La « gestion mentale
» désigne le courant de recherche et de pratiques issu des
travaux d'Antoine de la GARANDERIE.
Fort de son expérience
d'enseignant, et en dépit d'un passé d'élève en difficulté
scolaire - ou grâce à lui, Antoine de la GARANDERIE a identifié,
par la seule technique de l'introspection, un certain nombre
de « profils d'apprentissage ». Il s'est certes basé sur sa
propre expérience, mais a également interrogé nombre de « bons
élèves » afin de répertorier les « gestes mentaux » mis en
œuvre dans une situation d'apprentissage réussie.
Antoine de la
GARANDERIE n'aime pas la notion de don, ni celles d'aptitude ou
d'inaptitude. Il soutient que c'est la connaissance, par un
individu, de ses « habitudes mentales » qui lui permet de passer
d'une compétence acquise par hasard à des choix d'apprentissage
plus efficaces, qui déterminent une autonomie plus vraie.
1.
Quelques éléments théoriques
a.
Une idée novatrice : la notion d'évocation
Le concept clé de la
théorie de la gestion mentale est l' « évocation ».
L'évocation est une
activité mentale d' appropriation. C'est une étape importante du
traitement de l'information, qui précède la construction de
représentations et, parfois, se confond presque avec elle.
Il est reconnu que la
qualité de la présentation d'une information influence
l'efficacité de son acquisition par l'élève. Mais le facteur
déterminant, en gestion mentale, reste l'activité d'évocation,
qui peut se réaliser à travers un discours, des images mentales
ou d'autres modes perceptifs (kinesthésie, etc.).
Le message délivré
par l'enseignant passe par plusieurs étapes dans le système
nerveux de l'apprenant et y subit différents codages :
codage
perceptif > cerveau primaire >
cerveau limbique > néocortex > évocation > codage mental > représentation de
l’information
REMARQUES |
|
 |
Le cerveau
limbique intervient comme un filtre émotionnel dans ce
processus. L'activité du cortex cérébral dépend de
l'activité limbique sous-jacente, qui incite l'individu
à prévoir gratification et plaisir dans le déroulement
de l'apprentissage. |
|
 |
Avant de
construire une représentation, il faut s'approprier
l'information, l'évoquer. |
|
 |
Le codage
perceptif et l'évocation se font principalement en images
ou en discours. Lorsqu'il y a similitude entre le support
perceptif et le mode d'évocation, le passage d'un
registre à l'autre sera plus rapide. D'où l'importance
de varier les modalités de présentation et d'entraîner
les élèves à utiliser ces deux types d'évocation. |
b.
Le dialogue pédagogique
Nous pratiquons tous
spontanément l'évocation dans notre vie quotidienne. Le but de
la pédagogie de la gestion mentale est de rendre les élèves
conscients des gestes mentaux qu'ils effectuent à partir de leurs
évoqués. C'est pour cette raison qu' elle préfète
l'introspection à toute autre méthode.
Les difficultés de
l'apprenant découlent essentiellement de la méconnaissance des
moyens dont il fait usage lorsqu'il réussit. Le dialogue
pédagogique a pour objectif de faire prendre conscience aux
apprenants de leurs ressources mentales, de proposer des
remédiations. Ce dialogue est un outil d'accompagnement à
l'introspection, en classe ou en entretien individuel. Il s'engage
toujours à partir d'une situation de réussite, qui peut fort
bien être extra-scolaire. Il est nécessaire de laisser à
l'apprenant le temps d'évoquer, en ne lui posant pas trop de
questions. L'enseignant demande à l'élève comment il a
procédé afin de centrer les réponses au niveau de l'évocation.
Puis il reformule uniquement ce qui concerne les démarches
d'apprentissage, pour l'engager à poursuivre ou à rectifier la
reformulation. Ce dialogue suit les règles de la non directivité
(cf. C. ROGERS) car il est indispensable de ne pas induire les
réponses de l'élève. Il sert à déterminer son profil
d'apprentissage. L'enseignant s'appuie également sur les gestes
physiques et les mouvements oculaires qui sont des indicateurs
observables du fonctionnement mental de l'apprenant 1.
fig.
1 Relation entre les mouvements oculaires
et les types d'évocation
c.
Les profils d'apprentissage
Le profil
d'apprentissage d'un élève correspond à la nature des évoqués
qu'il a l'habitude de produire. Il se compose de trois éléments
: la famille, la constante et le paramètre.
 |
Les familles
sont les modes d'évocation : visuel, auditif, mixte, etc. |
 |
La constante
est l'organisation correspondant à la famille (cf. figure). |
 |
Les paramètres
sont le concret, les mots, la logique et l'imagination. |
fig.
2 Les modes évocatifs et les constantes qui leur
correspondent
Déterminer le profil d'apprentissage d'un élève sert à le
guider pour diversifier ses habitudes évocatives au niveau de
chacun des
trois éléments. Chaque élève a la possibilité de développer
consciemment toutes sortes d'évoqués. Le maître l'aide en
dirigeant ses évocations. Il doit, pour cela, donner une description très
précise des gestes mentaux qu'il demande de
réaliser.
d.
Les évocations dirigées et l'autonomie
L'apprenant, lorsqu'il
est conscient des divers gestes mentaux qu'il sait effectuer, les
sélectionne en fonction de la tâche à réaliser. En
conséquence, la performance de l'élève passe par une
explicitation de son projet de réutilisation de l'information. Ce
projet oriente et donne du sens à l'action. Il permet de diriger
les évocations. Mais pour être efficace, il ne suffit pas
d'avoir à sa disposition un large choix de méthodes et un but
précis à atteindre. Pour développer des stratégies opérantes,
l'apprenant a besoin de juger de l'efficacité de telle méthode dans
telle situation. Ainsi l'enseignant doit non seulement varier
les modes de présentation d'une information en phase
d'acquisition, mais doit procéder de même pour les modes
d'évaluation lors de la restitution. En effet, l'activité de
restitution passe par un codage de transfert. La similitude entre
le code d'acquisition (le mode d'évocation) et le code de
transfert facilite l'activité de l'élève. L'enseignant doit
donc l'entraîner à passer d'un code à un autre.
fig.
3 Diriger les évocations
L'élève capable de
diriger consciemment ses évocations saura gérer de manière
autonome les diverses situation de l'école et de la vie.
e.
Résumé : les trois étapes dans l'apprentissage.
Le tableau ci-dessous
résume les trois étapes d'une séquence d'apprentissage selon la
pédagogie de la gestion mentale :
Étapes |
Perception |
Traitement |
Utilisation |
1. Projet |
Projet
d'évocation |
Projet de
restitution |
|
2. Geste mental |
Attention |
Compréhension
ou mémorisation |
Réflexion ou
imagination |
3. Codage |
Codage
perceptif |
Codage cortical |
Codage de
transfert |
A chaque étape,
l'enseignant impose aux élèves un travail d'évocation parce que
celui-ci est indispensable à la réalisation d'un geste mental. Par
exemple, avant la perception d'une information, la consigne sera :
« Mettez-vous en projet de construire des évoqués et rappelez-vous la
leçon précédente ». Elle vise à rendre les élèves attentifs et
à les aider dans leur travail de compréhension. Pour chaque
étape, l'enseignant fournit une description précise des gestes
mentaux attendus, tout en insistant sur la liberté de chacun quant à leur
utilisation et la non-exhaustivité des méthodes décrites.
Un tableau permet de
récapituler les cinq principaux gestes mentaux.
|
projet |
mise
en oeuvre |
schématisation |
attention |
transformer les
perceptions en images mentales |
entendre
pour réentendre dans sa tête
et/ou voir
pour revoir dans sa tête
et/ou voir
pour entendre dans sa tête
et/ou entendre
pour voir dans sa tête |

|
mémorisation |
stocker et rappeler
les évoqués |
* pour stocker
des évoqués
pratiquer le
geste d'attention tout en se projetant dans une situation
d'utilisation
* pour
convoquer des évoqués
retrouver
mentalement la situation de codage |

|
compréhension |
donner du sens à
la chose perçue : s'interroger, savoir expliquer, savoir appliquer |
pratiquer des
aller-retour entre le perçu et les évoqués de
confrontation qu'on installe |

|
réflexion |
résoudre un
problème : juger, estimer... |
mettre en
relation l'évoqué du problème à résoudre avec des
évoqués déjà constitués |

|
imagination |
provoquer et
accueillir l'inattendu |
chercher dans la
perception ou dans des évoqués stockés une visée de sens
inédite |

|
p = perception
e = évocation
r = réflexion
fig.
4 Relation entre le projet et la mise en oeuvre
des principaux gestes mentaux
2.
Remarques
La théorie de la
gestion mentale n'a aucune valeur scientifique en soi, car la
méthode principale de recueil de données est l'introspection. Et
c'est exactement ce qu'elle revendique : être une théorie
accessible au plus grand nombre. Ses concepts sont simples et elle
ne nécessite pas de matériel spécifique.
Je trouve
particulièrement intéressantes la description des gestes mentaux,
surtout parce qu'elle est compréhensible par les élèves.
Notamment la description de l'attention, qui est trop souvent
associée, en classe, au silence et à l'obéissance passive.
L'enseignant qui
recours à la gestion mentale ne peut se dispenser de
s'intéresser aux neurosciences. Au regard de l'enseignement, elles
sont complémentaires car la gestion mentale étudie le langage
intérieur et les neurosciences offrent, par leurs méthodes, une connaissance précise
du fonctionnement cérébral.
Par exemple, dans la
pédagogie de la gestion mentale, la technique d'observation des
mouvements oculaires et la définition des constantes du profil
d'apprentissage se basent sur la notion de dominance
hémisphérique. Or les neurosciences nous apprennent que cette
dominance d'un hémisphère n'est pas une loi applicable à tous
les individus. Notamment, pour ce qui est du langage, la dominance de
l'hémisphère gauche n'est effective que pour environ 95% des
droitiers et 85% des gauchers. De plus, chez certains gauchers (5%
environ), on n'observe pas de dominance d'un hémisphère
cérébral dans la fonction langagière. Une grande vigilance est
donc nécessaire dans la déduction du fonctionnement mental d'un élève,
puisque c'est à partir de son profil d'apprentissage que
l'enseignant propose des remédiations.
La diffusion des
concepts élaborés par A. de La GARANDERIE ne s'est pas opérée
de façon rigoureuse. Les profils d'apprentissage ont parfois été
réduits au seul élément « famille », ce qui a eu pour
conséquence de parler d'élèves « visuels » ou « auditifs ». Or, ces
concepts ne suffisent pas à décrire avec précision les capacités intellectuelles d'une personne.
L'objectif de la
pédagogie de la gestion mentale est de rendre efficaces les
stratégies de l'élève, elle répond, par là, à la question de la
motivation du point de vue des savoirs.
« (…) la
question du sens n'annule pas celle de l'efficacité (...) la
question de la mobilisation ne supprime pas celle de
l'appropriation effective de savoir. (…) Parce que l'action
efficace peut faire naître de nouveaux mobiles d'activité, de
nouveaux sens, de nouveaux ressorts de mobilisation
scolaire. » 2
NOTES
1.
Les documents 1 à 4 sont extraits ou adaptés de CHICH (J.P.),
JACQUET (M.), MERIAUX (N.) & VERNEYRE (M.) : (1991) Pratique
pédagogique de la gestion mentale,
Retz retour
au texte
2.
CHARLOT (B.), BAUTIER (E.) & ROCHEX (J.Y.): (2000), École et savoir dans les
banlieues… et ailleurs, Bordas Pédagogie, p.28.
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