Les lois du discours

 

 

 

H. P. GRICE 1 a introduit dans le champ de la théorie pragmatique la problématique des « maximes conversationnelles », expression à laquelle on a préféré, dans la littérature francophone sur le sujet, celle de « lois du discours».

Ces lois sont un ensemble de règles que les interlocuteurs sont censés respecter pour assurer la réussite de l'acte de communication. Par le fait même d'engager une interaction, les interlocuteurs acceptent et suivent ces règles indispensables à son bon fonctionnement. Il n'y a pas de contrat explicite concernant cette véritable « règle du jeu » entre le producteur d'un énoncé et son co-énonciateur , mais bien plutôt un accord tacite, implicite, qu'on peut cependant dire constitutif de l'interaction verbale.

GRICE place au sommet de cet édifice une loi fondamentale, qu'il appelle principe de coopération.

... que votre contribution à la conversation corresponde à ce qui est exigé de vous, au moment où elle intervient, pour  le but ou la direction acceptée de l'échange verbal dans lequel vous êtes engagé.

Les partenaires de l'échange sont donc censés collaborer à la réussite de cette activité en acceptant la règle implicite de coopération, et en mettant tout en oeuvre pour qu'elle puisse évoluer et aboutir.

Les autres lois, dont les principales sont les lois d'exhaustivité, d'informativité, de pertinence et de sincérité, sont subordonnées au principe de coopération et en découlent logiquement.

  

Loi d'informativité

 

Que votre contribution ne contienne pas plus d'information qu'il n'est requis.

Il ne faut donc pas parler pour ne rien dire et apporter à son interlocuteur les informations nouvelles nécessaires à la progression de l'interaction. Cette règle ne s'applique qu'au posé des énoncés et ne concerne pas les présupposés 2.

Cette loi est particulièrement sensible dans les énoncés tautologiques ( « la loi c'est la loi », par exemple ) pour lesquels le co-énonciateur doit inférer qu'ils apportent quand même une information nouvelle, au-delà de l'apparente réflexivité de l'énoncé qui semble fonctionner à vide.

 

Loi d'exhaustivité

 

Que votre contribution contienne autant d'information qu'il est requis.

L'énonciateur se doit de donner l'information maximale, la plus forte dont il dispose. Cette loi exige également qu'on ne dissimule pas une information importante pour la construction du sens des énoncés produits. Ainsi un énoncé tel que « Un homme condamne le recours à la violence » viole manifestement la loi d'exhaustivité parce qu'il n'est pas indifférent pour la construction du sens que le co-énonciateur sache qui est cet homme, un philosophe, un homme politique ou tel particulier.

Il convient cependant de noter que la loi d'exhaustivité est elle-même très dépendante de la loi de pertinence.

 

Loi de pertinence

 

Parlez à propos.

Un énoncé doit être totalement approprié au contexte dans lequel il est produit, il doit se rapporter d'une façon ou d'une autre au sujet de la conversation. Si toute énonciation est pertinente, cela implique que le co-énonciateur cherchera à confirmer cette pertinence en construisant du sens dans cette perspective. Un panneau « Interdiction de fumer » 3 permet d'inférer que cette  assertion concerne celui qui la lit ( elle est donc pertinente ) et qu'elle postule une modification de la situation : fumeur, il comprend qu'il doit s'abstenir, non-fumeur, il sait qu'il peut entrer sans risque d'être gêné.

Le principe de pertinence constitue, pour certains auteurs, l'élément fondamental de l'interprétation des énoncés 4.

 

Loi de sincérité

 

N'affirmez pas ce que vous croyez être faux.
N'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves.

L'énonciateur doit s'impliquer dans l'acte de parole qu'il accomplit. Pour promettre, il faut pouvoir tenir ; pour ordonner, il faut disposer du pouvoir de le faire ; pour souhaiter, il faut désirer la réalisation de ce souhait... Il ne faut pas ordonner quelque chose d'impossible à réaliser; pour affirmer, il faut pouvoir garantir la véracité de ce qu'on avance... La loi de sincérité postule que l'énonciateur « joue le jeu », qu'il ne profite pas de l'ignorance du co-énonciateur pour réaliser un « coup de force discursif ».

Mais le fait que la langue dispose de locutions telles que franchement, vraiment, sans mentir, etc. montre que cette loi est susceptible d'être violée.

Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.

Pourquoi le Renard tient-il tant à ce que le Corbeau le croie sincère ?

 

L'analyse des textes et des discours dans le cadre scolaire à tout à gagner à prendre en compte les propositions de la pragmatique. Outre le fait qu'elles permettent une approche plus fine des énoncés, elles ont le grand mérite d'ouvrir le champ des possibilités d'interprétation en fournissant aux élèves des outils puissants et efficaces.

Anne UBERSFELD en donne par ailleurs une éclatante démonstration lorsqu'elle applique au texte de théâtre la théorie de H. P. GRICE 5.

 

 

NOTES

1. GRICE, H. P. : (  1975 ), Logic and conversation, trad. fr. ( 1979 ), Logique et conversation, Communication n° 30, Éditions du Seuil.     retour au texte

2. MOESCHLER, J.  & REBOUL, A.  : ( 1994 ) Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Éditions du Seuil, pp. 241 sq.     retour au texte

3. Les lois du discours ne valent pas que pour les interactions verbales ; les énoncés écrits, dans une situation de réception différée, y sont également soumis.     retour au texte

4. Cf. la  « théorie de la pertinence » de SPERBER, D.  & WILSON, D.  : ( 1986 ), La Pertinence, Editions de Minuit ainsi que KERBRAT-ORECCHIONI, C. : ( 1986 ) L'Implicite, A. Colin.     retour au texte

5. UBERSFELD, A. : ( 1996 ), Lire le théâtre III, Le dialogue de théâtre, Belin Sup, pp. 77 sq.     retour au texte