Si le professeur de français est « professeur de tous les textes et de tous les discours » ( Instructions Pédagogiques du programme de français au Baccalauréat Professionnel ), la question du classement des productions textuelles ne peut être contournée et mérite un traitement clair et rigoureux. Les classements les plus anciens ont une base générique. L'étude des genres s'est diversifiée et affinée au cours des siècles ; elle a longtemps dominé la pratique scolaire comme en témoigne encore aujourd'hui la collection « Littérature et Langages » ( Nathan ). La place de plus en plus importante accordée par la linguistique textuelle contemporaine 1 à la catégorie discursive de « genre » témoigne du regain d'intérêt que suscite cette notion.
Le classement par genres serait donc encore le plus proche de la réalité sociolinguistique des activités discursives humaines. Malheureusement, serait-on tenté de dire, les genres sont d'une infinie diversité. On 3 en aurait dénombré plus de mille !Une typologie à base générique serait soit trop touffue, trop complexe, soit trop réductrice, et pratiquement impossible à didactiser. En effet, au moins un point fait l'unanimité chez les didacticiens : une typologie à usage pédagogique devrait comporter au maximum une dizaine d'unités 4 ... Un article d'André PETITJEAN 5 fait l'inventaire des principales typologies textuelles non génériques proposées à cette date et des réflexions sur l'activité de classification et ses paramètres. On pourra s'y reporter utilement. La typologie généralement prise en compte par les instructions pédagogiques ( de l'école au lycée ), les manuels, les recherches didactiques, et les enseignants, est issue des travaux de WERLICH 6 qui, sur la base d'un foyer conceptuel lié à des procédures cognitives, distingue cinq types :
Cette typologie a connu des variantes, dont la plus connue est celle de Jean-Michel ADAM, qui a elle-même varié, passant de 7 types à 5 ( voir Les typologies textuelles ). Mis à part les types narratif / descriptif / argumentatif, le caractère « évident » des autres types proposés a été plus ou moins remis en cause par les didacticiens. Nous ferons état, au fur et à mesure, de ces discussions, et nous prendrons position, s'il y a lieu. Rappelons, à titre d'exemple, que l'arrêté portant sur les BEP ( J.O. du 17 juillet 1992 ) dans une note de bas de page signale qu'
Dès 1987, Jean-Michel ADAM 7 a proposé de substituer aux typologies textuelles, une typologie basée sur la séquentialité. Constatant qu'un texte est avant tout une unité complexe hétérogène composée de séquences, il en déduit qu'une typologie « textuelles » n'a de pertinence que si elle porte sur des textes d'une seule séquence - très rares, selon lui. Toutes les autres productions discursives ( c'est-à-dire la très grande majorité ) sont pluriséquentielles, et la visée typologique doit donc prendre appui sur les notions d'insertion / succession / alternance / imbrication de séquences qui contribuent à former un ensemble textuel dont on peut ainsi déterminer ( non sans difficultés parfois ) le type dominant. C'est ainsi qu'on peut analyser le texte « Le Merle bleu », qui nous servira désormais de référence 8 comme un texte pluriséquentiel à dominante narrative. Ce texte est composé
L'hétérogénéité séquentielle est la règle, le texte monoséquentiel l'exception... encore que, dans certains genres ( cf. les Nouvelles en trois lignes de Félix FÉNÉON 9 ) l'inverse peut être vrai. Le type étant défini comme « type structurel intégré dans un discours » 10, la reconnaissance de la superstructure est le critère qui permet d'affirmer que telle séquence correspond à tel type. Par exemple, la séquence SN1 du Merle bleu correspond bien à un schéma narratif, incomplet : équilibre initial - déséquilibre - tentatives de retour à un nouvel équilibre... S'il n'est pas possible d'établir un modèle structurel pour une séquence donnée, ni une dominante pour le texte pluriséquentiel, nous dirons que cette séquence, ou ce texte, n'est pas analysable typologiquement. C'est pour cette raison qu'il faut récuser le type « poétique-autotélique » ainsi que le type « conversationnel / dialogal ». Il s'agit là de formes, voire de modes d'énonciation, mais certainement pas de types. Par contre la forme ( ou le genre ) poétique peut comporter des séquences nettement typées - ce qui constitue un argument supplémentaire pour ne pas le considérer comme un type de textes. Il en va de même pour le conversationnel / dialogal. Que toutes les productions discursives ne soient pas analysables en « types » selon la définition donnée plus haut n'infirme en rien les classements typologiques issus des travaux de WERLICH, mais signifie seulement que les critères retenus l'ont été davantage pour des raisons de commodité didactique que d'exhaustivité théorique.
Il ne faudrait pas, cependant, se faire une conception trop rigide de la superstructure séquentielle, ni de la façon dont elle structure un texte. Une séquence textuelle est plus ou moins conforme au modèle canonique des manuels, plus ou moins ambiguë 11. C'est ainsi qu'il faut bien constater que la séquence narrative ( SN1 ) du Merle bleu est incomplète, puisque le rétablissement d'un nouvel équilibre ( qui se traduit par plusieurs tentatives, donc se subdivise en sous-éléments... 12 ) n'aboutit pas, mais se transforme en séquence injonctive dont l'objet est de solliciter le lecteur - énonciataire pour qu'il contribue à rétablir l'équilibre rompu ( en devenant sur le plan actantiel, un adjuvant ). Quant à l'ensemble du texte auquel nous avons attribué une dominante narrative, ne pourrait-il pas être qualifié de globalement... explicatif en considération de ses conditions de production, de sa visée et du genre dans lequel il s'inscrit ? Décidément, rien n'est simple ! Cette « incertitude » ( ou « hésitation », pour filer une métaphore moins physicienne ! ) séquentielle ( textuelle ) ne discrédite pas le classement typologique retenu, mais le nuance et le... valide. En effet, il faut accepter, une fois pour toutes, le fait que la réalité langagière ( i.e. la créativité discursive ) précède les classement typologiques ( cf. note 11 ), et que ceux-ci procèdent davantage d'une commodité didactique que de la complexité du réel. Il faut accepter également le fait que la recherche linguistique relève des Sciences Humaines, même si elle se pare des plumes des Sciences Exactes. La nécessaire réduction didactique doit se garder d'être mutilante, et si, pour des raisons liées à un apprentissage progressif, il faut bien souvent commencer par le « plus simple » ( c'est BRECHT qui l'a écrit ! ) 13 il est possible, et nécessaire, de faire comprendre que les régularités ne sont pas incompatibles avec la complexité. Bernard COMBETTES 14 notait déjà en 1987 qu'un
et que
qu'il s'agisse de structures syntaxiques, lexicales, thématiques, rhétoriques ou de ce qu'il appelle « les niveaux intermédiaires » ( opposition récit / discours, premier / deuxième plan... ). Cette caractérisation des principaux faits de langue selon les types à travers lesquels ils se réalisent est sans doute la première justification, et le premier intérêt didactique, du classement typologique. Mais il faut veiller, dans ce domaine également, à ne pas trop systématiser la relation faits de langue / type. La langue, quand elle est parole / discours, est toujours plus riche ( plus rusée ! ), plus nuancée que toutes les classifications. Elle arrive sans peine à les subvertir. on peut rencontrer, par exemple, une séquence injonctive dont le « plan de texte » n'a rien d'injonctif ( pas de forme impérative, notamment ). L'inverse est également possible : une séquence peut présenter une structure de surface ( « plan de texte » ) instructionnelle, et pourtant être de nature descriptive...
Lier mécaniquement des indices formels à un type précis peut conduire à une analyse réductrice, voire franchement erronée; erreur que tous les manuels scolaires n'évitent pas, faute d'une réflexion typologique rigoureuse.
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