Collège Paul-Emile Victor |
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Un aventurier humaniste, Paul-Emile Victor
Une vie bien remplie
Les lectures de Paul-Emile Victor : des lectures stimulantes
Ce que lisait Paul Emile Victor à l'époque de ses 15 ans :
- Voyages et aventures du Capitaine Hatteras, de Jules Verne
- Vasco, de Marc Chadourne
- Les Immémoriaux, de Victor Ségualen
- La Voie Royale, d'André Malraux
- Manitoba, de Constantin - Weyer
- L'art de Rodin, Greco ou le secret de Tolède, de Maurice Barrès
- Tous les Jack London
- Tous les Mayne - Reid
- Un livre de Baudelaire, de Verlaine, de Jehan Rictus
-De la littérature d'aventure, d'évasion, d'action composaient le fond de sa bibliothèque
Sur sa chambre, il y avait maintenant des cartes sur tous les murs :
une carte générale de la Polynésie, "Je connaissais le nom de toutes ses îles par coeur et leur place sur la carte aussi."
Une carte détaillée du Pacifique du Sud, une carte du Groënland.
Le désir d'aventure
"Le train entra en sifflant dans la gare de la petite ville. Il était 5 heures du matin. Sur mon dos, le sac pesait lourd: je revenait d'un camp scout. J'avais quatorze ans. Aux fenêtres, aucune lumiére: on ne m'attendait pas. Ne voulant pas réveiller les miens et désirant prolonger de quelques heures l'Aventure je me roulai dans ma couverture contre le tronc, avec mon sac comme oreiller. Longtemps j'écoutai l'arbre, et savourai son odeur de résine et le parfum de la pluie sur la glaise. La nuit me cachait la maison toute proche. Je bivouaquais pour la première fois de ma vie. J'étais libre, heureux. Ma mère me découvrit là, dormant à poings fermés, mouillé de la tête aux pieds. Je fus déçu de ne lire aucun étonnement sur son visage, surpris qu'elle ne me fît aucun reproche. En montant l'escalier derrière elle, je constatai combien elle était à la hauteur de l'évènement. Je devais le constater bien souvent depuis..."
La Voie Lactée
La volonté d'aller plus loin : la chance de rencontrer Charcot
"Un soir, assis au bord des vagues fatiguées - comme dans une image de Gustave Doré - , je vis un navire étrange. Sa silhouette écorchait à peine le disque aveuglant du soleil qui disparaissait lentement sous l'horizon. Tous les détails du bateau étaient visibles: ses trois mâts, ses vergues, sa proue en pointe, sa mince cheminée sur l'arrière, sa passerelle légère sur l'avant et tout en haut de son grand mât le tonneau, le nid-de-pie. Je ne fus pas long à reconnaître le Pourquoi pas? et à imaginer, sur la passerelle, celui qui depuis tant d'années en dirigeait la destinée, le docteur Charcot. J'avais naturellement lu tous ses livres. Il était pour moi une sorte de personnage mythique, demi-dieu demi-homme."
"J'avais regardé longuement cette photo, éprouvant un sentiment d'envie et de jalousie pour ses lycéens dont j'avais passé l'âge, mais qui, eux, avaient eu la chance de voir Charcot de près et peut-être même de lui parler."
"Feuilletant le Livret de l'étudiant, je découvris le certificat d'ethnologie et le diplôme de l'Institut d'Ethnologie de Paris. Le lendemain, je m'inscrivis. Une spécialisation était nécessaire: j'étudiai plus particulièrement la vie et les moeurs des Polynésiens."
"Le dimanche suivant, je déjeunai chez un vieil ami de ma famille, mon "oncle Joseph", professeur de géographie au lycée Louis-le-Grand. Si tu as tellement envie de partir, me dit-il, pourquoi ne demanderais-tu pas à Charcot de t'emmener? Je crus à une plaisanterie. Mon oncle Joseph savait depuis longtemps mon attirance vers les terres polaires. Il m'avait conseillé, dirigé dans mes études à la Sorbonne. Son frère, mon oncle Jean, avait été, après mes bachots, mon éducateur et mon ami; il m'avait hébergé lorque j'étais arrivé à Paris. Je passais presque tous les dimanches dans leur famille qui était devenue la mienne.
- Charcot ? dis-je en voyant défiler devant mes yeux, probablement comme un homme qui voit défiler en quelques secondes (paraît-il) toute sa vie, une succession d'images multicolores d'icebergs, de mâts surmontés de nids-de-pie, de cagoules en fourrure, de traineaux et de chiens, et surtout la photographie d'un vieux monsieur aux yeux bons, à la barbiche blanche au milieu de jeunes lycéens dont j'aurais bien voulu être. Je regardai mon oncle Joseph d'un air tellement étonné qu'il éclata de rires et ajouta: "C'est facile: si tu le veux, je puis lui écrire un mot: nous avons usé nos culottes ensembles sur les bancs de l'Ecole Alsacienne."
Je quittai la maison, la lettre en poche. Le lendemain j'en demandai une autre au professeur Rivet. Le soir même partait une enveloppe contenant ces deux lettres auxquelles j'avais joint la mienne, que j'avais recommencée sept fois. Et j'attendis. Pas longtemps: le surlendemain, je reçus la réponse. Elle était écrite à la main, de cette écriture calme et régulière que je devais revoir si souvent par la suite. Cette lettre m'enivra."
Neuilly-sur-Seine
12 décembre 1933
Monsieur,
Vous ne pouviez trouver meilleure recommandation que celle de mon cher vieux camarade Kergomard.
Il serait prématuré de prendre une décision car la prochaine croisière du Pourquoi pas ? n'est pas encore établie, et son programme n'est que trés peu ébauché dans ma tête.
J'envisage cependant la possibilité de votre collaboration éventuelle et aurais grand plaisir à en causer avec vous.
Janvier est encore un peu loin pour que je puisse vous donner un rendez-vous définitif, mais, sauf imprévu vous me trouverez toujours à 15 heures aux séances de l'Académie des Sciences où nous pourrions déjà bavarder utilement pendant quelques instants.
Veuillez agréer, je vous prie Monsieur, l'assurance de mes sentiments empressés et dévoués.
DOCTEUR CHARCOT.
Sauter le pas...
Les étudiant, je m'aperçus qu'il restait encore beaucoup à faire avant de connaître la vie de ces Esquimaux découverts en 1885 seulement par Gustav Hölm. Tout doucement une voix montait en moi. Je l'entendais partout, dans la rue, dans les restaurants d'étudiants, chez moi, dans mon sommeil qui devenait de plus en plus rare. Elle disait: "un an..." "rester un an..." "Il faut rester un an."
Je saisis alors que tout ce que j'avais fait, depuis mon service dans la Marine jusqu'à mon état d'étudiant spécialisé dans l'étude des Maoris ou des Esquimaux, n'était qu'un jeu au même titre que l'étaient ma mansarde et ses cartes sur les murs. Il manquait quelque chose à tout cela, un quelque chose qui était l'essentiel, et que dans la conversation courante on exprime par le mot "ça". Ce "ça", c'était la différence entre le désir de partir dont j'avais donné tant de preuves, et la volonté de partir que j'avais si souvent exprimée en paroles, mais qui, en moi, était restée dans l'ombre. Je venais de comprendre que la différence entre ce désir et cette volonté, c'était la décision. Elle ne dépendait que de moi seul et de personne d'autre. Il me suffisait de dire: je pars pour franchir le pas décisif. Ce n'était pas plus compliqué que cela.
Il leva les yeux sans bouger et me regarda longuement. J'avais la gorge sèche. Autour de nous les vieux messieurs parlaient, discutaient, passaient, entraient, sortaient. Mais pour moi, il n'y avait que ce grand bonhomme un tout petit peu voûté, à la figure énergique, aux yeux bons. Je vis un sourire passer dans ses yeux. J'essayai d'avaler un peu de salive sans y parvenir. Charcot ouvrit les lèvres et sans me quitter du regard, il dit: "Entendu, mon petit, je vous emmène". J'ai eu la chance dès les premières années de ma vie, de rencontrer des hommes comme mon père, comme Charcot. Des hommes. Des hommes qui savaient aimer.
Tous ces textes sont tirés de La Voie Lactée.
Paroles de Paul Emile Victor tirées de La Voie Lactée
"...il ne faut jamais abandonner, s'accrocher, s'accrocher..."
"J'ai toujours eu la bonne étoile"
"...encore dix minutes. Encore cinq peut-être. Mais cinq minutes c'est une vie entiére quand tout peut flancher d'un seul coup. Une vie... Une vie à faire l'imbécile. Combien de fois peut-on s'amuser à faire l'imbécile dans une vie? Rien ne m'obligeait à mettre sur pied une nouvelle expédition - la plus uniéme - à repartir, à rouler ma bosse une fois de plus un peu partout, mais toujours en fin de compte pour aboutir quelque part dans la neige et la glace. Quelle idiotie ! Alors qu'il eut été si facile, si simple, si agréable de "rester chez soi."
"Parmi toutes les questions sensées ou idiotes que posent les journalistes, il y en a une une qui revient périodiquement: "si vous n'aviez que quelques jours à vivre, que diriez-vous ?"Je n'ai plus que quelques secondes à vivre et je ne me dit ni "déjà" ni "enfin". Car je n'attends rien de la mort; je suis riche: j'ai aimé une femme, un métier, un pays."
"En bordure de l'allée de graviers poussait un séquoia. En ce temps là sa pointe apparaissait à peine au-dessus du bord de la fenêtre de notre salle à manger, au premier étage; et, par-delà, nous pouvions voir, lorsque nous nous mettions à table, les collines violettes et rousses des premières montagnes du Jura. Cet arbre aujourd'hui dépasse de beaucoup le toit de la maison et ses branches touffues en ont dévoré la vue."
"Le bonheur? Parmi mes semblables? Pourquoi recommencer l'expérience? Pourquoi chercher ailleurs ce que j'avais trouvé ici?"
"Et soudain, je fus imprégné, comme la glace est faite d'eau, par une odeur multiple qui me prit à la gorge, fit passer dans tous mes membres jusqu'aux ongles, dans ma tête jusqu'à la racine des cheveux un long frisson: l'odeur de sapins, de buis et de cyclamens."
"J'étais des collines chaudes et odorantes du Jura, là où le vent joue des sapins comme une main de la harpe, où les torrents le savent exister sans myosotis, où l'hiver baigne dans la couleur et l'été dans la vie."
"J'avais compris que j'étais du pays des buis, des sapins et des cyclamens."
"L'indulgence: cette disposition de l'esprit qui nous fait supporter les défauts des autres et voir en eux plutôt le bon que le mauvais."
"J'ai toujours eu la bonne étoile. La baraka comme disent mes camarades. Je m'en suis toujours tiré et eux avec moi. Sauf une fois. Un gros pépin, un seul, sur un nombre respectable d'expéditions."
"Le pire crime n'est pas de tuer.Le pire crime est d'assassiner en l'homme l'espérance."
"Aimer, croire. En un mot: ESPERER."
"Il y a 2000 ans, l'espoir est né dans une étable. L'espoir sans lequel aucun homme ne peut vivre."