Les actes de parole

Marc GEMMERLÉ

 

 

 

La théorie des actes de parole - terme préférable à celui d'acte de langage puisqu'il s'agit bien de la parole mobilisée par une énonciation - relève du domaine de la pragmatique, c'est-à-dire des relations que la langue entretient avec ses utilisateurs, des effets produits par la langue à l'intérieur d'un contexte verbal et non verbal. D'après J. L. AUSTIN 1, toute énonciation non seulement dit quelque chose - acte locutoire - mais, en même temps, accomplit quelque chose, réalise une action - acte illocutoire - qui, comme les actes non linguistiques, modifie une situation en faisant reconnaître au co-énonciateur une intention pragmatique.

Dans certains cas, et dans des conditions précises, c'est le fait même de dire qui réalise l'action : « J'ouvre la séance », « Je le jure »; on parle alors d'actes de parole performatifs.

Dans tous les cas, l'acte locutoire a aussi une dimension - une « force » - illocutoire, c'est-à-dire accomplit une action : requête, menace, promesse, remerciement, engagement... assertion. Ainsi lorsque je dis « Il pleut », non seulement je donne une information ( acte locutoire ), mais j'asserte que ce que je dis est vrai ( force illocutoire d'assertion ).

L'effet que produit l'acte illocutoire sur le co-énonciateur est dit perlocutoire. Si j'énonce ( et asserte ) qu'il pleut, l'interlocuteur peut interpréter ce dire, cet acte de parole, non comme une assertion, mais comme une invitation à ouvrir son parapluie ( une directive ).

 

Acte de parole et implicite du discours

Les actes de parole sont dits indirects ( ou dérivés ) lorsqu'ils sont accomplis non plus directement, mais à travers d'autres. C'est ainsi que « il y a une mouche dans ce café » constitue littéralement une assertion, mais peut ( ou doit ) être déchiffré comme un reproche, et/ou une requête implicite. Dans le vie courante, les actes de parole indirects sont relativement fréquents et constituent un mode habituel ( supposé facilement décodable ) de l'implicite du discours.

 Réussite des actes de parole 

Un acte de parole est dit « réussi » lorsque le destinataire reconnaît l'intention associée à son énonciation. Pour réussir, il doit réussir un certain nombre de conditions. Si je dis « il pleut », je suis censé être sincère ( cf. les lois du discours ), je suis capable de me porter garant de ce que j'avance : « l'acte de parole implique un réseau de droits et d'obligations, un cadre « juridique » spécifique » 2. Donner un ordre n'est pas un acte de parole réussi si je ne suis pas en mesure d'ordonner, si le rapport de places de part et d'autre ne m'autorise pas à ordonner.

Classer les actes de parole 

Il existe, comme pour les types de séquences de textes, des dizaines de tentatives pour décrire ce que fait un énonciateur en disant quelque chose. L. LUNDQUIST 3 propose la liste suivante ( non exhaustive ) :

l'assertion ( dire et asserter la vérité de ce qui est dit );

l'interrogation;

la directive ( par le dire, inciter à faire );

la persuasion ( agir sur la croyance );

l'acte prédictif ( annoncer que quelque chose aura lieu );

l'acte commissif ( engagement, promesse, offre );

l'acte évaluatif ( par le dire, évaluer, juger )

 

Mais il faut prendre garde aux confusions :

« Je promets de venir » est un acte performatif à force illocutoire commissive;

« Il m'a promis de venir » est une assertion.

 

Macro-actes de parole

Quand on travaille non sur des énoncés courts isolés mais sur des textes ( ou séquences textuelles ), on ne peut se contenter d'analyser en actes de parole élémentaires ; le texte peut avoir, à un niveau supérieur, une valeur illocutoire globale, celle d'un macro-acte de parole constituant un genre de discours particulier. C'est le cas, par exemple, des pages de « remerciement à » ou d' « engagements » publics qui fleurissent actuellement, dans les journaux, sur des dépliants ou des affiches. Il est évident que ces textes gagnent à être compris et analysés sous cet angle plutôt que dans une seule perspective typologique.

La notion d'acte de parole, au stade actuel des savoirs sur la langue, est une notion fondamentale de l'analyse du discours - mais reste, au plan didactique, le plus souvent inexploitée, ignorée par les instructions pédagogiques, carrément absente des manuels. Elle est fondamentale parce qu'elle fonde la compréhension/production discursive sur une philosophie du langage tout à fait nouvelle : la parole, si elle est effectivement aussi un acte, doit être considérée comme aussi lourde de conséquences que tout acte; la parole n'est plus seulement un univers de mots, sans lien avec l'univers des actes, mais elle pèse de tout le poids illocutoire de son énonciation et de son interprétation, puisqu'elle est elle-même un acte, et que l'interaction langagière n'est pas un vain mot, mais une responsabilité partagée;

D. MAINGUENEAU 4 définit la langue comme une « institution permettant d'accomplir des actes qui ne prennent sens qu'à travers elle »; J.-M. ADAM 5 définit le texte comme une « suite ( hiérarchisée ) d'actes illocutoires »; L'analyse conversationnelle considère la séquence du même type comme un échange d'interventions orales analysées en tant qu'actes de parole. Enfin, nous avons déjà eu l'occasion de faire remarquer qu'il peut être plus pertinent d'analyser certaines séquences ou certains textes comme des macro-actes de discours : « comprendre l'action langagière engagée ( macro-acte de discours implicite ou explicite ), c'est une autre façon de résumer un texte et donc de l'interpréter dans sa globalité » 6 .

 

 NOTES

1 AUSTIN, J. L. : (1970), Quand dire, c'est faire, Editions du Seuil     retour au texte

2 MAINGUENEAU, D. : (1990) Pragmatique pour le discours littéraire, Bordas, p. 8     retour au texte

3 LUNDQUIST, L. : (1983), L'analyse textuelle, CEDIC, pp. 35-36     retour au texte

4 MAINGUENEAU, D. : op. cit., p.     retour au texte

5 ADAM, J.-M. : ( ), Linguistique textuelle, p.     retour au texte

6     retour au texte