Didactique et enseignement du français

en lycée professionnel

     

  

  

Champ de la didactique

La tendance actuelle est d'élargir de plus en plus le champ de la didactique, qui finit par englober ce qui relevait traditionnellement de la pédagogie.

Cet impérialisme didactique caractérise, par exemple, « La Didactique du français » 1. Pour éviter toute confusion, nous nous en tiendrons à la définition la moins contestable : la didactique est centrée sur les contenus de l'enseignement, sur l'idée du « quelque chose à apprendre », de savoirs à rendre enseignables, alors que la pédagogie porte sur les moyens à mettre en oeuvre pour permettre l'apprentissage, moyens propres à assurer la transmission et l'appropriation de contenus relevant de disciplines universitaires de référence ( linguistique, sémiologie, théories littéraires... ) ou savoirs savants.

Didactique et pédagogie ne sont certes pas dans une relation additive, mais interagissent : la didactique impose ses contraintes à la pédagogie, qui, en retour, provoque la didactique.

La didactique du français pose cependant un certain nombre de questions spécifiques, auxquelles nous tenterons de répondre succinctement :

Quels sont les aspects propres aux contenus de l'enseignement du français ?

Qui choisit et légitime les contenus ?

Quels sont les contenus à enseigner ? Quels sont les points de vue théoriques qui les sous-tendent ?

Comment rendre les savoirs savants enseignables ?

Le professeur peut-il faire preuve d'un déni de compétence par rapport à la connaissance et à la maîtrise des contenus ?

Le professeur peut-il exprimer un point de vue critique sur les contenus programmatiques ?

     

Aspects spécifiques des contenus de l'enseignement du français

L'obsolescence des savoirs savants - ce que l'on sait, à un moment donné, sur la langue, la littérature, les discours... - est de plus en plus rapide, alors que la résistance à l'actualisation des contenus reste constante ; d'autre part, c'est une tradition bien établie que l'actualisation des contenus par les institutions ( instructions pédagogiques, formation continue, livres, revues et manuels ) se fait toujours avec un retard de plusieurs années, voire de plusieurs décennies.

Les savoirs concernant la langue et la littérature sont très hétérogènes et nécessitent des approches plurielles. De plus, ils sont rarement consensuels, parfois contradictoires, jamais définitifs ( voir par exemple la notion de schéma narratif ).

Il n'y a pas de correspondance précise entre le français comme matière enseignée et le découpage disciplinaire des savoirs.

Les savoirs de référence relèvent des Sciences Humaines ( certaines étant plus « scientifiques » que d'autres ) et sont traversés de choix sociaux et culturels souvent implicites. La classe, de son côté, est un lieu où circulent des valeurs, qui ne sont pas des objets d'enseignement, mais de croyance : par exemple, l'écrit est survalorisé par rapport à l'oral, etc.

Enseigner le français, ce n'est pas enseigner seulement des savoirs, mais faire développer des compétences langagières ( savoirs empiriques ou savoir-faire ) au service desquelles des savoirs, sous certaines conditions, sont mobilisés ( didactisés ). Il faut donc passer du stade de la scolarisation des savoirs à celui de la formation des compétences.

  

Les contenus à enseigner

Ils sont choisis, dans le cadre d'objectifs définis pour tout le cycle d'enseignement, par l'institution Éducation Nationale et ses commissions ad hoc ( où figurent des représentants des enseignants, de l'inspection, de l'Université ), formalisés en « programmes d'enseignement » légitimés par un arrêté ministériel. Pour l'enseignement du français en BEP ( B.O. n° 31 du 30 juillet 1992 ) et en Baccalauréat Professionnel ( B.O. n° 11 du 15 juin 1995 ), les programmes sont explicités par des documents d'accompagnement largement diffusés, en principe, dans les établissement.

Les contenus proprement dits font l'objet d'un chapitre spécifique en BEP et, en Bac Pro, d'une rubrique « Connaissance des oeuvres et des discours ». En réalité, une lecture attentive des chapitres « Compétences » et « Activités » est nécessaire pour compléter la liste des contenus à maîtriser.

En BEP, les contenus se rapportent aux « capacités d'écoute, d'expression orale, de lecture et d'écriture » permettant de « s'insérer dans des situations de communication variées ». Le programme de Bac Pro « s'inscrit dans la continuité des programmes de BEP », qu'il s'agit de consolider, de « professionnaliser » et d'actualiser. Les contenus de la langue à enseigner reflètent les points de vue théoriques sur la langue qui sous-tendent, dans la dernière décennie, le réflexion des concepteurs de programmes :

spécificité de l'oral et de l'écrit, égale « dignité » des deux codes, refus du « scriptocentrisme » ;

la langue est à maîtriser en réception ( compréhension ) et en production;

la langue sert à communiquer, elle est un objet d'échange, d'interactivité sociale ( ce dernier aspect cependant moins affirmé );

la langue est un système discursif qui se réalise à travers des « oeuvres et des discours »;

Les contenus et compétences sont mis en oeuvre par des activités intégrées et articulées en « séquences d'enseignement globalisées » ( BEP ) ou « dans le cadre d'activités globales » ( Bac Pro ). Les contenus « ne sont pas des objets d'étude, mais des outils pour mieux comprendre et émettre tout type de discours » ( Bac Pro ).

      

  

Le professeur et la maîtrise des contenus

Ce point donne lieu, dans la circulaire « Missions du professeur » ( Circulaire n° 97-123, B.O. n° 22 du 29 mai 1997 ), à un développement de nature déontologique. « Le professeur doit connaître sa discipline... en maîtriser les notions fondamentales... situer l'état actuel de sa discipline à travers son histoire, ses enjeux épistémologiques, ses problèmes didactiques et les débats qui la traversent... savoir situer son domaine d'enseignement par rapport aux autres champs de la connaissance... savoir choisir et organiser les connaissances essentielles et les concepts fondamentaux... éviter que ne se développent chez les élèves le sentiment d'un éclatement des savoirs ».

Pour cela, il doit être « conscient de la nécessité de poursuivre sa formation tout au long de sa carrière pour compléter et actualiser ses connaissances » 2, être « informé de différents supports de ressources documentaires, des modalités pour y accéder ainsi que des ressources de formation auxquelles il faut faire appel ». Bref, « aux différents niveaux auxquels sa discipline est enseignée », tout déni de compétence portant sur la maîtrise des savoirs « dans le cadre des programmes et à partir des acquis et des besoins des élèves » contreviendrait à la mission du professeur.

La référence aux acquis et aux besoins des élèves, la prééminence du texte « missions du professeur » sur toutes les instructions pédagogiques, programmes y compris, non seulement permettent, mais rendent nécessaire une analyse critique des contenus programmatiques. La liberté et la responsabilité de l'enseignant ne consistent pas à transformer un programme en un cadre réducteur et protecteur, mais à en faire une base de réflexion et de création didactiques.

  

Pour une analyse critique des programmes

Pour qui se livrerait à une analyse comparative des programmes et instructions pédagogiques parus depuis l'ouverture des premiers centres d'apprentissage, il est évident que les programmes les plus récents constituent une avancée décisive, tant par la rigueur de leur structuration que par l'infrastructure théorique qui les fonde et les organise.

Il n'en demeure pas moins qu'en ce qui concerne les contenus de l'enseignement les programmes prennent en compte, avec un retard plus ou moins important, des acquis théoriques dont la pertinence scientifique s'est souvent affaiblie. Ils sont le résultat de compromis de toutes sortes, politiques, idéologiques, pédagogiques, catégoriels..., ce qui se traduit in fine par des lacunes, des oublis, des imprécisions, des ambiguïtés, des confusions, des incohérences, des partis-pris, des simplismes...

En voici quelques exemples dans les instructions de BEP et de Bac Pro :

  

La définition du terme discours ( « production plus ou moins codifiée par l'usage social » ) est celle qui est communément attribuée au genre ; il en va de même pour les types de discursivité : l'interview, la lettre, le fait-divers...

La « connaissance de la langue » est confinée au lexique et à la grammaire. Les niveaux sémantiques, pragmatiques, symboliques, rhétoriques n'apparaissent pas en tant que tels. Par contre les figures de rhétorique sont un élément pour l'étude du « texte poétique ».

La cohérence textuelle est réduite « aux indices de cohérence logique ou chronologique ».

La confusion entre poésie et fonction poétique, entre auditoire, récepteur et énonciateur est systématique.

Les oeuvres intégrales sont classées en quatre catégories ( ! ) : poésie, théâtre, prose narrative et discours argumentatifs.

On rencontre nombre de notions floues ou approximatives : « fait théâtral », « lecture réflexive de la littérature », « situation de communication », « effets poétiques », « discours sociaux », « la poétique ( figures de style, sonorités, procédés d’insistance... ) », etc.

   

  

 NOTES

   

1 HALTÉ, J.-F. : (1992), La Didactique du français, PUF, coll. « Que sais-je ? »     retour au texte

2 A titre d'exemple, il suffit de constater à quel point le « schéma de communication » emprunté à , ou plutôt détourné de, JAKOBSON conserve une place prépondérante dans les programmes... et dans la pratique pédagogique, bien qu'elle ait fait l'objet de critiques décisives ( cf. La Didactique du français, Que Sais-Je ?, ).      retour au texte