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Valcarlos

Il pleut et j'arrive dégoulinant pour me présenter au premier hôtel venu. Ouf! la dame qui me reçoit parle français. Elle n'a pas de place pour moi et m'envoie chez un particulier à l'autre bout du village qui n'a pas de place non plus et me conduit chez un voisin. Explications compliquées jusqu'à ce qu'un brave homme qui parle quelques mots de français réussisse à me faire accepter.

J'ai une chambre à l'ancienne avec un lit très haut. Je ferai sécher vêtements et lessive devant le feu de la cheminée du séjour et je pourrai dîner et avoir le petit déjeuner chez le premier particulier.

Le village n'a d'autre intérêt que d'être situé dans une nature magnifique et je crois comprendre que toutes les possibilités de logement sont réservées aux touristes. Mais je ne vois personne dans le village et il pleut par intermittence. Je rentre donc potasser mon manuel de conversation franco-espagnol, mais il me faudra quelques jours de fréquentation des indigènes pour oser sortir quelques phrases.

Roncevalles

Parcours très agréable. Le chemin quitte fréquemment la route pour des sentiers superbes. Il fait très beau et je me promène comme un gamin faisant l'école buissonnière.

Au col, des policiers encagoulés contrôlent les voitures, mais le pèlerin est ignoré. J'arrive vers midi au monastère. La langue commence à être un obstacle. Le brave abbé qui me reçoit ne connaît pas un mot de français et je feuillette désespérément mon manuel sans rien trouver qui puisse m'aider.

Je vais maintenant à “Santiago” en suivant le “Camino”, il me faudra demander où se trouve “l'albergue” (ou refugio) de “peregrinos” pour me loger et la carte de pèlerin s'appelle désormais "crédencial".

J'obtiens tout de même le tampon, une liste des hébergements possibles en Espagne, et que l'on me conduise là où peuvent loger les pèlerins. Je comprends aussi qu'il y a une messe des peregrinos à 18 h.

C'est dimanche, il y a énormément de monde sur le site et l'église est envahie d'une foule de visiteurs bruyants qui flashent à tout-va.

Roncevaux, dans la mémoire des Français, c'est Charlemagne, et Roland appelant au secours mais c'est le pèlerinage qui a pérennisé le site.

Le monastère a été fondé en 1132 par l'évêque de Pampelune, pris de pitié devant le sort des pèlerins victimes de la neige et des loups. Les pèlerins y étaient nourris et soignés et avaient à leur disposition coiffeur et cordonnier.

Sa fonction d'accueil ne diminua qu'à partir du 17ème siècle mais est toujours présente. Un hôtel plein d'étoiles, un restaurant abordable mais pris d'assaut par la foule du dimanche, une boutique de souvenirs et un bureau de tourisme, c'est, avec les bâtiments du monastère, tout le village de Roncevalles.

La jeune fille du tourisme parle fort bien le français. Je lui demande de m'écrire en espagnol quelques mots et phrases qui m'ont semblé utiles, ce qu'elle fait volontiers. Au magasin de souvenirs je trouve un guide du Camino, en français, qui se révélera très exact en ce qui concerne les distances et le tracé du parcours, mais fantaisiste pour les réfugios, en indiquant certains qui n'existent plus, d'autres qui n'existent qu'en projet et oubliant certains de ceux qui sont bien là.

Est également oubliée, ou indiquée incomplètement, l’existence de boutiques d’alimentation et de restaurants. J’arriverai donc chaque jour dans un lieu où je serai à peu près sûr de trouver un logement, mais j’ignorerai souvent si je pourrai me nourrir ou non.

Je porterai toujours quelques provisions dans mon sac, mais assez peu pour des questions de poids, et j’aurai souvent une vie très frugale.

En plus du changement de langue, il y a un changement de rythme de vie, qui me perturbera beaucoup. Dans les restaurants, le déjeuner est servi de 13h30 à 15 h et le dîner de 20h30, voire 21 h, à 22 h. Les bureaux de poste ou les banques peuvent ouvrir de 10 à 14 h et rester fermés pour le reste de la journée. Certains refugios n'ouvrent qu'à 16 ou 18 h. Ce ne sera que vers les derniers jours que je saurai enfin organiser mon temps en fonction de ces horaires.


Le refugio de Roncevalles met une cuisine bien équipée à la disposition des pèlerins mais il n'y a aucune boutique pour se procurer des victuailles et je n'ai pas de provisions dans mon sac. Il me faudra faire une "queue" de 1 h pour déjeuner.

A 18 h j'assiste à la messe des pèlerins dans une église surchargée de dorures, décor inhabituel pour moi qui fréquente depuis 30 ans les églises et les temples alsaciens particulièrement dépouillés.

Nous sommes une dizaine de peregrinos alignés devant les officiants et j’entends avec émotion la supplique finale: priez pour nous à Compostelle.

Larrasoana

Le chemin n'offre aucune difficulté. Le balisage rouge et blanc du GR français est doublé par les flèches jaunes, les bornes spéciales et les pancartes grand format du parcours espagnol et, jusqu'à Santiago, à part deux ou trois passages délicats, les marques seront partout nombreuses et très visibles.
Il fait un temps magnifique. A trois kilomètres du but je quitte le sentier pour trouver un restaurant dans lequel je m'arrête longuement. Je viens de faire 23 km sans arrêt et j'ai besoin de repos.

Le maire de Larrasoaa est un fan du Camino (et il s'appelle Santiago). Il s'occupe du refugio avec l'amour d'une mère pour son enfant et reçoit les peregrinos très chaleureusement. Le pèlerin trouve là un gîte impeccable avec une cuisine complète. C'est la fête du Travail, les boutiques sont fermées et c'est le bar du village qui me fera un excellent dîner.

Le village est charmant et tranquille. C'est un lieu de passage obligatoire du Chemin depuis toujours et on y accède par un pont appelé le Pont des bandits, allusion aux voleurs qui détroussaient les pèlerins obligés de passer par là.

Les deux chapelles du village rappellent que deux confréries accueillaient les pèlerins jusqu'au 18ème siècle.

Pampelune-Cizur

Départ à 6h30. J'avance vite, d'abord sur la route puis sur un chemin superbe. Le temps est toujours magnifique. A Villava, grande agglomération avant Pamplona, il faut que je me débrouille pour demander où est la poste (correos) afin d'acheter des timbres pour expédier quelques cartes postales.

A la sortie de Villava, un superbe chemin piétonnier équipé de bancs me conduira jusqu'à Pamplona.
Moment de grosse émotion lorsque, après le passage d'un antique pont -levis, j'arrive dans la vieille ville, superbe avec ses vieilles rues étroites, ses maisons centenaires admirablement entretenues. Il est 10h30 et tout est calme. Je vais à la cathédrale toute proche faire tamponner ma crédencial.

Une fois de plus je regretterai de ne pouvoir ajouter la fatigue des visites à la fatigue du chemin mais je profiterai du spectacle de cette ville en la traversant lentement. Le chemin vers Cizur est une promenade aménagée et je marche tranquillement, savourant le paysage et le beau temps.

Un couple accompagné d'un jeune homme m'arrête et me demande d'où je viens. Admiration de la dame qui s'étonne qu'un vieux bonhomme traînant la jambe puisse venir de si loin pour aller encore si loin et satisfaction du vieux bonhomme qui se laisse admirer.

Isabel Roncal a construit un refugio dans le parc de sa propriété et reçoit chaleureusement les pèlerins. Je pourrai cuisiner après avoir été chercher des provisions au village voisin et j'aurai tout le temps de profiter du soleil, du parc et de la conversation de la senorita Isabel.


Il y a une cidrerie dans le village, qui fait restaurant et dont l'ambiance, selon Isabel, est typique.
Mais, sauf obligation, je vivrai frugalement sur le Camino et je n'irai donc pas déguster le cidre. Le village n'a d'autre intérêt que ses deux églises. Mais, comme la plupart des églises du Chemin, elles sont fermées.

Puente la Reina

Départ 6h30. Encore un sentier superbe. La grimpette au sommet du Alto de Santa Maria -780 m- est facile et le point de vue magnifique.

Le chemin espagnol est souvent très différent du chemin français car il passe fréquemment au milieu de paysages dégagés avec de nombreux points de vue admirables alors que le sentier français passe la plupart du temps en forêt. Mais il est aussi, paradoxalement, beaucoup plus fatiguant, car tracé sur un sentier souvent rectiligne et peu escarpé. On y marche donc sur un rythme régulier et monotone qui finit par devenir lassant.

Rencontre avec un couple de touristes qui chemine tranquillement. Lui, s'arrête constamment pour "camescoper", elle, attendant patiemment qu'il veuille bien continuer à marcher. Lorsque j'arrive à leur hauteur ils m'abordent, désirant savoir d'où je viens et où je vais. J'apprends ainsi qu'ils sont Hollandais, qu'ils sont également pèlerins sur le Chemin qu'ils parcourent à raison de 400 km par an depuis la Hollande. Nul ne les verra jamais dans les refugios car ils logent en camping-car et s'organisent de la façon suivante: depuis l'étape de départ ils emmènent le véhicule à l'étape suivante et se font ramener en taxi au point de départ, recommençant chaque jour le même processus.

Le gîte, bien équipé, est tenu par une congrégation de religieux, les pères Reparadores. L'accueil, fait par des jeunes est sans chaleur, très administratif, la crédencial est exigée d’emblée, et le nom du pélerin inscrit sur un registre. Essai de discussion avec un Espagnol qui est parti de Lourdes.

Le village est très commerçant et très "couleur locale". Nombreuses boutiques où l'on vend des coquilles et des bâtons de pèlerins et la référence au Chemin est souvent présente dans les noms de rues et les enseignes.

Estella

A 6h35 je suis sur le sentier. Je traverse 5 ou 6 hameaux déserts et, après l'un d'eux le long d'une antique chaussée romaine, se trouve une borne qui indique "Santiago 621 km

Pas de refugio à Estella mais un hôtel qui a des dortoirs pour 600 pesetas (100 pta = 4,2 Fr), ce qui me convient parfaitement.

La vieille ville est très plaisante avec ses étroites rues piétonnes, ses places à arcades et ses multiples boutiques. Comme beaucoup de petites villes que je traverserai, Estella conserve quelques vestiges d'un riche passé historique ou religieux et l'on peut encore admirer l'église San Pedro et deux galeries de son cloître, ainsi que le Palais des Rois de Navarre. (En 2000, je logerai dans un gîte communal dont le luxe de l’entrée fait penser à celle d’un hôtel trois étoiles. Ce luxe est ridicule. On peut utiliser la cuisine, sauf pour le petit déjeuner mais il y a des machines qui distribuent du café et du chocolat. Un jeune couple arrive avec un enfant de 6 mois porté sur le dos, abrité par un petit toit de toile alors qu’il pleut et fait beaucoup de vent).

Los Arcos

Départ à 6h25. Il fait beau avec un vent frais, mais un peu trop violent. Vers 10 heures, je trouve, au bord de la route, une "cabane" construite avec des blocs de paille. C'est un abri extra pour un pique-nique à l'abri du vent décidément pénible à supporter.

Pas de refugio à Los Arcos. Un passant m'explique qu'il est prévu d'en construire un mais que ça n'est pour l'instant qu'un vague projet (En 2000 je logerai dans un refugio superbe tenu par des Belges).

Il m'emmène chez une vieille dame avec laquelle il palabre très longtemps avant qu'elle me fasse rentrer chez elle, mais par le garage. Elle me demande une carte d'identité avec photo, laquelle carte est examinée avec grand soin. Il semble qu'elle ait peur de recevoir chez elle un vagabond qui se ferait passer pour un pèlerin. Elle hésite encore, puis me rend ma carte et me demande si je veux dormir ici, dans le garage, sur des planches posées à même le sol. Non! je veux un matelas dans une pièce autre qu'un garage. Mais c'est 800 pesetas, me dit la dame. Aurais-je une tête d'insolvable?

Je lui dis que c'est tout à fait d'accord pour les 800 pesetas et elle me montre alors une chambre sympa, avec literie. Je lui règle immédiatement le prix de la chambre et nous devenons dans l'instant les meilleurs amis du monde.

Pas de possibilité de faire la cuisine et je vais au restaurant.
Le patron parle un français impeccable et insiste pour me faire venir dans son hôtel: pour 5000 pesetas j'aurais tout le confort moderne.


Mais, outre qu'un excès de confort est contraire à ma façon de vivre habituelle, l'esprit du Camino veut que le pèlerin loge en refuge.

De son passé pèlerin, Los Arcos possède encore une église qui s'est complétée entre les XIIème et XVIIIème siècles. Mon guide explique que s'y intègrent les styles roman, gothique, plateresque et baroque. Ce type de monument doit-être un régal pour les férus d'histoire de l'architecture.

Plateresque serait typiquement espagnol et se dit d'un style d'architecture de la première Renaissance espagnole, caractérisé par une ornementation comparable à celle des pièces d'orfèvrerie. Je me cultive.
Il y a un cloître superbe, simplement gothique flamboyant , dans lequel je m'attarde longuement.


Viana

Départ à 5h30. Chemin moitié sur route et moitié sur sentier. Superbes panoramas. A mi-chemin, un arrêt aménagé pour les pèlerins et dominant une chapelle, me permet de faire une pause casse-croûte à l'abri du vent qui n'en finit pas d'être froid et violent.

Le balisage conduit droit au refuge de Viana, lequel devrait être ouvert puisqu'il affiche "ouverture de 10 h à
22 h". Des ouvriers travaillant à proximité me disent d'aller chercher la clé au poste de police. On ne me donne pas la clé mais on me signale que le gîte ouvrira à 17 h. Je m'installe dans le parc qui se trouve près du refugio, sur une terrasse qui domine la plaine alentour et je déjeune de quelques provisions. A l'abri du vent il fait très chaud et je peux faire la sieste en attendant 17 h.

D'autres pèlerins arrivent, dont une vieille dame avec un chien, qui affirme terminer une étape de 35 km, et deux jeunes filles espagnoles sympathiques qui vont interroger tout le voisinage pour savoir comment on peut rentrer dans ce refugio. Enfin le préposé à la clé arrive à 19h30.

Les installations sont vastes et superbes mais la cuisine, très moderne, ne contient aucun matériel tel que casseroles, assiettes ou couverts. Il nous faut aller au restaurant si l'on veut faire au moins un repas convenable.
Mais l'homme à la clé ne veut pas nous la céder. Et la porte une fois fermée ne s'ouvre plus de l'extérieur. Les jeunes Espagnoles s'accrochent à lui et obtiennent enfin cette clé. Mais nous devons tous partir et revenir en même temps. Nous ferons un dîner très bien entre français, allemands et espagnoles. (En 2000 le refugio sera ouvert dès 13h30 et la cuisine très bien équipée. Je verrai arriver le couple avec l’enfant sur le dos pour la dernière fois).


Navarrete

A 6h je suis sur le chemin, qui est très bon. Le temps est couvert. Je marche bien et après 9 km j'arrive à Logrono à 8h.

Je m'arrête à une fontaine pour remplir mes bouteilles. A demi allongé sur la margelle de la fontaine, je me laisse aller au bonheur du moment. J'aime partir de bonne heure, quand l'air est frais, que tout est calme.

Surprise, je vois arriver Pierre et son harem qui ont logé 2 jours à Logrono. Je les laisse filer et je les retrouverai à Navarrete.

Je traverse tranquillement la ville. Le balisage est très présent sous forme de flèches jaunes peintes sur les arbres d'une façon “cochonnée” et peu discrète.

Sur une vaste place, un marchand ambulant vend des "Churros o Bunelos", sorte de beignets longs, frits devant le client. J'en achète un cornet que je déguste tranquillement. Il est 9h et j'ai le temps de musarder.

A Navarrete, petite ville construite en arc de cercle autour d'une colline, pas de gîte. Le guide signale "le refugio traditionnel des révérends pères Camilos" mais à l'église, personne ne peut me dire où il se trouve. En fait, il n'existe plus. J'apprendrai par Pierre, que je retrouve en ville, que lui et ses deux femmes ont été pris en charge par une brave dame qui, voyant errer ces trois pèlerins, les a conduits dans les sous-sols d'une banque désaffectée qui sert effectivement de refuge. Ils devront d'abord prouver leur qualité de pèlerins en montrant leurs crédencials dûment tamponnées avant de pouvoir passer la nuit sur des matelas posés à même le sol. Mais ce sera gratuit.


Je loge dans une Fonda, hôtel simple et bon marché, toujours très propre et à l'accueil sympathique.
C'est dimanche et il y a beaucoup de monde dans les rues. Sur la place de l'église se tient une exposition des travaux d'artistes du village: fer forgé, travaux en carton, patchwork, marionnettes... Il fait maintenant très chaud et, assis sur un banc public, je me laisse chauffer par le soleil.


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Najera

Petite étape de 7h à 10h45. Je me sentais fatigué au départ mais la forme est venue en marchant.
En arrivant à Najera, je suis arrêté par un jeune homme qui m'explique où se trouve le refuge et ce que dois faire pour en obtenir la clé. Je le retrouverai au gîte; c'est un Péruvien qui fait le pèlerinage en compagnie d'un jeune Espagnol.

Le refugio est en pleine ville et le bar d'en face donne la clé après avoir tamponné la crédencial. Je vois sur le livre d'or que deux pèlerins parisiens ont fait le trajet du Puy à Najera en 31 jours; beaux marcheurs!
Deux hommes, de 50 ans environ, mettront une ambiance chaleureuse dans ce refuge. L'un d'eux, rigolard et blagueur, joue de la flûte et tous les deux discutent avec tout le monde, parlant avec une étonnante facilité le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand.

Le monde est petit: Bernadette, l'une des amies de Pierre, dont le mari était pilote à Air France, profitait de sa situation pour voyager un peu partout dans le monde et reconnaît, dans le joueur de flûte, un steward d'Air France. Son ami est l'un de ses collègues, ce qui explique qu'ils soient polyglottes. Ils sont partis du Puy il y a quelques années et arriveront à Santiago dans quelques autres années, en faisant 10 jours de pèlerinage par an.

Je retrouve aussi les deux jeunes espagnoles qui s'étaient beaucoup remuées pour faire ouvrir le refugio de Viana. Nous allons passer un moment au bar et nous parlons des élections présidentielles françaises.


Santo Domingo de la Calzada

Le refugio est magnifique, parfaitement tenu par un groupe de jeunes, charmants et toujours disponibles. Fleurs sur la table, cuisine bien équipée et placards pleins de provisions.

Le village est célèbre sur le Chemin grâce à la légende du “miracle qui fit chanter la poule après qu'elle eut été rôtie".

A partir du lendemain, une fête religieuse de trois jours a lieu dans le village. J'ai très envie de rester pour connaître l'ambiance d'une telle fête. Les refuges espagnols n'acceptent pas que les pèlerins restent plus d'une nuit mais la jeune fille qui m'a appris l'existence de la fête me dit que je pourrai rester un jour de plus à condition d'être discret.

Belorado

Je suis tenté de voir au moins une partie de la fête mais le but, toujours très éloigné, se rapproche cependant et je décide de partir.

A la sortie de Santo Domingo une pancarte routière indique "Santiago 623 km". Il ne m'en restera que 600 à l'étape de ce soir. Courage, pèlerin.

Mais le 4 de ce mois, en quittant Puente la Reina, j’avais vu une borne indiquant que Santiago était à 621 km. Le but reculerait-il devant le pèlerin ou la signalisation est-elle fantaisiste?

Parti à 7h, j'arrive à midi à Villamayor, à 5 km de Belorado. Je m'offre un casse-croûte dans un bar qui expose une profusion de victuailles, sans doute production du pays: jambon et saucissons fumés, confitures, conserves.

Il y a maintenant beaucoup de monde sur le Chemin. Mais, étant très matinal, je ne rencontre ni ne suis rattrapé par aucun piéton. Seul des cyclistes me dépassent et me saluent toujours. Si un piéton passe partout sans trop de difficultés, les pèlerins en VTT qui veulent suivre le chemin et non la route pédalent souvent durement dans des terrains caillouteux, sablonneux ou constitués d'une terre collante.

Le gîte de Belorado est installé dans une vieille bâtisse près de l'église dont le clocher supporte un nid de cigognes très habité.

Ce refugio est crasseux mais on peut y faire la cuisine et le village possède une épicerie. Il y a aussi un cordonnier qui accepte de redresser de suite le talon de ma chaussure gauche. Ce talon, que je traîne un peu, s'use très vite, ce qui accentue mon boitillement et me cause des douleurs au niveau des reins.

San Juan de Ortega

J'avais prévu de faire cette étape en deux jours mais je me sens bien en forme et je ne m'arrêterai à Villafranca -13 km- que pour un casse-croûte dans un bar accueillant, chaud et où je pourrai faire un peu sécher ma cagoule. Il pleuvra beaucoup pendant cette étape. Pour la première fois je marcherai avec d'autres pèlerins, un couple d'espagnols vivant en France depuis 35 ans. Lui, grand et costaud, elle, petite et d'aspect malingre, 70 ans chacun, une vitalité et une forme étonnantes. Ils font le parcours depuis St. Jean Pied de Port pour la troisième fois. Dans une correspondance que nous échangerons au retour, il m'écriront qu'ils ont prévu de faire le pèlerinage une 4éme fois en 96.

Je rencontre dans ce bar une pèlerine Anglaise d'Oxford, qui fait le trajet en vélo. Elle est seule, me dit avoir souvent peur dans les refuges.

Après cet arrêt sympathique, je repars avec Joseph et Louise. Nous avons droit à une pluie battante pendant une dizaine de kilomètres mais l'arrivée à San Juan est "sèche".

Le sanctuaire de San Juan de Ortega, au service exclusif des pèlerins, est une station du Chemin depuis le 11ème siècle. Juan de Ortega fit construire en son temps des églises, hôpitaux, routes et ponts pour faciliter le voyage des pèlerins.

Isolés en pleine nature, l'église, qui contient le tombeau de San Juan et le monastère, ne vivent que par les pèlerins. Un bar dont la patronne peut être sympathique à ses heures, sert des omelettes et des frites.

Le gîte est vaste et froid mais bien tenu et possède des douches chaudes. Quelques rayons de soleil permettront de faire sécher chaussures et lessives.

Particularité du lieu: chaque soir le curé offre la sopa de ajo (soupe à l'ail) aux pèlerins. La soupe est apportée dans de grandes marmites et le curé sert lui-même les pèlerins, une vingtaine ce soir-là. L'ambiance est à la fête et les 5 ou 6 nationalités qui se côtoient s'entendent à merveille. Pour compléter le repas, le bar nous fournit des tortillas con patata (omelettes aux pommes de terre) dont le prix sera partagé entre tous.

Villafria

Tout le monde se retrouve au bar vers 8 h. Les deux jeunes filles espagnoles viennent me faire leurs adieux car elles s'arrêtent à Burgos, ville où elles habitent. Dommage, car c'est un plaisir, pour un vieux bonhomme, de nouer une amitié aussi sympathique avec des jeunes; mais la différence d'âge se réduit très fortement au sein d'un groupe de gens ayant une même passion ou un même but.

On nous déconseille de prendre le sentier qui serait transformé en torrent de boue après les pluies diluviennes de la veille. Mais 18 km de route très fréquentée ne m'attire pas du tout et, avec Joseph et Louise nous prenons le sentier qui se révèle très agréable et sans problème pour un piéton.

Je m'arrête à Villafria, à 5 km de Burgos. Je crains d'accumuler trop de fatigue avec les longues étapes précédentes et je laisse mes compagnons continuer vers Burgos. Ils ont une vitalité étonnante et arriveront 11 jours avant moi à Santiago. Nous prenons un dernier déjeuner ensemble et nous nous quittons après des adieux émouvants.

Je me repose tout l'après-midi et je ferai un excellent dîner.

Burgos

Petite étape parcourue uniquement en ville, la banlieue de Burgos s'étendant jusqu'à Villafria.
Errance à travers une ville que je trouve sans attrait pour arriver à la Cathédrale. On ne peut que s'enthousiasmer devant la richesse de l'ornementation intérieure, véritable travail d'orfèvrerie. Mais hélas, ces monuments vieux de 700 ans ont toujours besoin de réfection et l'intérieur est encombré d'échafaudages. Dans le transept se trouve le tombeau du Senor Rodriguo Diaz de Vivar, alias le Cid Campeador. La ville possède un grand nombre d'églises, restes de châteaux, rétables, tombeaux, portes anciennes, monastères et cloîtres et fera le bonheur des passionnés d'Histoire.

Le refugio est à la sortie de la ville, installé dans un baraquement sans confort ni possibilité de cuisiner. Il fait froid et le restaurant proche, qui sert un menu-pèlerin très parcimonieux , est vide et glacé.

Vers le soir arrive un pèlerin, Jean, qui vient des Landes, avec un âne tirant une charrette et, en visite, "Bernard-de-Nantes", que j'avais rencontré à Conques il y a 47 jours. Il est arrivé à Santiago 30 jours avant moi. Il profite d'un changement de train à la gare de Burgos pour retrouver ses souvenirs au refugio.

Hornillos del Camino

Départ 6h35. Arrivée 11h30. Etape facile dans un paysage dégagé sous un soleil heureusement voilé. Une bonne partie du sentier espagnol se fait dans un paysage entièrement dépourvu d'arbres. Lorsque le soleil tape dur, la marche doit être éprouvante. J'avais prévu de circuler la nuit dans ce cas mais, le soleil ne s'est vraiment montré que l'après-midi et j'étais toujours arrivé au plus tard à 13 h. Et malgré le soleil, il faisait souvent frais, voire froid.

Hornillos est un village qui s'aligne le long de la route, sans commerce, ni bar, ni restaurant. Le refugio est très bien, tout neuf et on peut y faire la cuisine.

Mais j'ai peu de provisions et je grignote ce que j'ai, sur les marches de l'église, bien au soleil. Je me prépare à un jour de presque jeûne. Mais Pierre et sa suite arrive avec une grosse faim et ils n'ont aucune provision. Il fait alors, avec Bernadette, l'aller-retour en stop jusqu'au village le plus proche pour ramener des victuailles. Ils ont pensé à moi, ont acheté pour 4 et je ferai un excellent dîner préparé par les deux femmes, pour une participation aux frais de 12,60 Fr.

Castrojeriz

Une bonne partie du chemin se fait sur un sentier constitué d'une terre glaiseuse qui colle aux semelles et qu'il faut enlever tous les trois pas, car on a vite des "bottes" de plusieurs centimètres d'épaisseur. De ce fait, la marche est extrêmement éprouvante. Je passe à 9h30 par le village de Hontanas qui possède un refuge superbe que je visite. Une brave dame vient voir ce que je désire et me demande si j'ai faim. Réponse affirmative qui me vaut une appétissante omelette pour quelques pesetas.

A quelques kilomètres du but, le Chemin traverse les ruines grandioses d'un ancien couvent, San Anton, ruines parfaitement entretenues et qui font comme un décor de théâtre.

A l'entrée de Castrojeriz, je retrouve deux cyclistes belges qui m'ont doublé sur la route peu avant l'arrivée. Il sont arrêtés devant le poste de police et se lamentent, car il ont retenu une chambre dans un hôtel du village et personne ne connaît cet hôtel. Histoire belge.

Castrojeriz, c'est une rue très longue sur le versant d'une colline au sommet de laquelle se dresse un Château en ruine. La ville fut importante en ce qui concerne les pèlerinages et l'on est impressionné par le nombre de monuments, hélas souvent en ruine, qui bordent ce tronçon du Chemin.

Je trouve à la fois une possibilité de faire la cuisine dans le refuge et des commerces dans le village, ce qui me permet de faire un bon et gros repas.

Fromista

Départ à 6h30. Après quelques kilomètres en plaine, il faut escalader une colline, mais je monte bien. Le chemin est superbe malgré la pluie qui ne cessera pas.

Gîte spartiate, sans cuisine ni douche chaude. Un groupe de Brésiliennes, que je retrouve chaque soir depuis quelques étapes et qui met toujours beaucoup d’animation dans le refugio, inspecte les lieux et continue, car elles exigent de l’eau chaude.


Carrion de los Condes

Départ à 6h. Je marche sans traîner car il me faut arriver avant midi à Carrion où j’espère trouver enfin un bureau de poste ouvert et habilité à payer les postchèques car il ne me reste plus que quelques pesetas. Il fait frais mais sans vent ni pluie et le soleil se lèvera dans un ciel légèrement couvert.

Le bureau de poste se trouve à l'autre bout de la ville mais j'arrive à temps et je reçois des pesetas sans problème.

Le refugio est tenu par le curé de l'église Santa Maria, mais c'est sa soeur qui, avec prudence, ouvre la porte aux pèlerins. Le gîte est petit, très soigné et possède un grand jardin équipé de bancs et tables qui permettent de profiter du soleil en grignotant ses provisions. Margarita, la soeur du curé, veille à la bonne tenue du refugio. Rien ne doit traîner, l'eau chaude doit être utilisée avec modération et je me fais rappeler à l'ordre lorsque je remplis une cuvette au chauffe-eau pour laver du linge.

Je commence parfois à fatiguer et certains départs sont laborieux mais la forme vient en marchant. Je me repose longuement tous les après-midi, espérant m'éviter ainsi un quelconque problème de santé. Il me reste 23 étapes et près de 400 km.

De son passé pèlerin, Carrion possède encore un monastère, 7 églises et un hôpital. Il y aurait eu, au plus fort du pèlerinage, 7 hôpitaux pour accueillir les peregrinos.

Calzadilla de la Cueza

Départ à 7h30. Un peu de pluie pour commencer puis le vent, violent et pénible dans ce paysage plat.

Après deux heures de marche, devant un entrepôt isolé en pleine nature, je trouve une Citroën 2 CV camionnette abandonnée là depuis quelques années d'après les inscriptions que l'on trouve à l'intérieur. Comme bon nombre de pèlerins, je m'y installerai pour un casse-croûte à l'abri du vent.

A Calzadilla, le refugio est ouvert, mais paraît abandonné. Dortoirs, douches et lavabos sont crasseux. Il y a une cuisinière mais pas de gaz ni de casseroles.

Le Chemin espagnol est largement équipé en refuges. Mais la coutume veut qu'ils soient gratuits et, si personne n'est là pour réclamer les pesetas, la petite boîte mise en évidence reste souvent vide. Et c'est l'escalade: comme l'argent ne rentre pas, la commune n'entretient pas le refuge et, comme le refuge n'est pas entretenu, les pèlerins ne donnent rien.

Cette gratuité de l'accueil, qui était possible au temps où l'Eglise recevait de nombreux dons, ne peut être maintenue aujourd'hui, où les gîtes sont financés par les communes ou les régions. Il est demandé entre 300 et 500 pesetas aux pèlerins (12 et 21 Fr), ce qui est nettement inférieur à ce qu'il faut, obligatoirement, payer en France (en moyenne 40 Fr).

Aucune boutique mais un bar luxueux dans cette bourgade triste et isolée, où je peux boire mon habituel lait chaud en me laissant aller à la satisfaction d'être arrivé jusque là.


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Sahagun

Départ à 7h40. Je démarre difficilement. Il me faut marcher sans hâte mais sans répit. Si l’on veut arriver jusqu’au bout, le but doit devenir obsessionnel.

Il fait beau mais froid. Après 6 km, je trouve, dans le village de Terradillos, un gîte privé ouvert à tous vents, mais superbement équipé. Je m'y installe pour un p'tit dèj' tiré du sac, sans voir âme qui vive. Le propriétaire, un vieux bonhomme tranquille, viendra pourtant me saluer et me servir un bol de lait chaud et me vendre une pomme.

A Sahagun, pas de refugio. Fatigué, je prends le premier hôtel venu. La ville ayant un riche passé historique, après un moment de repos je fais du tourisme. Un monastère y existait dès le XI ème siècle et la légende fait de Charlemagne le fondateur du monastère et de la ville.

El Burgo Raneros

Je suis sur le chemin dès 6h30. Toujours un temps frais mais ensoleillé. Pendant 2 étapes, le sentier est une allée spécialement tracée pour les pèlerins. Parallèle à la route, mais totalement interdite aux véhicules, on y marche sans souci de balisage. Des bancs installés à intervalles réguliers et des aires de repos cassent un peu la monotonie du parcours.

Magnifique refuge*** tout neuf à El Burgo, superbement équipé. Je rencontre un routard de 32 ans, Français mais, de parents Portugais, il se fait très bien comprendre des Espagnols. Il dit s'appeler Zachari, être en rupture de famille, avoir voyagé en Inde et travaillé dans un kiboutz en Israël. Equipé "léger", portant un sac qui semble presque vide, il va jusqu'à Santiago puis, de là, au Portugal où ses parents seraient en retraite.

Nous avons une discussion très serrée concernant le paiement aux refugios, qu'il assure être laissé au bon vouloir du pèlerin. Il semble qu'il ait convaincu la dame qui est venue réclamer les 200 pesetas de la nuitée (8,5 Fr) car il n'a pas payé son écot.

Arrivent au refuge un couple de jeunes allemands qui viennent de Santiago, parcourant le camino "à l'envers" .
Gisèla et Michaël, de Freiburg/Brisgau avaient décidé, en 1994, chacun de leur côté, car ils ne se connaissaient pas encore et habitaient chacun dans une ville différente, de faire le pèlerinage de Compostelle. Ils ont fait connaissance à Roncevaux, point de départ commun et se sont retrouvés au fil des étapes, pour, à un certain moment, ne plus se quitter jusqu'à Santiago.
Rentrés en Allemagne, ils se sont mariés le 21 avril 1995 et font le pèlerinage dans le sens contraire comme voyage de noces.

Mansilla

Toujours la belle allée pour pèlerins sur laquelle Zachari me rattrape. Nous discutons de l'accueil qu'il reçoit ici ou là en tant que "vagabond" aux cheveux longs.

Encore un refugio de luxe. Zachari, avec du riz qu'il a dans son sac et une boîte de moules que j'ai dans le mien, nous cuisine une sorte de paëlla délicieuse.

Nous faisons la connaissance de Hugues, jeune Belge de 20 ans, également en rupture de famille, qui recherche des vestiges romains sur le sentier et exhibe des pièces de monnaie en bronze ou cuivre qu'il affirme avoir trouvées dans les champs alentour.

Léon

Je suis à Léon bien avant midi et le bureau de tourisme qui m'assure qu'aucun refugio n'existe à Léon, m'envoie dans une Fonda toute proche. Mais c'est jour de fermeture et je cherche vainement une porte ouverte dans l'immeuble. Après avoir "bricolé" quelques courtes phrases en espagnol à l'aide de mon manuel, je dois me résoudre à utiliser l'interphone et j'essaie d'expliquer qui je suis et ce que je veux. Miracle! la porte s'ouvre et je suis logé sans difficulté en plein centre-ville, Calle del Cid, s'il vous plaît! (rue du Cid) et sur le Chemin balisé qui passe à travers la ville.

Il fait un peu frais, mais il y a un soleil magnifique. Je vais visiter la Basilica San Isodoro que le guide présente comme l'un des joyaux de l'art Roman du Chemin, qui contient les reliques de Saint Isidore. C'est, selon un guide rédigé en latin vers 1130, l'un des 4 corps de saints auquel les pèlerins doivent rendre visite sur le trajet espagnol, les autres étant saint Dominique à Santo Domingo de la Calzada, les saints Facundo et Primitivo à Sahagun et l'apôtre saint Jacques à Compostelle.

Je vais chercher le tampon de la cathédrale Santa Maria, édifice gothique aux vitraux somptueux et, plusieurs bars ayant installé leur terrasse sur la place de la cathédrale, je passe une bonne partie de l'après-midi devant un jus d'orange à me laisser aller au plaisir d'être là, dans cet environnement superbe, admirant le ballet des cigognes qui planent en permanence au-dessus du monument.

Villadangos de Paramo

Départ à 7h30. Le balisage à travers la ville de Leon est réalisé, de façon élégante et discrète, par des coquilles saint Jacques en laiton, scellées dans les trottoirs.

J'arrive à 13 heures, assez fatigué, à Villadangos. Le refugio est tout neuf et l'équipement de la cuisine très "moderne": il faut mettre des pièces dans un minuteur pour avoir du courant sur les plaques de cuisson.
J'achète des provisions, fais ma cuisine et je ne quitte plus le gîte.

Hospital de Orbigo

Départ à 7 heures pour un petite étape. Le chemin est facile et j'arrive à 10 heures.

L’entrée dans Hospital de Orbigo se fait par un pont d’une rare beauté, véritable monument.
Le refuge du presbytère, tenu par de jeunes allemands d'une société des amis de St. Jacques, est fermé et je dois revenir sur mes pas sur près d’un kilomètre pour aller au bar "Pista" qui donne la clé du refuge communal et le tampon, contre 300 pesetas, et parcourir encore un kilomètre pour trouver un refugio superbe mais isolé en pleine nature.
Pudique, Hospital de Orbigo a prévu une séparation hommes/femmes, cas unique sur tout le Chemin à partir du Puy et, soucieux du confort des pèlerins, a installé pour chaque couchette, des lampes de chevet et des descentes de lit. Mais pas de cuisine et il faut faire 2 km aller-retour pour acheter des provisions.

Astorga

A 4 km d'Astorga je m'arrête dans un bar pour déguster mon habituel leche caliente (lait chaud). J’y suis "interviouvé" par une brave dame qui parle fort bien français. Elle a travaillé 18 ans en Belgique comme boulangère et voulait sans doute pratiquer un peu la langue française.

Le balisage mène droit au refugio dont la clé doit être réclamée auprès d'un établissement pour handicapés situé à proximité.

Comme la clé n'est pas laissée au pèlerin, il faut, à chaque sortie, retourner dans cet établissement et trouver l’handicapé qui possède la clé et vous accompagne dans son fauteuil électrique jusqu'à la porte du gîte.

Astorga est une ville très plaisante. Très importante à l'époque romaine, on y trouvait 21 hôpitaux -!!!- à la disposition des pèlerins, aux temps fort du pèlerinage.

Le Palais Episcopal ressemble un peu à un décor de Disneyland et la "Celda de las Emparedadas", cellule dans laquelle on enfermait les femmes de mauvaise vie, est vide. Les moeurs se sont sans doute adoucies, à moins qu'il n'y ait plus de femmes de mauvaise vie.

Rabanal del Camino

Etape longue, je pars à 5h30. Très beau chemin au milieu de genêts en fleurs.

A El Ganso, village d'aspect très pauvre, je trouve un bar installé dans une baraque en tôle où l'on me sert une portion royale de jambon fumé.

A Rabanal, le refugio "Gaucelmo" est tenu par une société anglaise "Confraternity of Saint James", qui a aménagé le vieux presbytère en auberge pour les pèlerins (Gaucelmo fût un protecteur des pèlerins dans ces passages risqués car très isolés).

J'arrive à 11 h et ce gîte n'ouvre qu'à 15 h selon l'affiche apposée sur la porte. Je tente d'ouvrir tout de même et...la porte s'ouvre.

Grosse foule dans le jardin et tout le monde semble étonné de voir arriver un pèlerin: quelqu'un a dû oublier de fermer la porte à clé.
Explications en anglais et je crois comprendre qu'il s'agit d'une fête de famille. Mais devant tant de monde je demande s'il reste de la place pour moi dans le refuge. On m'envoie alors une jeune fille qui parle français et qui m'explique que ce groupe est là pour commémorer l'anniversaire de la mort d'un de leurs camarades, pèlerin, mort sur le Camino. Ils ne font que passer, parcourant une partie du Chemin à pied mais suivis par un autocar qui transporte les bagages et ramasse les traînards.

On m'apporte une tasse de thé mais on me fait comprendre que le refuge n'ouvre qu'à 15 h et qu'il serait préférable de revenir plus tard. Je suis sauvé par l'arrivée d'autres pèlerins et, finalement, tout le monde est admis à s'installer.

C'est l'un des refuges le plus plaisant du Chemin. Une vaste cuisine à l'ambiance chaleureuse, très bien équipée, un salon-bibliothèque, des douches luxueuses, téléphone, télévision, un dortoir très clair, un jardin agréable, les Anglais ont bien fait les choses. Et le tampon est donné sans qu'il soit réclamé de contrepartie. Il y a une petite boîte mais on fait confiance au pèlerin.

Un tableau affiche le nombre de pèlerins passés dans l'année: 6437 en 1993 (année sainte) et 4037 en 1994.

Après l'exécution des rites journaliers: -douche, petite lessive, préparation du couchage- je veux aller à la recherche d'une "tienda de comestibles" (tienda: magasin) mais cette fois la porte est bien fermée et les murs qui entourent la propriété sont trop hauts.

Les placards de la cuisine proposant des spaghettis et des sachets de soupe, je me prépare un déjeuner copieux et j'attends tranquillement 15 h dans un fauteuil du jardin.

On a peine à croire que ce village, qui semble abandonné par endroits et dont l'église a un peu l'apparence d'une ruine, ait pu être un lieu très important du Chemin et posséder plusieurs hôpitaux pour accueillir les pèlerins.

Pas de tienda mais un bar qui vend, me dit-on, des provisions aux pèlerins. Mais je n'arrive pas à me faire comprendre et je ferai un dîner "tiré du sac".

Je termine l'après-midi au soleil, dans le jardin du gîte, en lisant une biographie, en français, de Ste Thérèse d'Avila, trouvée dans la bibliothèque.

Molinaseca

Le petit déjeuner à l'anglaise fait partie de l'accueil du refugio et, à 7 h, tout le monde se retrouve autour d'une table bien mise et abondamment garnie.

Et, pendant ces repas en commun, on retrouve toujours l'ambiance excellente entre belges, allemands, espagnols, français, brésiliens, hollandais, anglais ou autres étrangers selon les jours.

Le Chemin passe par Foncabadon, un village abandonné, ou rouillent les machines agricoles, puis par la Croix de Ferro à 1500 m d'altitude. Sur un tas de pierres, s'élève une simple croix de fer fixée au bout d’une longue perche de bois.

Quand il jette une pierre sur ce tas, le pèlerin perpétue une tradition que l'on dit antérieure aux Romains. Ce fût Gaucelmo qui "christianisa" cet antique "monument" dont la signification n'est pas connue à cause de son ancienneté.

A Manjarin, village également abandonné, on trouve pourtant un jeune homme, tout seul dans ce village, qui loge et nourrit les pèlerins. Jean (et son âne), qui a logé là cette nuit, me dira que l'accueil a été très fraternel.

El Acebo est un village bien vivant, réjouissant pour le pèlerin qui vient de faire 16km jalonnés de ruines dans une contrée aride et désolée.


Au bar, je suis accueilli par une personne particulièrement aimable qui me prépare dans l'instant une soupe de légumes, une omelette paysanne et une salade. Cette performance est particulièrement sympathique, car il est midi et en Espagne on ne sert le déjeuner qu'à partir de 13h30.

Je m'arrêterais volontiers ici mais il n'y a aucun refugio, aussi simple soit-il. Il me reste 8 km à parcourir sous un soleil dont la chaleur est tempérée par un vent frais d'altitude, le parcours se situant à environ 1300 m.

Ragaillardi par ce bon repas et l'ambiance du bar, je repars sans trop me presser et, à Riego de Ambros, je trouve à la sortie du village un bar dont les parasols de la terrasse m'attirent. Je reste là une heure à grignoter des olives, profitant du calme de l'endroit, de la beauté du paysage et du soleil dont la chaleur m'engourdit délicieusement.

Il faut traverser toute la ville de Molinaseca pour arriver au refugio tout neuf, dont l'agencement bizarre a dû sortir de la cervelle d'un architecte quelque peu illuminé. Circuler dans ce refuge nécessite une grande souplesse et une attention constante si on ne veut pas louper l'une des multiples marches qui permettent d'accéder aux "gradins" qui entourent la cuisine-salle commune. Il fait très beau mais un vent assez violent empêche de profiter de la terrasse.

Ponferrada

Ce sera une petite étape et je ne pars qu'à 8h, quittant le refuge le dernier.
Le balisage conduit droit au refugio dont l'adresse était indiquée au gîte de Molinaseca mais il est fermé et semble abandonné quoique le guide indique que, dans ce refuge de la paroisse de la Encina, les pèlerins sont accueillis chaleureusement et fraternellement.

Je vais en ville oû l'on m'indique un refuge qui n'ouvre qu'à 18 h et semble prévu pour les SDF. Un brave homme qui avait dû m'entendre parler français lors de mes demandes de renseignements, m'aborde et, dans un français rudimentaire, me fait comprendre que, s'il peut m'aider... C'est tout simple: un logement à prix réduit. Il
m'emmène dans une petite rue proche ou une dame charmante me loge pour 1500 pesetas (environ 60f).

Plusieurs “tienda de comestibles” sont ouvertes et je peux faire un pique-nique agréable au pied du Castillo de los Templarios, superbe témoignage de la présence de l'ordre des Templiers.

Cacabelos

Il faut que je trouve de nouveau un cordonnier pour redresser le talon de ma chaussure gauche. Pas de cordonnier dans le premier village mais à Cacabelos, alors que je m'applique à demander, en espagnol, s'il y a un “zapatero”, mon interlocuteur, dans un français impeccable, me répond: "vous cherchez un cordonnier ?", mais il est là, juste au coin de la rue. Je vais avec vous".

Ce brave homme est un Espagnol qui a travaillé en France, et qui y vit depuis 36 ans, mais qui vient passer ses vacances de retraité en Espagne, dans une maison héritée de ses parents.

Grâce à lui, la réparation sera faite dans l'heure, pour 13 Fr. Pendant ce temps, mon compagnon de rencontre me fait visiter le village, en particulier une auberge au décor superbe, où sont fabriqués et vendus des produits du pays, charcuterie, conserves en tous genres, vins, miel. Ici, me dit-il, les gens vivent de la vigne, sont riches et en fin de semaine l’auberge est toujours pleine..

Les pèlerins sont logés dans le gymnase, en dehors de la ville, et je préfère l'hôtel.

Comme je suis parti à 6h et que je suis arrivé à 10 h, j'ai presque une journée de "libre" et je visite Cacabelos tout l'après-midi.


Le Chemin qui traverse les villages et les petites villes, emprunte toujours la "Calle Mayor", la rue principale. Cette rue est toujours soigneusement pavée, les maisons bien entretenues, et la circulation automobile inexistante. C'est donc un lieu de passage agréable pour le pèlerin qui y trouve souvent l'église, le refugio et un bar. A Cacabelos, la Calle Mayor est superbe, large et surtout fleurie, ce qui est exceptionnel sur mon parcours.

Villafranca del Bierzo

J'arrive à 9h au refugio du Senor Jato, lequel refugio est une curiosité du chemin. Située sur les hauteurs de la ville, à coté de l'église Santiago, une grande tente en plastique abrite bar, toilette, douche, dortoir, dans une ambiance de campement spartiate que l'on peut trouver sympathique si l'on n’est pas un inconditionnel de l'ordre et de la propreté.

Il fait beau mais un vent froid souffle toujours et la tente laisse passer tous les courants d'air.

La paillasse à côté de la mienne est occupée par un bonhomme sans âge bien défini, qui me dit faire le Camino pour la 26ème fois. Pour l'heure, il loge ici depuis un mois et dit payer sa pension en travaillant pour le sieur Jato. Par ailleurs il serait berger quelque part en France.

Je descends visiter la ville, une de celles qui virent le jour et acquirent de l'importance grâce au chemin de St. Jacques. On peut y admirer l'hôpital Santiago, le Château des marquis de Villafranca, le couvent de la Anunciada, la superbe collégiale de Santa Maria de Cruego, la magnifique église San Nicolas et l'église San Francisco, qui rappelle le passage de saint François d'Assise pendant son pèlerinage à Compostelle. Le sentier du pèlerinage suit la très plaisante Calle del Agua qui traverse toute la ville.

J'achète quelques provisions et je remonte déjeuner "sous la tente".

Nous sommes plusieurs pèlerins à attendre le repas de 13h30 mais Maria Jato ne s'affole pas. A 14h45 elle vient me demander si je veux déjeuner tout de suite, ce que je confirme, sans que cela semble la bousculer.

L'après-midi, un visiteur discute avec Jato, qui lui présente un plan de bâtiment.
Ce visiteur, qui parle un très bon français, viendra discuter avec moi et m'expliquera que, ayant travaillé toute sa vie et gagné beaucoup d'argent, il désire en faire profiter les pèlerins de St Jacques, et cherche un endroit pour construire un refugio. Pour savoir ce qu'il doit faire, il fait le tour des refuges afin de se faire une idée précise à propos des aménagements.

Il me raconte que Jato veut remplacer sa tente par une construction en dur mais qu'il se heurte à des problèmes avec la municipalité de Villafranca, laquelle a déjà construit un refugio, il y a deux ans, situé face à l'église Santiago, à 100 m de celui de Jato, très bien équipé mais qui n'a jamais été ouvert aux pèlerins.

Jato, qui est là depuis des années, et dont le refuge est le gagne-pain, s'oppose à ce refuge municipal, mais l'Organisation nationale du Camino n'accepte pas la "méthode Jato", car, selon l'éthique du Chemin, on ne doit pas faire de commerce dans les refugios. Mais, chez Jato, on ne peut s'approcher du comptoir de la salle commune sans que l'une de ses filles ne se précipite pour vous demander "qu'est-ce que je vous sers?" et une boutique propose coquilles St. Jacques, bâtons de pèlerins, pin’s, cartes postales et autres bricoles souvenirs.

Vega de Valcarce

A 6h30 je suis sur le départ. Il fait très frais mais monsieur Jato est debout et je peux boire un lait chaud avant de partir.


Je fais une halte dans un village pour une petite collation, en compagnie de 2 hollandais qui me disent faire des étapes de 35 à 40 km.

A Vega, le refugio est situé en hauteur, au centre-ville, et offre une vue superbe. Refuge simple, sans cuisine ni eau chaude mais sympathique tout de même. Une grande pancarte indique aux pèlerins que le manque d'équipement est dû à la pingrerie du Conseil Général de la région. Mais la petite boîte qui, d'ordinaire, est à la disposition des pèlerins pour leur obole, est remplacée par une petite poubelle métallique et ne contient que quelques pièces de faible valeur.

Le village est très vivant et possède plusieurs bars et deux commerces d'alimentation.

J'aurai deux compagnons pour la nuit. André, Hollandais, 43 ans mais l'allure d'un collégien. Il est parti de Hollande le 1er avril. Pour avoir le temps de faire son trajet, il a cumulé les vacances 94 et 95, ajoutées à un mois de congé sans solde. Il a traversé la France sans suivre de balisage et m'explique que, si une carte a suffi pour le parcours Hollandais et 2 pour traverser la Belgique, il lui en fallut 11 pour traverser la France.

Antony, 49 ans, me dit qu'il est Gallois en précisant bien : du pays de Galles et il ne semble pas apprécier quand je lui explique qu'en France on appelle "Anglais" tous les sujets d'Elisabeth.

Ils se sont rencontrés à Roncevaux, marchent chacun à son rythme et se retrouvent aux étapes. Eux aussi me disent faire 35 à 45 km par jour. Je retrouverai le Gallois devant la cathédrale de Santiago.

O Cebreiro

Départ à 7h15. Le temps est beau mais il fait très froid. Le Chemin est tracé dans un magnifique paysage montagneux, fleuri de genêts et offrant des points de vue superbes. Je grimpe facilement -une température fraîche m'est très favorable- et j'arrive à 11 h à O Cebreiro, situé 1300 m d'altitude.

C'est un hameau très soigné dont on garde le caractère “préhistorique“ en entretenant particulièrement les chaumières rondes au toit de chaume.

La petite église Santa Maria est attenante à d'anciennes dépendances du monastère qui ont été transformées en auberge.


Le gîte est fermé et la jeune fille du bureau de tourisme me dit que tous les refugios de Galice, c'est à dire du Cebreiro jusqu'à Santiago, n'ouvrent qu'à 16h, ce qui se révèlera exact, et me remet une documentation sur le réseau des auberges du Chemin de St. Jacques en Galice.

Tous les refugios que je trouverai désormais seront neufs et impeccablement tenus.

Il fait très froid et, après avoir visité le village, je passerai l'après-midi dans un bar , après y avoir déjeuné avec un jeune Hollandais de 27 ans, Daniel, parti de Vézelay le 27 Avril.

Le refugio est tout récent, la cuisine possède deux plaques de cuisson et une machine à laver le linge mais aucun ustensile pour cuisiner. Heureusement, l'auberge me servira un repas copieux et excellent.


depuis la carte vous pouvez aller à chacune des étapes, et revenir à la carte, en cliquant sur le nom de l'étape
Triacastela

La montagne est dans les nuages. Dommage car je ne pourrai pas profiter du paysage.

A 13 h je suis au refuge de Triacastela qui se trouve à l'entrée de la ville, dans un environnement "nature" superbe et qui est, comme prévu, fermé jusqu’à 16h.

Je rentre en ville, déjeune, fais quelques commissions pour mon dîner, car le refugio est assez loin du centre-ville et je ne désire pas faire l'aller-retour une nouvelle fois.

Le refuge n'offre que des dortoirs, pas de cuisine. Entouré d'arbres et de pelouses, possédant un salon/véranda, ce refugio est un coin vacances délicieux. Je dîne, enfoncé dans un fauteuil de la véranda, de conserves de moules et coquilles St. Jacques, de pain, de yaourt et de fruits.

Barbadelo

Dès 7h je suis sur le très beau chemin, et à midi j'arrive à Sarria, à 4 km de Barbadelo. J'achète des fruits et je m'installe à l'ombre de l'église pour ce frugal déjeuner. Rien ne presse. Le refugio n'ouvre qu'à 16 h et il ne me reste qu'une heure de trajet.

La documentation qui m'a été remise à O Cebreiro ne dit rien de l'environnement "pratique" des refugios. Je ne sais donc pas si je trouverai des magasins d'alimentation ou des bars là ou se trouve le refuge.

Au poste de police de la Rúa Mayor, qui fait office également de bureau de tourisme et donne le tampon, on me dit qu'il n'y a ni boutiques ni restaurants à Barbadelo. Comme, depuis O Cebreiro, les refuges n'ont, soit pas de cuisine soit une cuisine non utilisable, je fais donc des provisions "froides": fruits, conserves de fruits de mer, oeufs que je mange crus, fromage et pain.

J'ai toujours dans mon sac, depuis quelque temps, un paquet de spaghettis et du beurre, ce qui me permet de faire un repas plus consistant si je trouve une cuisine équipée de casseroles. Et les spaghettis mélangés avec des moules en boîte, que l'on trouve couramment ici, me font une sorte de paëlla dont je me régale.

Barbadelo, c'est le refugio, une ferme qui ne montre aucune activité, une église Romane ravissante mais fermée, un point de vue magnifique et le calme absolu.

Arrivent aussi deux jeunes femmes en VTT, un couple allemand dont la femme traîne misérablement ses pieds douloureux, et un couple espagnol qui marche en portant, comme les anciens pèlerins, un long bâton auquel est accroché un semblant de gourde.

Seuls les allemands n'ont pas de provisions et la jeune femme qui a ouvert le refugio, compatissante, va "aux courses" pour eux. Pas de provisions dans le sac mais des boîtes de bière que notre bonhomme videra consciencieusement pendant les deux heures que mettra notre hôtesse pour rapporter les victuailles.

Portomarin

Exceptionnel sur le Camino: pour 12 fr il nous est proposé un petit déjeuner et toute la bande se retrouve à 8h autour d'une table garnie de pain, confiture, thé et chocolat.

Le chemin est extrêmement plaisant, ombragé, et passe par une vingtaine de hameaux sympathiques mais sans vie apparente.

A Ferreiros je fais une halte dans un bar tenu par un jeune homme qui réalise des objets en cuir. Ma ceinture, en plastique, se désagrégeant, je lui demande s’il peut m'en fabriquer une en bon cuir, ce qu'il fait dans l'instant.

A Mirallos, un kilomètre plus loin, une ravissante petite église Romane, juste en bordure du Chemin. Elle est ouverte et une messe est en cours, à laquelle j'assiste. Une coutume particulière qui me surprend: vers la fin de la cérémonie, chaque participant serre la main de son voisin.

Portomarin est une ville toute neuve, reconstruite sur une hauteur après que l'ancien village ait été noyé sous les eaux d'un lac artificiel vers 1960. L'imposante église-forteresse San Nicolás a été "démontée" et reconstruite au centre de la ville et l'on s'étonne qu'un bâtiment aussi gigantesque ait pu être l'objet d'un tel travail de démontage/remontage sans qu'aucune trace de cette opération n'apparaisse. D'autres éléments anciens, tels que le portail roman de l'église San Pedro et la chapelle de la Virgen de las Nieves, ont aussi été transportés et intégrés dans d'autres constructions pour perpétuer le souvenir de la vieille ville.

Palas de Rei

Départ à 6h30 pour une longue étape. A 11 heures, je suis à 7 km de Palas et je m'arrête à Eirexe au pied d'un arbre, bien calé dans une anfractuosité du tronc. Le soleil est très chaud et je somnole ainsi pendant un long moment.

Vers midi, je suis réveillé par une dame qui me demande si je veux déjeuner. Bien sûr! Je la suis jusqu'à la maison voisine où elle me sert un repas copieux. D'autres pèlerins arrivent et sont également servis. Comme il n'y a aucune indication signalant que ce lieu est un restaurant, la dame doit aborder les pèlerins et, comme le sentier passe devant chez elle, les clients ne manquent pas.

Après un arrêt très long, je repars sous le soleil au zénith et j'arrive à Palas à 15h15.

Le parcours d'aujourd'hui s'est fort bien passé et, à part la dame de Eirexe qui a échangé mes sous contre un repas, personne n'a essayé de me “détrousser” d'autres façons. Mais si l'on en croit la chronique racontée par un très ancien guide qui mettait en garde les pèlerins, il n'en pas toujours été de même. En dehors des loups et des bandits de tout acabit, le pèlerin pouvait rencontrer des fripons qui se présentaient sous des apparences plus agréables.
Ce que disait cet ancien guide du pèlerin:
“Les servantes des hôteliers du chemin de St. Jacques qui, par goût de séduction et aussi pour se faire un peu d'argent, se mettent pendant la nuit dans le lit des pèlerins, inspirées par le diable, sont absolument blâmables. Les prostituées qui, pour la même raison, sortent à la rencontre des pèlerins dans des lieux sauvages entre Portomarin et Palas de Rei, non seulement doivent être excommuniées, mais aussi dépouillées de tout et exposées, après leur avoir coupé le nez, au blâme public”. On était alors sans pitié.

Le pèlerin d’aujourd’hui peut-il prétendre continuer la lignée de ceux qui ont parcouru le Chemin il y a 1000
ans ? Pas de loups, pas de bandits, pas de ”catins sataniques”, des chemins balisés, des ponts sur les rivières, des vêtements légers et étanches, des chaussures qui permettent de faire 2000 km sans réparations. Difficile de ressentir leurs difficultés, leurs peurs. Difficile aussi de ressentir la foi qui les lançait sur un chemin dont ils connaissaient les dangers et dont, sans doute, beaucoup ne sont pas revenus.

Je suis très fatigué, j'ai terriblement sommeil et, après un long repos, j'irai dîner au restaurant, d'une soupe et de poissons, avant de dormir une longue nuit. L'étape de demain ne fait que 14 km et je ne partirai qu'à 8h30.

Mellide

Soleil sans nuages mais vent fort et froid. Le sentier est plaisant, en sous-bois souvent, sur un terrain sablonneux.

A un carrefour, un groupe de randonneurs espagnols est en train de casser la croûte. Je m'arrête près d'eux et je peux discuter avec le plus vieux, étonnant de vitalité, qui m'annonce fièrement qu'il a 68 ans et qu'il essaye de secouer un peu les jeunes, qu'ils "traînent "sur quelques étapes du Chemin et dont l'un est son fils. Il parle très bien français et se présente comme ayant été professeur de philosophie.

Le vent est tombé et il fait chaud sans excès. Je chemine tranquillement et j'arrive à Mellide à l'heure locale du déjeuner, que je prends au restaurant "Die Zwei Deutsch" (Les deux allemands).

Arzua

Le temps est beau, et seulement frais. Le sentier continue d'être extrêmement plaisant, serpentant fréquemment en sous-bois et traversant de nombreux villages. Depuis O Cebreiro, plus de plaines infinies ni de grandes distances sans villages.

Pour obtenir la Compostelle une fois arrivé à Santiago, il suffit d'avoir parcouru à pieds, en vélo ou à cheval, 150 km. Comme il y en a 152 depuis O Cebreiro, nombre de pèlerins peuvent obtenir cette Compostelle en parcourant la partie la plus agréable du Chemin espagnol. (Cette distance est maintenant de 100 km)

Je suis à Arzua en fin de matinée. Le refugio est à la sortie de la ville qu'il faut donc traverser, ce qui tient lieu de visite. Allongé au soleil sur le pré devant le refuge, je laisse passer le temps. Dans deux jours je serai à Santiago. Cette fin m'apparaît plus comme un soulagement que comme une victoire et j'en suis presque à me demander si j'ai vraiment fait un tel parcours.

Je vais déjeuner en ville et ensuite flâner sur la place où je rencontre un Hollandais parti de St. Jean Pied de Port. Dès l'ouverture du refuge, je prends une bonne douche bien chaude et je fais ma lessive dans un lavoir à l'ancienne situé à côté du refuge.

Dîner avec Pierre, Bernadette et Solange dans un restaurant tenu par un Italien qui parle un français impeccable et qui nous sert dès 20 h au mépris des usages locaux.

Arca (O Pino)

Départ à 7h. Temps toujours beau et frais et chemin toujours plaisant. Depuis quelque temps des bornes jalonnent le sentier et indiquent, tous les 500 m, les kilomètres restant jusqu'à Santiago. A 8h30 je passe à Calle devant une borne qui me dit qu'il reste 29,2 km à parcourir.

Un peu plus loin, un monument rappelle aux pèlerins que Guillermo Watt, peregrino, est mort ici à l'âge de 69 ans, à une journée de Santiago, le 25 Août 1993, année Sainte (année dont la St. Jacques -25 juillet- tombe un dimanche).

O Pino, le dernier refugio, sera l'un des 4 refuges du Chemin espagnol où l'accueil est chaleureux.

Et, en plus, la cuisine étant très bien équipée, Bernadette et Solange peuvent préparer le repas pour tout le monde.

Demain je serai à Santiago. Maintenant je suis très pressé d'arriver et, comme je me réveille généralement plusieurs fois dans la nuit, je décide de partir au premier réveil.

Santiago, 9 juin 1995 après 80 jours de marche

Je me lève à 2h45.

Douche, dernier bourrage du sac et petit déjeuner sur le pouce. La lune, basse sur l'horizon va bientôt disparaître et je suis la route dans la nuit noire. Vers 6 h, il commence à faire jour et je peux alors rattraper le sentier.

Au Monte del Gozo, à 3 km de Santiago, on passe devant l'immense "refugio", le Centre Européen de Pèlerinage, qui peut recevoir 2768 pèlerins dans des logements en dur et 1600 sous tentes de camping.

Un peu plus bas, au départ des cars, je rencontre 2 Hollandais (j'aurai vu beaucoup de Hollandais), qui ont fait le pèlerinage en vélo et qui vont prendre le train pour la Hollande.

L’arrivée dans la ville se fait à travers des faubourgs très ordinaires et à 7h45 j’atteins la pancarte Santiago. Je suis fatigué et ma jambe droite me fait mal. Depuis quelque temps, après une ou deux heures de marche, je ressens une sensation de brûlure sur toute la longueur de la cuisse droite.

Curieusement, cette douleur disparaîtra dès mon arrivée et ne reparaîtra plus, même lorsqu'après mon retour je ferai de longues marches.

Mais, pour l'heure, j'ai mal et je suis fatigué. Juste avant la pancarte il y a un bar et je m'y installe pour une demie-heure.

Retour sans poésie à la vie de tout le monde dans ce bar où défilent des employés qui viennent boire le café qui les réveillera.

J’aurais voulu, comme à St Jean Pied de Port ou à Pampelune, arriver à Santiago en passant une antique porte donnant accès à la vieille ville et à la cathédrale par des rues étroites et moyenâgeuses.

Mais je déambule dans des faubourgs sans attrait à la recherche de la cathédrale que je découvre par la Plaza Platerias alors que la façade imposante se trouve Plaza del Obradoirio.

Que Dieu et Saint Jacques me pardonnent, mais je ne ressens aucune émotion.

Dés le premier jour, et souvent le long du Chemin, j’ai eu peur de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout. Le Ciel m’a cependant donné la possibilité de marcher 80 jours et d’arriver sans problème à cette destination ambitieuse. Mais peut-être s’est-il écoulé trop de temps depuis le départ, peut-être ai-je accumulé trop de fatigue ?
Pourtant, dès cet instant, je ne ressens plus aucune lassitude. Mon corps, comme brusquement libéré d’un poids trop lourd, se fait complètement oublier.

Je regarde les gens qui s’agitent autour de moi. Ils ont l’habitude de voir des pèlerins et m’ignorent.
Mais demain, ceux qui iront à la messe des pèlerins à la cathédrale, entendront le récitant, lisant la liste des pèlerins arrivés la veille, dire que Gilbert Bon a marché du Puy en Velay à Santiago.
Allons, l’orgueil ne sied pas à un pèlerin.

Dans les derniers réfugios j’ai trouvé une publicité pour un logement, Calle Fonceca, l’une des rues qui entourent la cathédrale. Comme j’arrive tôt, tout est libre mais, avant de poser mon sac pour la dernière fois, je vais à la” Casa del Dean” toute proche chercher ma “Compostelle”, “diplôme” remis aux pèlerins depuis le XIVème siècle. Et c’est en latin qu’on peut y lire que “Gilbertum” Bon a fait le pèlerinage de Compostelle.

Je vais maintenant profiter du plaisir d’être là. Douché et chaussé léger, je vais flâner dans les petites rues alentour, rúa do Vilar et rúa do Franco, ces petites rues moyenâgeuses que je voulais trouver en arrivant.

A midi, à la messe du pèlerin, j’assiste, ébahi, à l’envolée du “botafumeiro”, gigantesque encensoir en argent, pesant plus de 50 kg.

Accroché à la voûte de la cathédrale, l’encensoir est mis en mouvement par 8 hommes qui agissent simultanément sur des cordes attachées à la corde principale dont la longueur est de près de 25 m.

L’arrivée de l’encensoir, son accrochage à la corde qui pend sous la voûte, le positionnement des 8 hommes (tiraboleiros en galicien) et la mise en mouvement de l’encensoir, se présente comme un spectacle bien rôdé, extrêmement spectaculaire et s’exécute sous la direction d’un “maître de jeu”.

L”encensoir s’envole une dizaine de fois jusqu’à atteindre la position horizontale.

L’hôtel***** des Rois Catholiques offrant un repas aux 10 pèlerins les premiers arrivés, je me présente à l’heure prévue et je fais un excellent déjeuner, servi à la cuisine sur un plateau et dégusté dans la salle à manger pour peregrinos, petite pièce malpropre, contrastant avec le luxe de l’hôtel. Ce sera le dernier repas que je ferai dans une ambiance “Camino”, entre Anglais, Espagnols, Français et Hollandais.

Je vais enfin rendre visite à l’Apôtre, dont les reliques sont conservées dans un coffret d’argent placé dans la crypte de la cathédrale, sous l’autel.

Ici finit le pèlerinage pour le randonneur-pèlerin que je suis, car je prendrai le train pour le retour. Mais une fois encore je pense aux vrais pèlerins de l’An Mil qui devaient revenir à pied.

Ce qui rend cette randonnée si particulière, c’est qu’elle se fasse sur le parcours d’un pèlerinage inscrit dans l’histoire.

Et sur ce parcours, le randonneur devient un Pèlerin, ce qui lui confère un statut particulier, lui vaut une déférence et un accueil que l’on ne trouve pas sur les kilomètres de sentiers que j’ai parcourus auparavant.

Gilbert Bon