La tempéra : histoire
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PETITE HISTOIRE DE LA TEMPERA
Si les termes détrempe et tempera longtemps recouvrirent des techniques souvent fort disparates allant de l’utilisation d’œuf, d’émulsions a base d’œuf d’huile et d’eau, voire a des peintures à base de colles végétales, de peau ou autres, leur seul caractère commun était l’utilisation de eau comme diluant. Actuellement on réserve plutôt le terme de détrempe pour caractériser l’ensemble de ces technique englobant également gouaches et aquarelles et on donne au mot de tempera un sens plus restrictif le réservant uniquement à une peinture où la partie principale du liant est le jaune d’œuf. Des recettes existent également avec des mélanges de jaune et de blanc, voire avec du blanc seul, tout ceci a tendance à fragiliser le feuil. A la grande époque de l’utilisation de la tempera le blanc était réservé à l’enluminure des manuscrits le jaune à la réalisation des panneaux de bois.
Les premiers indices d’une telle technique remontent à la période égyptienne où selon HERODOTE un pharaon du sixième siècle fit don d’un portrait à la ville de CYRENE, portrait probablement peint sur un panneau de bois. Si le liant utilisé à l’époque semble fort varié : colle, œuf ou miel, la base de la technique est déjà là utilisée également pour la confection des sarcophages en bois. Un support rigide recouvert d’un enduit mélangeant plâtre et colle et pour les motifs une peinture dont le diluant est l’eau.
Nous savons également qu’en Grèce la peinture sur panneaux de bois portatifs était connue et pratiquée de bonne heure. Nous connaissons même le nom de certains peintres même si leurs œuvres ont elles totalement disparues. Le plus célèbre était certainement APELLE et l’on sait que ce dernier présentait ses réalisations à la vue des passants sur un chevalet, de plus nous avons la certitude que les expositions temporaires et les musées existaient déjà, les propylées, l’entrée monumentale de l’acropole en était un. Rome suivit en cela les habitudes grecques et JULES CESAR fut lui-même un grand collectionneur de tableaux. Mais il semble que durant ces périodes la technique principale était la peinture à l’encaustique c’est à dire à la cire plutôt qu’à l’œuf. Nous trouvons dans le trente cinquième livre de l’Histoire Naturelle de PLINE L’ANCIEN la confirmation de l’utilisation de l’œuf avec des pigments, sans préciser toutefois s’il s’agit de jaune, de blanc ou du mélange des deux.
Plus tard un manuscrit de Thébes conservé à Leyde du troisième ou quatrième siècle mentionne comme liant la gomme et l’œuf. Le manuscrit de Lucques puis la Mappae Clavicula dont le plus ancien recueil se trouve à la Bibliothèque
Il s’avère que si les peintres byzantins perpétuèrent plus longtemps la cire comme liant, en occident l’usage de gomme, de colle ou d’œuf se généralisa durant toute cette période. Les traditions alchimistes furent également une influence qui put donner à l’œuf toute son importance. Pour les alchimistes il représente une image de la création du monde. De là à l’utilisation de ce liant en priorité d’autant plus qu’ils eurent d’autres influences sur le métier du peintre notamment par la création de pigments, tel le cinabre, combinaison de deux des produits primordiaux, pour ceux ci, le soufre et le mercure. Dans le cinquième livre du PSEUDO-DEMOCRITE, compilation byzantine de textes alchimiques de l’antiquité une description exacte de la préparation du jaune d’œuf est déjà faite : « Prends le jaune dans la paume de la main, nettoie le, pique le avec une aiguille et fais écouler le jaune dans un mortier » Nous avons là les gestes essentiels de la préparation du liant que nous décrirons ultérieurement.
Dans le Traité des Divers Arts du Moine THEOPHILE la description est pratiquement complète : panneaux de bois recouvert de toile ou de cuir, enduit de plâtre et de colle de peau, liant à la gomme ou à la résine et protection du feuil par un vernis à l’huile où une résine a été dissoute.
Dès le treizième siècle les manuscrits citent de plus en plus la tempera à l’œuf, l’encaustique est définitivement supplantée depuis longtemps. La tempera est alors la technique primordiale et le restera jusqu’au milieu du quinzième siècle pour céder à son tour la place à la peinture à l’huile.
Mais il faut noter que dans un premier temps les peintres continueront a commencer leurs panneaux à tempera pour ne les finir qu’avec des glacis d’huile et de vernis. Les peintres italiens en apprirent les recettes des flamands mais se montrèrent pour certain réticents avec cette nouvelle technique et l’on trouvera régulièrement des temperas réalisées jusque vers le tout début du seizième siècle.
Le grand livre technique est alors le « Livre de l’Art » de Cennino CENNINI, Un élève d’un élève de GIOTTO, qui décrit totalement la manière de procéder. Technique héritée des peintres byzantins d’icônes qui eux aussi avaient abandonné la cire. Le livre de CENNINI est donc le point d’orgue de cette façon de travailler, héritage de CIMABUE et de GIOTTO donc. Il en marque aussi la fin proche et son futur abandon, il a été rédigé aux environs de mille quatre cent.
Nous l’avons déjà dit à partir de quinze cent la peinture à l’huile va régner en maître absolu et la tempera ne fut plus pratiquée qu’épisodiquement mis à part les peintres d’icônes qui perpétuèrent une technique fort voisine pour, eux aussi, l’abandonner au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècle.
Ce n’est que vers mille neuf cent que des peintres reprirent le flambeau, mais ils durent dans un premier temps retrouver la manière de faire véritable et un peintre et chimiste tel que VIBERT en fût l’artisan principal, d’autant plus que la traduction du « Livre de l’Art » par MOTTEZ était approximative et incomplète, son fils terminant plus tard le travail. Et ce n’est que depuis récemment que nous disposons en France d’une édition sérieuse réalisée par Colette DEROCHE chez BERGER-LEVRAULT. Cette traduction a laquelle il est bon de retourner régulièrement pour s’imprégner du métier véritable des grands maîtres de la tempera. Quant à l’avenir, on ne peut qu’espérer qu’elle retrouvera pleinement la place qu’elle mérite au vu des résultats obtenus.
Encore une fois que les sceptiques retournent au musée où la preuve de la qualité rare de cette technique est parfaitement visible. Seul peut-être la relative complexité du processus, provenant essentiellement de l’obligation de tout faire soi-même, pourrait au départ en décourager certain. Mais nous allons voir dans les numéros de la revue qui suivent qu’il n’est pas plus difficile de mettre en pratique cette technique qu’une peinture à l’huile de qualité faite elle aussi dans le respect du véritable métier.
Luc Dornstetter