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Ils se racontèrent
leurs anciens jours, les dîners du temps de l' Art industriel ,
les manies d'Arnoux, sa façon de tirer les pointes de son
faux-col, d'écraser du cosmétique sur ses moustaches, d'autres
choses plus intimes et plus profondes. Quel ravissement il avait
eu la première fois, en l'entendant chanter ! Comme elle était
belle, le jour de sa fête, à Saint-Cloud ! Il lui rappela le
petit jardin d'Auteuil, des soirs au théâtre, une rencontre sur
le boulevard, d'anciens domestiques, sa négresse.
Elle s'étonnait de sa
mémoire. Cependant, elle lui dit :
- Quelquefois, vos
paroles me reviennent comme un écho lointain, comme le son d'une
cloche apporté par le vent ; et il me semble que vous êtes là,
quand je lis des passages d'amour dans les livres.
- Tout ce qu'on y
blâme d'exagéré, vous me l'avez fait ressentir , dit
Frédéric. Je comprends Werther, que ne dégoûtent pas les
tartines de Charlotte.
- Pauvre cher ami !
Elle soupira ; et,
après un long silence :
- N'importe, nous nous
serons bien aimés.
- Sans nous appartenir,
pourtant !
- Cela vaut peut-être
mieux , reprit-elle.
- Non ! non ! Quel
bonheur nous aurions eu !
- Oh ! je le crois,
avec un amour comme le vôtre !
Et il devait être bien
fort pour durer après une séparation si longue !
Frédéric lui demanda
comment elle l'avait découvert.
- C'est un soir que
vous m'avez baisé le poignet entre le gant et la manchette. Je me
suis dit : Mais il m'aime, il m'aime !... J'avais peur de m'en
assurer, cependant. Votre réserve était si charmante, que j'en
jouissais comme d'un hommage involontaire et continu.
Il ne regretta rien.
Ses souffrances d'autrefois étaient payées.
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