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Avec un quatrième album électrique, Placebo
retourne à l'énergie de ses premiers disques. Brian Molko, chanteur
et trublion, revient, morceau par morceau, sur la genèse de Sleeping
With Ghosts : on devrait lui demander plus souvent de raconter ses
disques.
Bulletproof Cupid
Pendant l'enregistrement de Sleeping With Ghosts, nous écoutions en
boucle Songs For The Deaf de Queens Of The Stone Age… Bulletproof
Cupid en est très imprégné. Nous n'avions jamais composé
d'instrumentale auparavant, mais là, je n'ai pas réussi à coller de
paroles sur ce morceau : il se suffisait à lui-même tant il était
puissant. C'est en quelque sorte un leurre prémédité : quand on
écoute les premières notes, on attend la voix et elle ne vient
jamais. A la fin, on se retrouve un peu perdu et on n'a aucune idée
de ce que peut réserver la suite de l'album.
English Summer Rain
Comme pour Taste In Men (sur l'album Black Market Music, sorti en
2001), je cherchais à écrire quelque chose de répétitif. Une espèce
de mantra qui parlerait du départ… Mon amoureuse me quitte pour
voyager, je regarde les avions dans le ciel, je me dis qu'elle est
peut-être dans l'un d'eux. Moi, je suis encore à Londres, c'est
l'été, il pleut, c'est chiant et elle me manque terriblement.
This Picture
En apparence, This Picture est bourrée d'imagerie SM basique mais,
derrière la métaphore, elle dénonce les relations autodestructrices
en amour. C'était une manière de dire que cet état d'esprit ne
m'intéresse plus. Je me suis suffisamment abîmé dans ce type de
rapports par le passé et maintenant, je n'ai plus rien à y faire.
J'ai changé, j'arrête.
Sleeping With Ghosts
Je voulais explorer le rapport entre le présent et la mémoire. On
dort tous avec les fantômes du passé, on les porte en nous et ils
ont un effet permanent sur notre quotidien. Ces fantômes incarnent
toutes les personnes qu'on a aimées, qui ont été importantes dans
notre vie, qui nous ont changé. Alors que plein de gens passent leur
existence en thérapie pour les gérer, moi j'ai la chance de les
assumer par la musique.
The Bitter End
Elle a été écrite et enregistrée très vite. Comme on avait passé
beaucoup de temps à jouer avec la technologie et les synthés, on
avait envie de faire quelque chose de vif, d'exubérant, de punk.
L'idée est partie de deux accords de guitare trouvés par Stefan et
bang ! Deux jours après, c'était fini.
Something Rotten
A l'époque, on fumait beaucoup d'herbe. Stef et moi, on passe
toujours un mois ensemble avant d'entrer en studio, pour tester des
trucs. Cette fois-ci, on ne voulait pas toucher aux guitares, mais
utiliser des outils différents. Something Rotten nous est venu avec
une ligne de basse dub-reggae. On a cherché quelque chose de très
différent en nous - c'est peut-être le morceau le plus expérimental
de l'album, il y a au moins une cinquantaine de synthés dessus. J'y
joue du saxo - le premier instrument que j'ai essayé dans ma vie. Je
n'ai jamais vraiment appris, mais je le ressors de temps en temps
quand on a envie de rigoler et je joue du free-jazz. Avant-hier, on
écoutait Captain Beefheart et j'entendais des trucs da saxo qui me
faisait un peu penser à Something Rotten. La voix est celle de la
maquette : c'est donc la première et la dernière fois que je l'ai
chantée. Quand je suis arrivé devant le micro, je n'avais aucune
idée de ce que j'allais dire. J'ai parlé des violences dont sont
victimes les enfants et on l'a gardé tel quel. C'était très
instinctif et abstrait, je n'ai donc pas trop compris les réactions
que la chanson a suscitées. La presse anglaise a sauté dessus à
cause de Pete Townshend (le guitariste des Who accusé d'avoir chargé
des images pédophiles sur un site texan)… Elle s'en est servi pour
dénoncer la pédophilie alors que ça n'a jamais été le but initial.
Moi-même, je n'ai jamais souffert d'abus sexuels quand j'étais
jeune. C'est vrai que ma situation familiale n'était pas super, mes
parents étaient frustrés de ne pas avoir pu faire ce qu'ils
voulaient de moi. Ma mère est très chrétienne et n'a pas supporté
que je quitte l'Eglise. Mon père souhaitait que je travaille dans la
finance, comme lui. Mais depuis tout petit, j'ai su que c'était
impossible. Ca m'a forcé à trouver une identité très jeune. Je suis
un peu le mouton noir de la famille…
Plasticine
Les magazines nous imposent de ressembler à Kate Moss, mais je crois
que ce n'est pas parce que les gens sont plastiquement parfaits ou à
la mode qu'ils sont en sécurité. Moi, j'ai beau me maquiller et
avoir l'air sûr de moi, ça ne m'a pas empêché d'avoir des problèmes
de drogue ou d'alcool… Plasticine est sans doute le morceau le plus
représentatif de notre collaboration avec le producteur Jim Abbiss (U.N.K.L.E.,
DJ Shadow, Björk). Il nous a demandé d'en faire cinq versions en
studio et ce n'est qu'à la cinquième qu'il a conclu : " allez les
mecs, c'est OK, on fait comme vous voulez, on prend la première. "
Ca été très dur de bosser avec lui car il est très exigeant. On a
enregistré l'album en quatre mois, à Londres, de manière très
spontanée. Jim nous a beaucoup apporté dans le sens où il ne nous
laissait jamais faire des chose faciles et nous poussait sans cesse
vers la difficulté. Je crois qu'il nous a vraiment équilibrés et
que, grâce à lui, nous avons nous-mêmes été surpris par le résultat.
Nous pensions que Sleeping With Ghosts serait plus électronique et
en fait, non. C'est drôle d'être Kraftwerk pour le week-end mais pas
plus. Je suis très fier que ce disque soit rock finalement…
Special Needs
J'avais bossé sur cette chanson à l'époque de Without You I'm
Nothing. Elle planait quelque part dans l'oxygène mais n'est sortie
que l'an dernier. Elle n'était pas prête, c'est tout… Je trouve très
intéressant d'être capable de faire une chanson en quelques minutes
et de devoir attendre six ans pour en écrire une autre.
I'll Be Yours
Au départ, c'était une valse. Un jour, en studio, Jim Abbiss nous a
dit : " On travaille sur I'll Be Yours, mais ce n'est plus une
valse. Il faut faire un quatre temps. " Au final, j'aime bien ce
changement. En plus, on pourra caser la version originale sur une
face B!
Second Sight
Bof, elle est pas mal, un peu classique… Elle me fait penser à Nancy
Boy, sur le premier album…
Protect Me From What I Want
Je l'ai composée pendant Black Market Music en même temps que I'll
Be Yours. Ce sont deux chansons qui se vomissent, qui sont sorties
de moi sans que je m'en rende compte. A l'époque j'étais fragile.
J'étais empêtré dans un divorce douloureux et j'avais besoin de
l'exprimer. Ma vingtaine ressemble à une seconde adolescence. Comme
j'ai grandi au Luxembourg et qu'il n'y avait rien à y foutre, quand
j'ai signé le contrat Placebo, j'ai fait ma crise. Maintenant, j'en
sors, je me sens mieux, je suis heureux. Ce n'est pas nécessairement
parce que je viens d'avoir 30 ans, mais plutôt parce que je me sens
moins naïf, un petit peu plus habitué à gérer mes émotions J'ai
l'impression qu'il y a un âge où nos corps se remettent beaucoup
plus difficilement des abus. Particulièrement quand on est dans un
groupe de rock où c'est presque de rigueur d'être bourré, d'être
décadent. Pour être honnête, ça m'intéresse de moins en moins.
Centrefolds
Dans tous nos albums, il y a plusieurs ballades. Avec Stefan et
Steve, on avait moyennement envie de retomber dans le cliché "
Placebo, c'est triste. " Alors on s'est dit qu'on n'allait en faire
qu'une seule, juste pour faire plaisir à cette partie de notre
public. C'est un morceau que Stefan a écrit il y a six ans au piano.
Il parle de l'inversion des rôles dans les relations, du pouvoir
perdu, d'une forme d'amour très désespéré, très malsain, impossible.
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