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L'emploi des temps verbaux

dans le récit

 

  

[...]

Toutefois, pressé par M. de Pontverre, par la faim qui me talonnait, bien aise aussi de faire un voyage et d'avoir un but, je prends mon parti, quoique avec peine, et je pars pour Annecy. J'y pouvais être aisément en un jour; mais je ne me pressais pas, j'en mis trois. Je ne voyais pas un château à droite ou à gauche, sans aller chercher l'aventure que j'étais sûr qui m'y attendait. Je n'osais entrer dans le château ni heurter, car j'étais fort timide; mais je chantais sous la fenêtre qui avait le plus d'apparence, fort surpris, après m'être longtemps époumoné, de ne voir paraître ni dames ni demoiselles qu'attirât la beauté de ma voix ou le sel de mes chansons, vu que j'en savais d'admirables que mes camarades m'avaient apprises, et que je chantais admirablement.

J'arrive enfin: je vois madame de Warens. Cette époque de ma vie a décidé de mon caractère; je ne puis me résoudre à la passer légèrement. J'étais au milieu de ma seizième année. Sans être ce qu'on appelle un beau garçon, j'étais bien pris dans ma petite taille, j'avais un joli pied, une jambe fine, l'air dégagé, la physionomie animée, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était embrasé. Malheureusement je ne savais rien de tout cela, et de ma vie il ne m'est arrivé de songer à ma figure que lorsqu'il n'était plus temps d'en tirer parti. Ainsi j'avais avec la timidité de mon âge celle d'un naturel très aimant, toujours troublé par la crainte de déplaire. D'ailleurs, quoique j'eusse l'esprit assez orné, n'ayant jamais vu le monde, je manquais totalement de manières; et mes connaissances, loin d'y suppléer, ne servaient qu'à m'intimider davantage en me faisant sentir combien j'en manquais.

[...]

 

Jean-Jacques ROUSSEAU
Les Confessions

[...]

Des années s'écoulèrent. François Tessier vieillissait sans qu'aucun changement se fit en sa vie. Il menait l'existence monotone et morne des bureaucrates, sans espoirs et sans attentes. Chaque jour, il se levait à la même heure, suivait les mêmes rues, passait par la même porte devant le même concierge, entrait dans le même bureau, s'asseyait sur le même siège, et accomplissait la même besogne. Il était seul au monde, seul, le jour, au milieu de ses collègues indifférents, seul, la nuit, dans son logement de garçon. Il économisait cent francs par mois pour la vieillesse.

Chaque dimanche, il faisait un tour aux Champs-Élysées, afin de regarder passer le monde élégant, les équipages et les jolies femmes.

Il disait le lendemain, à son compagnon de peine:

- Le retour du Bois était fort brillant, hier.

Or, un dimanche, par hasard, ayant suivi des rues nouvelles, il entra au parc Monceau. C'était par un clair matin d'été.

Les bonnes et les mamans, assises le long des allées, regardaient les enfants jouer devant elles.

Mais soudain François Tessier frissonna. Une femme passait, tenant par la main deux enfants: un petit garçon d'environ dix ans, et une petite fille de quatre ans. C'était elle.

Il fit encore une centaine de pas, puis s'affaissa sur une chaise, suffoqué par l'émotion. Elle ne l'avait pas reconnu. Alors il revint, cherchant à la voir encore. Elle s'était assise, maintenant. Le garçon demeurait très sage, à son côté, tandis que la fillette faisait des pâtés de terre. C'était elle, c'était bien elle. Elle avait un air sérieux de dame, une toilette simple, une allure assurée et digne.

Il la regardait de loin, n'osant pas approcher. Le petit garçon leva la tête. François Tessier se sentit trembler. C'était son fils, sans doute. Et il le considéra, et il crut se reconnaître lui-même tel qu'il était sur une photographie faite autrefois.

Et il demeura caché derrière un arbre, attendant qu'elle s'en allât, pour la suivre.

Il n'en dormit pas la nuit suivante. L'idée de l'enfant surtout le harcelait. Son fils! Oh! s'il avait pu savoir, être sûr ? Mais qu'aurait-il fait?

Il avait vu sa maison; il s'informa. Il apprit qu'elle avait été épousée par un voisin, un honnête homme de mœurs graves, touché par sa détresse. Cet homme, sachant la faute et la pardonnant, avait même reconnu l'enfant, son enfant à lui, François Tessier.

[...]

Guy de MAUPASSANT
Le Père

[...]

Un jour enfin, comme je me trouve à côté d'une bassine pleine, J'en prends une grosse poignée que je fourre dans ma poche, Aussitôt que tout le monde est couché, je sors les noix de ma poche et, la tête sous les draps, j'en prends ma pleine bouche ; mais aussitôt il me semble que tout le dortoir entend le bruit que font mes mâchoires. La surveillante se lève. Quand elle est près de moi, je la regarde épouvantée. Elle dit tout bas: « Tu ne dors donc pas ? » Puis elle continue ses recherches. Elle va jusqu'au bout du couloir, ouvre et referme la porte mais à peine est-elle recouchée et la lampe éteinte que le loquet de la porte tape comme si on l'ouvre.

[...]

Marguerite AUDOUX
Marie-Claire

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