Les schémas narratifs

  

  

  

Pour l'analyse des récits, l'utilisation « du » schéma narratif est une compétence requise dont la maîtrise est considérée comme primordiale. Aucune séquence n'en fait l'économie. Pourtant cette notion n'est pas sans soulever de nombreuses difficultés didactiques. La moindre n'est pas que l'on traite toujours « du » schéma narratif, et donc que l'on donne à croire que la notion est universelle, intangible... vérité « scientifique » incontestable.

  

1. SCHÉMA NARRATIF d'après Paul Larivaille

 

RÉCIT = Situation initiale
  Élément déclencheur
  Péripéties
  Élément de résolution
  Situation finale

 
Ce modèle du récit  est bien connu et largement utilisé dans le contexte scolaire. Il est issu des travaux structuralistes de P. Larivaille qui font suite à ceux de C. Brémond et A. J. Greimas.

Appelé « schéma narratif » ou  « schéma quinaire », il est largement répandu dans les manuels et, donc, dans les pratiques scolaires. Mais il n'y est jamais présenté comme le fruit du travail d'un homme, d'une école, d'une approche ( l'analyse sémiotique ) et cette « décontextualisation » du modèle le fait apparaître comme le seul outil possible d'analyse des récits, transcendant temps et lieu. Il faut ajouter, en outre, que la mise au point de ce modèle par P. Larivaille repose sur l'analyse d'un vaste corpus de contes - et de contes seulement, genre privilégié vers les années 60 - 70 pour l'analyse des récits.

Or le modèle quinaire est très loin d'être le seul disponible dans la vaste littérature théorique sur l'analyse des récits. Il semble que sa simplicité apparente l'ait fait « élire » comme référence dans l'aire francophone, et en apparence uniquement pour des raisons qui tiennent à la prégnance, dans cette aire, des analyses structurales de l'école française ( R. Barthes, A. J. Greimas, C. Brémond, J. Courtès, G. Genette... ).

Ce schéma n'est que rarement présenté dans toute sa complexité d'utilisation. On « oublie », en effet, d'en rendre compte comme d'une cellule de base de l'analyse d'un récit, une sorte de motif élémentaire. Peu d’exercices scolaires reposent sur l'utilisation du schéma de Larivaille pour analyser un texte complet ; le plus souvent, paradoxalement, on propose de l'utiliser sur des extraits narratifs courts. Dans la plupart des manuels, il n'est pas fait mention du fait que la cellule de base, pour rendre compte d'un texte narratif clos, se retrouve de multiples fois dans le récit. Enchaînements, juxtapositions, enchâssements de la cellule de base ( ou d'une partie de cette cellule ) sont seuls à même de mettre en évidence la complexité d'un récit complet. Mais, dans ce cas, il n'est plus possible de considérer la structure réelle du texte étudié comme un simple décalque de la cellule narrative de base. Il semble que ce soit là l'origine du constat amer de beaucoup d'élèves et d'enseignants : « La plupart du temps, sur un récit authentique, non réarrangé, le schéma narratif, comme on le présente dans les manuels, ça ne marche pas ! ». A moins de considérer que dans tel roman, le déclencheur se donne à lire dans les premières pages, que la résolution intervient page 250... et qu'entre ces deux événements tout est « péripéties » !

Bien entendu, dans le contexte scolaire, les élèves sont évalués sur leur connaissance ( déclarative ) du schéma - ce qui n'est pas bien grave ! - et sur leur habileté ( compétence procédurale et conditionnelle ) à l'utiliser pour l'analyse ou la production d'un récit, ce qui se révèle bien plus inquiétant.

  

2. SCHÉMA NARRATIF d'après Stein  et Glenn

Les recherches anglo-saxonnes ont conduit, à partir des travaux de Kintsch, T.-A. van Dijk, P.W. Thorndyke, N.S. Johnson, J.M. Mandler, à l'élaboration d'un modèle psychologique de la structure des récits.

RÉCIT = CADRE + ÉPISODE(S)
  
CADRE = environnement, personnage(s), situation
  
ÉPISODE = déclencheur + [ réponse + plan ] + mise en application
  
MISE EN APPLICATION = tentative + conséquence(s) directe(s) [ + réaction(s) ]

   
Le cadre présente le(s) personnage(s), sa (leur) situation et le(s) situe dans un environnement. La détermination de ce cadre a pour but de caractériser la situation avant qu'il ne se passe quelque chose, ou de rappeler la situation antérieure au déclenchement du récit. Il s'agit toujours d'une phase de discours du narrateur ( marquée par l'utilisation du passe composé, du plus-que-parfait et/ou de l'imparfait ).

Un épisode trouve son origine dans un événement déclencheur qui fait naître une réponse ( mentale, affective souvent ) chez un des personnages. Cette réponse active chez ce personnage une émotion, un savoir, un but... et aussitôt il échafaude mentalement un plan destiné à atténuer le déséquilibre psychologique provoqué par l’événement déclencheur. Cette phase mentale, interne au personnage, est souvent implicite dans les récits et doit être reconstruite ( inférée ) par le lecteur à l'aide des événements qui mettent en évidence la mise en application du plan élaboré.

La mise en application du plan constitue le corps du récit. Des actions, directement commandées par le plan échafaudé, sont mises à exécution par le personnage. Le résultat de ces actions sur les autres personnages, sur la situation, sur l'environnement en constitue la (les) conséquence(s) directe(s).

Le plan du personnage, mis en application, finit donc par provoquer des changements importants dans la situation. La (les) conséquence(s) de ces actions peu(ven)t provoquer une ou des réactions chez les personnages. Ces réactions, affectives (un sentiment, un état d'esprit) ou cognitives ( un savoir, une conclusion ), provoquent éventuellement un passage à l'acte qui, souvent, constitue le déclencheur d'un nouvel épisode.

Même si le schéma, d'inspiration psychologique, proposé par Stein et Glenn n'est pas opérant dans tous les récits, il permet cependant de mettre en lumière une structure narrative cohérente dans des récits relevant de genres différents : contes, nouvelles, romans, fables. Pourquoi alors ne pas le proposer aux élèves comme un modèle explicatif parmi d'autres; il n'est pas plus compliqué d'utilisation que le schéma quinaire. Ils seraient alors en mesure de privilégier le modèle explicatif qui leur apporte le plus d'efficacité dans l'analyse d'un récit quelconque, en fonction des objectifs qu'ils se sont fixés.

  

BIBLIOGRAPHIE

  

FAYOL, M. : (1994), Le récit et sa construction. Une approche de psychologie cognitive, Delachaux & Niestlé, pp. 45 sq.