Naissance et évolution des appareils d’électrocardiographie
Comme pour d’autres grandes découvertes, différents physiciens ont contribué aux recherches sur l’activité électrique du cœur. Les principales étapes sont :
1842
Le physicien italien Carlo Matteucci montre que chaque contraction du cœur s’accompagne d’un courant électrique.
1843
Le physiologiste allemand Emil Dubois Reymond décrit un potentiel d’action accompagnant chaque contraction musculaire, confirmant les travaux de Matteucci.
1856
Rudolph von Koeliker et Heinrich Muller enregistrent un potentiel d’action.
1872
Le physicien français Gabriel Lippmann invente l’électromètre capillaire. C’est un tube de verre à colonne de mercure et d’acide sulfurique. Le niveau de mercure qui change avec le potentiel d’action est visible au microscope.
1876
Marey utilise l’électromètre pour enregistrer l’activité électrique du cœur de grenouille.
1887
Le physiologiste britannique Augustus D Waller de St Mary’s Medical School à Londres, publie le premier électrocardiogramme humain. Il est enregistré sur Thomas Goswell, un technicien du laboratoire.
1895
Einthoven, (Fig 1) utilisant un électromètre amélioré ainsi qu’une formule de correction développée indépendamment par Burch, met en évidence cinq déflexions qu’il appelle, P, Q, R, S et T.
1897
Clément Ader, un ingénieur français en électricité, introduit son système d’amplification appelé galvanomètre, utilisé pour les lignes télégraphiques sous-marines.
1901
Einthoven modifie cet enregistreur pour produire des électrocardiogrammes. Son appareil pèse 600 livres. Schéma de principe sur la Figure 2.
Fig 1 Fig 2
1902
Einthoven publie le premier électrocardiogramme enregistré avec cet appareil.
Il faudra attendre 1908 et la démonstration par Einthoven de l’utilité clinique de l’enregistrement de l’ECG pour passer du modèle de laboratoire aux premiers appareils utilisables en clinique. Einthoven négocie une production commerciale de son appareil avec Edelmann de Munich et Cambridge Scientific Instruments Company de Londres (Figure 3). Les premiers appareils mis en service l’ont été à l’Université d’Edinbourg (Edward Schafer, appareil Cambridge), l’University College Hospital of London (Thomas Lewis, appareil Cambridge). Le premier appareil aux Etats-Unis a été installé au Mount Sinai Hospital de New York (Alfred Cohn, appareil Edelmann).
En 1911, après les modèles de laboratoire, est commercialisée la première génération d’électrocardiographes comportant un galvanomètre à corde, une lampe à arc et une plaque photographique (Figure 4). Le poids moyen de l’appareil était de 150 kg.
La figure 5 montre une publicité pour l’appareil Cambridge qui était vendu à 57 exemplaires dans le monde en 1912. La figure 6 montre un galvanomètre à corde installé aux Hospices Civils de Strasbourg.
Fig 3 Fig 4
Fig 5 Fig 6
En 1922 est fabriqué l’électrocardiographe Boulitte qui est un appareil de la deuxième génération des galvanomètres à corde (Figure 7). L’électro-aimant devient plus petit et plus performant. L’appareil utilise une lampe à filament incandescent et une boîte photographique comportant un film en rouleau. Le film est développé en chambre noire. D’autres fabricants de ce type d’appareil sont Siemens, Edelmann et Hindle. A notre connaissance il reste quatre appareils en Europe. Celui de notre collection est originaire d’Espagne. Les figures 8, 9 et 10 montrent respectivement l’appareil Boulitte de 1922, la partie centrale (galvanomètre) de l’appareil et un tracé ECG de l’époque.
Fig 7 Fig 8 Fig 9
Fig 10
Jusqu’à 1925 les électrocardiographes étaient des modèles de table fixe et c’était le patient qui se déplaçait à la machine. En 1925 apparaît un modèle “transportable”, mais non portable puisqu’il pesait encore 45 kg (Figure 11). Il s’agit toujours d’un galvanomètre à corde, papier photographique et développement en chambre noire.
Les galvanomètres à corde deviennent de plus en plus petit et seront utilisés jusque dans les années 1950. La figure 12 correspond à un électrocardiographe Cambridge de 1935.
Fig 11 Fig 12
La grande nouveauté arrive en 1929 avec l’utilisation des tubes (ou lampes) électroniques. Il faut rappeler l’invention de la diode par Fleming en 1902 et de la triode par Lee Deforest en 1907. Ce type de lampe sera utilisé pendant la Guerre 1914-1918 à usage militaire. Les premières utilisations civiles remontent à 1920 avec le premier poste de radio (TSF). Il y a donc un décalage de 10 ans entre l’électronique grand public et l’électronique médicale et l’électrocardiographie, principalement pour des raisons de fiabilité.
De nouvelles technologies se développent et les galvanomètres à corde sont remplacés par des amplificateurs à tubes et des galvanomètres à miroir (d’Arsonval) avec enregistrement sur papier photographique et alimentation par batterie externe. De nouveaux constructeurs utilisent cette technique (Hellige, General Electric) (Fig 13).
Fig 13 Fig 14 Fig 15
Les figures 14 à 17 montrent des appareils qui fonctionnent avec un galvanomètre à miroir. Tous ces appareils fonctionnent sur batterie et pile sèche et utilisent le papier photographique.
Fig 16 Fig 17 Fig 18
A partir de 1948 les différents constructeurs réalisent des appareils fonctionnant sur secteur, exemple la société Hellige Figure 18.
En 1932, pour s’affranchir du papier photographique, Duchossal et Luthi (Suisse) mettent au point le premier électrocardiographe à inscription directe, utilisant une plume et de l’encre. Cet appareil fabriqué et commercialisé par la société Hellige (Allemagne) est arrivé trop tôt sur le marché. En effet, à cette date l’enregistrement direct était fort critiqué, la référence restant l’enregistrement photographique.
En 1938 l’American Heart Association et The Cardiac Society de Grande-Bretagne définissent les positions standard des dérivations précordiales V1 à V6 qui avaient été décrites par Wilson.
En 1942 Emmanuel Goldberger ajoute aux dérivations frontales d’Einthoven aVr, aVl et aVf. Ceci lui permet, avec les six dérivations précordiales V1-V6, de réaliser le premier électrocardiogramme sur 12 voies, ce qui est toujours utilisé actuellement.
À partir de 1950 de nouvelles technologies sont introduites (Figures 19 à 22).
Fig 19 Fig 20 Fig 21 Fig 22
L’électrocardiographe à inscription directe (plume chauffante et papier thermosensible) s’impose. En pratique, c’est un appareil une, trois, ou six pistes comportant un amplificateur à tubes. Il fonctionne sur le courant secteur. Il permet l’enregistrement de 12 dérivations et la vitesse de défilement du papier est normalisée (10, 25 et 50 mm.s-1). C’est aussi l’époque du développement des services de cardiologie, et parallèlement de l’industrie biomédicale et l’apparition des premiers cardioscopes de surveillance.
Le système d’enregistrement le plus courant était la plume chauffante, mais d’autres principes ont été utilisés.
Le système à plume, encre et papier millimétré a été utilisé par Alvar (France). Ce fabriquant équipait dans les années 1950 et 1960 la plupart des services d’électroencéphalographie (Figure 23).
Fig 23 Fig 24 Fig 25
Fig 26 Fig 27 Fig 28
Fig 29 Fig 30 Fig 31
La société Elema (Suède), ultérieurement rachetée par Siemens, utilisait un système avec des galvanomètres à projection d’encre (Figure 24).
Le papier carbone et la plume, selon le principe de la machine à écrire, ont aussi été utilisés (Figure 25). D’autres appareils sont restés fidèles au papier photographique avec un système léger et portable (Figure 26). Pour la phonocardiographie et les publications scientifiques, on a continué à utiliser le papier photographique (Figure 27).
Vers les années 1955 les services de cardiologie ont vu arriver des appareils plus volumineux et multipistes (Figures 28 et 29).
Un curieux appareil a utilisé une roue fluorescente qui faisait office de cardioscope (Figure 30). L’appareil comporte une roue tournante recouverte d’une couche de matière fluorescente et était équipé de trois faisceaux lumineux.
Vers 1960, les appareils deviennent plus compacts, portables, mais ils fonctionnent toujours à lampes et sur le secteur (Figure 31).
En 1965 les transistors sont introduits dans les électrocardiographes (Figure 32).
Les figures 33 à 35 montrent des appareils qui comportent des transistors, qui sont plus petits et moins lourds (3 kg en moyenne), et qui fonctionnent sur batterie rechargeable sur le secteur. L’enregistrement est direct, et il se fait par une plume chauffante sur du papier thermosensible.
Fig 32 Fig 33 Fig 34
Fig 35 Fig 36
Dans la période 1970-1975 apparaissent les premiers enregistrements sur mini-ordinateur et calcul automatique des durées, de l’axe et l’aide au diagnostic (IBM, Siemens, Hewlett-Packard, Cardionics) (Fig 36).
L’évolution à partir des années 1980 est marquée par diverses évolutions dont les principales sont :
- réduction de la taille et du poids des appareils ;
- stabilisation automatique de la ligne de base ;
- enregistrement automatique des dérivations ;
- remplacement de la plume par le peigne chauffant ;
- remplacement des transistors par des circuits intégrés ;
- calcul automatique des durées des axes ;
- aide au diagnostic ;
- transfert des informations vers des ordinateurs.
Fig 37 Fig 38
Fig 39 Fig 40
Les figures 37 à 40 montrent des appareils utilisant diverses techniques d’enregistrement.
Trois pistes portable, touche sensitive, enregistrement auto ou normal (Figure 37).
Papier préplié et prédécoupé (Figure 38)
Trois pistes à projection d’encre (Figure 39)
Peigne thermique (Figure 40)
En 1987 on fête les 100 ans de l’enregistrement de l’électrocardiographie.
Avec l’arrivée des nouveaux micro-ordinateurs, le PC devient un électrocardiographe avec tous ses avantages, en particulier la visualisation, l’enregistrement sur papier de format A4, le stockage sur disque dur et la mise en réseaux (Figure 41)
La figure 42 montre un tracé ECG de l’appareil Cardionics.
Fig 41 Fig 42
Cette brève histoire de l’électrocardiographie pourrait être complétée par celle des dérivés de cette technique, à savoir l’électroencéphalographie, la stimulation cardiaque (pace maker), le monitorage par cardioscopes, et l’enregistrement Holter.
Sources bibliographiques
1- Matteucci C. Sur un phénomène physiologique produit par les muscles en contraction. Ann Chim Phys 1842; 6: 339-341.
2- Marey EJ. Des variations électriques des muscles et du cœur en particulier étudiées au moyen de l’électromètre de M Lippmann. Comptes Rendus Hebdomadaires des Séances de l’Académie des Sciences 1876; 82: 975-977.
3- Waller AD. A demonstration on man of electromotive changes accompanying the heart’s beat. J Physiol (London) 1887; 8: 229-234.
4- Einthoven W. Ueber die Form des menschlichen Electrocadiogramms. Arch f d Ges Physiol 1895; 60: 101-123.
5- Ader C. Sur un nouvel appareil enregistreur pour câbles sous-marins. Comptes Rendus Académie des Sciences (Paris) 1897; 124: 1440-1442.
6- Einthoven W. Un nouveau galvanomètre. Arch Neerl Sc Ex Nat 1901; 6: 625-633.
7- Einthoven W. Galvanometrische registratie van het menschilijk electrocardiogram. In: Herrinneringsbundel Professor S. S. Rosenstein. Leiden: Eduard Ijdo, 1902: 101-107.
8- Barnes AR, Pardee HEB, White PD, et al. Standardization of precordial leads. Am Heart J 1938; 15: 235-239.
9- Charles Beaudoin. Une histoire d'instruments scientifiques par Denis Beaudoin chez Edp Sciences.
10- Martinet A. Diagnostic clinique. Masson 1920.
11- Trémolières J. Électronique et médecine. Editions Radio 1967.
12- Hellige 100 Jahre Hellige 1995. Zum Gechichte der Elektrokardiographie (Prof H Antorini Fribourg – A Foeller).