Cognition contextualisée
et culture de l'apprendre

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Situated cognition and the culture of learning

  

Allan COLLINS
John Seely BROWN
Paul DUGUID
  
 

in Educational Researcher
vol. 18 n°1,
pp. 32-42,
Jan-Fév 1989

traduit de l'anglais
par G. FRITSCH
avec l'aimable autorisation des auteurs

  

  

Remarque sur la traduction : les auteurs de cet article traitent des processus de « l'apprentissage contextualisé » ( situated learning ). Comme ils font parfois référence au système de formation désigné par le terme « apprentissage » ( apprenti, compagnon, maître... ), une confusion peut naître de la traduction de learning et apprenticeship, rendus tous deux par le terme français apprentissage. J'ai pris le parti, lorsque le contexte n'est pas ambigu, de traduire learning par apprentissage, et de lui substituer, dans le cas contraire, la nominalisation « l'apprendre » ou l'expression « acte d'apprendre », au sens de processus d'acquisition de connaissances et de compétences. Dans tous les cas, le terme apprenticeship est ici traduit par compagnonnage qui présente l'avantage de lever toute ambiguïté.

Le terme situated pose, lui aussi, un problème de traduction. Dans la littérature francophone sur le sujet, on le rend par les termes situé, contextualisé, ou encore contextuel. J'ai opté pour le terme contextualisé.

  

 

  

Abrégé : Beaucoup des pratiques d'enseignement supposent implicitement que la connaissance conceptuelle peut être isolée des situations dans lesquelles on l'apprend et l'utilise. Cet article montre que cette hypothèse limite inévitablement l'efficacité de telles pratiques. S'appuyant sur de récentes recherches dans le domaine de la cognition telle qu'elle se manifeste dans les activités quotidiennes, les auteurs soutiennent que la cognition est contextualisée, produit pour partie d'une activité, d'un contexte et d'une culture dans laquelle elle se développe et est utilisée. Ils examinent comment cette conception de la connaissance affecte notre compréhension de l'acte d'apprendre, et notent que les études conventionnelles ignorent trop souvent l'influence de la culture scolaire sur ce qui est appris à l'école. Comme alternative aux pratiques conventionnelles, ils proposent le compagnonnage cognitif ( COLLINS, BROWN, NEWMAN, en cours d'impression ), qui tient compte de la nature contextualisée de la connaissance. Ils analysent deux exemples de l'apprentissage des mathématiques qui mettent en évidence certains aspects majeurs de cette approche de l'enseignement.

  

  

  

Le fossé qui existe entre l'acte d'apprendre et l'utilisation du savoir, dont rendent compte les expressions usuelles « savoir que » et « savoir comment », pourrait bien se révéler un produit de la structure et des pratiques de notre système scolaire. De nombreuses méthodes didactiques supposent une séparation entre connaître et faire, considérant le savoir comme un objet intégré et autonome, théoriquement indépendant des situations dans lesquelles il est appris et utilisé. Le souci premier de l'école semble souvent d'assurer la transmission de cet objet, composé de concepts formels abstraits et décontextualisés. L'activité et le contexte de l'apprentissage sont donc considérés comme subordonnés à l'apprentissage - pédagogiquement utiles, certes, mais fondamentalement distincts et même neutres par rapport à ce qui est appris.

De récentes enquêtes sur l'acte d'apprendre remettent toutefois en question cette disjonction entre ce qu'on apprend et la manière dont on l'apprend et l'utilise 1. Il est indiscutable que l'activité dans laquelle le savoir est acquis et utilisé ne peut être séparée de - ou subordonnée à - l'acte d'apprendre et la cognition. Pas plus qu'elle n'est neutre. Au contraire, elle est partie intégrante de ce qui est appris. On doit considérer que les situations co-produisent du savoir à travers une activité. L'apprentissage et la cognition, nous pouvons donc l'affirmer, sont fondamentalement contextualisés.

Dans cet article, nous tentons d'expliquer, de façon délibérément conjecturale, qu'activité et contexte sont partie intégrante de la cognition et de l'apprentissage, et comment des idées différentes sur ce qu'est une activité d'apprentissage appropriée produisent des résultats très différents. Nous suggérons qu'en ignorant la nature contextualisée de la cognition, l'école échoue dans sa tentative d'assurer un savoir utilisable, solide. Et inversement, nous soutenons que des approches comme celles de BROWN et NEWMAN ( sous presse ), qui ancrent l'apprentissage dans une activité et utilisent consciemment le contexte social et physique, sont plus conformes à ce que la recherche fait comprendre de l'acte d'apprendre et de la cognition.

  

Savoir et apprentissage contextualisé

Les travaux de MILLER et GILDEA ( 1987 ) sur l'enseignement du vocabulaire ont montré que le fait de croire que savoir et faire peuvent être séparés conduit à une méthode d'enseignement qui ignore comment les situations structurent la cognition. Leur travail décrit comment les enfants apprennent des mots à partir de définitions du dictionnaire et de quelques phrases modèles ; ils ont ensuite comparé cette méthode avec la façon dont le vocabulaire est normalement acquis hors de l'école.

On apprend généralement des mots dans le contexte d'une communication ordinaire. Ce processus est extraordinairement rapide et couronné de succès. MILLER et GILDEA notent qu'en écoutant, en parlant et en lisant, l'enfant d'un an a acquis un vocabulaire de 5 000 mots par an ( 13 par jour ), et cela durera 16 ans et plus. Par contraste, apprendre des mots à partir de définitions abstraites et de phrases sorties de leur contexte habituel - le vocabulaire des enfants leur a souvent été enseigné à l'école - est lent et généralement infructueux. On dispose rarement d'assez de temps scolaire pour enseigner plus de 100 à 200 mots par an. Bien plus, beaucoup de ce qui est enseigné finit le plus souvent par être inutilisable en pratique. Ils donnent les exemples suivants d'un vocabulaire appris de cette façon par des élèves :

« Moi et mes parents sommes en corrélation, parce que sans eux je ne serais pas ici. »

« J'étais méticuleux au sujet de ma chute de la falaise. »

« Mrs Morrows stimula la soupe. » 2

Étant donné la méthode utilisée, de telles erreurs semblent inévitables. Enseigner à partir de dictionnaires suppose que définitions et phrases modèles sont des « morceaux » indépendants de savoir. Mais les mots et les phrases ne sont pas des îles, tout entiers en eux-mêmes. L'utilisation du langage ne ferait qu'entraîner une incessante confrontation à l'ambiguïté, la polysémie, la nuance, la métaphore, et ainsi de suite, s'ils n'étaient résolus par l'aide extralinguistique que fournit le contexte d'un énoncé ( NUNBERG, 1978 ).

Particulièrement remarquables parmi les complexités du langage tributaires d'une aide extralinguistique, les termes déictiques - des termes comme je, ici, maintenant, prochain, demain, après, ceci. Les déictiques sont des termes qui « indicialisent » ou plus exactement renvoient à un élément de la situation dans laquelle se déroule la communication 3. Ils ne sont pas seulement sensibles au contexte, ils en sont entièrement dépendants. Des termes comme je ou maintenant, par exemple, ne peuvent être interprétés que dans leur contexte d'utilisation. Même si c'est surprenant, on peut considérer qu'en définitive tous les mots sont, au moins partiellement, déictiques ( BARWISE & PERRY, 1983 ).

Les lecteurs expérimentés comprennent de manière implicite que les mots sont contextualisés. C'est pour cela qu'ils attendent le reste de la phrase ou de saisir le contexte avant de se lancer dans l'interprétation d'un terme. Ce n'est qu'ensuite qu'ils se réfèrent aux dictionnaires avec, en tête, des exemples contextualisés de l'utilisation d'un terme. Le contexte, tout comme le dictionnaire, permet l'interprétation. Mais les élèves qui ont produit les phrases ci-dessus n'avaient pas l'appui d'un contexte de communication normal. Pour des tâches de cette sorte, les définitions du dictionnaire sont supposées indépendantes. Les aides extralinguistiques qui pourraient structurer, cadrer et finalement permettre l'interprétation en situation de communication normale sont ignorées.

L'apprentissage à l'aide des dictionnaires, comme toute méthode qui tente d'enseigner des concepts abstraits indépendamment de situations authentiques, néglige la façon dont la compréhension se manifeste à travers un usage soutenu et contextualisé. Cette manifestation, qui implique des négociations sociales complexes, ne se cristallise pas dans une définition catégorique. Parce qu'il dépend de situations et de négociations, le sens d'un mot ne peut, en principe, pas être saisi au travers d'une définition, même si celle-ci est appuyée par quelques phrases modèles.

Tout savoir, nous le pensons, fonctionne comme le langage. Tous ses constituants indicialisent le monde et sont ainsi indissolublement un produit de l'activité et des contextes dans lesquels ils sont produits. Un concept, par exemple, évoluera en fonction de chaque nouvelle situation d'utilisation, parce que les contextes, les négociations et les activités le transforment en quelque chose de nouveau, de plus dense. De la sorte, un concept, tout comme la signification d'un mot, est toujours en construction. Ceci pourrait également être le cas des concepts techniques abstraits, apparemment bien définis. Même eux ne sont pas entièrement définissables et défient toute description catégorisante ; une partie de leur signification provient toujours de leur contexte d'utilisation.

  

Apprentissage et outils

Pour examiner l'hypothèse que les concepts sont à la fois contextualisés et progressivement construits à travers une activité, nous devons abandonner toute idée qu'ils sont des entités abstraites indépendantes. Au lieu de cela, il sera plus utile de considérer le savoir conceptuel, dans un certain sens, comme un ensemble d'outils 4. Les outils partagent certaines caractéristiques significatives avec les savoirs. On ne peut vraiment les comprendre qu'à travers l'usage, et leur utilisation entraîne à la fois un changement de vision du monde de la part de l'utilisateur et l'adoption du système de croyances de la culture dans laquelle on les utilise.

D'abord, considérer les savoirs comme des outils permet d'illustrer la distinction de WHITEHEAD ( 1929 ) entre la simple acquisition de concepts inertes et le développement de savoirs utiles et solides. Il est tout à fait possible d'acquérir un outil et être incapable de l'utiliser. Ainsi, il est fréquent que les élèves acquièrent des algorithmes, des routines et des définitions décontextualisés qu'ils ne peuvent pas utiliser et qui, par conséquent, restent inertes. Malheureusement, ce problème n'est pas toujours apparent. Les couteaux de poche à l'ancienne, par exemple, comportent un outils pour enlever les cailloux des sabots des chevaux. On peut connaître l'utilité de ce dispositif et être capable de disserter sur les chevaux, les sabots et les cailloux. Mais on ne révélera jamais - tout simplement on n'admettra jamais - qu'on n'a pas la moindre idée de la façon d'utiliser cet outil sur un cheval. De même, les élèves savent souvent manipuler des algorithmes, des routines, des définitions qu'ils ont acquis avec une apparente compétence et néanmoins ne veulent pas avouer à leurs professeurs, à eux-mêmes, qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'il faudrait faire s'ils étaient confrontés à une situation équivalente à celle d'un cheval qui boîte.

A l'inverse, ceux qui utilisent activement les outils plutôt que de se contenter de les acquérir, construisent une compréhension implicite de plus en plus riche du monde dans lequel ils les utilisent ainsi que des outils eux-mêmes. La compréhension, du monde et de l'outil, change continuellement à cause de leur interaction. Apprendre et faire sont, curieusement, des processus qu'on ne peut distinguer ; l'apprentissage n'est qu'un processus continu qui résulte, tout au long de la vie, de l'action dans des contextes.

Apprendre à utiliser un outil implique bien plus que ce dont on peut rendre compte dans n'importe quel ensemble de règles explicites. Les occasions et les conditions de l'utilisation émergent directement du contexte des activités de chaque communauté qui utilise un outil, cadrées par la façon dont les membres de cette communauté voient le monde. La communauté et ses points de vue, presque autant que l'outil lui-même, déterminent la façon dont il doit être utilisé. Ainsi, les charpentiers et les ébénistes utilisent les ciseaux à bois différemment. Parce que les outils et la manière de les utiliser reflètent les compréhensions particulières accumulées par des communautés, il n'est pas possible d'utiliser un outil de façon appropriée si on ne comprend pas la communauté ou la culture dans laquelle il est utilisé.

Les outils conceptuels reflètent, de même, la sagesse accumulée par la culture dans laquelle ils sont utilisés ainsi que les compréhensions et les expériences des individus. Leur signification n'est pas invariante mais elle est le résultat d'une négociation au sein de la communauté. Répétons-le, l'utilisation appropriée d'un outil ne dépend pas seulement d'un concept abstrait. Elle est fonction de la culture et des activités dans lesquelles ce concept a été mis au point. Tout comme les charpentiers et les ébénistes utilisent différemment les ciseaux à bois, les physiciens et les ingénieurs utilisent les formules mathématiques de façon différente. Activité, concept et culture sont interdépendants. Aucun ne peut être totalement compris sans les deux autres. L'apprentissage doit les mêler tous les trois. Les méthodes d'enseignement tentent souvent de transmettre les concepts abstraits comme des entités fixées, bien définies, indépendantes, qui peuvent être étudiées au travers d'exemples prototypiques et d'exercices tirés de manuels. Mais de telles pratiques ne peuvent fournir les importantes connaissances impliquées par la culture ou les activités authentiques des membres de cette culture dont les élèves ont besoin.

Parler de disciplines académiques, de professions ou même de métiers manuels comme de communautés ou de cultures peut sembler étrange, peut-être. Pourtant les communautés de professionnels sont liées par bien plus que par leurs tâches visibles. Elles sont liées par des réseaux de croyance complexes, socialement construits, essentiels pour la compréhension de ce qu'ils font ( GEERTZ, 1983 ). Les activités de bien des communautés sont inexplicables, si on ne les considère pas au travers d'une culture. La culture et l'utilisation d'un outil agissent ensemble pour déterminer la façon dont les professionnels voient le monde, et la façon dont le monde leur apparaît détermine la compréhension culturelle et du monde et des outils. Malheureusement, on demande trop souvent aux élèves d'utiliser les outils d'une discipline sans les rendre capables d'adopter sa culture. Pour apprendre à utiliser des outils comme le font les professionnels, un élève, de la même manière qu'un apprenti, doit entrer dans cette communauté et sa culture. Ainsi, de façon caractéristique, le processus de l'apprendre est, du moins le croyons-nous , un processus d'enculturation.

  

Apprentissage et enculturation

Il peut sembler que l'enculturation, de prime abord, ait peu à voir avec l'apprendre. Mais c'est en fait ce que font les gens lorsqu'ils apprennent à parler, à lire et à écrire ou lorsqu'ils deviennent écoliers, employés de bureau, chercheurs etc. Dès leur plus jeune âge et tout au long de leur vie, les gens, consciemment ou non, adoptent les comportements et les systèmes de croyance de nouveaux groupes sociaux. Étant donné l'occasion qu'ils ont d'observer et d'exercer in situ le comportement des membres d'une culture, les gens en relèvent le jargon pertinent, imitent le comportement et commencent progressivement à agir en accord avec ses normes. Ces pratiques culturelles sont souvent absconses et extrêmement complexes. Cependant, étant donné qu'ils ont l'occasion de les observer et de les mettre en pratique, les gens les adoptent avec un grand succès. Les élèves, par exemple, peuvent acquérir rapidement la compréhension implicite de ce qu'est une diction convenable, de ce que produit une question pertinente, de ce qui constitue un comportement justifié ou non dans une activité donnée. La facilité et la réussite avec lesquelles on fait cela ( contrairement à la complexité qu'il y aurait à en décrire les implications ) contredit l'extrême importance de ce processus et cache le fait que ce qui est relevé est un produit de la culture ambiante plutôt que d'un enseignement explicite. Trop souvent, les pratiques de l'enseignement actuel empêchent les élèves d'accéder au domaine pertinent d'une culture, parce que cette culture n'est pas mise en évidence. Bien qu'on montre aux élèves, tout au long de leur scolarité, les outils de beaucoup de cultures académiques, les cultures prégnantes qu'ils observent, auxquelles ils participent et dans lesquelles certains s'inscrivent véritablement de manière frappante, sont les cultures de la vie scolaire elle-même. Ces cultures peuvent, inconsciemment, être tout à fait opposées à l'apprentissage d'un domaine utile. La façon dont on utilise, à l'école, les dictionnaires, les formules mathématiques ou les analyses historiques est très différente de la façon dont les professionnels les utilisent ( SCHONFELD, sous presse ). Par conséquent, les élèves vont réussir des examens ( aspect caractéristique de la culture scolaire ) tout en étant incapables d'utiliser les outils conceptuels d'un domaine dans une pratique authentique.

Nous ne disons pas cela pour proposer qu'on attende de tous les élèves de maths ou d'histoire qu'ils deviennent des mathématiciens ou des historiens professionnels, mais nous prétendons que pour apprendre ces matières ( et pas uniquement pour apprendre quelque chose à propos de ces matières ), les élèves ont besoin de bien plus que de concepts abstraits et d'exemples décontextualisés. Ils ont besoin d'être confrontés à l'utilisation, dans des activités authentiques, des outils conceptuels d'un domaine - à des professeurs qui agissent comme des professionnels et qui utilisent ces outils en se confrontant à des problèmes réels. Cela peut contribuer à mettre en évidence la façon dont un mathématicien ou un historien regarde le monde et résout les problèmes qui se présentent. Le processus peut paraître simpliste, mais il s'agit là d'activités solides, authentiques, qui peuvent se révéler particulièrement instructives - contrairement à des exemples tirés de manuels et à des explications purement déclaratives.

  

Les activités authentiques

Notre argumentation, jusqu'ici, repose sur une distinction non définie entre activité authentique et activité scolaire. Étant donné que nous considérons l'apprentissage comme un processus d'enculturation, il nous est possible de clarifier cette distinction et d'expliquer pourquoi bien des travaux scolaires sont inauthentiques et, par là, peu aptes à générer un apprentissage utile.

Les activités d'un domaine sont cadrées par la culture de ce domaine. Leur signification et leur objectif sont socialement construits à travers des négociations entre membres présents et passés. Les activités sont donc en cohérence de telle sorte que, en théorie, même si ce n'est pas toujours le cas en pratique, elles sont accessibles à des membres qui se déplacent dans la structure sociale. Ces activités cohérentes, pleines de sens et motivantes, sont authentiques, selon la définition que nous employons ici. Par conséquent, les activités authentiques peuvent être définies plus simplement comme les pratiques ordinaires de la culture.

Cela ne signifie pas qu'une activité authentique puisse n'être le fait que des experts. Les apprentis tailleurs ( LAVE, 1988a ), par exemple, commencent par repasser des vêtements terminés ( ce qui leur apprend implicitement beaucoup sur la découpe et la couture ). Repasser est facile, valorisant et tout à fait authentique. Les élèves de PALINCSAR et BROWN ( 1984 ) dans leur apprentissage mutuel de la lecture peuvent bien lire des textes d'un niveau élémentaire, ils développent d'authentiques stratégies, reconnues par tout lecteur. Les élèves de l'enquête de MILLER et GILDEA, au contraire, se sont vu proposer une stratégie qui n'est qu'une pauvre extrapolation de l'utilisation contextualisée des dictionnaires par les lecteurs expérimentés.

L'activité scolaire a souvent tendance à être hybride, cadrée de manière implicite par une seule culture, mais explicitement rattachée à une autre. Dans une salle de classe, l'activité se déroule à l'intérieur d'une culture scolaire bien qu'elle soit attribuée à la culture de vrais lecteurs, d'écrivains, de mathématiciens, d'historiens, de géographes, et ainsi de suite. Bien des activités entreprises par les élèves ne sont tout simplement pas les activités des professionnels et n'auraient aucun sens dans, ou ne seraient pas avalisées par les culture à qui on les attribue. Cette activité hybride, en outre, limite l'accès des élèves aux indices qui émergent du contexte et qui apportent structuration et soutien. L'activité des élèves tend à n'être qu'un ersatz d'activité.

les activités scolaires prototypiques sont loin de ce que nous envisageons lorsque nous parlons d'activités authentiques parce qu'elles sont très différentes de ce que font véritablement les professionnels. Quand des activités authentiques sont transférées dans une salle de classe, leur contexte est inévitablement transformé; elles deviennent des tâches scolaires et deviennent partie de la culture scolaire. Des procédures scolaires, en conséquence, sont alors appliquées à ce qui est devenu une tâche scolaire. Le système d'apprentissage, d'utilisation ( et bien sûr d'évaluation ) reste par la suite hermétiquement étanche à l'intérieur de la culture auto-validante de l'école. Par conséquent, à l'inverse du but poursuivi par l'éducation, la réussite à l'intérieur de cette culture n'a que peu de rapport sur la performance partout ailleurs.

Les énoncés de maths, par exemple, sont généralement rédigés dans une syntaxe et un style qui ne ressemblent qu'à d'autres problèmes de maths. Ainsi les problèmes tirés d'un manuel de 1470 sont aisément identifiables aujourd'hui ( LAVE, 1988c ). Mais les problèmes de maths sont aussi éloignés d'une pratique authentique que l'exemple que donnent MILLER et GILDEA de l'apprentissage à partir du dictionnaire l'est des pratiques des lecteurs et des écrivains. En participant à de telles activités, qui ne sont que des ersatz, les élèves ont toutes les chances de se méprendre complètement sur ce que les professionnels font vraiment. Par conséquent, les élèves peuvent facilement être initiés à une vision formaliste et intimidante des maths qui encourage une culture de phobie des maths plutôt qu'une culture d'authentique activité mathématique.

Dans la conception de tâches scolaires, certaines des caractéristiques apparemment accessoires de tâches authentiques - comme les éléments extralinguistiques qui participent à l'interprétation d'un message - sont souvent rejetées comme un « bruit » dont on peut faire l'économie, malgré leur caractère pertinent dans la perspective d'un enseignement. Pourtant le contexte d'une activité est un réseau extraordinairement complexe dont les professionnels tirent une aide essentielle. L'origine d'une telle aide n'est souvent reconnue que tacitement par les professionnels, ou même par les professeurs et les auteurs de simulations. Les tâches scolaires, en conséquence, peuvent manquer complètement de fournir les caractéristiques contextuelles qui permettent une activité authentique. Dans le même temps, les élèves en arrivent à compter, et cela de façon importante mais qu'on relève peu, sur les caractéristiques du contexte scolaire dans lesquelles la tâche est alors ancrée, caractéristiques qui sont complètement absentes dans une activité authentique, et qui y sont tout à fait étrangères. Donc, beaucoup de ce qui est appris à l'école s'applique uniquement à cette activité-ersatz si elle a été acquise à travers ce type d'activité.

  

Les activités des élèves, des professionnels et des gens ordinaires

L'idée que la plupart des activités scolaires existent à l'intérieur d'une culture propre est centrale pour comprendre bien des difficultés d'apprentissage à l'école. Les recherches ethnographiques de Jean LAVE sur l'apprentissage et les activités quotidiennes ( 1988b ) montrent à quel point les activités scolaires sont différentes des activités et de la culture qui donne sens et finalise ce que les élèves apprennent ailleurs. LAVE attire l'attention sur le comportement des gens ordinaires et note que leurs manières d'apprendre sont entièrement différentes de celles qu'on exige des élèves.

Trois catégories nous intéressent principalement ici : les gens ordinaires, les élèves et les professionnels. Pour parler simplement, quand les gens ordinaires veulent apprendre un ensemble donné de techniques, ils n'ont apparemment pas le choix. D'abord ils peuvent « s'enculturer » par le compagnonnage. Devenir apprenti n'implique pas un changement qualitatif par rapport à ce que font les gens habituellement. Ils entrent dans la culture de différentes communautés tout le temps. Le comportement des apprentis et celui des gens ordinaires peut ainsi être considéré comme identique 5.

La seconde option, bien plus conventionnelle, est d'entrer dans une école en tant qu'élève. L'école, cependant, semble bien exiger un changement qualitatif d'attitude. Ce qu'on attend d'un élève et ce que fait une personne ordinaire est significativement différent. L'élève entre dans la culture scolaire alors qu'en apparence on lui enseigne autre chose. Et les stratégies générales utilisées dans le raisonnement intuitif, dans la résolution de problèmes et la négociation du sens que les gens développent à travers leurs activités quotidiennes sont remplacées par les problèmes toujours exacts, bien conçus, les définitions formelles et la manipulation de symboles tels qu'on les rencontre dans la plupart des activités scolaires.

Nous essayons de représenter cette discontinuité dans le tableau 1, qui compare les caractéristiques saillantes du comportement des gens ordinaires, des professionnels et de ceux qu'on nomme des élèves.

Ce tableau est surtout destiné à faire apparaître que, selon nous, il y a une grande similarité entre les activités des gens ordinaires et des professionnels. Ils agissent dans le contexte des cultures au sein desquelles ils travaillent, et dans lesquelles ils négocient les significations et construisent leurs conceptions. Les questions et les problèmes auxquels ils ont à faire face émergent de, sont définis par et sont résolus dans le cadre des contraintes de l'activité qu'ils pratiquent.

L'ouvrage de LAVE ( 1988b ) fournit un bon exemple de gens ordinaires occupés à une activité authentique et qui se servent du contexte dans lequel apparaît un problème pour trouver une solution. L'exemple vient de l'observation d'un groupe de Weight Watchers dont les participants préparent leurs aliments, soigneusement contrôlés, en suivant les instructions données.

« Dans cette situation ils avaient à préparer une portion de fromage blanc, en supposant que la quantité dont on dispose pour le repas est équivalente aux trois-quarts des deux tiers de bol permis par le programme. Celui qui avait à résoudre le problème commença par marmonner qu'il aurait dû choisir un cours de calcul au collège... Puis, après un moment, il annonça soudainement que « ça y était ». A partir de ce moment il parut certain d'avoir raison, même avant d'effectuer la tâche. Il remplit aux trois-quarts un bol-mesure de fromage blanc, versa le fromage sur la planche à découper, le tapota pour lui donner une forme circulaire, y traça une croix, en enleva un quart et servit le reste.

Par conséquent, « prendre trois-quarts des deux tiers d'un bol de fromage blanc » n'était pas seulement l'énoncé du problème mais également la solution au problème et la procédure pour le résoudre. Le dispositif était partie intégrante du processus de calcul et la solution, émergeant du dispositif, était tout simplement l'énoncé du problème. A aucun moment le Weight Watcher n'a vérifié sa procédure à l'aide d'un algorithme papier-crayon, qui aurait donné : 3/4 de bol x 2/3 de bol = 1/2 bol. Au lieu de cela, la coïncidence du problème, du dispositif, de la capacité à faire émerger du sens ont été les moyens de la vérification. » ( p. 165 )

Le chemin vers la solution de cette personne au régime est tout à fait pertinent et s'inspire de cette sorte d'inventivité qui caractérise les activités des gens ordinaires et des professionnels. Il reflète la nature de l'activité, les ressources disponibles et le type de résolution requis d'une manière dont est incapable la résolution de problèmes qui repose sur un savoir abstrait.

Cette solution inventive repose sur la façon dont la personne au régime envisage ce contexte particulier, qui lui-même est intégré dans l'activité en cours. Et ceci, à nouveau, caractérise à la fois les gens ordinaires et les experts. La situation de la personne au régime lui fournit un accès privilégié à la solution choisie. ( Cela rend compte, probablement, de la certitude qu'il exprime avant même de commencer son calcul ). Par conséquent, il est capable de voir le problème et sa solution en termes de bol-mesure, planche à découper et couteau. Activité - outil - culture ( préparer un repas, la cuisine, les ustensiles, faire régime ) agissent graduellement tout au long de la procédure à cause de la façon dont le problème est envisagé et dont la tâche est accomplie. L'ensemble de la micro-routine est simplement un pas de plus sur le chemin du repas 6. Le savoir et l'action sont emboîtés et inséparables.

Cette façon de résoudre un problème est menée à bonne fin conjointement avec l'environnement et est tout à fait distincte du traitement uniquement mental que beaucoup de pratiques d'enseignement avalisent implicitement. En se déchargeant d'une partie de la tâche cognitive sur l'environnement, la personne au régime se sert automatiquement de lui pour l'aider à trouver la solution du problème. Ses actions n'ont rien d'exceptionnel ; elles ressemblent à bien des pratiques de travail ordinaires. SCRIBNER ( 1984 ) note, par exemple, que des calculs très complexes sont effectués par des professionnels qui se servent directement de leur environnement. Dans le cas qu'elle étudie, les laitiers utilisent la représentation conceptuelle des positions des casiers qu'ils doivent remplir ou vider presque comme un boulier élaboré. De telles stratégies de résolution de problèmes ne sont pas limitées à l'environnement physique ou social. Cette sorte de confiance dans les situations peut se rencontrer dans le travail des physiciens qui, abordant une situation physique, voient « à travers » les formules, se procurant ainsi un support pour des inférences et des approximations ( deKLEER & Brown, 1984 ). L'étude de HUTCHINS (sous presse ) à propos de la collaboration complexe dans le domaine de la navigation maritime note la façon dont les gens distribuent la difficulté dans l'environnement comme dans le groupe. L'activité cognitive qui en résulte peut alors uniquement être expliquée en relation avec ce contexte. « Quand le contexte de la cognition est ignoré, » fait remarquer HUTCHINS, « il est impossible de se rendre compte en quoi la structure contribue à l'organisation des processus mentaux dans l'environnement, dans les objets fabriqués et dans les autres personnes. »

Au lieu d'isoler les problèmes du contexte qui les a fait naître et de leur fournir un cadre étranger, les gens ordinaires semblent particulièrement attachés à les résoudre à l'intérieur de la structure du contexte qui les a produits. Cela leur permet de partager les difficultés de définition et de résolution du problème avec l'environnement de la tâche parce qu'ils répondent en « temps réel ». L'adéquation de la solution à laquelle ils arrivent devient évidente par rapport au rôle qu'elle doit jouer pour que l'activité puisse se poursuivre. Le problème, la solution, et la cognition qui participe à leur conjonction ne peuvent être isolés du contexte dans lequel ils sont intégrés.

Même si on attend que les élèves se comportent différemment, ils finissent inévitablement par se comporter comme les gens ordinaires qu'ils sont et résolvent la plupart de leurs problèmes de leur propre façon contextualisée. SCHOENFELD ( sous presse ) décrit des élèves de mathématiques utilisant des stratégies bien connues mais non reconnues, notamment l'emplacement d'un problème à un endroit particulier du manuel ( ex. : les premières questions à la fin d'un chapitre sont toujours faciles et les dernières requièrent généralement l'utilisation de concepts abordés dans les chapitres antérieurs ) ou encore l'occurrence d'un mot particulier dans un problème ( ex. : « moins » signale un problème de soustraction ) pour trouver des solutions rapidement et de manière efficace. Ces trucs indiquent à quel point les apprenants sont parfaitement contextualisés et à quel point ils s'appuient sur tout contexte qui peut fournir une aide. Dans les pratiques scolaires cela peut être manifestement efficace. Mais le contexte scolaire est extrêmement spécialisé. Vue de l'extérieur, où les problèmes ne proviennent pas d'un manuel, une dépendance à l'égard de ces indices de type scolaire rendent l'apprentissage extrêmement fragile.

En outre, même si l'école cherche à encourager la résolution de problèmes, elle méprise la plupart des heuristiques inventives que les élèves apportent en classe. Cela ne dévalue donc pas implicitement les seules heuristiques individuelles, qui sont à coup sûr fragiles, mais tout le processus de résolution inventive des problèmes. LAVE (1988c ) décrit comment certains élèves se sentent obligés de cacher leurs véritables stratégies pour que le professeur croie que les problèmes ont été résolus de la manière « approuvée ».

  

La structuration des activités

Une activité authentique, comme nous l'avons montré, est importante pour les apprenants, car c'est la seule manière dont ils accèdent au point de vue qui permet aux professionnels d'agir de façon constructive et avec détermination. C'est une activité qui façonne ou qui aiguise leurs outils. Comment et pourquoi, il reste à l'expliquer. L'activité procure également de l'expérience, qui est de toute évidence d'une grande importance pour une action ultérieure. A ce stade, nous essayons d'expliquer quelques-uns des produits de l'activité en termes de représentations « déictiques » particulières .

Les représentations qui émergent de l'activité ne peuvent être aisément ( et peut-être pas du tout ) remplacées par des descriptions. Les projets, comme le fait remarquer SUCHMAN ( 1987 ), sont différents des actions contextualisées. De nombreuses personnes seront d'avis que la photo d'une machine complexe dans un manuel est vraiment différente de la véritable apparence de cette machine. ( Bizarrement, il est nécessaire de voir la machine pour comprendre le manuel, tout comme il faut le manuel pour comprendre la machine ). Les perceptions qui résultent des actions sont à la fois centrales pour l'apprentissage et l'activité. La façon dont quelqu'un perçoit une activité peut être déterminée par les outils et leur utilisation adéquate. Ce qui est perçu, de toutes façons, contribue à la manière d'apprendre et d'agir. Des activités différentes produisent des représentations déictiques différentes, ni équivalentes ni universelles. Et, ainsi, l'activité qui a conduit à ces représentations joue un rôle central dans l'apprentissage.

Les représentations sont, à notre avis, plutôt déictiques à la manière du langage. C'est-à-dire qu'elles dépendent du contexte. Dans les conversations de face à face, on peut interpréter les expressions déictiques ( incluant des termes comme je, tu, ici, maintenant, cela, etc. ) parce qu'on a accès aux caractéristiques déictiques de la situation même si on signale rarement l'importance de l'environnement pour la compréhension. Cette importance devient évidente, pourtant, lorsqu'il s'agit de tenir de telles conversations à distance. A ce moment-là, les expressions déictiques deviennent problématiques jusqu'à ce qu'on ait trouvé un moyen d'assurer l'interprétation en contextualisant les référents ( voir, par exemple, RUBIN, 1980, sur la différence entre parler et écrire ).

Le meilleur moyen, peut-être, de découvrir l'importance et l'efficacité des termes déictiques et leur contexte englobant est de s'imaginer parler sans y avoir recours. Les auteurs d'un article écrit en collaboration, comme celui-ci, rencontreront ce problème si jamais ils ont à en discuter au téléphone. « Ce que vous dites à cet endroit » n'est pas une remarque très pertinente. Il faudrait, dans ce cas, une explication élaborée ( comme par exemple « page 3, second grand paragraphe, cinquième phrase, qui commence par...» ) et peut souvent conduire à des malentendus. Le problème devient plus épineux en cas de téléconférence quand « vous » devient aussi ambigu qu'« ici » est peu clair. La teneur d'un environnement partagé apporte une contribution essentielle à un dialogue.

Quand le caractère immédiat des termes déictiques est remplacé par des descriptions, la nature du discours change et la compréhension devient nettement plus problématique. Les déictiques sont virtuellement transparents. Ils n'attirent que peu ou pas l'attention. Ils n'ajoutent pas forcément une nette difficulté de compréhension de la proposition dans laquelle ils apparaissent, mais ils renvoient simplement au sujet de la discussion, qui, à ce moment-là, fournit une structure essentielle au discours. Les descriptions, au contraire, sont au mieux transparentes, au pire opaques, dressant un mur entre ceux qui parlent et leur sujet. L'auditoire doit d'abord focaliser son attention sur les descriptions, tenter de les interpréter et trouver à quoi elles peuvent renvoyer. C'est alors seulement que la proposition qui les contient peut être comprise. ( Même élaborée, une description ne peut simplement remplacer le terme déictique ). plus la description est élaborée pour éviter l'ambiguïté, plus elle risque de devenir opaque. Et dans ce cas, le déictique ne peut tout simplement pas être remplacé ( PERRY, 1979 ).

Le savoir, à notre avis, indexe de façon similaire la situation dans laquelle il apparaît et celle dans laquelle il est utilisé. Les circonstances qui l'intègrent fournissent, efficacement, des parties essentielles de sa structure et de sa signification. Ainsi le savoir, qui émerge codé par et relié à l'activité et l'environnement dans lesquels il se manifeste, est disséminé à travers ses éléments constituants, certains dans le cerveau, d'autres dans le monde tout comme l'image finale d'un puzzle est disséminée à travers toutes ses pièces.

Comme HUTCHINS ( sous presse ), PEA ( 1988 ) et d'autres le font remarquer, la structure de la cognition est largement distribuée à travers l'environnement social et physique. C'est pourquoi nous pensons que l'environnement contribue, de façon importante, aux représentations déictiques des individus en action. Ces représentations, à leur tour, contribuent à une activité ultérieure. Les représentations déictiques formées à partir de l'engagement dans une tâche vont notablement accroître l'efficacité avec laquelle des tâches futures pourront être réussies, si une partie de l'environnement qui structure les représentations ne varie pas. Cela est évident pour la capacité à réaliser des tâches qui ne peuvent être décrites ou évoquées en l'absence de la situation. Les caractéristiques récurrentes de l'environnement pourront donc fournir des séquences récurrentes d'actions. La mémoire et les actions ultérieures, comme les nœuds dans un mouchoir et autres pense-bêtes le révèlent, ne sont pas des processus indépendants du contexte. Les routines ( AGRE, 1985 ) pourraient bien être un produit de ce type d'indicialisation 7. Donc les activités authentiques deviennent des éléments centraux de l'apprentissage.

Un des points clés du concept de déictique est qu'il montre que le savoir, et pas seulement l'apprentissage, est contextualisé. Corollairement, les méthodes d'apprentissage qui sont ancrées dans des situations authentiques sont non seulement utiles, mais essentielles.

  

Apprendre par le compagnonnage cognitif

Notre travail veut contribuer à une vision de l'apprentissage et du raisonnement humain à laquelle, selon nous, les pratiques scolaires doivent accorder une place éminente. Même s'il y a de nombreux professeurs innovants, des écoles et des programmes qui agissent autrement, les pratiques scolaires les plus répandues font très souvent l'hypothèse que le savoir est individuel et auto-structuré, que l'école est neutre par rapport à ce qui est appris, que les concepts sont des abstractions, relativement fixés, qu'ils ne sont pas affectés par l'activité qui permet leur acquisition et leur utilisation et qu'on devrait décourager le comportement des gens ordinaires.

Le compagnonnage cognitif ( COLLINS, BROWN & NEWMAN, sous presse ) dont nous avons essayé de clarifier, dans une certaine mesure, les mécanismes adopte des méthodes qui sont en contradiction avec ces pratiques. Les méthodes du compagnonnage cognitif tentent « d'enculturer » l'élève dans des pratiques authentiques à travers des activités et des interactions sociales similaires à celles - si efficaces, à l'évidence - en usage dans l'apprentissage d'un métier. Dans cette partie, nous analysons rapidement deux exemples liés à l'enseignement des mathématiques pour tenter d'illustrer comment certaines des caractéristiques de l'acte d'apprendre que nous avons discutées peuvent être introduites en classe. Nous prenons l'exemple des mathématiques en partie parce que c'est dans ce domaine que l'on peut trouver le travail d'enseignement le plus innovant. Mais nous croyons fermement que ce type d'enseignement n'est pas seulement possible en mathématiques.

  

L'enseignement de SCHOENFELD pour l'apprentissage de la résolution de problèmes

L'enseignement de SCHOENFELD pour apprendre à résoudre des problèmes ( sous presse ) cherche délibérément à générer une pratique mathématique et à montrer aux élèves de collège comment penser le monde mathématiquement, comment voir le monde avec des yeux de mathématiciens, et, par conséquent, comment utiliser les outils des mathématiciens. Son approche va bien au-delà de simplement donner aux élèves des stratégies de résolution de problèmes. Bien plus utilement, elle donne aux élèves la possibilité d'entrer dans la culture de la pratique mathématique.

Les élèves de SCHOENFELD apportent des problèmes en classe que lui et eux examinent mathématiquement. Ses élèves peuvent assister et participer à une réflexion mathématique spontanée et envisager les mathématiques comme une recherche de ce qui fait sens. Cette approche est caractéristique parce qu'avant le 3ème cycle universitaire, peu d'étudiants ont la possibilité de voir leurs professeurs aux prises avec une pratique mathématique, et pourtant on leur demande de comprendre la nature de cette pratique.

A une occasion ( SCHOENFELD, sous presse ), lui et sa classe se sont confrontés au problème du carré magique ( voir figure 1 ). Bien que ce problème soit relativement simple, le travail de collaboration qu'exige la solution et, c'est important, l'analyse de la solution a montré à la classe comment des mathématiciens abordent ce problème. La classe a travaillé collectivement à travers un certain nombre de stratégies que, à la réflexion, ils ont reconnu comme des idées mathématiques de portée plus générale et de nature plus puissante. En discutant pour savoir si 9 pouvait être placé au centre du carré, ils ont développé l'idée« de se centrer sur des points clés qui peuvent servir de levier » et « d'exploiter des cas extrêmes ». Même s'il peut sembler que SCHOENFELD enseigne plutôt des stratégies que des contenus, il a construit avec sa classe, plus fondamentalement, un système de conviction mathématique autour de sa personne et des réponses intuitives de la classe pour résoudre ce problème.

Le signe que la classe de SCHOENFELD travaillait dans la culture des mathématiques et non dans la culture scolaire, c'est que les élèves ne se sont pas arrêtés à ce qui, dans la culture de la pratique scolaire, en marquerait la limite : une réponse.

« Avez-vous terminé ? ». Dans la plupart des cours de mathématiques la réponse est « oui ». Plus tôt dans le semestre, mes élèves disaient tous « oui », s'attendant à ce que je passe à un autre problème. Ma réponse, cependant, a été un « non » retentissant. Dans la plupart des cas, les prétendus « problèmes » ne sont que des exercices ; vous en avez terminé lorsque vous avez prouvé que vous maîtrisez les techniques appropriées en donnant la réponse. » ( SCHOENFELD, sous presse )

Le but de son cours, en revanche, était de comprendre la nature mathématique du carré magique, en partie en faisant en sorte que le système de croyance soit illustré. La classe a exploré d'autres carrés magiques possibles et a découvert des principes généraux ( par exemple une formule algébrique pour décrire les carrés ). Cela a également conduit à quelques autres stratégies mathématiques généralisables que l'on rencontre moins souvent dans les pratiques scolaires : travailler à partir d'une solution initiale ; utiliser des procédures génératives systématiques ; trouver plus d'une solution pour résoudre un problème. SCHOENFELD prend soin, constamment, de souligner que toutes ces stratégies se découvrent dans l'action, sont mises au point par la classe et pas imposées par le professeur. Dans ses cours, les conceptions pénètrent dans l'esprit des élèves de la seule façon possible, par la pratique à laquelle ils participent activement.

  

L'enseignement de la multiplication par LAMPERT

LAMPERT ( 1986 ) fait également participer activement ses élèves à la découverte mathématique qu'elle essaie de relier à leur savoir usuel. Elle a conçu des méthodes pour enseigner les mathématiques à des élèves de 4ème degré qui les conduit, par l'activité et la construction sociale dans la culture, d'une compréhension implicite du monde extra-scolaire à cette sorte d'apprentissage solide que l'enseignement direct des algorithmes ne permet pas habituellement de réaliser.

Elle commence l'apprentissage de la multiplication, par exemple, dans le contexte des problèmes utilisant la monnaie, parce que dans le groupe des élèves de 4ème, on rencontre habituellement une forte compréhension partagée, mais implicite, des pièces de monnaie. Ensuite les élèves créent des histoires pour les problèmes de multiplication, puisant dans leur savoir implicite pour présenter différents exemples de multiplications. Puis, LAMPERT les aide en les conduisant vers l'algorithme abstrait que chacun apprend pour la multiplication à plusieurs chiffres, dans le contexte des problèmes à base de pièces de monnaie et des histoires que le groupe a créés. Ainsi la méthode présente l'algorithme comme une stratégie utile de plus pour les aider à résoudre les problèmes.

La première phase de l'enseignement commence par des problèmes de pièces de monnaie simples, tels que « en n'utilisant que des nickels ( 5 cents ) et des pennies ( 1 cent ), arriver à 82 cents ». Avec de tels problèmes LAMPERT aide ses élèves à explorer leur savoir implicite puis, dans une seconde phase, les élèves créent des histoires pour des problèmes de multiplication ( voir figure 2 ). Ils exécutent une série de décompositions et découvrent qu'il n'y a pas une seule décomposition, magiquement « juste » et décrétée autoritairement, mais seulement des décompositions plus ou moins utiles dont l'utilisation est jugée dans le contexte du problème à résoudre et des intérêts de ceux qui doivent le résoudre.

La troisième phase de l'enseignement initie progressivement les élèves à l'algorithme standard, maintenant qu'un tel algorithme a un but et une signification dans leur groupe. La procédure des élèves est analogue aux problèmes scénarisés qu'ils avaient créés. Par la suite ils trouvent des moyens pour raccourcir la procédure et ils arrivent généralement à l'algorithme standard, justifiant leurs résultats avec les histoires qu'ils ont créées auparavant.

Par cette méthode, les élèves développent une compréhension composite de quatre types différents de savoir mathématique : (a) un savoir intuitif, le genre de raccourcis que les gens inventent quand ils effectuent des multiplications dans des situations authentiques ; (b) un savoir de calcul, les algorithmes de base qui sont habituellement enseignés ; (c) un savoir concret, le genre de modèles concrets de l'algorithme associé aux histoires que les élèves ont créées ; et (d) un savoir lié à des notions, les notions telles que l'associativité et la commutativité qui sont à la base des manipulations algorithmiques des nombres. LAMPERT essaie d'inculquer à ses élèves une compréhension qui ne sépare pas ces types de savoirs et leurs liens, et ainsi de combler l'énorme fossé qui existe dans l'enseignement plus traditionnel entre savoir conceptuel et activité de résolution de problèmes ; entre savoir et faire, dans le sens où nous les avons caractérisés au début.

Cette approche favorise des procédures caractéristiques du compagnonnage cognitif.

- En commençant par une tâche ancrée dans une activité familière, elle montre aux élèves la légitimité de leur savoir implicite et sa disponibilité comme étayage dans des tâches apparemment peu familières.

- En indiquant plusieurs décompositions, elle souligne que les heuristiques ne sont pas absolues mais imposées en fonction d'une tâche particulière - et que même les algorithmes peuvent être imposés de la sorte.

- En permettant à des élèves de trouver leur propres chemins vers la solution, elle aide à les transformer en membres conscients et créatifs de la culture mathématique de la résolution de problèmes. Et, en les enculturant à travers cette activité, elle les aide à acquérir certains des outils de cette culture - un vocabulaire partagé, les moyens de discuter, de réfléchir sur, d'évaluer et de valider les procédures du groupe à travers un processus de collaboration.

L'approche de SCHOENFELD diffère principalement par sa forte insistance sur le fait qu'il faut exposer les élèves aux manières authentiques de pensée d'une culture et à ses points de vue conceptuels, autant qu'à ses thèmes.

La figure 3 ( non disponible - NdT ) montre comment, dans les termes du compagnonnage cognitif, nous pouvons représenter les progrès des élèves, des activités contextualisées aux principes généraux de la culture. Dans cette séquence, apprentissage et entraînement dans un domaine commencent par fournir un modelage in situ et un étayage aux élèves qui se mettent à une activité authentique. Étant donné que les élèves acquièrent plus de confiance et de contrôle, ils entrent dans une phase plus autonome d'apprentissage collaboratif, où ils commencent à participer consciemment à la culture. Le réseau social dans la culture les aide à mettre au point son langage, ses systèmes de croyance, et favorise le processus d'enculturation. La collaboration mène également à l'articulation des stratégies qui peuvent alors être discutées et sur lesquelles on peut réfléchir. Cela, à son tour, stimule l'abstraction fondée sur la compréhension contextualisée des élèves. A partir de là, ils peuvent utiliser leur savoir conceptuel de novice dans une activité, en la considérant sous un jour nouveau, qui à son tour conduit au développement ultérieur du savoir conceptuel.

Dans l'apprentissage des langues, par exemple, la fragile compréhension initiale d'un mot se développe et s'étend à travers son utilisation et les interactions sociales ultérieures, même si chaque utilisation est évidemment contextualisée. MILLER & GILDEA ( 1978 ) décrivent deux étapes de ce processus. La première, au cours de laquelle on apprend le mot en lui assignant une catégorie sémantique ( le mot « olive », par exemple, est d'abord associé à la catégorie générale des termes de couleurs ), est rapide. La seconde, où l'on explore les distinctions à l'intérieur de cette catégorie sémantique ( par exemple entre « olive » et d'autres couleurs ) en fonction des différentes occurrences du terme, est un processus bien plus progressif qui « peut n'être jamais complètement achevé » ( page 95 ). cette seconde étape de l'apprentissage du vocabulaire correspond au développement de tout savoir conceptuel par l'activité. Les concepts ténus qui se développent initialement hors de l'activité prennent progressivement de l'épaisseur au fur et à mesure de leur utilisation dans différentes situations.

  

Compagnonnage et cognition

Le développement des concepts à partir de et par l'activité authentique permanente c'est ce qu'aborde le compagnonnage cognitif - un terme étroitement apparenté à notre représentation de la connaissance comme outil. Le compagnonnage cognitif favorise l'étude dans un domaine en permettant aux élèves d'acquérir, de développer et d'utiliser des outils cognitifs dans une activité authentique de ce domaine. De même, l'apprentissage d'un métier permet aux apprentis d'acquérir et de développer les outils et les habiletés de ce métier à travers un travail authentique et un sentiment d'appartenance à leur profession. Par ce processus, les apprentis entrent dans la culture de la pratique. Ainsi le terme « compagnonnage » sert à mettre l'accent sur la place centrale de l'activité dans le fait d'apprendre ainsi que dans la connaissance et souligne la nature intrinsèquement dépendante du contexte, contextualisée et enculturée de l'acte d'apprendre. « Compagnonnage » évoque également le paradigme du modelage contextualisé, de l'entraînement et de la réduction de l'aide ( COLLINS, BROWN & NEWMAN, sous presse ) par lesquels les professeurs ou les entraîneurs favorisent l'apprendre, d'abord en explicitant leur savoir implicite, ou en donnant en modèle leurs stratégies, pour les élèves, dans une activité authentique. Ensuite, les professeurs et leurs collègues apportent leur aide aux élèves qui tentent d'accomplir la tâche. Et enfin ils les autorisent à continuer en autonomie. Le processus progressif de l'apprendre et de l'enculturation plaide en faveur du remplacement des micromondes de plus en plus complexes 9 ( voir BURTON, BROWN & FISCHER, 1981 ) par des environnements enculturants de plus en plus complexes.

Le terme « cognitif » souligne que les techniques du compagnonnage portent réellement bien au-delà des habiletés physiques généralement associées au compagnonnage et mènent aux types d'habiletés cognitives qu'on associe plus volontiers à l'instructions scolaire classique. Cette extension n'est pas aussi incompatible avec le compagnonnage traditionnel qu'il y paraît de prime abord. Les habiletés physiques généralement associées au compagnonnage comportent d'importantes habiletés cognitives si notre hypothèse de l'impossibilité de dissocier savoir et faire est exacte. De fait, bien des professions dont le contenu cognitif est généralement reconnu - professions juridiques et médicales, architecture, affaires - n'en ont pas moins été apprises traditionnellement par la voie de l'Apprentissage.

Qui plus est les étudiants diplômés du supérieur en Sciences Humaines, Sociales et Physiques acquièrent leurs compétences extrêmement perfectionnées dans le domaine de la recherche à travers les apprentissages qu'ils réalisent auprès de chercheurs plus expérimentés. C'est à cette occasion qu'ils doivent, comme tous les apprentis, reconnaître et résoudre les problèmes mal posés qui émergent de l'activité authentique, contrairement aux exercices bien définis qui leur étaient habituellement proposés, au cours de leur scolarité antérieure, dans les manuels ou aux examens. C'est à ce stade, en bref, que les étudiants ne se comportent plus en étudiants mais en professionnels, et qu'ils développent leur compréhension conceptuelle par l'interaction sociale et la collaboration dans la culture de leur domaine, pas dans celle de l'école.

Dans son essence, le compagnonnage cognitif cherche à encourager le fait d'apprendre à travers la connexion de l'activité, de l'outil et de la culture que nous avons décrite. Apprendre, dans et hors de l'école, évolue à travers l'interaction sociale collaborative et la construction sociale du savoir. RESNICK ( 1988 ) a montré que pendant la plus grande partie de leur vie les gens apprennent et travaillent en collaboration, pas individuellement comme on le leur demande dans bien des écoles. Les travaux de LAMPERT et de SCHOENFELD, l'enseignement de l'écriture de SCARDAMALIA, BEREITER & STEIBACH ( 1984 ) et les travaux de PALINCSAR & BROWN ( 1984 ) sur l'enseignement réciproque de la lecture utilisent tous quelque forme d'interaction sociale, de construction sociale du savoir, et de collaboration.

Dans une culture, des idées sont échangées et modifiées, des systèmes de croyance sont développés et appropriés par le dialogue et les récits ; ceux-ci doivent donc être favorisés, pas entravés. Bien qu'ils représentent souvent des tabous dans le système scolaire traditionnel, ils sont un composant essentiel de l'interaction sociale et, partant, de l'apprendre. Ils permettent d'accéder à une grande partie de la connaissance distribuée et préparent le support de la matrice sociale ( ORR, 1987 ). Ainsi, les environnements d'étude doivent permettre à des récits de circuler et à des « histoires de guerre » d'être ajoutées à la sagesse collective de la communauté.

Le rôle des récits et des dialogues est peut-être plus complexe qu'il n'y paraît. Un rôle surprenant est joué dans l'apprendre par la « participation périphérique légitime » où ceux qui ne participent pas directement à une activité particulière apprennent beaucoup de leur position légitime à la périphérie ( LAVE & WENGER, en préparation ). C'est une erreur de penser que toute prise de parole importante dans le domaine de l'apprendre est toujours directe et déclarative. Cette participation périphérique est particulièrement importante pour ceux qui veulent entrer dans une culture. Ils doivent observer comment, à différents niveaux, les professionnels se comportent et parlent pour comprendre comment l'expertise se manifeste dans le dialogue et d'autres activités.

  

Compagnonnage cognitif et apprentissage collaboratif

Si, comme nous le proposons, apprendre est un processus d'enculturation renforcé en partie par l'interaction sociale et la circulation des récits, les groupes de professionnels sont particulièrement importants parce que c'est seulement dans des groupes que l'interaction sociale et le dialogue peuvent avoir lieu. Les caractéristiques essentielles de l'apprendre en groupe consistent à :

- Résoudre collectivement des problèmes. Les groupes ne sont pas seulement une manière commode d'additionner le savoir individuel de leurs membres. Ils permettent l'émergence, en synergie, de phénomènes de compréhension soudaine et de solutions qui, sans eux, ne surviendraient pas. ( SCHOENFELD, en préparation )

- Mettre en évidence des rôles multiples. L'exécution réussie de la plupart des tâches exige que les élèves comprennent les nombreux différents rôles nécessaires pour effectuer n'importe quelle tâche cognitive. Permettre à quelqu'un de tenir tous les rôles que nécessite une activité authentique et lui permettre de réfléchir efficacement sur ce qu'il ou elle a fait est une des plus grandes tâches de l'éducation. Le groupe, cependant, permet de mettre en évidence plusieurs rôles et engendre des récits et des discussions réfléchis au sujet de la pertinence de ces rôles.

- Confronter des stratégies inefficaces et des idées fausses. Nous apprenons d'une vaste littérature ( diSESSA, 1982, 1983, 1986 ; McCLOSKEY, CARAMAZZA & GREEN, 1980 ; WHITE, 1983 ) que les élèves ont beaucoup d'idées fausses en physique dans le domaine des phénomènes qualitatifs. Les professeurs ont rarement l'occasion d'entendre suffisamment ce que les élèves pensent pour reconnaître à quel moment l'information en retour qui leur vient des élèves n'est qu'une répétition scolaire à des fins scolaires ( le retour d'un outil non maîtrisé, comme nous l'avons décrit au début de cet article ) qui peut masquer des idées fondamentalement fausses concernant le monde physique et les stratégies de résolution de problèmes. Les groupes, cependant, peuvent être efficaces en faisant émerger, en confrontant et en discutant des idées fausses et des stratégies inefficaces.

- Assurer des compétences de travail collaboratif. Les élèves qui apprennent individuellement plutôt que collectivement peuvent échouer dans le développement des compétences nécessaires pour un travail collaboratif. Dans les conditions de collaboration qu'on trouve sur les lieux de travail, savoir comment apprendre et travailler en collaboration est de plus en plus important. Si les gens sont appelés à apprendre et à travailler avec d'autres, il faut leur donner l'occasion contextualisée de développer ces compétences.

En analysant les méthodes d'enseignement de SCHOENFELD et de LAMPERT, en notant ce que nous croyons être des caractéristiques importantes de leur travail et en insistant sur l'interaction sociale et l'apprentissage collaboratif, nous essayons de montrer comment enseigner à travers une forme de compagnonnage peut convenir à la nouvelle perspective de la connaissance et de l'apprendre que nous avons esquissée.

Le rôle croissant du professeur comme maître par rapport à des apprentis et l'utilisation par les professeurs d'activités disciplinaires authentiques comme part majeure de l'enseignement permettra peut-être, une fois pour toutes, de rejeter la critique injurieuse de G.B. SHAW contre les professeurs, « Celui qui peut, agit. Celui qui ne peut pas, enseigne. » On pourrait alors remplacer cette remarque par celle, pleine d'espoir, d'Alexander POPE, « Qu'enseignent aux autres ceux qui eux-mêmes excellent. »

  

Conclusion - Vers une épistémologie de la cognition contextualisée

Bien des recherches pour étudier les caractéristiques contextualisées de la cognition restent à mener. Il est, cependant, déjà possible d'engager une réévaluation sérieuse des hypothèses concernant l'apprendre qui sous-tendent la pratique habituelle en classe ( voir, par exemple, RESNICK, 1988 ; SHANKER, 1988 ).

Un des défis particulièrement difficiles pour la recherche ( que des professeurs exceptionnels pourraient résoudre seuls ) est de déterminer ce qui devrait être rendu explicite dans l'enseignement et ce qui devrait rester implicite. Une stratégie courante pour tenter de surmonter les problèmes pédagogiques difficiles est de rendre explicite tout ce qui peut l'être. Ainsi nous nous sommes retrouvés avec des méthodes pédagogiques complètement inadéquates. Quel que soit le domaine, l'interprétation fait souvent émerger du monde intégré de l'implicite, probablement même des contraintes non conceptuelles( CUSSINS, 1988 ) et tente de les rendre explicites ou conceptuels. Ceux-ci prennent alors place dans notre ontologie et deviennent un objet de plus à étudier plutôt que simplement quelque chose d'utile dans l'acte d'apprendre. Mais les représentations déictiques gagnent leur efficacité en minimisant une part importante du contexte ou en le laissant dans l'implicite. Les travaux futurs dans le domaine de la cognition contextualisée, dont bénéficieront les pratiques éducatives, doivent, entre autre chose, formuler un exposé convaincant du rapport entre connaissance explicite et compréhension implicite.

 Nous n'avons décrit dans cet article qu'un fragment du programme pour une théorie pleinement développée de la cognition contextualisée. Il reste à faire un important travail théorique pour déplacer le centre traditionnel de l'éducation. Pendant des siècles, l'épistémologie qui a guidé la pratique éducative s'est principalement concentrée sur la représentation conceptuelle et a rendu sa relation aux objets dans le monde problématique en supposant que, d'un point de vue cognitif, la représentation précède toute chose. Une théorie de la cognition contextualisée propose de considérer que l'activité et la perception sont, essentiellement et épistémologiquement, antérieures - à un niveau non conceptuel - à la conceptualisation et que c'est sur elles qu'il faut concentrer plus d'attention. Une épistémologie qui commence par l'activité et la perception, qui sont d'abord et avant tout ancrées dans le monde, peut tout bonnement éviter le problème classique de la référence aux représentations conceptuelles classiques.

En conclusion, l'importance imprévue de l'activité et de l'enculturation en matière d'apprentissage laisse penser que bien des pratiques éducatives habituelles sont victimes d'une épistémologie inadéquate. Une nouvelle épistémologie pourrait être la clé d'une amélioration très importante dans l'acte d'apprendre et représenter une perspective absolument nouvelle de l'éducation.

  

  

NOTES

1. Tous les travaux dans ce domaine sont construits, à plus ou moindre degré, sur les recherches de théoriciens comme VYGOTSKY, LEONTIEV et d'autres. Pour des exemples de travaux récents voir par exemple ROGOFF & LAVE, 1984 ; SCRIBNER, 1984 ; HUTCHINS, en cours d'impression ; ENGESTROM, 1987 ; LAVE & WENGER, en préparation ; et tout particulièrement LAVE, 1977, 1988a, 1988b, 1988c, en préparation. Toute personne au fait du travail de LAVE sur l'acte d'apprendre, le compagnonnage et la connaissance usuelle se rendra immédiatement compte de notre grande dette à l'égard de son travail de pionnier. retour au texte

2. Les définitions de dictionnaire que les élèves ont utilisées pour écrire ces phrases sont les suivantes : correlate : être en relation, correspondre, être apparenté - meticulous : méticuleux, être attentif - stimulate : stimuler, remuer. Ils ont trouvé ces définitions avec peu ou pas d'aide contextuelle ; il serait donc injuste de les considérer comme des idiots pour avoir utilisé les mots comme ils l'ont fait. retour au texte

3. Dans la littérature linguistique, le terme deixis est souvent utilisé à la place de indicialité. Voir par exemple J. FILLMORE, Conférence de Santa Cruz. retour au texte

4. Cette image n'est, bien sûr, pas originale. De la manière dont elle est développée ici, nous sommes particulièrement redevables à Richard BURTON, qui l'a analysée au cours d'un colloque sur l'éducation organisé par le Secrétariat à l'Éducation du Kentucky mais aussi à l'ouvrage de D. N. PERKINS, La connaissance comme conception / technologie ( 1986 ). ( Le terme design est particulièrement difficile à traduire en français ; il signifie essentiellement conception, mais avec des connotations d'élégance, d'utilité et d'efficacité. Instructional design est souvent traduit par technologie éducative, ce qui occulte le caractère harmonieux, utile et efficace que le designer souhaite apporter. NdT ) retour au texte

5. Les gens ordinaires ( Just Plain Folks ) doivent, bien entendu, avoir accès à une culture et devenir ce que LAVE & WENGER ( en préparation ) appellent un « participant périphérique légitime ». Et, bien sûr, un apprenti doit généralement effectuer une quantité importante de travail. Nous n'essayons pas de faire croire que quelque chose de magique se produit dans le processus d'enculturation ( les internes en médecine témoignent à quel point cela peut être difficile ). Mais le processus, nous y insistons, n'est pas qualitativement différent de ce que font les gens lorsqu'ils adoptent tout le temps les systèmes de comportement et de croyance de leurs pairs. retour au texte

6. Pour se rendre compte combien cela est étranger aux tâches scolaires, il pourrait être utile d'imaginer à quel point il serait inconvenant de demander à un élève à qui ce problème serait soumis : « la personne au régime a-t-elle un bol-doseur, une planche à découper et un couteau dans les mains ? ». Même si les énoncés sont censés fonder la théorie sur l'activité, ce qui structure l'activité n'est pas donné à ceux qui doivent résoudre le problème. Les manuels demandent aux élèves de résoudre de prétendues questions « réelles » au sujet de personnes qui font des choses très peu réelles, comme conduire à vitesse constante en ligne droite ou remplir des baignoires qui fuient avec des seaux qui fuient. On ne permet généralement pas aux élèves de se livrer à des spéculations qui ont trait à la vie réelle. Leur esprit d'invention habituel est contraint par la prescription et la proscription des façons dont il faut trouver la réponse. L'inévitable M. Smith, dans sa sagesse, pourrait, après tout, réparer le trou de son seau et remplir sa baignoire avec un tuyau. S'asseoir et calculer combien de jours cela prendra avec un seau qui fuit est, à coup sûr, la dernière chose qu'il ferait ( voir également LAVE, 1988c ). retour au texte

7. Il ne m'a pas été possible de trouver, pour traduire « indexicalization », un terme de la famille de « déictique », qui rend par ailleurs parfaitement le concept de « indexical ». J'ai donc opté pour ce néologisme, dont il faut bien percevoir l'identité avec la notion de déictique. ( NdT ) retour au texte

9. Increasingly Complex Microworlds ( NdT ) retour au texte

  

  

  

Remerciements : Plusieurs des idées de cet article sont nées de discussions collectives à l'Institut pour la Recherche sur l'Apprendre ( Institute for Research on Learning ). Nous sommes particulièrement reconnaissants à James GREENO, Jean LAVE, Susan NEWMAN, Roy PEA, et John RHEINFRANK, qui ont lu les premières ébauches et les ont commentées avec grand soin. Nous sommes également reconnaissants à Richard BURTON, William CLANCEY, et Alan SCHOENFELD pour leurs contributions utiles et pénétrantes. Plus généralement, nous voudrions reconnaître l'influence du travail de pionnier de Brian CANTWELL SMITH dans sa théorie computationnelle et sémantique établie sur les notions de contextualisation, d'intégration et de personnification ; l'influence également de la nouvelle conception de l'esprit en termes d'efficacité « radicale » plutôt que de rationalité due à Susan STUCKY, et du travail sur l'indicialité de Philip AGRE et David CHAPMAN.

Cette recherche a été soutenue en partie par les Programmes de Recherche sur le Personnel et la Formation ( Personnel and Training Research Programs ), Division des Sciences Psychologiques , Bureau de Recherche Navale ( Office of Naval Research ) sous le numéro de contrat NOO014-C-85-0026. Numéro d'Identification , N° 667-540.

Une version augmentée de cet article paraîtra comme rapport IRL sous le numéro 88-0008 ( disponible auprès de l' Institute for Research on Learning ) et en tant que rapport de recherche BBN 6886 ( disponible chez BOLT, BERANEK & NEWMAN Inc.)

   

  

  

Consulter la bibliographie ( en anglais )

  

  

  

JOHN SEELY BROWN et PAUL DUGUID sont membres de l'Institute for Research on Learning, 2550 Hanover Street, Palo Alto, California 94304.

ALLAN COLLINS est membre de BBN Inc, 10 Moulton Street, Cambridge, Massachusetts 02238.