Interrogé sur la spécificité de sa démarche artistique, caractérisée le plus souvent par la création, la modification et l’assemblage de choses familières formant alors soit un nouvel objet composite, soit une installation dramatisant silencieusement l’espace à son tour, Naji kamouche se déclara sensible au statut de l’objet dans la société de consommation où il devient simultanément « intermédiaire entre les individus, retraduction de langage et élément d’interrogation face à soi-même et aux autres ».

   Dès lors que l’introduction de l’objet n’eut plus pour enjeu de transgresser les limites traditionnelles de la peinture et de la sculpture - les gestes inauguraux de Picasso ou de Duchamp ont en effets eu lieu il y a près d’un siècle - son usage désormais courant dans l’art prit la valeur d’un choix non seulement d’ordre formel mais surtout fondé sur un propos intimement personnel : ce n’est pas un hasard si les premiers « objets à fonctionnement symbolique » d’une part, et les premiers « environnements » d’autres part, furent créés par des artistes-poètes tels que Schwitters et les menbres du mouvement surréaliste.

   Par leurs titres comme par leur composition formelle, les oeuvres de Naji Kamouche me semble tout à la fois s’inscrire dans les voies ouvertes par cette « révolution » esthétique et répondre à une nécessité intimement ressentie : faire allusion par des objets à la présence-absence du corps et donner forme à un questionnement sur le quotidien, aiguisé par l’expérience - sinon contradictoire du moins problématique - de deux cultures entretenant chacune des rapports très différents au corps et à l’expression d’intenses « états de l’être » .

   Comme dans la plupart de ses travaux, les composants de la pièce intitulée « Nous irons tous au paradis », convergent dans leur choix et leur mise en œuvre autour de l’évocation d’un corps absent. Un cadre de lit d’enfant a ses montants tordus, comme ceux d’une clôture dont on aurait
forcé les barreaux pour s’en échapper ; il est peint de la même couleur noire que le tas de charbons qui a pris place de la literie pour procurer à un éventuel occupant quelque chaleur ; enfin, plusieurs montants semblent avoir poussé comme des tiges de fleurs ou des lances ayant à leur
extrémité une ampoule électrique, la lumière confirmant ainsi la sensation d’une vie secrète enclose dans l’objet.

   La composition et la fabrication des éléments de cette pièce s’apparente ainsi à l’écriture d’un texte dont les mots seraient tantôt distinctement isolés, tantôt agglutinés ou déformés comme des néologismes crées pour entretenir une ambiguïté - vivante comme dans la parole - entre plusieurs significations différents, voire opposées et donner ainsi à ressentir, notamment par l’homogénéité de la couleur, l’unité et l’intensité obscure d’une présence.

   Cette disponibilité de l’œuvre au partage d’une pensée est manifeste dans la pièce intitulée « De l’amer va l’aveu » et constituée de plaques de marbres régulièrement disposées, à la manière d’ex-voto dans un lieu de méditation ou encore comme des cartes le seraient pour la divination d’un destin lors du tirage d’une « réussite ». Le choix des mots convient en effet parfaitement à l’authenticité, à la sincérité du questionnements qui anime le travail de Naji Kamouche : malgré la froideur de ce matériau, les « veines » du marbre n’y inscrivent pas moins une dimension sourdement vivante, organique, passant au fil des mots, des phrases ébauchées, imaginées, par les diverses tonalités affectives apparaissant au cours d’un dialogue.

   La décision artistique de donner à des objets une forte charge expressive par leur choix et leur combinaison témoigne donc du respect d’un certain silence et d’un risque assumé de laisser les choses parler tout à la fois d’elles mêmes et de soi-même, à la manière dont jadis les éléments souvent hétérogènes réunis dans un blason énonçaient l’idéal ou l’histoire d’une famille. A leur manière, les objets de Naji Kamouche sont eux aussi « parlant » mais empreints de cette pudeur qui donne à l’aveux d’un secret, d’une douleur, la forme d’une question adressé à qui saura l’entendre.

Paul GUERIN. Strasbourg, le 03 janvier 2001