L'apprentissage contextualisé

situated learning

 

 

 

COLLINS, BROWN et DUGUID ( 1989 1a )  puis COLLINS, BROWN et NEWMAN ( 1989 1b ) ont jeté les bases d'une approche contextualiste de l'enseignement/apprentissage. Pour eux, la compréhension, l'action, l'apprentissage sont en constante interaction et la compréhension précède l'apprentissage. Les nouvelles connaissances sont sans cesse mises en relation avec des connaissances antérieures qui servent d'ancrage cognitif.

Compréhension et apprentissage se réalisent dans l'action parce que les objectifs d'apprentissage doivent viser essentiellement des savoir-faire procéduraux et conditionnels ( cf. les connaissances ). Il faut que ces savoir-faire soient abordés, dès le début de l'apprentissage, dans toute leur complexité. De ce fait, les tâches proposées aux élèves doivent correspondre à des situations réelles ( cf. les pratiques sociales de référence ) où les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être sont effectivement utilisés.

En situation de classe, il est important que l'environnement d'apprentissage puisse reproduire le plus fidèlement possible les caractéristiques de ces situations authentiques, de sorte que les élèves, pour une compétence spécifique, développent la « culture » en usage dans la communauté de pratiques où s'exerce cette compétence. La situation idéale reste, bien entendu, l'apprentissage en contexte réel. Une pédagogie du projet peut y contribuer. Pédagogiquement, la structure de la situation d'apprentissage contextualisée devrait respecter les modalités suivantes :

1

Découverte et construction du problème lié à la tâche

 

L'élève doit être placé en situation de problème et non en situation d'exécution. Pour cette dernière, il dispose ( ou devrait disposer ) de connaissances et de stratégies déjà construites. En situation de problème par contre, « le répertoire de réponses immédiatement disponibles chez le sujet ne permet pas à celui-ci de fournir une réponse appropriée » ( OLERON, 1963 2 ). La construction du problème par l'élève passe donc par la représentation qu'il se fait de la tâche ( espace du problème ). Cette représentation est souvent plus limitée que celle que s'en fait « l'expert », pour qui la tâche n'est pas, ou n'est plus, un problème ( espace de la tâche ). Il faut également insister sur le fait que l'élève n'est en mesure de construire un problème que si la tâche qu'on lui propose représente un but à atteindre, un but recherché ; l'activité doit donc être orientée par une finalité précise ( WEIL-BARAIS, 1993 3 ). Cette finalité est déterminée par la structure suivante : l'état initial est perçu par l'élève comme insatisfaisant parce que ses compétences actuelles ne lui permettent pas de résoudre le problème ; il se représente un état final plus satisfaisant qu'il essaie d'atteindre à travers des états intermédiaires qui seront l'occasion d'apprentissages pertinents.
 

2

Modelage

 

L'élève est placé en situation d'observation où une personne experte ( enseignant, intervenant ou pair ) réalise une tâche donnée. La réalisation de cette tâche se fait en verbalisant les connaissances ( déclaratives, procédurales et conditionnelles ), les stratégies mentales nécessaires. Cela doit lui permettre de construire un modèle mental stratégique pertinent pour la résolution de problèmes similaires.
 

3

Entraînement

 

Avec l'assistance de l'enseignant, les élèves doivent réaliser une tâche complexe au cours de laquelle il leur sera systématiquement demandé de recourir aux savoirs, savoir-faire ( procéduraux, conditionnels ) et savoir-être nécessaires. L'enseignant intervient sur ces savoirs, met en relation savoirs et conceptions antérieures des élèves, pour leur donner l'occasion de construire des savoirs plus efficaces pour la réalisation.
 

4

Échafaudage ( ou étayage )

 

Dans les tâches que les élèves ont à réaliser, l'enseignant doit fournir un soutien gradué, en fonction des compétences de chacun. Ce soutien est progressivement réduit jusqu'à ce que les élèves soient en mesure de réaliser la tâche de façon autonome. Cet échafaudage doit veiller à ce que la tâche, ou les sous-tâches, restent constamment dans la zone de développement proximal de l'élève ( cf. VYGOTSKY, 1992 4 ). Il repose sur la conviction que ce qu'un élève peut réaliser avec de l'aide, il pourra, à terme, le réaliser seul. Mais cette aide doit lui être fournie tant qu'il n'est pas en mesure d'exercer ses compétences de façon autonome.
 

5

Articulation

 

Dans une phase de retour sur la tâche, l'enseignant dirige l'attention des élèves sur les savoirs, savoir-faire procéduraux et conditionnels, savoir-être qu'ils ont mis en œuvre dans la résolution du problème. Ainsi, il vise à les rendre conscients des connaissances acquises et des stratégies qui leur ont permis de les acquérir. Cette phase est essentiellement centrée sur la métacognition ( cf. MEIRIEU, 1997 5 ).
 

6

Réflexion

 

Cette phase privilégie la relation entre les démarches de réalisation de l'expert et celles des élèves. La comparaison entre les démarches doit permettre aux élèves :

 

d'évaluer l'efficacité de la démarche de résolution proposée par l'expert ;

de confronter cette démarche à la leur, pour en évaluer la pertinence ;

de se rendre compte des compétences pour lesquelles ils ont acquis un degré de maîtrise suffisant ;

de préciser ce qui doit encore être amélioré.

 

Cette phase de réflexion évaluative est, elle aussi, essentiellement de nature métacognitive.
 

7

Exploration

 

On insiste, dans cette phase, plus particulièrement sur les transferts de savoirs et de savoir-faire. Dans des situations variées, les élèves sont amenés à recontextualiser les connaissances qu'ils ont précédemment construites. On les incite à proposer eux-mêmes des exemples de situations ou de tâches dans lesquelles les savoirs et les savoir-faire acquis peuvent être réutilisés. Les élèves sont également invités à proposer différentes modalités de résolution des problèmes, à mettre en œuvre ces différentes propositions pour accroître ainsi leur flexibilité cognitive.

 

NOTES

1a COLLINS, A., BROWN, J. S. & DUGUID, P. : ( 1989 ) Situated cognition and the culture of learning, à consulter sur Internet à l'adresse
http://www.ilt.columbia.edu/ilt/papers/JohnBrown.html ou sur le site de l'Exploratorium de San Francisco à l'adresse
http://www.exploratorium.edu/IFI/resources/museumeducation/situated.html     retour au texte

Sur ce site, une traduction française de cet article : Cognition contextualisée et culture de l'apprendre

1b COLLINS, A., BROWN, J.S. & NEWMAN, S.E. : ( 1989 ) : Apprenticeship : Teaching the crafts of reading, writing and mathematics, in RESNICK, L. B. ( ed. ), Knowing, learning, and instruction, Essays in honor of Robert Glaser, Lawrence Erlbaum Associates       retour au texte

2 OLÉRON, P. : ( 1963 ), in FRAISSE, P. & PIAGET, J., Traité de psychologie expérimentale, Presses Universitaires de France      retour au texte

3 WEIL-BARAIS, A. : ( 1993 ), L'Homme cognitif, Presses Universitaires de France      retour au texte

4 VYGOTSKY, L.S. : ( 1992 ) : Langage et pensée, La Découverte      retour au texte

5 MEIRIEU, P. ( ss la dir. de ), coordonné par GRANGEAT, M. : ( 1997 ), La métacognition, une aide au travail des élèves, ESF Éditeur      retour au texte