Le pèlerinage du mont Kailash 1998

 

Toi le nomade qui gouverne ton petit troupeau de chèvres transformées en bête de somme avec leur petite charge sur le dos,

toi qui viens solliciter un médicament pour ton bébé malade,

toi aux allures d'homme des bois qui passera la nuit près d'un feu, dans l'atmosphère humide bien protégé sous ton manteau animal ,qui es tu ?

Je suis sur ton territoire; c'est toi que je voulais rencontrer et que je ne ferai que croiser.

 

 

Récit d'une croisade moderne
 Notre projet se devait de dépasser le vulgaire trek du Kailash pour s'approcher mieux de l'incroyable symbole sacré que représente cette montagne non seulement pour les tibétains mais pour l'ensemble des bouddhistes, des hindouistes et pratiquants de l'ancienne religion Bön; il devait donc coïncider avec la période du pèlerinage traditionnel dont la date est fixée par les hauts dignitaires lamas selon la période lunaire et devrait se situer en 98 entre la mi-mai et le 15 juin. Ce fut donc la période choisie, pas très bien adaptée à notre cycle industriel mais heureusement excellente sur le plan climatique.

Afin de comprendre mieux le caractère sacré de ce lieu, nous avions demandé à un participant, Michel Chaurand, un passionné de ces contrées de faire un exposé sur la "symbolique du Mont Kailash dans le bouddhisme et l'hindouisme" ;celui-ci renforça l'envie d'emboîter le pas de ces pèlerins devant affluer de toute part du plateau tibétain et même d'Inde.

Le voyage qui est devenu pour nous autres européens, un rituel en soi, se doublait donc d'une approche religieuse par ce jeu d'identification avec le berger nomade en route pour le voyage le plus sacré de sa vie. Nous gravirons et souffrirons sur les mêmes pentes; nous serons ébahis par les mêmes paysages mais ne pourrons pas comprendre complètement l'émotion du croyant qui pousse certains à faire le tour rituel de la montagne en se jetant à terre de tout son long. Ce voyage sera sans doute l'occasion d'affûter mieux ma compréhension du bouddhisme qui oscille entre attrait pour certains aspects de la philosophie bouddhistes et méfiance pour les croyances superstitieuses qui sont aussi le passé peu glorieux de notre chrétienté; certains chemins de croix de notre Moyen Age étaient d'ailleurs parcourus eux aussi à genoux .

Pourquoi ne pas se mettre dans les pas guerriers de nos croisés en marche vers Jérusalem, tant que nous y sommes ? Et pourquoi pas ? Il y a dans ce jeu de simulation touristique l'énorme avantage de ressentir et de comprendre mieux tout en conservant une distance qui ne pourra jamais être anéantie; bizarrement plus on s'approche et plus la distance culturelle au contraire se creuse.

La piste de la vallée népalaise de l' Humla que nous allions emprunter pour rejoindre le Kailash était un axe ancien, mais le plus fréquenté autrefois avant que la frontière chinoise ne se ferme, était celui venant d'Inde proche de la frontière ouest du Népal. Au cours de notre périple nous en parcourrons même un deuxième vers l'Inde, la vallée de Tölling et Tsaparang .

Notre voyage sera épreuve sportive, pèlerinage simulé, ballade panoramique de luxe dans le décor géant de l'Himalaya, épreuve de tape cul en 4X4, témoignage d'amitié pour la lutte du peuple tibétain, trek à la mode où les pèlerins sont souvent les mêmes voyeurs que vous.. Pour pouvoir en extraire autre chose que des images, j'avais placé ce voyage sous le thème "du voyage photo au voyage écrivain" . Ce récit n ' est pas le jus de notre voyage, les émotions étant certainement trop difficiles à décrire; c'est un extrait d'aventure; les images sont une petite lucarne de notre grand décor.

 

 La gompa Choku

Pour y accéder il faut vraiment un supplément de foi, car la gompa est perchée au sommet d'un flan de montagne vertigineux. Quelques yacks chargés de ballots de bois et conduits par un homme à fière allure et son enfant, arrivent sur la terrasse aménagée en même temps que nous .Encore quelques marches pour se retrouver dans la salle de prière principale; j'y retrouve l'ambiance rare et la magie de certains monastères tibétains. La salle est obscure petite et je me trouve entraîné par la ronde des pèlerins; on ne peut que deviner dans l'obscurité l'étrange accumulation d'objets sacrés; je me surprends à effleurer comme la vieille femme devant moi, une énorme corne de yack. Un moine récite des prières, des pèlerins agitent des billets pour bénéficier eux aussi de ces incantations sacrées. La visite de ce temple me conforte dans l'idée qu'entre religion et magie la frontière est proche. Nous ne sommes pas au balcon d'un théâtre, nous sommes un court instant dans l'étrange pièce qui se joue ici depuis plusieurs siècles dans la pénombre, le cliquetis des cymbales, les fumerolles des lampes à beurre de yack, la litanie des prières .Et dire que je me moquais des bondieuseries de ma marraine !