La pédagogie de l'alternance

une analyse critique

  

  

    

REMARQUE : Pour éviter la confusion entre Apprentissage, voie de formation, et apprentissage, acte d'apprendre, nous avons pris le parti de toujours écrire le premier de ces termes avec une majuscule.

    

  

 

La « pédagogie de l'alternance » affiche l'ambition d'être à la fois un dispositif de planification de la formation des apprentis et une assise théorique constitutive des pratiques de formation des enseignants et formateurs des Centres de Formation d'Apprentis. Ses choix et ses propositions se fondent sur l'analyse de l'interaction des situations de formation et des situations de production distribuées sur deux pôles nettement distincts, l'école et l'entreprise.

Les différentes formes de l'alternance, en tant que dispositif, ont été distinguées par GROOTAERS, ANTOINE & TIMAN (1988) 1 :

l'alternance - fusion

l'alternance - juxtaposition

l'alternance - complémentarité

l'alternance - articulation... la vraie !

L'alternance - articulation vise clairement à systématiser les liaisons entre les deux pôles de formation ( école / entreprise ) et à organiser formation et production à travers une planification rigoureuse et étroitement concertée.

  

A l'heure actuelle, l'alternance est prônée dans toutes les voies de formation professionnelle. Mais « stages en entreprise », « modules d'immersion professionnelle », « périodes en entreprise » dans le cas de l'Apprentissage, toutes ces concrétisations de l'alternance, loin d'aboutir toujours à une véritable articulation formation / production, consistent encore souvent, dans les faits, à juxtaposer les moments, les lieux et les objectifs de la formation.

   

formation par apprentissage et alternance 

Nous voudrions montrer que, dans le cadre de la formation par la voie de l'Apprentissage, loin de s'être constituée comme approche proprement pédagogique de l'acte d'apprendre en situation ( au sens où l'entendent les contextualistes - cf. l'apprentissage contextualisé ), la « pédagogie » de l'alternance n'a débouché, après vingt ans de réflexion et de propositions, que sur un « outillage » des situations d'alternance ( fiches et tableaux divers ). Ses options théoriques concernant le choix d'un arrière-plan conceptuel dans lequel inscrire des propositions pédagogiques adaptées n'apportent pas de réponse(s) spécifique(s) à la question « comment apprendre en situation d'alternance ? ». Elles s'appuient en fait sur le « discours pédagogique » dominant au sein de l'Éducation Nationale aux différentes époques considérées et n'avancent donc pas de propositions originales qui jetteraient les bases d'une pédagogie de l'apprentissage en situation d'alternance. On peut distinguer trois périodes dans l'élaboration de ce qu'on appelle « pédagogie de l'alternance » qui correspondent, sur le plan théorique, à

(a)

la reprise du fonds béhavioriste en usage dans les années 1980 dans le système scolaire français ( 1ère période : groupe « E.-X. VISSEAUX » )

(b)

la confirmation des options théoriques précédentes et une volonté encore plus nette d'une instrumentalisation des enseignement généraux, subordonnés aux objectifs et/ou aux contenus de l'enseignement professionnel pratique.

(c)

un nouvel habillage, à la suite des propositions cognitivistes, notamment par l'accent mis sur la notion de compétence, à partir du milieu des années 1990 ( 3ème période : Michèle MAUDUIT-CORBON et Franck MARTINI )

Répétons-le, dans tous les cas, les propositions proprement pédagogiques de la « pédagogie de l'alternance », c'est-à-dire les réponses qu'elle pourrait et devrait apporter à la question centrale « comment apprend-t-on en situation d'alternance ? », ne sont ni originales - ce que nul ne réclame, ni spécifiquement pensées à partir des véritables situations d'apprentissage en alternance - ce qui est, bien entendu, beaucoup plus « gênant ».

A l'heure actuelle, la « pédagogie de l'alternance » est profondément occupée à formaliser l'aspect curriculaire des parcours de formation, elle est une planification de ces parcours; on peut donc regretter que cette centration exclusive sur des aspects formels occulte l'urgence véritable : la définition d'un cadre conceptuel propre à « l'apprendre en Apprentissage » et la conception et la mise en oeuvre d'orientations vraiment pédagogiques destinées à rénover les pratiques d'enseignement en vigueur dans les Centres de Formation d'Apprentis.

   

1. La genèse : le groupe « Émile - X. VISSEAUX » ( 1990 )

Coordonnés par l'Inspecteur Général de l'Éducation Nationale Émile - X. VISSEAUX, les travaux de la Cellule Interacadémique d'Animation Pédagogique de l'Apprentissage ont été formalisés dans un numéro spécial de la publication du Ministère de l'Éducation Nationale, Liaisons Pédagogiques, n° 11, daté de mai 1990 et titré « Apprentissage - Méthodologie de la pédagogie de l'alternance ».

Ce document de 172 pages se présente comme « le fruit d'une décennie de recherches pédagogiques » et se veut « une instrumentation-support dans le domaine de la formation des formateurs » des Centres de Formation d'Apprentis. Il est organisé en quatre grands chapitres :

Approche méthodologique

Fiches techniques

Fiches prospectives

Annexes

   

Les fondements théoriques

a. La pensée inductive

La nécessité de privilégier l'induction dans les situations d'apprentissage ( cf. fiche technique n° 2, p. 26 ) constitue le « noyau dur » des propositions pédagogiques théoriques du groupe.

Cependant la définition donnée de la pensée inductive

« opération mentale par laquelle un sujet confronte des éléments pour en faire émerger le point commun »

introduit, d'entrée, une zone de flou conceptuel qui va naturellement obscurcir toutes les propositions ultérieures. Rappelons que la définition communément admise est sensiblement différente :

« l'induction est une opération mentale au cours de laquelle on passe d'observations multiples à l'énoncé d'une loi ( ou d'un modèle ) qui en rend compte. Il s'agit donc d'une sorte de généralisation ( qui passe du particulier au général ... ) » 2

En fait, la définition proposée par le groupe correspond à celle d'une autre opération mentale : la comparaison. 

L'imprécision qui conduit à faire admettre

éléments = particulier

point commun = général

n'est pas la seule. La définition de la pédagogie inductive qui doit être mise en oeuvre au CFA 3 opère un saut conceptuel encore plus radical :

« pédagogie qui conduit l'apprenant du concret à l'abstrait, c'est-à-dire, pour l'apprenti, de son vécu professionnel à la maîtrise des techniques du métier et des concepts correspondants. »

Ici c'est l'équation

éléments = particulier = concret

point commun = général = abstrait

qui est posée. Le moins qu'on puisse en dire est que, d'un point de vue scientifique, les choses ne sont pas aussi simples. En fait, partis de la définition d'une opération mentale, d'une activité intellectuelle, les auteurs, emportés par leur souci d'ancrer les activités au CFA dans un « vécu professionnel », opèrent un saut qualitatif qu'on peut mesurer à travers les exemples qu'ils fournissent : 

« en mécanique : ( conduire ) des travaux sur le carburateur ( démontage, remontage, contrôle, réglage, etc... ) à la maîtrise du concept scientifique de la carburation,

en pâtisserie : des fabrications concrètes que sont les brioches, les croissants, les babas, etc... à la maîtrise de la technique de la pâte levée. » ( p. 26 )

Ces exemples, le second surtout, conduisent à s'interroger sur la nature du raisonnement inductif visé. Comment les apprentis peuvent-ils passer du démontage et du remontage d'un carburateur au « concept scientifique » dont la compréhension et l'acquisition est souhaitée ? En quoi le savoir-faire ( la connaissance procédurale ) « maîtriser la technique de la pâte levée » peut-il s'induire de la fabrication de brioches ? A tout le moins, ces exemples sont mal choisis. Plus exactement, ils sont l'illustration d'un certain flou conceptuel.

« Pour que l'induction soit pertinente, il faut qu'elle soit contrainte par les connaissances du sujet et le but qu'il suit. Sans arrière-plan théorique, l'induction peut conduire à d'évidentes absurdités. » 4

Ce sont en fait deux autres types d'apprentissage qui sont signalés par les exemples donnés : l'apprentissage par observation et par imitation, qui ne sont pas des apprentissages par raisonnement, mais qui, par contre, mettent tous deux l'accent sur la culture, notamment professionnelle, dans le modelage des apprentissages. En ce sens, c'est dans la théorie de l'apprentissage vicariant de BANDURA, et surtout dans les propositions de la cognition contextualisée et de l'enseignement ancré qu'une pédagogie de l'alternance pourrait se fonder.

En effet, il est indéniable que les apports théoriques de l'enseignement et de l'apprentissage « ancrés » 5  pourraient et devraient constituer l'épine dorsale d'une véritable « pédagogie de l'alternance ». Dans ce modèle pédagogique, ce sont les situations et les scénarios authentiques, en tant que « macro-contextes » d'apprentissage, qui constituent des situations-problèmes à l'occasion desquelles les apprentis peuvent mettre en oeuvre des stratégies diversifiées de résolution de problèmes et s'approprier les concepts correspondants. Plutôt que de « limiter » les démarches au seul exercice de la pensée inductive 6, l'enseignement/apprentissage ancré permet aux apprenants d'acquérir des stratégies solides plus diverses qui demandent l'exercice du

raisonnement déductif

raisonnement expérimental ou raisonnement par test d'hypothèses ( raisonnement inductif )

raisonnement analogique

raisonnement au quotidien ( cf. cognition contextualisée )

raisonnement divergent ( créativité, cf. psychologie culturelle ) 7

Toujours dans le contexte de la justification du recours privilégié au raisonnement inductif dans les activités d'apprentissage au CFA, un autre argument est avancé par les auteurs :

« La plupart ( des jeunes qui entrent en apprentissage ) ne manient qu'imparfaitement la pensée de type hypothético-déductif. »

En cela ils ont raison, tous les types d'évaluation menés dans les CFA l'ont montré.

Mais il est fort surprenant qu'ils s'appuient sur ce constat pour privilégier, dans une « pédagogie de l'alternance », l'acquisition par les apprentis de stratégies de type inductif. En effet, Jean PIAGET, dans sa théorie des stades du développement 8, considère que le stade des opérations formelles ( terme englobant ) est celui de l'acquisition de deux capacités inférentielles : l'induction et la déduction. Dans l'expression « hypothético-déductif », forgée par PIAGET, le premier terme renvoie à l'induction et le second à la déduction. Comment alors peut-on invoquer le recours privilégié à une pédagogie de type inductif si, dans le même temps, on considère que les apprentis « ne manient qu'imparfaitement » ce type de raisonnement ?

N'est-on pas autorisé, une fois encore, à voir dans cette proposition la marque d'une lecture et d'une interprétation assez « floues » de ce qui est censé constituer le socle conceptuel sur lequel reposerait une « pédagogie de l'alternance » ?

Revenons enfin au « vécu professionnel », si souvent invoqué dans cette fiche technique n° 2. On néglige, semble-t-il, à vouloir assimiler à tout prix ce « vécu » au « concret », un fait capital et qui, à lui seul, mériterait un examen minutieux pour fonder une véritable pédagogie de l'alternance : le « vécu professionnel » de l'apprenti est lui aussi une construction mentale, dont l'expression est par conséquent très dépendante des conceptions et croyances de l'individu. En d'autres termes,

« Ce que nous expérimentons, découvrons et savons est nécessairement constitué de nos propres éléments de construction et seuls nos manières et moyens de construction peuvent en rendre compte. » 9

  

b. La « pédagogie par objectifs » 

La fiche technique n° 9, page 55, présente « les apports de l'analyse par objectifs pour la pédagogie de l'alternance ».

D'entrée la confusion s'installe entre « analyse par objectifs » et « pédagogie par objectifs ». Il faut croire que le terme « pédagogie » possède, en lui-même, des vertus cardinales. Il serait même légitime d'affirmer qu'il permet un coup de force discursif qui clôt toute discussion sur ce qu'on qualifie ainsi. C'est pourquoi il convient de rappeler fermement, concernant la prétendue « pédagogie par objectifs », en dépit de la fortune considérable de l'expression dans la réflexion pédagogique française, l'avertissement de Daniel HAMELINE, dans son ouvrage fondateur sur le sujet :

« La première chose à écrire en commençant, c'est que la pédagogie par objectifs, ça n'existe pas, et qu'il est dangereux et absurde de propager l'idée que définir des objectifs pédagogiques pourrait tenir lieu de « pédagogie ». » 10

L'expression « analyse par objectifs » renvoie en effet à une technologie éducative, celle-là même qu'on a pu définir comme une planification pédagogique ( instructional design, diraient les anglo-saxons ) préalable à l'acte d'enseigner et d'apprendre. Mais loin de s'en tenir à cette orientation, très souhaitable au demeurant, pour une clarification des effets attendus, des résultats escomptés d'un apprentissage, les auteurs affirment très nettement la prééminence inconditionnelle des objectifs sur toute autre considération :

« Dès lors, il sera possible : (...)
- de s'interroger sur la ou les méthodes pédagogiques à privilégier, les moyens les mieux appropriés à utiliser; ceux-ci ne seront plus alors que des outils pour atteindre des objectifs définis préalablement avec précision, selon un itinéraire choisi sur des critères objectifs et conscients. » 11

En ce qui concerne l'arrière-plan conceptuel dans lequel s'inscrit la réflexion théorique des auteurs, toute ambiguïté est levée par la citation qui sous-titre cette fiche :

« Toute pédagogie doit être guidée par son issue. »

R. F. MAGER

C'est bien dans une perspective béhavioriste qu'on se situe, et même dans celle, radicale, de l'enseignement programmé dont MAGER est, après THORNDIKE et TYLER, un représentant éminent.

Il faut cependant bien considérer que l'apport de MAGER à la définition des objectifs pédagogiques est fondamental. Mais son comportementalisme catégorique lui a valu d'être la cible de toutes les attaques, notamment de la part des constructivistes ( cf. PIAGET ) et des cognitivistes. En effet, ses propositions sont incompatibles avec celles de ces deux courants, plus novateurs, et surtout moins inféodés à une logique entrepeneuriale 12. De plus, elles ont été la source d'un malentendu fondamental ( ... et d'amères déconvenues, surtout dans le champ de la rénovation pédagogique en France à la fin du siècle dernier ): la définition, même canonique, d'un objectif pédagogique n'a jamais pu remplacer le traitement didactique qui devait la précéder et le traitement pédagogique qui devait la suivre.

Il pourra sembler discourtois, en outre, de trop insister sur un autre point : si les auteurs préconisent le recours à l'analyse par objectifs en tant que « moyen efficace d'analyse des données et d'aide à l'élaboration de la stratégie de formation », dans leur propre production d'objectifs pédagogiques, ils commettent les mêmes erreurs que celles qui sont le fait de presque tous les novices en la matière 13 :

ce qu'ils définissent comme objectifs n'en sont pas ( leurs propositions constituent, le plus souvent, des énoncés d'activités 14 );

la plupart  des objectifs bien formulés qu'ils proposent se cantonnent aux niveaux inférieurs de la taxonomie de B. S. BLOOM ( niveaux 1 et 2 ), qui ne sont pas garants de l'acquisition des compétences de haut niveau nécessaires pour la résolution de problèmes complexes 15

 

c. « L'outillage » des situations d'alternance et l'instrumentalisation des enseignements généraux

Le document « Apprentissage - Méthodologie de la pédagogie de l'alternance » est riche de propositions d'outils permettant d'analyser des situations de production et de certification ( référentiel de l'emploi, référentiel du diplôme 16 ), d'outils destinés à la planification du curriculum ( tableau de stratégie, document de liaison notamment ) et même d'outils visant la « catalyse de la relation pédagogique » ( fiche navette ).

Dans ce domaine, même si une analyse critique des documents proposés doit également être menée, les propositions de la Cellule Interacadémique d'Animation Pédagogique de l'Apprentissage ont fourni un outillage qui conduit à une planification plus rigoureuse des moments et des contenus de l'alternance. On peut même considérer qu'il s'agit là de son apport principal.

Quelques critiques sur le fond ont cependant déjà été formulées. Le numéro 128 de la Revue française de Pédagogie 17 est consacré à l'alternance. On y met l'accent sur une nécessaire didactique constructiviste / cognitiviste de l'alternance qui inverse la démarche didactique traditionnelle : il ne faut pas s'inscrire dans une logique de l'explication ( partir des cours, des définitions, etc. pour aller vers l'application ) mais, dans les enseignements professionnels, travailler à partir de situations-problèmes, authentiques, riches et complexes et donc s'inscrire dans une « didactique de l'explicitation ».

« Problématiser les situations complexes ce sera d'abord analyser des situations vécues et non encore énoncées donc des problèmes ouverts (les questions n'étant pas prédéfinies). Leur modélisation en situations-problèmes didactiques ne se fera que dans un second temps, après identification de ce qui fait obstacle du point de vue de la formation. Ainsi, la situation-problème signifiante, quand elle émerge, ne peut être que produite par l'alternant lui-même - et elle vaut mieux que toutes celles élaborées par l'enseignant. On pointe ici la limite (voire le danger) de tous les tableaux de stratégies de formation pré-construits en fonction d'apprentissages pré-définis par les enseignants. » 18

 D'autre part, on peut lire sous la plume des mêmes auteurs

« Pour les enseignements généraux ou les savoirs disciplinaires, la démarche d'inversion (valable pour les enseignements professionnels) nous paraît tout à fait insuffisante ( appel de note ). L'alternance se veut aussi éducative et culturelle. »

note : « (...) toutes les séquences didactiques ne doivent pas relever d'une structuration identique partant systématiquement d'une analyse du milieu professionnel ou des activités effectuées. » 19

Cette position semble frappée au coin du bon sens. Pourquoi dénier aux apprentis le droit d'accéder à la culture, à une culture qui ne soit pas seulement professionnelle, pourquoi vouloir cantonner tout enseignement au CFA dans le strict domaine professionnel ? C'est pourtant bien cela que préconisent les membres du groupe « E.-X. VISSEAUX ». Dans la « fiche prospective n° 3 » 20, ils affirment fortement, en effet, la subordination des enseignements généraux aux enseignements professionnels :

« Les enseignements généraux dispensés dans le cadre d'une formation professionnelle (...) doivent contribuer prioritairement à donner aux jeunes des « outils » pour :

- bien assimiler la formation ( professionnelle ),
- bien s'intégrer à la vie professionnelle (...).

Même si, par ailleurs, des précautions oratoires sont prises

« Les enseignements généraux dans une formation professionnelle de niveau 5 en alternance, bien qu'ils donnent lieu à des épreuves scolaires par discipline, peuvent-ils être conçus et dispensés exclusivement par rapport à eux-mêmes en faisant abstraction de la motivation des jeunes et du caractère professionnel du diplôme préparé ? ( Il est clair que non ).

A l'inverse, peut-on imaginer que tous les enseignements généraux soient abordés exclusivement sous l'angle interdisciplinaire et que les acquisitions s'effectuent essentiellement à partir des supports professionnels ? ( Certes non ) »

cette « instrumentalisation » de l'enseignement général est pourtant manifeste dans les exemples proposés. Ainsi dans le modèle de tableau de stratégie fourni page 66, pour la compétence professionnelle « identifier les anomalies de fonctionnement d'une pédale de frein » :

« Français
Lire et choisir une information sur une revue technique. »

ou encore, pp. 90 et 91 :

« Exemples en Français
La notion de classement chronologique peut être abordée à travers la lecture et/ou la réalisation d'une fiche technique ou du mode d'emploi d'un appareil utilisé dans le métier. 

(...) en coiffure, même s'il ne s'agit pas vraiment d'une compétence professionnelle, l'apprenti(e) est souvent confronté(e), par nécessité, à la communication téléphonique liée à la prise de rendez-vous. Des travaux spécifiques doivent être faits assez rapidement au CFA en Français car la maîtrise de cette situation est indispensable pour que le jeune se sente à l'aise et progresse dans ce domaine. »

On obtient confirmation de cette dérive « instrumentaliste » des enseignements généraux sur un grand nombre de sites de présentation de Centres de Formation d'Apprentis sur Internet. Voici ce qu'on lit sur l'un d'eux, choisi parmi d'autres :

« Au CFA, l’enseignement est différent selon les métiers, mais les types de matières que vous suivrez se décomposent globalement ainsi :

- de l’enseignement général, math, français à considérer malgré tout comme de l’enseignement « professionnalisant » la façon de parler, de lire et donc de comprendre des consignes écrites (de montage par exemple), les mathématiques appliquées permettant des réalisations professionnelles (par exemple calculer et adapter des dosages, passer du plan au gabarit etc.) ou assimiler un processus technologique (calcul des tensions par exemple en électricité)
- des matières « d’entreprise » comme des notions de droit du travail
- de l’enseignement technologique
- de l’enseignement pratique en ateliers. » 21

  

Ainsi donc on peut considérer, pour conclure, que dans le domaine pédagogique les propositions avancées par le groupe « E.-X. VISSEAUX » constituent un « patchwork » fait d'emprunts à des théories de l'apprentissage différentes, et divergentes, irréductibles les unes aux autres : le constructivisme de Jean PIAGET, le béhaviorisme radical de R. F. MAGER. Des approches nouvelles existent pourtant qui permettraient de fonder une véritable pédagogie de l'alternance : les apports conjugués de la cognition contextualisée, de l'enseignement/apprentissage ancré, de l'apprentissage collaboratif, de l'intelligence distribuée, entre autres, sont à même de nourrir une réflexion qui favoriserait la construction d'une assise théorique à la fois plus appropriée et plus solide.

En ce qui concerne l'instrumentation destinée à rendre plus pertinente l'analyse des situations d'alternance, les propositions sont à la fois plus nombreuses, plus précises et plus appropriées. D'ailleurs, ce ne sont pas tant les outils en eux-mêmes qui réclament un examen critique mais bien plutôt l'usage qui en a été fait et les propositions effectives qui en sont issues. Dans ce domaine, c'est Michelle MAUDUIT-CORBON, membre déjà de la première Cellule, qui a poursuivi le travail engagé.

  

2. La consolidation des orientations initiales ( 1994 - 1998 ) 

3. Les orientations actuelles ( 1999 - )

 

seconde partie à venir

 

 

 

NOTES

 

1 GROOTAERS, D., ANTOINE, F.& TIMAN, F. : (1988), Manuel de la formation en alternance, Chroniques Sociales, Lyon     retour au texte

2 FOUREZ, G. et al. : (1997), Nos savoirs sur nos savoirs, Un lexique d'épistémologie pour l'enseignement, De Boeck Université, p. 59.
C'est moi qui souligne.     retour au texte

3 Et pourquoi pas sur le lieu de travail de l'apprenti ?... ce qui semblerait logique, et en cohérence avec une proposition qui vise une définition pédagogique de « l'interactivité en situation d'apprentissage ( p. 26 ). Or, la proposition ne semble valoir que pour les activités pédagogiques mises en oeuvre au CFA.     retour au texte

4 ROULIN, J.-L. (ss la dir. de ) : (1998), Psychologie cognitive, Bréal, p. 399.     retour au texte

5 cf. sur le site du Rézo Ø, l'article éclairant de Michael F. Young.     retour au texte

6 Dont on peut d'ailleurs souligner que les épistémologies contemporaines, à la suite de Karl POPPER, la remettent en question.     retour au texte

7 Voir WEIL-BARAIS, A. et al. : (1993), L'homme cognitif, PUF, coll. Premier Cycle, pp.485 et sq. pour les quatre premiers et BRUNER, J. : (2000, pour la traduction), Culture et modes de pensée, Editions Retz, chap. 2.     retour au texte

8 Pour une présentation succincte de la théorie des stades de Jean PIAGET, voir ( entre autres ) PERRAUDEAU, M. : (1996), PIAGET aujourd'hui, Réponses à une controverse, Armand Colin, coll. Formation des Enseignants, pp. 60-66.     retour au texte

9 GLASERFELD, E. von, Introduction à un constructivisme radical, in WATZLAWICK, P. (ss la dir. de ) : (1988), L'invention de la réalité, Editions du Seuil, coll. Points, pp. 39-40.     retour au texte

10 HAMELINE, D. : (1979), Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, ESF Éditeur, p. 27.
Il ajoute, en note : « La formulation d'objectifs pédagogiques est une « technologie » dans la mesure où elle regroupe dans un ensemble rationnel une panoplie de moyens qui permettent d'obtenir un produit déterminé... », ibid.     retour au texte

11 Fiche technique n° 9, page 55. C'est moi qui souligne.     retour au texte

12 Daniel HAMELINE, op. cit., pp 29-30, remarque que « C'est (...) la formation elle-même qui est conçue en terme de gestion. Le discours industriel moderne envahit le champ éducatif. » ( C'est lui qui souligne ).     retour au texte

13 La démonstration est, il est vrai facile, alors que la définition d'objectifs pédagogiques pertinents l'est beaucoup moins. Renvoyons, une fois encore, à l'ouvrage fondateur, dans l'espace francophone, de D. HAMELINE, op. cit., qui réussit la gageure, outre d'être le premier en date sur le sujet, d'être indépassable, et il ne l'est toujours pas, plus de vingt ans après sa parution.     retour au texte

14 Ainsi, par exemple, dans le module n° 3 et 3bis, pp. 36-38, dans la colonne « objectifs des modules » :
« rappeler la démarche », « mettre en commun les observations individuelles «, « préparer le travail de positionnement... ».     retour au texte

15 Rappelons que dans la taxonomie de BLOOM, le niveau 1 correspond à la « connaissance » et le niveau 2 à la « compréhension ».
« Identifier », « reconnaître », « indiquer », « détecter », sont des verbes d'action caractéristiques de ces niveaux. Nous ne parlerons pas des verbes mentalistes, à proscrire absolument dans l'analyse par objectifs, tels que « connaître », « savoir », « mémoriser », « faire prendre conscience de », etc.      retour au texte

16 Pour lesquels on peut d'ailleurs, concernant le détail des propositions, émettre les mêmes réserves que celles qui viennent d'être formulées pour la pratique de l'analyse par objectifs par les auteurs du document « Apprentissage - Méthodologie de la pédagogie de l'alternance ».     retour au texte

17 Revue Française de Pédagogie, n° 128, juillet-août-septembre 1999, L'alternance : pour une approche complexe, Institut National de la Recherche Pédagogique.     retour au texte

18 GEAY, A. & SALLABERRY, J.-C. : (1999), La didactique en alternance : ou comment enseigner dans l'alternance ?, in Revue Française de Pédagogie, n° 128, juillet-août-septembre 1999, L'alternance : pour une approche complexe, Institut National de la Recherche Pédagogique, p. 12.
C'est moi qui souligne.     retour au texte

19 GEAY, A. & SALLABERRY, J.-C., op. cit., pp. 13 et 14.     retour au texte

20 Fiche « Renseignements (sic) généraux et formation à la pédagogie de l'alternance », pp. 86 et sq. du document « Apprentissage - Méthodologie de la pédagogie de l'alternance ».     retour au texte

21 C'est moi qui souligne.
On ne m'en voudra pas de ne pas citer, pour une fois, mes sources. Il ne s'agit pas de pointer un doigt réprobateur sur les options pédagogiques de tel ou tel CFA, surtout qu'en l'occurrence elles sont fortement déterminées par la demande institutionnelle, mais simplement d'illustrer par un exemple ce à quoi ont conduit, dans ce domaine, les recommandations du groupe « E.-X. VISSEAUX », diffusées auprès des enseignants de CFA par des « formateurs-relais » spécialement formés à cette tâche.     retour au texte