Le Loup et l'Agneau

L'analyse du récit : situation-problème

  

  

La raison du plus fort est toujours la meilleure,

 

 

Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltéroit
Dans le courant d'une onde pure.

Un Loup survient à jeun, qui cherchoit aventure,

 

 

Et que la faim en ces lieux attiroit.

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

 

 

Dit cet animal plein de rage :

 

 

Tu seras châtié de ta témérité.

- Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté

 

 

Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

 

 

 

Dans le courant,

 

 

Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,

 

Et que par conséquent, en aucune façon,

 

 

Je ne puis troubler sa boisson.

 

- Tu la troubles ! reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurois-je fait, si je n'étois pas né ?

 

 

Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.

 

 

- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

 

Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :

 

 

 

Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.

 

 

On me l'a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

La FONTAINE
Fables, Livre I
( illustration G. DORÉ )

    

  

L'utilisation du schéma quinaire pour rendre compte de la structure de cette fable conduit à qualifier la joute oratoire du loup et de l'agneau de « péripétie ». Entre Un Loup survient à jeun - élément déclencheur - et Le Loup l'emporte - élément de résolution - le schéma quinaire ne peut qu'ignorer ce qui se joue dans la parole des protagonistes ; les élèves voient dans le dialogue une suspension du récit et n'ont, du point de vue narratif, rien à en dire. Au mieux, on leur proposera d'étudier ce long passage en tant que séquence argumentative.

Narrativement, les dialogues sont des signes d'actions en train de se jouer. Justifications pseudo légales de l'acte prémédité ( le loup sait depuis le début qu'il va dévorer l'agneau, il lui faut seulement justifier juridiquement, donc moralement !, cet acte  ) et réfutation des accusations par l'agneau donnent à voir ce qui se joue : une parodie de justice subordonnée à la loi du « plus fort »...

  

Le schéma de Stein et Glenn permet de rendre compte de tous les éléments de la fable.

CADRE : quelque part au bord d'un ruisseau un agneau se désaltère.
  

ÉPISODE 1
  

Déclencheur : un loup survient ( il est à jeun, il cherche aventure, la faim l'attire )

Réponse interne : « quelle aubaine ! voici justement de quoi satisfaire cette faim qui me tenaille. »

Plan : « Pour pouvoir le dévorer sans remords, il faut que je puisse faire croire à mon bon droit : accusons-le. »

N.B. : L’ellipse des phases réponse interne et plan est fréquente ; en effet, à les rendre explicites, l’auteur alourdirait inutilement son récit. Le « plaisir du texte » réside justement dans l’inférence nécessaire de ces phases à partir des événements qui en constituent la mise en application.
  

Mise en application

Tentative 1: accusation « tu troubles mon breuvage. »

Conséquence 1: réfutation « Plus de vingt pas au-dessous d'Elle...»

Réaction: le loup enrage et
  

ÉPISODE 2
  

Tentative 2 : accusation « tu médis de moi... »

Conséquence 2 : réfutation « je n'étois pas né. »
  

ÉPISODE 3
  

Tentative 3: accusation « c'est donc ton frère. »

Conséquence 3 : réfutation « je n'en ai point. »
  

ÉPISODE 4
  

Tentative 4 : accusation « c'est donc quelqu'un des tiens... vous, vos bergers et vos chiens. »

Conséquence 4 : le déplacement de l'accusation, de la personne de l'agneau vers d'autres, le laisse sans arguments, sans voix
  

Réaction de l'agneau : ??? - mais on l'imagine désemparé.

Réaction du loup : il l'emporte et le mange sans autre forme de procès.

   

  

Proposition didactique

Situation-problème

 

1

Appui sur les acquis antérieurs

Rendre compte du récit en utilisant le schéma quinaire

2

Mise en problème

Et si le dialogue du Loup et de l'Agneau racontait également quelque chose ?

  

Documents fournis 1

texte de la fable

2

Modèle quinaire de Larivaille

sous 2 formes : texte et schéma

3

Modèle de Stein et Glenn

sous 2 formes : texte et schéma

  

Le modèle de Stein et Glenn est apporté pour introduire un conflit cognitif entre représentations des élèves ( « le » schéma narratif est le seul outil d'analyse de la structure des récits ) et informations nouvelles qui les remettent en cause. L'apprentissage vise des compétences multiples : déclaratives, conditionnelles et procédurales, stratégiques enfin.

  

Modalités de travail 1

Travaux de groupes

  2

Mise en commun et discussion

  3

Synthèse par articulation ( cf. apprentissage contextualisé )

Objectif de la séance

Évaluer la pertinence et l'efficacité d'un modèle d'analyse de la structure des récits

Tâche

Rédiger la partie « compte-rendu de l'intrigue » d'un article de critique d'un récit complet en ayant recours à un des modèles explicatifs disponibles 

  

 Il faut avoir conscience qu'en présentant cette séance d'apprentissage à des élèves ( de Bac Pro ), on se met en difficulté par rapport à l'institution. En effet, il s'agit rien moins que de la remise en cause d'un élément important du programme ( « le » schéma narratif ), du refus de réduire l'analyse à l'utilisation d'un « outil » qu'on sait peu satisfaisant. De plus, il ne faut pas perdre de vue que les élèves seront cognitivement déstabilisés  par cet apport, non reconnu par l'institution et ses représentants. Et, en définitive, c'est bien sur « le » schéma narratif quinaire tel qu'il est présenté dans les manuels qu'on les évaluera.