts. Il nous faut aller au restaurant si l'on veut faire
au moins un repas convenable.
Mais l'homme à la clé ne veut pas nous la céder.
Et la porte une fois fermée ne s'ouvre plus de l'extérieur.
Les jeunes Espagnoles s'accrochent à lui et obtiennent enfin
cette clé. Mais nous devons tous partir et revenir en même
temps. Nous ferons un dîner très bien entre français,
allemands et espagnoles. (En 2000 le refugio sera ouvert dès
13h30 et la cuisine très bien équipée. Je verrai
arriver le couple avec l’enfant sur le dos pour la dernière
fois).
Navarrete
A 6h je suis sur le chemin,
qui est très bon. Le temps est couvert. Je marche bien et
après 9 km j'arrive à Logrono à 8h.
Je m'arrête
à une fontaine pour remplir mes bouteilles. A demi allongé
sur la margelle de la fontaine, je me laisse aller au bonheur du
moment. J'aime partir de bonne heure, quand l'air est frais, que
tout est calme.
Surprise, je vois arriver Pierre et son harem qui ont logé
2 jours à Logrono. Je les laisse filer et je les retrouverai
à Navarrete.
Je traverse tranquillement la ville. Le balisage est très
présent sous forme de flèches jaunes peintes sur les
arbres d'une façon “cochonnée” et peu
discrète.
Sur une vaste place, un marchand ambulant vend des "Churros
o Bunelos", sorte de beignets longs, frits devant le client.
J'en achète un cornet que je déguste tranquillement.
Il est 9h et j'ai le temps de musarder.
A Navarrete, petite ville construite en arc de cercle autour d'une
colline, pas de gîte. Le guide signale "le refugio traditionnel
des révérends pères Camilos" mais à
l'église, personne ne peut me dire où il se trouve.
En fait, il n'existe plus. J'apprendrai par Pierre, que je retrouve
en ville, que lui et ses deux femmes ont été pris
en charge par une brave dame qui, voyant errer ces trois pèlerins,
les a conduits dans les sous-sols d'une banque désaffectée
qui sert effectivement de refuge. Ils devront d'abord prouver leur
qualité de pèlerins en montrant leurs crédencials
dûment tamponnées avant de pouvoir passer la nuit sur
des matelas posés à même le sol. Mais ce sera
gratuit.
Je loge dans une Fonda, hôtel simple et bon
marché, toujours très propre et à l'accueil
sympathique.
C'est dimanche et il y a beaucoup de monde dans les rues. Sur la
place de l'église se tient une exposition des travaux d'artistes
du village: fer forgé, travaux en carton, patchwork, marionnettes...
Il fait maintenant très chaud et, assis sur un banc public,
je me laisse chauffer par le soleil.
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Najera
Petite étape de 7h à
10h45. Je me sentais fatigué au départ mais la forme
est venue en marchant.
En arrivant à Najera, je suis arrêté par un
jeune homme qui m'explique où se trouve le refuge et ce que
dois faire pour en obtenir la clé. Je le retrouverai au gîte;
c'est un Péruvien qui fait le pèlerinage en compagnie
d'un jeune Espagnol.
Le refugio est en pleine ville et le bar d'en face donne la clé
après avoir tamponné la crédencial. Je vois
sur le livre d'or que deux pèlerins parisiens ont fait le
trajet du Puy à Najera en 31 jours; beaux marcheurs!
Deux hommes, de 50 ans environ, mettront une ambiance chaleureuse
dans ce refuge. L'un d'eux, rigolard et blagueur, joue de la flûte
et tous les deux discutent avec tout le monde, parlant avec une
étonnante facilité le français, l'anglais,
l'espagnol et l'allemand.
Le monde est
petit: Bernadette, l'une des amies de Pierre, dont le mari était
pilote à Air France, profitait de sa situation pour voyager
un peu partout dans le monde et reconnaît, dans le joueur
de flûte, un steward d'Air France. Son ami est l'un de ses
collègues, ce qui explique qu'ils soient polyglottes. Ils
sont partis du Puy il y a quelques années et arriveront à
Santiago dans quelques autres années, en faisant 10 jours
de pèlerinage par an.
Je retrouve aussi les deux jeunes espagnoles qui s'étaient
beaucoup remuées pour faire ouvrir le refugio de Viana. Nous
allons passer un moment au bar et nous parlons des élections
présidentielles françaises.
Santo
Domingo de la Calzada
Le refugio est magnifique, parfaitement tenu par
un groupe de jeunes, charmants et toujours disponibles. Fleurs sur
la table, cuisine bien équipée et placards pleins
de provisions.
Le village est célèbre sur le Chemin grâce à
la légende du “miracle qui
fit chanter la poule après qu'elle eut été
rôtie".
A partir du lendemain, une fête religieuse de trois jours
a lieu dans le village. J'ai très envie de rester pour connaître
l'ambiance d'une telle fête. Les refuges espagnols n'acceptent
pas que les pèlerins restent plus d'une nuit mais la jeune
fille qui m'a appris l'existence de la fête me dit que je
pourrai rester un jour de plus à condition d'être discret.
Belorado
Je suis tenté de voir au moins une partie
de la fête mais le but, toujours très éloigné,
se rapproche cependant et je décide de partir.
A la sortie de Santo Domingo une pancarte routière indique
"Santiago 623 km". Il ne m'en restera que 600 à
l'étape de ce soir. Courage, pèlerin.
Mais le 4 de ce mois, en quittant Puente la Reina, j’avais
vu une borne indiquant que Santiago était à 621 km.
Le but reculerait-il devant le pèlerin ou la signalisation
est-elle fantaisiste?
Parti à 7h, j'arrive à midi à Villamayor, à
5 km de Belorado. Je m'offre un casse-croûte dans un bar qui
expose une profusion de victuailles, sans doute production du pays:
jambon et saucissons fumés, confitures, conserves.
Il y a maintenant beaucoup de monde sur le Chemin. Mais, étant
très matinal, je ne rencontre ni ne suis rattrapé
par aucun piéton. Seul des cyclistes me dépassent
et me saluent toujours. Si un piéton passe partout sans trop
de difficultés, les pèlerins en VTT qui veulent suivre
le chemin et non la route pédalent souvent durement dans
des terrains caillouteux, sablonneux ou constitués d'une
terre collante.
Le gîte de Belorado est installé dans une vieille bâtisse
près de l'église dont le clocher supporte un nid de
cigognes très habité.
Ce refugio est crasseux mais on peut y faire la cuisine et le village
possède une épicerie. Il y a aussi un cordonnier qui
accepte de redresser de suite le talon de ma chaussure gauche. Ce
talon, que je traîne un peu, s'use très vite, ce qui
accentue mon boitillement et me cause des douleurs au niveau des
reins.
San
Juan de Ortega
J'avais prévu de faire
cette étape en deux jours mais je me sens bien en forme et
je ne m'arrêterai à Villafranca -13 km- que pour un
casse-croûte dans un bar accueillant, chaud et où je
pourrai faire un peu sécher ma cagoule. Il pleuvra beaucoup
pendant cette étape. Pour la première fois je marcherai
avec d'autres pèlerins, un couple d'espagnols vivant en France
depuis 35 ans. Lui, grand et costaud, elle, petite et d'aspect malingre,
70 ans chacun, une vitalité et une forme étonnantes.
Ils font le parcours depuis St. Jean Pied de Port pour la troisième
fois. Dans une correspondance que nous échangerons au retour,
il m'écriront qu'ils ont prévu de faire le pèlerinage
une 4éme fois en 96.
Je rencontre dans ce bar une pèlerine Anglaise d'Oxford,
qui fait le trajet en vélo. Elle est seule, me dit avoir
souvent peur dans les refuges.
Après cet arrêt sympathique, je repars avec Joseph
et Louise. Nous avons droit à une pluie battante pendant
une dizaine de kilomètres mais l'arrivée à
San Juan est "sèche".
Le sanctuaire de San Juan de Ortega, au service exclusif des pèlerins,
est une station du Chemin depuis le 11ème siècle.
Juan de Ortega fit construire en son temps des églises, hôpitaux,
routes et ponts pour faciliter le voyage des pèlerins.
Isolés en pleine nature, l'église, qui contient le
tombeau de San Juan et le monastère, ne vivent que par les
pèlerins. Un bar dont la patronne peut être sympathique
à ses heures, sert des omelettes et des frites.
Le gîte est vaste et froid mais bien tenu et possède
des douches chaudes. Quelques rayons de soleil permettront de faire
sécher chaussures et lessives.
Particularité du lieu: chaque soir le curé
offre la sopa de ajo (soupe à l'ail) aux pèlerins.
La soupe est apportée dans de grandes marmites et le curé
sert lui-même les pèlerins, une vingtaine ce soir-là.
L'ambiance est à la fête et les 5 ou 6 nationalités
qui se côtoient s'entendent à merveille. Pour compléter
le repas, le bar nous fournit des tortillas con patata (omelettes
aux pommes de terre) dont le prix sera partagé entre tous.
Villafria
Tout le monde se retrouve au bar vers 8 h. Les deux
jeunes filles espagnoles viennent me faire leurs adieux car elles
s'arrêtent à Burgos, ville où elles habitent.
Dommage, car c'est un plaisir, pour un vieux bonhomme, de nouer
une amitié aussi sympathique avec des jeunes; mais la différence
d'âge se réduit très fortement au sein d'un
groupe de gens ayant une même passion ou un même but.
On nous déconseille de prendre le sentier qui serait transformé
en torrent de boue après les pluies diluviennes de la veille.
Mais 18 km de route très fréquentée ne m'attire
pas du tout et, avec Joseph et Louise nous prenons le sentier qui
se révèle très agréable et sans problème
pour un piéton.
Je m'arrête à Villafria, à 5 km de Burgos. Je
crains d'accumuler trop de fatigue avec les longues étapes
précédentes et je laisse mes compagnons continuer
vers Burgos. Ils ont une vitalité étonnante et arriveront
11 jours avant moi à Santiago. Nous prenons un dernier déjeuner
ensemble et nous nous quittons après des adieux émouvants.
Je me repose tout l'après-midi et je ferai un excellent dîner.
Burgos
Petite étape parcourue uniquement en ville,
la banlieue de Burgos s'étendant jusqu'à Villafria.
Errance à travers une ville que je trouve sans attrait pour
arriver à la Cathédrale. On ne peut que s'enthousiasmer
devant la richesse de l'ornementation intérieure, véritable
travail d'orfèvrerie. Mais hélas, ces monuments vieux
de 700 ans ont toujours besoin de réfection et l'intérieur
est encombré d'échafaudages. Dans le transept se trouve
le tombeau du Senor Rodriguo Diaz de Vivar, alias le Cid Campeador.
La ville possède un grand nombre d'églises, restes
de châteaux, rétables, tombeaux, portes anciennes,
monastères et cloîtres et fera le bonheur des passionnés
d'Histoire.
Le refugio est à la sortie de la ville, installé dans
un baraquement sans confort ni possibilité de cuisiner. Il
fait froid et le restaurant proche, qui sert un menu-pèlerin
très parcimonieux , est vide et glacé.
Vers le soir arrive un pèlerin, Jean, qui vient des Landes,
avec un âne tirant une charrette et, en visite, "Bernard-de-Nantes",
que j'avais rencontré à Conques il y a 47 jours. Il
est arrivé à Santiago 30 jours avant moi. Il profite
d'un changement de train à la gare de Burgos pour retrouver
ses souvenirs au refugio.
Hornillos
del Camino
Départ 6h35. Arrivée 11h30. Etape facile
dans un paysage dégagé sous un soleil heureusement
voilé. Une bonne partie du sentier espagnol se fait dans
un paysage entièrement dépourvu d'arbres. Lorsque
le soleil tape dur, la marche doit être éprouvante.
J'avais prévu de circuler la nuit dans ce cas mais, le soleil
ne s'est vraiment montré que l'après-midi et j'étais
toujours arrivé au plus tard à 13 h. Et malgré
le soleil, il faisait souvent frais, voire froid.
Hornillos est un village qui s'aligne le long de la route, sans
commerce, ni bar, ni restaurant. Le refugio est très bien,
tout neuf et on peut y faire la cuisine.
Mais j'ai peu de provisions et je grignote ce que j'ai, sur les
marches de l'église, bien au soleil. Je me prépare
à un jour de presque jeûne. Mais Pierre et sa suite
arrive avec une grosse faim et ils n'ont aucune provision. Il fait
alors, avec Bernadette, l'aller-retour en stop jusqu'au village
le plus proche pour ramener des victuailles. Ils ont pensé
à moi, ont acheté pour 4 et je ferai un excellent
dîner préparé par les deux femmes, pour une
participation aux frais de 12,60 Fr.
Castrojeriz
Une bonne partie du chemin se fait sur un sentier
constitué d'une terre glaiseuse qui colle aux semelles et
qu'il faut enlever tous les trois pas, car on a vite des "bottes"
de plusieurs centimètres d'épaisseur. De ce fait,
la marche est extrêmement éprouvante. Je passe à
9h30 par le village de Hontanas qui possède un refuge superbe
que je visite. Une brave dame vient voir ce que je désire
et me demande si j'ai faim. Réponse affirmative qui me vaut
une appétissante omelette pour quelques pesetas.
A quelques kilomètres du but, le Chemin traverse les ruines
grandioses d'un ancien couvent, San Anton, ruines parfaitement entretenues
et qui font comme un décor de théâtre.
A l'entrée de Castrojeriz, je retrouve deux cyclistes belges
qui m'ont doublé sur la route peu avant l'arrivée.
Il sont arrêtés devant le poste de police et se lamentent,
car il ont retenu une chambre dans un hôtel du village et
personne ne connaît cet hôtel. Histoire belge.
Castrojeriz, c'est une rue très longue sur le versant d'une
colline au sommet de laquelle se dresse un Château en ruine.
La ville fut importante en ce qui concerne les pèlerinages
et l'on est impressionné par le nombre de monuments, hélas
souvent en ruine, qui bordent ce tronçon du Chemin.
Je trouve à la fois une possibilité de faire la cuisine
dans le refuge et des commerces dans le village, ce qui me permet
de faire un bon et gros repas.
Fromista
Départ à 6h30.
Après quelques kilomètres en plaine, il faut escalader
une colline, mais je monte bien. Le chemin est superbe malgré
la pluie qui ne cessera pas.
Gîte spartiate, sans cuisine ni douche chaude. Un groupe de
Brésiliennes, que je retrouve chaque soir depuis quelques
étapes et qui met toujours beaucoup d’animation dans
le refugio, inspecte les lieux et continue, car elles exigent de
l’eau chaude.
Carrion
de los Condes
Départ à 6h. Je marche sans traîner
car il me faut arriver avant midi à Carrion où j’espère
trouver enfin un bureau de poste ouvert et habilité à
payer les postchèques car il ne me reste plus que quelques
pesetas. Il fait frais mais sans vent ni pluie et le soleil se lèvera
dans un ciel légèrement couvert.
Le bureau de poste se trouve à l'autre bout de la ville mais
j'arrive à temps et je reçois des pesetas sans problème.
Le refugio est tenu par le curé de l'église Santa
Maria, mais c'est sa soeur qui, avec prudence, ouvre la porte aux
pèlerins. Le gîte est petit, très soigné
et possède un grand jardin équipé de bancs
et tables qui permettent de profiter du soleil en grignotant ses
provisions. Margarita, la soeur du curé, veille à
la bonne tenue du refugio. Rien ne doit traîner, l'eau chaude
doit être utilisée avec modération et je me
fais rappeler à l'ordre lorsque je remplis une cuvette au
chauffe-eau pour laver du linge.
Je commence parfois à fatiguer et certains départs
sont laborieux mais la forme vient en marchant. Je me repose longuement
tous les après-midi, espérant m'éviter ainsi
un quelconque problème de santé. Il me reste 23 étapes
et près de 400 km.
De son passé pèlerin, Carrion possède encore
un monastère, 7 églises et un hôpital. Il y
aurait eu, au plus fort du pèlerinage, 7 hôpitaux pour
accueillir les peregrinos.
Calzadilla
de la Cueza
Départ à 7h30. Un peu de pluie pour
commencer puis le vent, violent et pénible dans ce paysage
plat.
Après deux heures de marche, devant un entrepôt isolé
en pleine nature, je trouve une Citroën 2 CV camionnette abandonnée
là depuis quelques années d'après les inscriptions
que l'on trouve à l'intérieur. Comme bon nombre de
pèlerins, je m'y installerai pour un casse-croûte à
l'abri du vent.
A Calzadilla, le refugio est ouvert, mais paraît abandonné.
Dortoirs, douches et lavabos sont crasseux. Il y a une cuisinière
mais pas de gaz ni de casseroles.
Le Chemin espagnol est largement équipé en refuges.
Mais la coutume veut qu'ils soient gratuits et, si personne n'est
là pour réclamer les pesetas, la petite boîte
mise en évidence reste souvent vide. Et c'est l'escalade:
comme l'argent ne rentre pas, la commune n'entretient pas le refuge
et, comme le refuge n'est pas entretenu, les pèlerins ne
donnent rien.
Cette gratuité de l'accueil, qui était possible au
temps où l'Eglise recevait de nombreux dons, ne peut être
maintenue aujourd'hui, où les gîtes sont financés
par les communes ou les régions. Il est demandé entre
300 et 500 pesetas aux pèlerins (12 et 21 Fr), ce qui est
nettement inférieur à ce qu'il faut, obligatoirement,
payer en France (en moyenne 40 Fr).
Aucune boutique mais un bar luxueux dans cette bourgade triste et
isolée, où je peux boire mon habituel lait chaud en
me laissant aller à la satisfaction d'être arrivé
jusque là. |
depuis la carte vous pouvez
aller à chacune des étapes, et revenir à la
carte, en cliquant sur le nom de l'étape |
Sahagun
Départ à 7h40.
Je démarre difficilement. Il me faut marcher sans hâte
mais sans répit. Si l’on veut arriver jusqu’au
bout, le but doit devenir obsessionnel.
Il fait beau mais froid. Après 6 km, je trouve, dans le village
de Terradillos, un gîte privé ouvert à tous
vents, mais superbement équipé. Je m'y installe pour
un p'tit dèj' tiré du sac, sans voir âme qui
vive. Le propriétaire, un vieux bonhomme tranquille, viendra
pourtant me saluer et me servir un bol de lait chaud et me vendre
une pomme.
A Sahagun, pas de refugio. Fatigué, je prends le premier
hôtel venu. La ville ayant un riche passé historique,
après un moment de repos je fais du tourisme. Un monastère
y existait dès le XI ème siècle et la légende
fait de Charlemagne le fondateur du monastère et de la ville.
El
Burgo Raneros
Je suis sur le chemin dès
6h30. Toujours un temps frais mais ensoleillé. Pendant 2
étapes, le sentier est une allée spécialement
tracée pour les pèlerins. Parallèle à
la route, mais totalement interdite aux véhicules, on y marche
sans souci de balisage. Des bancs installés à intervalles
réguliers et des aires de repos cassent un peu la monotonie
du parcours.
Magnifique refuge*** tout neuf à El Burgo, superbement équipé.
Je rencontre un routard de 32 ans, Français mais, de parents
Portugais, il se fait très bien comprendre des Espagnols.
Il dit s'appeler Zachari, être en rupture de famille, avoir
voyagé en Inde et travaillé dans un kiboutz en Israël.
Equipé "léger", portant un sac qui semble
presque vide, il va jusqu'à Santiago puis, de là,
au Portugal où ses parents seraient en retraite.
Nous avons une discussion très serrée concernant le
paiement aux refugios, qu'il assure être laissé au
bon vouloir du pèlerin. Il semble qu'il ait convaincu la
dame qui est venue réclamer les 200 pesetas de la nuitée
(8,5 Fr) car il n'a pas payé son écot.
Arrivent au refuge un couple de jeunes allemands qui viennent de
Santiago, parcourant le camino "à l'envers" .
Gisèla et Michaël, de Freiburg/Brisgau avaient décidé,
en 1994, chacun de leur côté, car ils ne se connaissaient
pas encore et habitaient chacun dans une ville différente,
de faire le pèlerinage de Compostelle. Ils ont fait connaissance
à Roncevaux, point de départ commun et se sont retrouvés
au fil des étapes, pour, à un certain moment, ne plus
se quitter jusqu'à Santiago.
Rentrés en Allemagne, ils se sont mariés le 21 avril
1995 et font le pèlerinage dans le sens contraire comme voyage
de noces.
Mansilla
Toujours la belle allée
pour pèlerins sur laquelle Zachari me rattrape. Nous discutons
de l'accueil qu'il reçoit ici ou là en tant que "vagabond"
aux cheveux longs.
Encore un refugio de luxe. Zachari, avec du riz qu'il a dans son
sac et une boîte de moules que j'ai dans le mien, nous cuisine
une sorte de paëlla délicieuse.
Nous faisons la connaissance de Hugues, jeune Belge de 20 ans, également
en rupture de famille, qui recherche des vestiges romains sur le
sentier et exhibe des pièces de monnaie en bronze ou cuivre
qu'il affirme avoir trouvées dans les champs alentour.
Léon
Je suis à Léon
bien avant midi et le bureau de tourisme qui m'assure qu'aucun refugio
n'existe à Léon, m'envoie dans une Fonda toute proche.
Mais c'est jour de fermeture et je cherche vainement une porte ouverte
dans l'immeuble. Après avoir "bricolé" quelques
courtes phrases en espagnol à l'aide de mon manuel, je dois
me résoudre à utiliser l'interphone et j'essaie d'expliquer
qui je suis et ce que je veux. Miracle! la porte s'ouvre et je suis
logé sans difficulté en plein centre-ville, Calle
del Cid, s'il vous plaît! (rue du Cid) et sur le Chemin balisé
qui passe à travers la ville.
Il fait un peu frais, mais il y a un soleil magnifique. Je vais
visiter la Basilica San Isodoro que le guide présente comme
l'un des joyaux de l'art Roman du Chemin, qui contient les reliques
de Saint Isidore. C'est, selon un guide rédigé en
latin vers 1130, l'un des 4 corps de saints auquel les pèlerins
doivent rendre visite sur le trajet espagnol, les autres étant
saint Dominique à Santo Domingo de la Calzada, les saints
Facundo et Primitivo à Sahagun et l'apôtre saint Jacques
à Compostelle.
Je vais chercher le tampon de la cathédrale Santa Maria,
édifice gothique aux vitraux somptueux et, plusieurs bars
ayant installé leur terrasse sur la place de la cathédrale,
je passe une bonne partie de l'après-midi devant un jus d'orange
à me laisser aller au plaisir d'être là, dans
cet environnement superbe, admirant le ballet des cigognes qui planent
en permanence au-dessus du monument.
Villadangos
de Paramo
Départ à 7h30.
Le balisage à travers la ville de Leon est réalisé,
de façon élégante et discrète, par des
coquilles saint Jacques en laiton, scellées dans les trottoirs.
J'arrive à 13 heures, assez fatigué, à Villadangos.
Le refugio est tout neuf et l'équipement de la cuisine très
"moderne": il faut mettre des pièces dans un minuteur
pour avoir du courant sur les plaques de cuisson.
J'achète des provisions, fais ma cuisine et je ne quitte
plus le gîte.
Hospital
de Orbigo
Départ à 7 heures pour un petite étape. Le
chemin est facile et j'arrive à 10 heures.
L’entrée dans Hospital de Orbigo se fait par un pont
d’une rare beauté, véritable monument.
Le refuge du presbytère, tenu par de jeunes allemands d'une
société des amis de St. Jacques, est fermé
et je dois revenir sur mes pas sur près d’un kilomètre
pour aller au bar "Pista" qui donne la clé du refuge
communal et le tampon, contre 300 pesetas, et parcourir encore un
kilomètre pour trouver un refugio superbe mais isolé
en pleine nature.
Pudique, Hospital de Orbigo a prévu une séparation
hommes/femmes, cas unique sur tout le Chemin à partir du
Puy et, soucieux du confort des pèlerins, a installé
pour chaque couchette, des lampes de chevet et des descentes de
lit. Mais pas de cuisine et il faut faire 2 km aller-retour pour
acheter des provisions.
Astorga
A 4 km d'Astorga je m'arrête dans un bar pour déguster
mon habituel leche caliente (lait chaud). J’y suis "interviouvé"
par une brave dame qui parle fort bien français. Elle a travaillé
18 ans en Belgique comme boulangère et voulait sans doute
pratiquer un peu la langue française.
Le balisage mène droit au refugio dont la clé doit
être réclamée auprès d'un établissement
pour handicapés situé à proximité.
Comme la clé n'est pas laissée au pèlerin,
il faut, à chaque sortie, retourner dans cet établissement
et trouver l’handicapé qui possède la clé
et vous accompagne dans son fauteuil électrique jusqu'à
la porte du gîte.
Astorga est une ville très plaisante. Très importante
à l'époque romaine, on y trouvait 21 hôpitaux
-!!!- à la disposition des pèlerins, aux temps fort
du pèlerinage.
Le Palais Episcopal ressemble un peu à un décor de
Disneyland et la "Celda de las Emparedadas", cellule dans
laquelle on enfermait les femmes de mauvaise vie, est vide. Les
moeurs se sont sans doute adoucies, à moins qu'il n'y ait
plus de femmes de mauvaise vie.
Rabanal
del Camino
Etape longue, je pars à 5h30. Très beau chemin au
milieu de genêts en fleurs.
A El Ganso,
village d'aspect très pauvre, je trouve un bar installé
dans une baraque en tôle où l'on me sert une portion
royale de jambon fumé.
A Rabanal, le refugio "Gaucelmo" est tenu par une société
anglaise "Confraternity of Saint James", qui a aménagé
le vieux presbytère en auberge pour les pèlerins (Gaucelmo
fût un protecteur des pèlerins dans ces passages risqués
car très isolés).
J'arrive à
11 h et ce gîte n'ouvre qu'à 15 h selon l'affiche apposée
sur la porte. Je tente d'ouvrir tout de même et...la porte
s'ouvre.
Grosse foule dans le jardin et tout le monde semble étonné
de voir arriver un pèlerin: quelqu'un a dû oublier
de fermer la porte à clé.
Explications en anglais et je crois comprendre qu'il s'agit d'une
fête de famille. Mais devant tant de monde je demande s'il
reste de la place pour moi dans le refuge. On m'envoie alors une
jeune fille qui parle français et qui m'explique que ce groupe
est là pour commémorer l'anniversaire de la mort d'un
de leurs camarades, pèlerin, mort sur le Camino. Ils ne font
que passer, parcourant une partie du Chemin à pied mais suivis
par un autocar qui transporte les bagages et ramasse les traînards.
On m'apporte une tasse de thé mais on me fait comprendre
que le refuge n'ouvre qu'à 15 h et qu'il serait préférable
de revenir plus tard. Je suis sauvé par l'arrivée
d'autres pèlerins et, finalement, tout le monde est admis
à s'installer.
C'est l'un des refuges le plus plaisant du Chemin. Une vaste cuisine
à l'ambiance chaleureuse, très bien équipée,
un salon-bibliothèque, des douches luxueuses, téléphone,
télévision, un dortoir très clair, un jardin
agréable, les Anglais ont bien fait les choses. Et le tampon
est donné sans qu'il soit réclamé de contrepartie.
Il y a une petite boîte mais on fait confiance au pèlerin.
Un tableau affiche le nombre de pèlerins passés dans
l'année: 6437 en 1993 (année sainte) et 4037 en 1994.
Après l'exécution des rites journaliers: -douche,
petite lessive, préparation du couchage- je veux aller à
la recherche d'une "tienda de comestibles" (tienda: magasin)
mais cette fois la porte est bien fermée et les murs qui
entourent la propriété sont trop hauts.
Les placards
de la cuisine proposant des spaghettis et des sachets de soupe,
je me prépare un déjeuner copieux et j'attends tranquillement
15 h dans un fauteuil du jardin.
On a peine à croire que
ce village, qui semble abandonné par endroits et dont l'église
a un peu l'apparence d'une ruine, ait pu être un lieu très
important du Chemin et posséder plusieurs hôpitaux
pour accueillir les pèlerins.
Pas de tienda mais un bar qui vend, me dit-on, des provisions aux
pèlerins. Mais je n'arrive pas à me faire comprendre
et je ferai un dîner "tiré du sac".
Je termine l'après-midi au soleil, dans le jardin du gîte,
en lisant une biographie, en français, de Ste Thérèse
d'Avila, trouvée dans la bibliothèque.
Molinaseca
Le petit déjeuner à l'anglaise fait partie de l'accueil
du refugio et, à 7 h, tout le monde se retrouve autour d'une
table bien mise et abondamment garnie.
Et, pendant ces repas en commun, on retrouve toujours l'ambiance
excellente entre belges, allemands, espagnols, français,
brésiliens, hollandais, anglais ou autres étrangers
selon les jours.
Le Chemin passe par Foncabadon, un village abandonné, ou
rouillent les machines agricoles, puis par la Croix de Ferro à
1500 m d'altitude. Sur un tas de pierres, s'élève
une simple croix de fer fixée au bout d’une longue
perche de bois.
Quand il jette une pierre sur ce tas, le pèlerin perpétue
une tradition que l'on dit antérieure aux Romains. Ce fût
Gaucelmo qui "christianisa" cet antique "monument"
dont la signification n'est pas connue à cause de son ancienneté.
A Manjarin, village également abandonné, on trouve
pourtant un jeune homme, tout seul dans ce village, qui loge et
nourrit les pèlerins. Jean (et son âne), qui a logé
là cette nuit, me dira que l'accueil a été
très fraternel.
El Acebo est un village bien vivant, réjouissant pour le
pèlerin qui vient de faire 16km jalonnés de ruines
dans une contrée aride et désolée.
Au bar, je suis accueilli par
une personne particulièrement aimable qui me prépare
dans l'instant une soupe de légumes, une omelette paysanne
et une salade. Cette performance est particulièrement sympathique,
car il est midi et en Espagne on ne sert le déjeuner qu'à
partir de 13h30.
Je m'arrêterais volontiers ici mais il n'y a aucun refugio,
aussi simple soit-il. Il me reste 8 km à parcourir sous un
soleil dont la chaleur est tempérée par un vent frais
d'altitude, le parcours se situant à environ 1300 m.
Ragaillardi par ce bon repas et l'ambiance du bar, je repars sans
trop me presser et, à Riego de Ambros, je trouve à
la sortie du village un bar dont les parasols de la terrasse m'attirent.
Je reste là une heure à grignoter des olives, profitant
du calme de l'endroit, de la beauté du paysage et du soleil
dont la chaleur m'engourdit délicieusement.
Il faut traverser toute la ville de Molinaseca pour arriver au refugio
tout neuf, dont l'agencement bizarre a dû sortir de la cervelle
d'un architecte quelque peu illuminé. Circuler dans ce refuge
nécessite une grande souplesse et une attention constante
si on ne veut pas louper l'une des multiples marches qui permettent
d'accéder aux "gradins" qui entourent la cuisine-salle
commune. Il fait très beau mais un vent assez violent empêche
de profiter de la terrasse.
Ponferrada
Ce sera une petite étape et je ne pars qu'à 8h, quittant
le refuge le dernier.
Le balisage conduit droit au refugio dont l'adresse était
indiquée au gîte de Molinaseca mais il est fermé
et semble abandonné quoique le guide indique que, dans ce
refuge de la paroisse de la Encina, les pèlerins sont accueillis
chaleureusement et fraternellement.
Je vais en ville oû l'on m'indique un refuge qui n'ouvre qu'à
18 h et semble prévu pour les SDF. Un brave homme qui avait
dû m'entendre parler français lors de mes demandes
de renseignements, m'aborde et, dans un français rudimentaire,
me fait comprendre que, s'il peut m'aider... C'est tout simple:
un logement à prix réduit. Il
m'emmène dans une petite rue proche ou une dame charmante
me loge pour 1500 pesetas (environ 60f).
Plusieurs “tienda de comestibles” sont ouvertes et je
peux faire un pique-nique agréable au pied du Castillo de
los Templarios, superbe témoignage de la présence
de l'ordre des Templiers.
Cacabelos
Il faut que je trouve de nouveau un cordonnier pour redresser le
talon de ma chaussure gauche. Pas de cordonnier dans le premier
village mais à Cacabelos, alors que je m'applique à
demander, en espagnol, s'il y a un “zapatero”, mon interlocuteur,
dans un français impeccable, me répond: "vous
cherchez un cordonnier ?", mais il est là, juste au
coin de la rue. Je vais avec vous".
Ce brave homme est un Espagnol qui a travaillé en France,
et qui y vit depuis 36 ans, mais qui vient passer ses vacances de
retraité en Espagne, dans une maison héritée
de ses parents.
Grâce à lui, la réparation sera faite dans l'heure,
pour 13 Fr. Pendant ce temps, mon compagnon de rencontre me fait
visiter le village, en particulier une auberge au décor superbe,
où sont fabriqués et vendus des produits du pays,
charcuterie, conserves en tous genres, vins, miel. Ici, me dit-il,
les gens vivent de la vigne, sont riches et en fin de semaine l’auberge
est toujours pleine..
Les pèlerins sont logés dans le gymnase, en dehors
de la ville, et je préfère l'hôtel.
Comme je suis parti à 6h et que je suis arrivé à
10 h, j'ai presque une journée de "libre" et je
visite Cacabelos tout l'après-midi.
Le Chemin qui traverse les villages
et les petites villes, emprunte toujours la "Calle Mayor",
la rue principale. Cette rue est toujours soigneusement pavée,
les maisons bien entretenues, et la circulation automobile inexistante.
C'est donc un lieu de passage agréable pour le pèlerin
qui y trouve souvent l'église, le refugio et un bar. A Cacabelos,
la Calle Mayor est superbe, large et surtout fleurie, ce qui est
exceptionnel sur mon parcours.
Villafranca
del Bierzo
J'arrive à 9h au refugio du Senor Jato, lequel refugio est
une curiosité du chemin. Située sur les hauteurs de
la ville, à coté de l'église Santiago, une
grande tente en plastique abrite bar, toilette, douche, dortoir,
dans une ambiance de campement spartiate que l'on peut trouver sympathique
si l'on n’est pas un inconditionnel de l'ordre et de la propreté.
Il fait beau mais un vent froid souffle toujours et la tente laisse
passer tous les courants d'air.
La paillasse à côté de la mienne est occupée
par un bonhomme sans âge bien défini, qui me dit faire
le Camino pour la 26ème fois. Pour l'heure, il loge ici depuis
un mois et dit payer sa pension en travaillant pour le sieur Jato.
Par ailleurs il serait berger quelque part en France.
Je descends visiter la ville, une de celles qui virent le jour et
acquirent de l'importance grâce au chemin de St. Jacques.
On peut y admirer l'hôpital Santiago, le Château des
marquis de Villafranca, le couvent de la Anunciada, la superbe collégiale
de Santa Maria de Cruego, la magnifique église San Nicolas
et l'église San Francisco, qui rappelle le passage de saint
François d'Assise pendant son pèlerinage à
Compostelle. Le sentier du pèlerinage suit la très
plaisante Calle del Agua qui traverse toute la ville.
J'achète quelques provisions et je remonte déjeuner
"sous la tente".
Nous sommes plusieurs pèlerins à attendre le repas
de 13h30 mais Maria Jato ne s'affole pas. A 14h45 elle vient me
demander si je veux déjeuner tout de suite, ce que je confirme,
sans que cela semble la bousculer.
L'après-midi, un visiteur discute avec Jato, qui lui présente
un plan de bâtiment.
Ce visiteur, qui parle un très bon français, viendra
discuter avec moi et m'expliquera que, ayant travaillé toute
sa vie et gagné beaucoup d'argent, il désire en faire
profiter les pèlerins de St Jacques, et cherche un endroit
pour construire un refugio. Pour savoir ce qu'il doit faire, il
fait le tour des refuges afin de se faire une idée précise
à propos des aménagements.
Il me raconte que Jato veut remplacer sa tente par une construction
en dur mais qu'il se heurte à des problèmes avec la
municipalité de Villafranca, laquelle a déjà
construit un refugio, il y a deux ans, situé face à
l'église Santiago, à 100 m de celui de Jato, très
bien équipé mais qui n'a jamais été
ouvert aux pèlerins.
Jato, qui est là depuis des années, et dont le refuge
est le gagne-pain, s'oppose à ce refuge municipal, mais l'Organisation
nationale du Camino n'accepte pas la "méthode Jato",
car, selon l'éthique du Chemin, on ne doit pas faire de commerce
dans les refugios. Mais, chez Jato, on ne peut s'approcher du comptoir
de la salle commune sans que l'une de ses filles ne se précipite
pour vous demander "qu'est-ce que je vous sers?" et une
boutique propose coquilles St. Jacques, bâtons de pèlerins,
pin’s, cartes postales et autres bricoles souvenirs.
Vega
de Valcarce
A 6h30 je suis sur le départ. Il fait très frais mais
monsieur Jato est debout et je peux boire un lait chaud avant de
partir.
Je fais une halte dans un village
pour une petite collation, en compagnie de 2 hollandais qui me disent
faire des étapes de 35 à 40 km.
A Vega, le refugio est situé en hauteur, au centre-ville,
et offre une vue superbe. Refuge simple, sans cuisine ni eau chaude
mais sympathique tout de même. Une grande pancarte indique
aux pèlerins que le manque d'équipement est dû
à la pingrerie du Conseil Général de la région.
Mais la petite boîte qui, d'ordinaire, est à la disposition
des pèlerins pour leur obole, est remplacée par une
petite poubelle métallique et ne contient que quelques pièces
de faible valeur.
Le village est très vivant et possède plusieurs bars
et deux commerces d'alimentation.
J'aurai deux compagnons pour la nuit. André, Hollandais,
43 ans mais l'allure d'un collégien. Il est parti de Hollande
le 1er avril. Pour avoir le temps de faire son trajet, il a cumulé
les vacances 94 et 95, ajoutées à un mois de congé
sans solde. Il a traversé la France sans suivre de balisage
et m'explique que, si une carte a suffi pour le parcours Hollandais
et 2 pour traverser la Belgique, il lui en fallut 11 pour traverser
la France.
Antony, 49 ans, me dit qu'il est Gallois en précisant bien
: du pays de Galles et il ne semble pas apprécier quand je
lui explique qu'en France on appelle "Anglais" tous les
sujets d'Elisabeth.
Ils se sont rencontrés à Roncevaux, marchent chacun
à son rythme et se retrouvent aux étapes. Eux aussi
me disent faire 35 à 45 km par jour. Je retrouverai le Gallois
devant la cathédrale de Santiago.
O
Cebreiro
Départ à 7h15. Le temps est beau mais il fait très
froid. Le Chemin est tracé dans un magnifique paysage montagneux,
fleuri de genêts et offrant des points de vue superbes. Je
grimpe facilement -une température fraîche m'est très
favorable- et j'arrive à 11 h à O Cebreiro, situé
1300 m d'altitude.
C'est un hameau très soigné dont on garde le caractère
“préhistorique“ en entretenant particulièrement
les chaumières rondes au toit de chaume.
La petite église Santa Maria est attenante à d'anciennes
dépendances du monastère qui ont été
transformées en auberge.
Le gîte est fermé
et la jeune fille du bureau de tourisme me dit que tous les refugios
de Galice, c'est à dire du Cebreiro jusqu'à Santiago,
n'ouvrent qu'à 16h, ce qui se révèlera exact,
et me remet une documentation sur le réseau des auberges
du Chemin de St. Jacques en Galice.
Tous les refugios que je trouverai désormais seront neufs
et impeccablement tenus.
Il fait très froid et, après avoir visité le
village, je passerai l'après-midi dans un bar , après
y avoir déjeuné avec un jeune Hollandais de 27 ans,
Daniel, parti de Vézelay le 27 Avril.
Le refugio
est tout récent, la cuisine possède deux plaques de
cuisson et une machine à laver le linge mais aucun ustensile
pour cuisiner. Heureusement, l'auberge me servira un repas copieux
et excellent. |
depuis la carte vous pouvez
aller à chacune des étapes, et revenir à la
carte, en cliquant sur le nom de l'étape |
Triacastela
La montagne est dans les nuages. Dommage car je ne pourrai pas
profiter du paysage.
A 13 h je suis au refuge de Triacastela qui se trouve à
l'entrée de la ville, dans un environnement "nature"
superbe et qui est, comme prévu, fermé jusqu’à
16h.
Je rentre en ville, déjeune, fais quelques commissions
pour mon dîner, car le refugio est assez loin du centre-ville
et je ne désire pas faire l'aller-retour une nouvelle fois.
Le refuge n'offre que des dortoirs, pas de cuisine. Entouré
d'arbres et de pelouses, possédant un salon/véranda,
ce refugio est un coin vacances délicieux. Je dîne,
enfoncé dans un fauteuil de la véranda, de conserves
de moules et coquilles St. Jacques, de pain, de yaourt et de fruits.
Barbadelo
Dès 7h je suis sur le très beau chemin, et à
midi j'arrive à Sarria, à 4 km de Barbadelo. J'achète
des fruits et je m'installe à l'ombre de l'église
pour ce frugal déjeuner. Rien ne presse. Le refugio n'ouvre
qu'à 16 h et il ne me reste qu'une heure de trajet.
La documentation qui m'a été remise à O Cebreiro
ne dit rien de l'environnement "pratique" des refugios.
Je ne sais donc pas si je trouverai des magasins d'alimentation
ou des bars là ou se trouve le refuge.
Au poste de police de la Rúa Mayor, qui fait office également
de bureau de tourisme et donne le tampon, on me dit qu'il n'y
a ni boutiques ni restaurants à Barbadelo. Comme, depuis
O Cebreiro, les refuges n'ont, soit pas de cuisine soit une cuisine
non utilisable, je fais donc des provisions "froides":
fruits, conserves de fruits de mer, oeufs que je mange crus, fromage
et pain.
J'ai toujours dans mon sac, depuis quelque temps, un paquet de
spaghettis et du beurre, ce qui me permet de faire un repas plus
consistant si je trouve une cuisine équipée de casseroles.
Et les spaghettis mélangés avec des moules en boîte,
que l'on trouve couramment ici, me font une sorte de paëlla
dont je me régale.
Barbadelo, c'est le refugio, une ferme qui ne montre aucune activité,
une église Romane ravissante mais fermée, un point
de vue magnifique et le calme absolu.
Arrivent aussi deux jeunes femmes en VTT, un couple allemand dont
la femme traîne misérablement ses pieds douloureux,
et un couple espagnol qui marche en portant, comme les anciens
pèlerins, un long bâton auquel est accroché
un semblant de gourde.
Seuls les allemands n'ont
pas de provisions et la jeune femme qui a ouvert le refugio, compatissante,
va "aux courses" pour eux. Pas de provisions dans le
sac mais des boîtes de bière que notre bonhomme videra
consciencieusement pendant les deux heures que mettra notre hôtesse
pour rapporter les victuailles.
Portomarin
Exceptionnel sur le Camino: pour 12 fr il nous est proposé
un petit déjeuner et toute la bande se retrouve à
8h autour d'une table garnie de pain, confiture, thé et
chocolat.
Le chemin est extrêmement plaisant, ombragé, et passe
par une vingtaine de hameaux sympathiques mais sans vie apparente.
A Ferreiros je fais une halte dans un bar tenu par un jeune homme
qui réalise des objets en cuir. Ma ceinture, en plastique,
se désagrégeant, je lui demande s’il peut
m'en fabriquer une en bon cuir, ce qu'il fait dans l'instant.
A Mirallos, un kilomètre plus loin, une ravissante petite
église Romane, juste en bordure du Chemin. Elle est ouverte
et une messe est en cours, à laquelle j'assiste. Une coutume
particulière qui me surprend: vers la fin de la cérémonie,
chaque participant serre la main de son voisin.
Portomarin est une ville toute neuve, reconstruite sur une hauteur
après que l'ancien village ait été noyé
sous les eaux d'un lac artificiel vers 1960. L'imposante église-forteresse
San Nicolás a été "démontée"
et reconstruite au centre de la ville et l'on s'étonne
qu'un bâtiment aussi gigantesque ait pu être l'objet
d'un tel travail de démontage/remontage sans qu'aucune
trace de cette opération n'apparaisse. D'autres éléments
anciens, tels que le portail roman de l'église San Pedro
et la chapelle de la Virgen de las Nieves, ont aussi été
transportés et intégrés dans d'autres constructions
pour perpétuer le souvenir de la vieille ville.
Palas
de Rei
Départ à 6h30 pour une longue étape. A 11
heures, je suis à 7 km de Palas et je m'arrête à
Eirexe au pied d'un arbre, bien calé dans une anfractuosité
du tronc. Le soleil est très chaud et je somnole ainsi
pendant un long moment.
Vers midi, je suis réveillé par une dame qui me
demande si je veux déjeuner. Bien sûr! Je la suis
jusqu'à la maison voisine où elle me sert un repas
copieux. D'autres pèlerins arrivent et sont également
servis. Comme il n'y a aucune indication signalant que ce lieu
est un restaurant, la dame doit aborder les pèlerins et,
comme le sentier passe devant chez elle, les clients ne manquent
pas.
Après un arrêt très long, je repars sous le
soleil au zénith et j'arrive à Palas à 15h15.
Le parcours d'aujourd'hui s'est fort bien passé et, à
part la dame de Eirexe qui a échangé mes sous contre
un repas, personne n'a essayé de me “détrousser”
d'autres façons. Mais si l'on en croit la chronique racontée
par un très ancien guide qui mettait en garde les pèlerins,
il n'en pas toujours été de même. En dehors
des loups et des bandits de tout acabit, le pèlerin pouvait
rencontrer des fripons qui se présentaient sous des apparences
plus agréables.
Ce que disait cet ancien guide du pèlerin:
“Les servantes des hôteliers du chemin de St. Jacques
qui, par goût de séduction et aussi pour se faire
un peu d'argent, se mettent pendant la nuit dans le lit des pèlerins,
inspirées par le diable, sont absolument blâmables.
Les prostituées qui, pour la même raison, sortent
à la rencontre des pèlerins dans des lieux sauvages
entre Portomarin et Palas de Rei, non seulement doivent être
excommuniées, mais aussi dépouillées de tout
et exposées, après leur avoir coupé le nez,
au blâme public”. On était alors sans pitié.
Le pèlerin d’aujourd’hui peut-il prétendre
continuer la lignée de ceux qui ont parcouru le Chemin
il y a 1000
ans ? Pas de loups, pas de bandits, pas de ”catins sataniques”,
des chemins balisés, des ponts sur les rivières,
des vêtements légers et étanches, des chaussures
qui permettent de faire 2000 km sans réparations. Difficile
de ressentir leurs difficultés, leurs peurs. Difficile
aussi de ressentir la foi qui les lançait sur un chemin
dont ils connaissaient les dangers et dont, sans doute, beaucoup
ne sont pas revenus.
Je suis très fatigué, j'ai terriblement sommeil
et, après un long repos, j'irai dîner au restaurant,
d'une soupe et de poissons, avant de dormir une longue nuit. L'étape
de demain ne fait que 14 km et je ne partirai qu'à 8h30.
Mellide
Soleil sans nuages mais vent fort et froid. Le sentier est plaisant,
en sous-bois souvent, sur un terrain sablonneux.
A un carrefour, un groupe de randonneurs espagnols est en train
de casser la croûte. Je m'arrête près d'eux et
je peux discuter avec le plus vieux, étonnant de vitalité,
qui m'annonce fièrement qu'il a 68 ans et qu'il essaye de
secouer un peu les jeunes, qu'ils "traînent "sur
quelques étapes du Chemin et dont l'un est son fils. Il parle
très bien français et se présente comme ayant
été professeur de philosophie.
Le vent est tombé et il fait chaud sans excès. Je
chemine tranquillement et j'arrive à Mellide à l'heure
locale du déjeuner, que je prends au restaurant "Die
Zwei Deutsch" (Les deux allemands).
Arzua
Le temps est beau, et seulement frais. Le sentier continue d'être
extrêmement plaisant, serpentant fréquemment en sous-bois
et traversant de nombreux villages. Depuis O Cebreiro, plus de plaines
infinies ni de grandes distances sans villages.
Pour obtenir la Compostelle une fois arrivé à Santiago,
il suffit d'avoir parcouru à pieds, en vélo ou à
cheval, 150 km. Comme il y en a 152 depuis O Cebreiro, nombre de
pèlerins peuvent obtenir cette Compostelle en parcourant
la partie la plus agréable du Chemin espagnol. (Cette distance
est maintenant de 100 km)
Je suis à Arzua en fin de matinée. Le refugio est
à la sortie de la ville qu'il faut donc traverser, ce qui
tient lieu de visite. Allongé au soleil sur le pré
devant le refuge, je laisse passer le temps. Dans deux jours je
serai à Santiago. Cette fin m'apparaît plus comme un
soulagement que comme une victoire et j'en suis presque à
me demander si j'ai vraiment fait un tel parcours.
Je vais déjeuner en ville et ensuite flâner sur la
place où je rencontre un Hollandais parti de St. Jean Pied
de Port. Dès l'ouverture du refuge, je prends une bonne douche
bien chaude et je fais ma lessive dans un lavoir à l'ancienne
situé à côté du refuge.
Dîner avec Pierre, Bernadette et Solange dans un restaurant
tenu par un Italien qui parle un français impeccable et qui
nous sert dès 20 h au mépris des usages locaux.
Arca
(O Pino)
Départ à 7h. Temps toujours beau et frais et chemin
toujours plaisant. Depuis quelque temps des bornes jalonnent le
sentier et indiquent, tous les 500 m, les kilomètres restant
jusqu'à Santiago. A 8h30 je passe à Calle devant une
borne qui me dit qu'il reste 29,2 km à parcourir.
Un peu plus loin, un monument rappelle aux pèlerins que Guillermo
Watt, peregrino, est mort ici à l'âge de 69 ans, à
une journée de Santiago, le 25 Août 1993, année
Sainte (année dont la St. Jacques -25 juillet- tombe un dimanche).
O Pino,
le dernier refugio, sera l'un des 4 refuges du Chemin espagnol où
l'accueil est chaleureux.
Et, en plus, la cuisine étant très bien équipée,
Bernadette et Solange peuvent préparer le repas pour tout
le monde.
Demain je serai à Santiago. Maintenant je suis très
pressé d'arriver et, comme je me réveille généralement
plusieurs fois dans la nuit, je décide de partir au premier
réveil.
Santiago,
9 juin 1995 après 80 jours de marche
Je me lève à 2h45.
Douche, dernier
bourrage du sac et petit déjeuner sur le pouce. La lune,
basse sur l'horizon va bientôt disparaître et je suis
la route dans la nuit noire. Vers 6 h, il commence à faire
jour et je peux alors rattraper le sentier.
Au Monte del Gozo, à 3 km de Santiago, on passe devant l'immense
"refugio", le Centre Européen de Pèlerinage,
qui peut recevoir 2768 pèlerins dans des logements en dur
et 1600 sous tentes de camping.
Un peu plus bas, au départ des cars, je rencontre 2 Hollandais
(j'aurai vu beaucoup de Hollandais), qui ont fait le pèlerinage
en vélo et qui vont prendre le train pour la Hollande.
L’arrivée dans la ville se fait à travers des
faubourgs très ordinaires et à 7h45 j’atteins
la pancarte Santiago. Je suis fatigué et ma jambe droite
me fait mal. Depuis quelque temps, après une ou deux heures
de marche, je ressens une sensation de brûlure sur toute la
longueur de la cuisse droite.
Curieusement, cette douleur disparaîtra dès mon arrivée
et ne reparaîtra plus, même lorsqu'après mon
retour je ferai de longues marches.
Mais, pour l'heure, j'ai mal et je suis fatigué. Juste avant
la pancarte il y a un bar et je m'y installe pour une demie-heure.
Retour sans poésie à la vie de tout le monde dans
ce bar où défilent des employés qui viennent
boire le café qui les réveillera.
J’aurais voulu, comme à St Jean Pied de Port ou à
Pampelune, arriver à Santiago en passant une antique porte
donnant accès à la vieille ville et à la cathédrale
par des rues étroites et moyenâgeuses.
Mais je déambule dans des faubourgs sans attrait à
la recherche de la cathédrale que je découvre par
la Plaza Platerias alors que la façade imposante se trouve
Plaza del Obradoirio.
Que Dieu et Saint Jacques me pardonnent, mais je ne ressens aucune
émotion.
Dés le premier jour, et souvent le long du Chemin, j’ai
eu peur de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout. Le Ciel m’a
cependant donné la possibilité de marcher 80 jours
et d’arriver sans problème à cette destination
ambitieuse. Mais peut-être s’est-il écoulé
trop de temps depuis le départ, peut-être ai-je accumulé
trop de fatigue ?
Pourtant, dès cet instant, je ne ressens plus aucune lassitude.
Mon corps, comme brusquement libéré d’un poids
trop lourd, se fait complètement oublier.
Je regarde les gens qui s’agitent autour de moi. Ils ont l’habitude
de voir des pèlerins et m’ignorent.
Mais demain, ceux qui iront à la messe des pèlerins
à la cathédrale, entendront le récitant, lisant
la liste des pèlerins arrivés la veille, dire que
Gilbert Bon a marché du Puy en Velay à Santiago.
Allons, l’orgueil ne sied pas à un pèlerin.
Dans les derniers réfugios j’ai trouvé une publicité
pour un logement, Calle Fonceca, l’une des rues qui entourent
la cathédrale. Comme j’arrive tôt, tout est libre
mais, avant de poser mon sac pour la dernière fois, je vais
à la” Casa del Dean” toute proche chercher ma
“Compostelle”,
“diplôme” remis aux pèlerins depuis le
XIVème siècle. Et c’est en latin qu’on
peut y lire que “Gilbertum” Bon a fait le pèlerinage
de Compostelle.
Je vais maintenant profiter du plaisir d’être là.
Douché et chaussé léger, je vais flâner
dans les petites rues alentour, rúa do Vilar et rúa
do Franco, ces petites rues moyenâgeuses que je voulais trouver
en arrivant.
A midi, à la messe du pèlerin, j’assiste, ébahi,
à l’envolée du “botafumeiro”, gigantesque
encensoir en argent, pesant plus de 50 kg.
Accroché à la voûte de la cathédrale,
l’encensoir est mis en mouvement par 8 hommes qui agissent
simultanément sur des cordes attachées à la
corde principale dont la longueur est de près de 25 m.
L’arrivée de l’encensoir, son accrochage à
la corde qui pend sous la voûte, le positionnement des 8 hommes
(tiraboleiros en galicien) et la mise en mouvement de l’encensoir,
se présente comme un spectacle bien rôdé, extrêmement
spectaculaire et s’exécute sous la direction d’un
“maître de jeu”.
L”encensoir s’envole une dizaine de fois jusqu’à
atteindre la position horizontale.
L’hôtel***** des Rois Catholiques offrant un repas aux
10 pèlerins les premiers arrivés, je me présente
à l’heure prévue et je fais un excellent déjeuner,
servi à la cuisine sur un plateau et dégusté
dans la salle à manger pour peregrinos, petite pièce
malpropre, contrastant avec le luxe de l’hôtel. Ce sera
le dernier repas que je ferai dans une ambiance “Camino”,
entre Anglais, Espagnols, Français et Hollandais.
Je vais enfin rendre visite à l’Apôtre, dont
les reliques sont conservées dans un coffret d’argent
placé dans la crypte de la cathédrale, sous l’autel.
Ici finit le pèlerinage pour le randonneur-pèlerin
que je suis, car je prendrai le train pour le retour. Mais une fois
encore je pense aux vrais pèlerins de l’An Mil qui
devaient revenir à pied.
Ce qui rend cette randonnée si particulière, c’est
qu’elle se fasse sur le parcours d’un pèlerinage
inscrit dans l’histoire.
Et sur ce parcours, le randonneur devient un Pèlerin, ce
qui lui confère un statut particulier, lui vaut une déférence
et un accueil que l’on ne trouve pas sur les kilomètres
de sentiers que j’ai parcourus auparavant.
Gilbert Bon
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