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Apprendre dans des environnements interactifs

connaissances antérieures et nouvelle expérience

  

     

  

Jeremy ROSCHELLE *
 

 

traduit de l'anglais par G. FRITSCH
avec l'aimable autorisation de l'auteur

       

  

  

Cet article synthétise le résultat des recherches sur les multiples rôles que jouent les connaissances antérieures dans l'acte d'apprendre. Les éducateurs se concentrent souvent sur les idées qu'ils veulent faire partager à leur auditoire. Mais la recherche a montré que les connaissances antérieures d'un apprenant réduisent souvent à néant leurs meilleurs efforts pour transmettre fidèlement des idées. Un vaste corpus de résultats montre que l'acte d'apprendre découle avant tout des connaissances antérieures et ensuite seulement des documents présentés. Les connaissances antérieures peuvent ne pas concorder avec le matériel présenté et, par conséquent, les apprenants le déformeront. Négliger les connaissances antérieures peut conduire les élèves à apprendre des choses contraires aux intentions de l'éducateur, quelle que soit la qualité de la mise en oeuvre de ces intentions dans un exposé, un livre ou un cours.

Considérons un hypothétique ouvrage sur la production de laine en Australie. Les propriétaires d'un ranch australien élèvent des moutons dans un climat désertique extrêmement chaud. Les moutons sont élevés pour donner une laine si épaisse que, sans tontes annuelles, ils seraient incapables de marcher. Pour bien des enfants, associer ces faits semble absurde. Ils pensent que la laine est chaude; si vous mettiez un thermomètre à l'intérieur d'un pull en laine, le mercure monterait (Lewis, 1991). Les moutons ne fourniraient-ils pas plus de laine dans des régions froides où ils ont besoin de rester au chaud ? La laine est-elle chaude parce que les moutons absorbent la chaleur du désert ?

Considérons encore un hypothétique exposé sur la formation des bancs de poissons. Les poissons se suivent en formation serrée qui semble fortement organisée. Mais aucun poisson individuel n'est le leader, et aucun ne sait comment commander aux autres. Beaucoup de gens supposent que n'importe quel système organisé est le fait d'un planificateur central qui dirige les autres. Ils pensent : « Il doit y avoir un poisson plus vieux, qui est plus malin que les autres et qui mène le banc. Si les biologistes marins croient autre chose, eh bien, je pense que c'est vrai, mais je ne serai jamais un biologiste marin ! »

A présent, considérons une hypothétique conférence sur le jazz. A la première écoute, on pourrait juger la musique laide, chaotique et sans signification. « C'est juste beaucoup de notes ». Bien des années après, la même musique procure une expérience riche et gratifiante, et grâce à une écoute plus assidue, même une musique plus difficile encore devient accessible. Comment pouvez-vous apprendre le jazz si vous ne comprenez que la musique classique ou la pop ?

Pour aider les gens à tirer le meilleur parti d'une nouvelle expérience, les éducateurs doivent comprendre comment les connaissances antérieures affectent l'acte d'apprendre. Aucune explication rapide ne peut probablement résoudre la contradiction entre désert chaud et laine chaude pour l'enfant qui ne comprend pas encore les notions de chaleur et de température; il faut des semaines, voire des années, pour que cette compréhension émerge (Lewis, 1991). L'adulte peu familier des possibilités des systèmes décentralisés ne peut pas rapidement être convaincu que le banc de poisson n'a aucun leader (Resnick, 1992), et, même, être éloigné de cette conception. Il n'y a aucun moyen de procurer à un auditeur qui écoute du jazz pour la première fois ce qui se manifeste à des oreilles plus averties. Les connaissances antérieures déterminent ce que nous apprenons de l'activité.

Les connaissances antérieures imposent aussi une restructuration théorique pour considérer l'acte d'apprendre comme un « changement conceptuel ». (Strike & Posner, 1985; West & Pines,1985). Auparavant on considérait l'apprentissage comme un processus d'accumulation d'information ou d'expérience. Les connaissances antérieures sont le fléau des modèles de l'apprendre basés sur la transmission-imprégnation. La simple imprégnation ne peut pas rendre compte des changements révolutionnaires qui doivent se produire dans la pensée. L'enfant ne peut pas simplement absorber de la connaissance au sujet de la laine, parce que sa connaissance antérieure de la chaleur rend les nouvelles idées absurdes. On ne peut pas assimiler le déplacement des bancs de poissons à une organisation mentale centralisée; il faut développer d'autres concepts pour comprendre les systèmes décentralisés. Le jazz ne peut pas être transposé dans le rock; il faut éduquer ses oreilles pour son organisation particulière.

Mais d'autre part, il est impossible d'apprendre sans connaissance antérieure. Éliminer la compréhension antérieure de la notion de chaleur n'expliquera pas pourquoi ce pull-over est toujours si agréable en hiver, ou comment on peut élever des moutons couverts d'une laine épaisse dans le désert. Le concept de systèmes décentralisés doit être construit à partir d'un certain ancrage dans une expérience antérieure. Il est plus facile d'apprécier une musique peu familière en commençant par écouter des artistes qui sont à la croisée du jazz et du rock, ou de la musique classique.

Les aspects de l'acte d'apprendre, de la connaissance antérieure et de l'activité mis en évidence dans ces exemples reposent sur des bases solides dans le domaine de la recherche sur l'apprentissage. Un large accord existe pour considérer que les connaissances antérieures influencent l'acte d'apprendre, et que les apprenants construisent les concepts à partir de leur connaissance antérieure (Resnick, 1983; Glaserfeld, 1984). Mais il y a beaucoup de discussions pour savoir comment utiliser ce fait pour favoriser l'apprentissage.

Cet article présente un ensemble de résultats de recherche, des théories et des méthodes empiriques qui peuvent aider le concepteur d'activités interactives à travailler plus efficacement à partir des connaissances antérieures de leur public. Il se met l'accent sur le conflit principal qui domine le débat sur les connaissances antérieures. Cette tension consiste soit à vanter les capacités créatrices des apprenants, soit à déplorer l'insuffisance de leur compréhension. D'une part, les éducateurs se rallient au slogan du constructivisme : « créez des activités qui amènent les élèves à construire activement le sens des concepts pour eux-mêmes ». D'autre part, la recherche tend à caractériser les connaissances antérieures comme étant en conflit avec le processus d'apprentissage et tente, pour cette raison, de contenir, supprimer ou contrôler son influence.

La juxtaposition de ces points de vue engendre un paradoxe : comment les idées des élèves peuvent-elles être à la fois « fondamentalement imparfaites » et « un moyen pour construire la connaissance » ? La question traverse le constructivisme : le constructivisme parie sur la continuité, parce qu'un nouveau savoir se construit à partir d'un ancien. Mais comment les élèves peuvent-ils construire du savoir à partir de leurs concepts existants si ceux-ci sont défectueux ? Les connaissances antérieures semblent être simultanément nécessaires et problématiques. Cette version du paradoxe de l'acte d'apprendre (Bereiter, 1985) est appelée « le paradoxe de la continuité » (Roschelle, 1991). Smith, diSessa et Roschelle (1993) soutiennent que les réformes de l'enseignement doivent inclure des stratégies qui pourraient éviter, résoudre ou maîtriser ce paradoxe. Tout au long de cet article, j'essaie de montrer comment les concepteurs peuvent travailler avec le concept de connaissance antérieure en dépit de ses failles apparentes et sans tomber dans une contradiction insoluble. Cela requiert une étude attentive des hypothèses formulées sur le savoir, l'activité et l'acte d'apprendre.

Cet article comporte trois parties :

Dans la première section, je présente des conclusions sur la façon d'apprendre des scientifiques, ainsi que sur l'apprentissage des sciences par les élèves. Les témoignages sur le changement conceptuel en sciences indiquent qu'il convient de voir l'acte d'apprendre les sciences comme une amélioration du savoir ordinaire, qui nécessite du temps et un contexte social riche. Réfléchir à la façon dont les élèves apprennent les sciences conduit à des recommandations supplémentaires : nous devrions étudier l'apprentissage couronné de succès, éviter d'interpréter la connaissance antérieure en termes de dichotomies, considérer que la connaissance antérieure fournit des composantes flexibles et rechercher les transformations à long terme dans la structure et la coordination du savoir.

La deuxième section présente plusieurs perspectives théoriques de première importance sur le processus du changement conceptuel. Piaget souligne les changements qui interviennent dans la structure des connaissances antérieures. Sa théorie et ses méthodes prescrivent que les concepteurs créent des tâches qui rendent les apprenants actifs et qui génèrent une tension entre l'assimilation et l'accommodation. Être confronté aux aspects physiques d'une tâche stimulante peut mener à la reformulation des aspects intellectuels de la tâche. Dewey met l'accent sur les conditions dans lesquelles le questionnement peut apporter une solution à une activité problématique. Il conseille aux concepteurs de découvrir ce qui est problématique pour les apprenants et de mettre en place les conditions qui favorisent le processus de questionnement : temps, discussion et outils. Vygotsky souligne le rôle des processus sociaux dans l'apprentissage, en suggérant que les nouveaux concepts apparaissent d'abord socialement et ne sont psychologiquement intégrés que très progressivement. Il préconise que les concepteurs fournissent les modèles sociaux d'activités appropriées, permettent aux groupes d'apprenants de réaliser des activités plus complexes que celles qu'ils pourraient traiter individuellement, et emploient des éléments qui permettent aux gens de négocier les différentes significations qu'ils trouvent dans l'activité sociale. Les perspectives issues des théories du traitement de l'information et de l'apprentissage contextualisé sont également brièvement discutées dans cette section.

Le troisième sujet de discussion récapitule quelques méthodes empiriques utiles. Concevoir avec succès des activités d'apprentissage interactif se fonde sur la compréhension de la façon de penser des apprenants. Cela suppose l'utilisation de méthodes empiriques pour faire émerger les connaissances antérieures. Les tests traditionnels sont mis au point dans la perspective des experts, et marquent les différences entre les élèves comme des « erreurs ». Des méthodes plus modernes et plus sophistiquées permettent aux éducateurs de découvrir la logique de raisonnement des apprenants et de travailler à partir d'elle. Ces méthodes comportent des entretiens cliniques, la résolution verbalisée de problèmes et l'analyse des interaction grâce à la vidéo.

  

Découvertes Empiriques dans l'apprentissage des Sciences et des Mathématiques

Parce que la connaissance antérieure est d'habitude spécifique à un contenu, il est difficile d'exposer des faits généraux la concernant qui recouvrent tous les secteurs des centres d'intérêt de l'homme. Par conséquent, cet article est centré sur un secteur, l'apprentissage des sciences et des mathématiques, afin de fournir un exemple détaillé de connaissance antérieure en action. La connaissance antérieure a été plus largement étudiée en sciences et en mathématiques que dans d'autres secteurs. Même si les formes spécifiques de la connaissance antérieure peuvent être différentes en art ou en histoire, il est possible d'en arriver aux mêmes conclusions.

On peut envisager la connaissance antérieure de deux points de vue, celui du scientifique accompli ou celui de l'apprenant. Commençons par le scientifique.

La science comme amélioration des connaissances antérieures

Dans cette partie, nous traitons du rôle joué par la connaissance antérieure dans la pensée des scientifiques accomplis. J'utilise ici le terme « la connaissance scientifique » de façon très large, en référence à la fois « aux concepts » et aux modes de perception des scientifiques, à leurs préoccupations, leurs compétences procédurales, leurs modes de raisonnement, leurs pratiques en matière de discours et leurs croyances au sujet de la connaissance. Il est courant de penser que la connaissance scientifique diffère de la connaissance quotidienne et doit la remplacer. Mais quand on y regarde de plus près, il devient évident que les scientifiques réutilisent des métaphores et des idées issues de leurs connaissances antérieures. D'ailleurs on peut constater que cette transformation s'opère très graduellement et dépend des pratiques sociales de la communauté scientifique. Ce n'est que sur de longues périodes de temps et à travers de longues conversations avec leurs collègues que les scientifiques élaborent des théories qui sont distinctes de leur sens commun.

Les réalisateurs de dessins animés présentent le scientifique typique comme un Einstein griffonnant des formules mathématiques sur un tableau. L'étude du processus scientifique révèle, cependant, que la science ne commence pas toujours par des abstractions mathématiques, ni des découvertes empiriques, mais plutôt par des idées proches, en apparence, des connaissances ordinaires. Einstein, par exemple, enracine son propre développement intellectuel non pas dans les mathématiques, mais plutôt dans les idées communes de rigidité, de simultanéité et de mesure (Einstein, 1950; Wertheimer, 1982; Miller, 1986).

Einstein (1950) disait que la connaissance quotidienne fournissait un stock énorme de métaphores et d'idées utiles. Le scientifique fait, à partir de là, un libre choix d'un ensemble d'axiomes sur lesquels il commence à construire une théorie. Einstein pensait que l'origine de sa théorie pouvait se comparer à une exploration naïve de l'espace et discuta avec Piaget des similitudes possibles entre son développement intellectuel personnel et celui des enfants (Miller, 1986). En analysant le travail d'autres scientifiques, des philosophes (Noir, 1962; Kuhn 1970; Toulmin, 1972) et des historiens (Miller, 1986, Nercessian, 1988) ont mis en évidence que la science est une activité de construction. Ses contenus sont tirés en partie d'images et de métaphores familières issues des connaissances antérieures (Lightman, 1989, Miller, 1986).

Si la science fait appel à la connaissance quotidienne, pourquoi la connaissance scientifique apparaît-elle souvent si différente de la connaissance quotidienne, à la fois dans sa forme et son contenu ? Dans les explications traditionnelles, les philosophes ont cherché la ligne de partage qui séparait le savoir scientifique de la connaissance quotidienne, comme celle qui existe entre connaissance sacrée et profane. Si une telle séparation pouvait être opérée, l'apprentissage des sciences pourrait être soustrait aux biais générés par les connaissances antérieures. Ces explications traditionnelles n'ont pas réussi à mettre en place une démarcation solide entre connaissance quotidienne et scientifique.

Une alternative à l'explication par la ligne de partage vient du travail des sociologues, des historiens et des anthropologues qui ont étudié le travail scientifique (par exemple Latour, 1987; Knorr, 1981). De leurs recherches, il ressort que les propriétés des connaissances scientifiques résultent de pratiques sociales émergentes dans des communautés scientifiques spécifiques. Les processus discursifs transforment les connaissances antérieures en concepts sophistiqués qui peuvent être utilisés systématiquement par les membres de la communauté scientifique. La connaissance scientifique n'est pas un type de connaissance, mais plutôt un produit sophistiqué dont la connaissance antérieure a fourni la matière première et l'interaction sociale les outils.

L'analyse précédente illustre la différence entre remplacement et réutilisation. La nouvelle connaissance ne remplace pas les connaissances antérieures, elle les réutilise plutôt. La réutilisation est rendue possible par un processus dans lequel les connaissances antérieures sont épurées et investies dans une structure plus englobante. Cette dernière vient en partie des normes discursives sociales qui prévalent dans une communauté de pratique.

L'importance du temps et du contexte social apparaît quand on considère la façon dont les scientifiques apprennent. Kuhn (1970) soutient que la connaissance scientifique ne progresse pas toujours sans à-coup, mais exige « des changements de paradigme » qui impliquent un changement conceptuel à grande échelle. Pour inventer la relativité, Einstein a dû partir des fondements mêmes de la science newtonienne (Einstein, 1961). Dans les changements de paradigme, le paradoxe de la continuité surgit de nouveau : comment les scientifiques peuvent-ils formuler une meilleure théorie si tout ce dont ils disposent est une théorie antérieure imparfaite ?

En analysant le changement conceptuel, Toulmin (1972) défend la thèse qu'il n'est pas le simple remplacement d'une théorie par un autre. Le changement conceptuel s'accomplit lentement et implique une restructuration complexe des connaissances antérieures pour englober de nouvelles idées, de nouvelles découvertes et de nouvelles exigences. Ainsi Einstein ne remplace pas simplement Newton, il transforme les idées newtoniennes et les place à l'intérieur d'une nouvelle analyse, plus englobant, de l'espace et du temps. Toulmin insiste sur le fait que le changement conceptuel, comme la science normale, est continuel et progressif. Il est obtenu au moyen d'outils physiques et régulé par le discours social. Ce n'est qu'à travers une perspective historique éloignée qu'un changement de paradigme apparaît comme un remplacement. Vu de près, le changement conceptuel ressemble à une variation et un choix dans un système de connaissances interdépendantes. Les scientifiques, individuellement, font varier la signification des concepts et l'utilisation de méthodes. En raison de règles sociales spécifiques et s'ils opèrent sur une longue durée, ces choix peuvent entraîner des changements de grande ampleur dans les concepts.

De cette analyse du processus scientifique découle une série de leçons importantes pour ceux qui étudient l'acte d'apprendre : la connaissance commence par la sélection d'idées tirées de l'expérience quotidienne. La construction des connaissances scientifiques est un processus lent, continu de transformations qui se déroule sur une longue période, implique des approximations successives, et ne se « différencie » que graduellement et incomplètement de la connaissance quotidienne.

En général, l'apprentissage implique trois séries différentes de changements. Le plus généralement, les apprenants assimilent une nouvelle expérience à leurs théories et pratiques actuelles. Un peu moins fréquemment, une activité cause un petit choc cognitif qui amène l'apprenant à réorganiser ses idées différemment. Beaucoup plus rarement, ils engagent des transformations radicales de leur pensée qui affectent tout, de leurs hypothèses fondamentales à leurs modes d'observation, leurs conceptions et leurs façons de parler de leur expérience. Bien que rare, ce troisième type de changement est le plus profond et le plus vivement souhaitable.

Ces conclusions présentent trois implications pour les concepteurs d'activités interactives. D'abord, ils devraient chercher à affiner la connaissance antérieure et ne pas essayer de remplacer la compréhension des apprenants par la leur. Deuxièmement, ils doivent prévoir un processus d'apprentissage à long terme, dont l'expérience à court terme constituera une part constitutive. Troisièmement, ils doivent se rappeler que l'apprentissage dépend de l'interaction sociale; les conversations façonnent la forme et le contenu des concepts que les apprenants construisent. Une partie seulement de la connaissance spécialisée peut exister explicitement comme information; le reste doit venir de l'implication dans la pratique discursive de la communauté.

Plaçons-nous à présent au point de vue de l'apprenant. Cela mettra en évidence des points similaires, mais attirera l'attention sur les difficultés spécifiques qui surgissent lorsqu'on essaie d'interpréter les connaissances antérieures des apprenants. D'abord, nous passerons en revue les données qui montrent l'emprise du paradoxe de la continuité dans l'enseignement des sciences : les apprenants, en sciences, ont besoin de leurs connaissances antérieures, mais elles semblent les induire en erreur. Ensuite nous présenterons les lignes directrices à même de résoudre le paradoxe en reconsidérant les hypothèses sur l'apprentissage. Ces indications peuvent aider les éducateurs à interpréter la connaissance antérieure dans les sciences comme dans d'autres secteurs.

  

Les études sur l'apprentissage des sciences : extension du paradoxe

Les études sur les connaissances antérieures des élèves en sciences et des mathématiques ont débuté dans les années 1970 et ont, depuis, débouché sur une littérature volumineuse (voir bibliographies dans Confrey, 1990; McDermott, 1984; Eylon & Linn, 1988). L'intérêt pour la connaissance antérieure a commencé par la récollection minutieuse des erreurs communes faites par les élèves dans la résolution de problèmes de mathématiques et de physique. L'analyse des interviews réalisées avec ces élèves révèle que les erreurs ne constituent pas des étourderies aléatoires, mais proviennent plutôt de concepts sous-jacents.

Par exemple, quand on demande aux élèves d'expliquer ce qui se passe quand on lance une balle droit en l'air, ils décrivent le mouvement en termes d'une « force initiale vers le haut » qui lentement « décroît » avant d'être « équilibrée » par la gravité au sommet de la trajectoire. Les physiciens, au contraire, expliquent ce qui se passe en fonction d'une force constante simple, la gravité, qui modifie graduellement la vitesse de la balle. En phase ascensionnelle, le moment est positif et faiblit; au sommet de la trajectoire, il est nul; en descente, le moment est négatif et augmente.

En analysant la réflexion des élèves, les chercheurs ont déterminé que cette explication « erronée » n'est pas particulière à ce problème. Les élèves donnent généralement des explications en termes « de force de transmission » « d'extinction » et « d'équilibration » (diSessa, 1993). A partir de ces idées de bon sens, les élèves peuvent produire des explications infinies de situations différentes. Dans de nombreux cas, ces explications ne concordent pas avec la théorie newtonienne conventionnelle.

Le texte ci-dessous rend compte des découvertes complexes occasionnées par l'analyse des concepts des élèves. Remarquons que la recherche a tendance à amplifier le paradoxe de la continuité : au fur et à mesure que nous en apprenons plus sur les connaissances antérieures des élèves, la construction de connaissances scientifiques semble non seulement lente, mais apparaît également de plus en plus improbable.

Après avoir établi l'existence de conceptions antérieures, les chercheurs ont étudié leur impact sur l'apprentissage ultérieur. La plupart des études ont analysé le rôle des connaissances antérieures dans un cours de sciences conventionnel. Les résultats dépendent de la nature de la tâche qui sert à vérifier l'apprentissage des élèves. Si cette tâche relève d'une technique de calcul, les élèves peuvent souvent apprendre à obtenir la réponse exacte indépendamment de leur connaissance antérieure. Cependant, si elle exige qu'ils fassent une estimation, donnent une explication qualitative, ou expriment autrement leur compréhension, les études montrent que leurs connaissances antérieures « interfèrent ». diSessa (1982), par exemple, a trouvé des élèves qui obtenaient un « A »en cours de physique de première année au MIT, mais ne pouvaient pas expliquer correctement le problème élémentaire de la balle lancée en l'air. En s'appuyant sur leur connaissance antérieure, les élèves construisent souvent une compréhension propre, non conforme, des concepts scientifiques.

La fréquence de cet effet a été largement documentée. Halhoun et Hestenes (1985a et 1985b) ont constaté que 30 à 40 % des élèves des cours de physique de première année de diverses universités ont mal assimilé les concepts. Cela a également été mis en évidence, dans le monde entier, au niveau des écoles primaires et secondaires, aussi bien dans les cultures occidentales que non-occidentales. Et même, quelques chercheurs laissent entendre que 30 à 40 % d'enseignants de physique du secondaire comprennent mal les concepts de la physique à cause de leur connaissance antérieure.

Les processus par lesquels« les idées fausses » naissent d'une combinaison de connaissances antérieures et de contenus appris ne sont pas spécifiques à la mécanique newtonienne. Les enfants forment des concepts qui diffèrent de ceux des scientifiques en biologie (Carey, 1985; Keil 1979), chaleur et température (Lewis, 1991; Wiser & Carey, 1983), électricité (Cohen, Eylon & Ganiel, 1983; Gentner & Gentner, 1983), mathématiques (Resnick & Ford, 1981; VanLehn, 1989), probabilité (Shaughnessy, 1985), statistique (Tversky & Kahneman, 1983) et programmation informatique (Spohrer, Soloway & Pope, 1989); ils rencontrent des difficultés dans leur interprétation des théories scientifiques liées à ces sujets. En outre, ce ne sont pas seulement les enfants qui produisent des interprétations erronées en associant connaissance antérieure et instruction. Considérons les découvertes de Tversky & Kahneman (1982)au sujet de la simple statistique. Ils ont identifié des conceptions antérieures fausses concernant les phénomènes statistiques très répandues parmi les psychologues professionnels - scientifiques qui utilisent la statistique régulièrement. Par exemple, élèves et scientifiques sont affectés par le « biais de confirmation » qui consiste à déformer une expérience pour qu'elle s'adapte à la théorie antérieure.

La connaissance antérieure existe non seulement au niveau des « concepts », mais aussi à celui des perceptions, de l'attention, des compétences procédurales, des modes de raisonnement et des croyances au sujet de la connaissance. Trowbridge et McDermott (1980) ont étudié la perception du mouvement. Les élèves perçoivent une vitesse égale au moment du passage de deux objets, là où les scientifiques observent un objet plus rapide dépassant un plus lent. Anzai et Yokohama (1984), Larkin (1983) et Chi, Feltovich et Glaser (1990) ont étudié comment les élèves perçoivent les problèmes de physique et ont trouvé qu'ils remarquent souvent des particularités physiques superficielles, comme la présence d'une corde, tandis que les scientifiques perçoivent des particularités théoriquement pertinentes, comme la présence d'un point pivot. Larkin, McDermott, Simon et Simon (1980) ont étudié les solutions que les élèves trouvent pour les problèmes classiques de physique et remarqué qu'ils raisonnent souvent en partant du but pour aller vers les faits connus, tandis que les scientifiques passent souvent des faits donnés à l'inconnue visée. De la même façon, Kuhn (Kuhn, Amsel et O'Loughlin, 1988) a étudié le raisonnement des enfants d'âge varié et a constaté qu'ils ne développent que lentement la capacité de coordonner preuve et théorie à la façon des scientifiques. Finalement, Songer (1988) et Hammer (1991) ont étudié les croyances des élèves à propos de la nature de la connaissance scientifique. Ils ont constaté qu'ils développent parfois des croyances qui favorisent des conduites contraires à l'apprentissage des sciences.

En bref, la connaissance antérieure se présente sous différents aspects. Elle affecte la façon dont les élèves interprètent l'enseignement qu'ils reçoivent. Tandis qu'elle ne les empêche pas d'effectuer des procédures correctement, elle mène fréquemment à des explications peu conventionnelles et inacceptables. La connaissance antérieure est active à des niveaux allant des perceptions aux idées, aux croyances concernant l'apprentissage lui-même. De plus, ses effets circulent des profanes aux professionnels, des jeunes enfants aux adultes, aux élèves quelles que soient leurs capacités.

  

Les implications de la connaissance antérieure : l'apprentissage comme changement conceptuel

Le poids accablant de l'évidence a contraint les éducateurs avertis à changer fondamentalement la façon dont ils enseignent les sciences. Les apprenants vont très probablement construire une interprétation qui concorde avec leur connaissance antérieure, et qui n'est par conséquent pas en adéquation avec le point de vue de l'enseignant. Ainsi, les effets de la connaissance antérieure exigent qu'on change de point de vue : l'apprentissage ne consiste pas à absorber des connaissances transmises, il requiert un changement conceptuel (Resnick, 1983; Champagne, Gunstone & Klopfer, 1985). Avec le temps, les apprenants doivent accomplir la forme la plus rare de changement, un changement de paradigme dans leurs hypothèses de base sur le monde physique, et, par voie de conséquence, la manière dont ils le voient, le conçoivent et en parlent. Le changement conceptuel est un processus de transformation des façons usuelles de percevoir, de diriger son attention, de conceptualiser, de raisonner et de justifier. Lentement les apprenants transforment leur connaissance antérieure pour accommoder les nouvelles idées scientifiques (Posner, Strike, Hewson & Gertzog, 1982).

La plupart des données sur l'apprentissage des sciences mettent l'accent sur les différences entre connaissance antérieure et connaissance scientifique, plutôt que sur leurs composantes communes (Smith et al., 1993). Cela a eu une conséquence malheureuse : au lieu que l'enseignement semble plus facile, il apparaît à présent impossible. Les enseignants sentent que les élèves ont besoin des connaissances antérieures pour apprendre de nouveaux concepts, mais qu'elle les induit en erreur en les conduisant à des interprétations peu conventionnelles des concepts. De plus, comme la perception d'un fossé a augmenté, les métaphores utilisées pour décrire le processus d'apprentissage sont devenues plus antagoniques : la connaissance antérieure doit être confrontée, contestée, surmontée, remplacée, éradiquée ou détruite pour laisser la nouvelle connaissance prendre sa place. Les éducateurs vantent les capacités constructives des élèves et ont recours à l'artillerie lourde pour les détruire. Le poids de l'évidence fait que le paradoxe de la continuité apparaît comme un trou béant - il semble qu'il n'y a aucun pont pour aller de la connaissance antérieure à la connaissance désirée, et beaucoup de pièges apparents sur le chemin.

  

Neutraliser le paradoxe de la continuité dans l'apprentissage des sciences

Smith et al. (1993) ont récemment étudié le paradoxe de la continuité qui se manifeste dans la recherche sur l'enseignement des sciences. Ils évoquent une structure interprétative théorique qui admet le caractère imparfait de la connaissance antérieure, mais lui donne toujours un rôle positif. L'essentiel de leur argumentation est que le paradoxe résulte de biais implicites dans la théorie et la méthode. Pour se débarrasser du paradoxe, il faut reconsidérer les hypothèses implicites dans la recherche sur l'apprentissage des sciences.

D'abord, il faut reconnaître un biais dans l'établissement des données. Presque toutes commencent par identifier les échecs dans l'apprentissage - on observe la situation dans laquelle les élèves font des erreurs, puis on identifie le concept qui cause l'erreur. Si on commence, d'un autre côté, par identifier la réussite, puis par examiner les concepts qui la permettent, on voit que la connaissance antérieure y joue un rôle aussi important. La connaissance antérieure est alors correctement comprise non pas comme cause d'erreurs ou de réussites, mais plutôt comme la matière première qui conditionne tout l'apprentissage.

Deuxièmement, les biais dans la méthodologie de recherche ont tendance à produire des « attributs » de la connaissance antérieure qui pourraient être mieux compris si on les considérait comme des « attributs de la tâche d'apprentissage ». Par exemple, on dit que la connaissance antérieure résiste au changement dans un enseignement traditionnel. Les élèves pourraient bien résister à l'activité d'apprentissage et non à la connaissance. Par exemple, les cours de sciences les plus conventionnels se concentrent sur la manipulation d'expressions mathématiques qui réfèrent à des situations idéalisées, comme un avion qui ne serait pas soumis à la friction. Nous ne devrions pas attendre d'une telle activité abstraite qu'elle permette beaucoup de changement dans les conceptions courantes de mouvement. Quand les activités d'apprentissage sont plus concrètes, liées à des situations familières et interactives, la « résistance» disparaît souvent, et les élèves construisent de nouveaux concepts rapidement. La connaissance antérieure et la connaissance transmise conventionnelle ne doivent pas être en conflit, mais devraient plutôt être des bateaux qui passent dans la nuit.

De même, les méthodes de recherche qui comparent les performances d'un expert et d'un novice ont tendance à caractériser leurs découvertes par des dichotomies. Par exemple, Larkin (1983) suggère que la connaissance scientifique est abstraite, tandis que la connaissance antérieure est concrète. D'autres dichotomies notoires opposent général et superficiel, théorique et familier, structurel et superficiel. Une méthodologie basée sur la dichotomie convient bien au classement d'objets sur un spectre bipolaire, mais ne convient pas vraiment à l'analyse de l'intégration d'ensembles émergents à des éléments préexistants. Par exemple, les méthodes dichotomiques affirment faussement que la science est abstraite, et échouent à reconnaître comment la connaissance scientifique coordonne avec succès éléments concrets et abstraits. Ce biais obscurcit le rôle constant joué par les connaissances antérieures dans les structures de connaissance plus englobantes.

Troisièmement, il faut être prudent à propos du statut attribué à la connaissance antérieure. Les chercheurs ont appelé les connaissances antérieures « préconceptions », « conceptions alternatives », « conceptions naïves », « idées fausses » aussi bien que « théories naïves » et« théories alternatives ». Chacun de ces termes est chargé de connotations théoriques qui peuvent être tout à fait trompeuses et inexactes, même si ce n'est pas volontaire.

Les termes qui attribuent un statut de « théorie » à la connaissance antérieure induisent tout particulièrement en erreur. Par exemple, quelques chercheurs ont montré des analogies entre des idées d'élèves et des théories historiques, comme la théorie médiévale d'impetus (McCloskey, 1983). Cependant, les enfants ne sont pas « des scientifiques miniatures » ni les adultes ordinaires « des scientifiques médiévaux ». Tous le monde, y compris les scientifiques, construit la connaissance à partir d'un ensemble de métaphores familières comme « l'équilibration » et « l'extinction ». Cette ensemble de métaphores n'est pas structuré comme une théorie; il n'est pas nécessairement cohérent, complet, ou déductivement solide. C'est plutôt un ensemble lâche d'idées utiles qui peuvent être appliquées avec souplesse. Bien que les enfants et les adultes ordinaires produisent parfois des explications qui ressemblent à de la théorie médiévale, ils tiennent vraiment leur connaissance en même estime qu'un scientifique une théorie.

Les termes qui focalisent sur le statut erroné ou alternatif de la connaissance antérieure induisent également en erreur. les connaissances antérieures peuvent conduire à des erreurs, mais elle peut aussi produire des idées correctes. Parfois le même élément de connaissance antérieure peut fournir une alternative incorrecte à une théorie et se révéler un composant d'une théorie exacte dans un autre domaine. Par exemple, considérons l'idée commune « de force comme moteur » qui soutient qu'une force appliquée aboutit à une vitesse proportionnelle (diSessa, 1983). Elle est souvent appliquée à mauvais escient dans les situations où une force constante agit sur un objet non soumis à la friction. Des ouvrages classiques d'électromagnétisme, cependant, affirment qu'un« électron se déplace à une vitesse proportionnelle à la force électromotrice appliquée ». Ainsi la « force comme moteur » peut être idée fausse ou un concept de modélisation validé, selon le contexte d'utilisation. La conséquence de telles observations est que les éducateurs devraient traiter la connaissance antérieure comme un stock de métaphores génératives, pas un ramassis de théories fausses. La connaissance antérieure ressemble à un jeu de construction, et pas à une forteresse ennemie.

Quatrièmement, il faut prendre au biais réductionniste dans la théorisation de la connaissance antérieure. En général, la recherche s'est concentrée sur l'identification d'un très petit nombre d'éléments de connaissance et a accordé à chacun une grand influence. Les études sur l'apprentissage des sciences, au contraire, nous rappellent que la pensée scientifique est constitué de beaucoup d'éléments divers. L'apprentissage peut se produire en recontextualisant, en donnant une nouvelle priorité à, ou en perfectionnant des éléments. Par exemple, beaucoup « d'idées fausses » sont des éléments corrects de connaissance qui ont été abusivement généralisés. En spécifiant une gamme plus étroite de situations, les concepts deviennent « corrects ». En mathématiques, par exemple, les élèves ont souvent l'idée fausse que, dans les équations de forme « y = mx + b », le point d'intersection d'une droite avec l'axe des abscisses est égal à l'inverse du terme « b ». Ce concept est correct, mais seulement dans le cas où la pente de la droite est égale à 1 (Moschkovich, 1992). Un pas dans la précision de la connaissance adapte le contexte dans lequel la connaissance est applicable.

De la même façon, quand les élèves étudient les sciences, les éléments de connaissance changent de priorité (diSessa, 1993). Par exemple, nous pensons d'habitude les surfaces comme rigides. Pour comprendre la force normale, cependant, nous devons accorder une moindre priorité au concept de rigidité et majorer celui d'élasticité. En observant un livre sur une table, par exemple, le scientifique voit un objet lourd comprimant légèrement la surface de la table, provoquant ainsi une force en retour vers le haut. Ainsi le scientifique, même s'il comprend que les livres et les tables sont surtout rigides, donne une priorité plus haute à l'élasticité. L'élasticité de même que la rigidité sont des concepts de bon sens; pour s'adapter à la théorie newtonienne, seule leur priorité relative varie.

De même, Roschelle (1991) a étudié comment les élèves développent un concept d'addition vectorielle approprié pour comprendre l'accélération. La connaissance antérieure appropriée pour l'addition vectorielle inclut une notion triviale d'addition, mais aussi les concepts de traction, de direction et de pivot. Par l'activité concrète, avec le temps, les élèves forment un concept d'addition vectoriel synthétique qui fait appel à ces métaphores initiales, mais qui est aussi considérablement plus précis et spécifique. Selon diSessa (1993), l'apprentissage des sciences implique beaucoup de changements de cette sorte dans la généralité, la priorité et le raffinement. Le résultat final est la transformation d'un ensemble lâche de connaissances en structure limpide de priorités bien établies, accordées aux exigences des théories scientifiques conventionnelles.

En bref, nous voyons que les élèves acquièrent rapidement beaucoup de sortes de connaissances différentes, mais n'acquièrent que lentement la capacité de coordonner et d'intégrer ces différentes sources de compréhension. Ils peuvent apprendre à calculer à partir de formules mathématiques, à donner des explications qualitatives, mais il leur faut une longue période de temps pour acquérir la capacité d'associer les explications qualitatives et les formules mathématiques représentatives d'une théorie.

Dans la section précédente sur l'utilisation par les scientifiques de la connaissance antérieure, il a été souligné que la connaissance change lentement par restructuration, non par remplacement. C'est également vrai pour les étudiants en sciences. De plus, pour surmonter le paradoxe de la continuité dans l'apprentissage des sciences, nous devrions faire attention à plusieurs principes directeurs pour interpréter la connaissance antérieure :

Analyser les réussites, pas seulement les échecs et étudier comment la connaissance antérieure permet la réussite.

Utiliser des méthodes qui permettent d'observer des élèves construisant des ensembles intégrés, et ne changeant pas juste des valeurs sur une échelle bipolaire.

Prendre garde de considérer la connaissance antérieure comme une forteresse ennemie, fausse, alternative ou théorique dans son essence; la voir au contraire comme un ensemble désorganisé d'éléments de construction.

S'attendre à ce que l'apprentissage survienne par un raffinement graduel et par la restructuration de petits éléments de compétences dans un système étendu, distribué, avec des possibilités associatives croissantes.

À cette liste, j'ajouterais que les théories de la connaissance antérieure ont tendance à générer un biais individualiste et psychologique. Ce biais se reflète partiellement dans le choix des « concepts » comme noyau d'étude. Pourtant, à chaque occasion qu'il a d'utiliser un concept, un apprenant se trouve dans une situation sociale et physique; ces situations affectent fortement l'apprentissage qui a lieu (Roschelle & Clancey, 1992).

Les activités pédagogiques qui s'appuient sur la connaissance antérieure ont conduit à de considérables succès en initiant et en encourageant le changement conceptuel. Clement, Brown & Zeitsman (1989) ont développé un programme d'études scientifiques basé sur « des analogies permettant un ancrage » - des concepts quotidiens desquels peuvent émerger des concepts scientifiques. De la même façon, Minsterl (1989) a développé des techniques de cours pour restructurer graduellement les conceptions des élèves. White (1993) a développé un programme d'enseignement assisté par ordinateur appelé "ThinkerTools" qui développe le concept scientifique de mouvement graduellement sur plusieurs mois. Le programme d'études de White intègre une attention explicite aux différences entre le discours scientifique et le discours ordinaire ( par exemple la signification du concept de « loi » ); il organise un contexte social qui ressemble plus étroitement à l'environnement collégial du travail scientifique qu'à la directivité qui règne dans une salle de classe. Roschelle (1991) a étudié l'apprentissage des élèves à partir d'un logiciel semblable et est arrivé à la conclusion qu'ils apprennent le concept scientifique d'accélération par une série de transformations graduelles de leurs connaissances antérieures.

Dans l'examen des méthodes d'enseignement efficaces, Scott, Asoko et Driver (1991) ont noté deux stratégies couronnées de succès : l'une basée sur un travail explicitement mené à partir de conflits, l'autre qui s'appuie sur la consolidation de connaissances antérieures correctes. Dans n'importe quelle situation pédagogique, on rencontrera probablement quelque conflit, et quelques incursions dans la connaissance antérieure. Les apprenants arrivent avec succès au changement conceptuel dans la mesure où l'on prend, de façon appropriée, soin de valoriser leurs idées, où ils s'insèrent dans un discours socialement pertinent et où on leur fournit un étayage suffisant pour les conflits cognitifs qui ne manqueront pas de surgir.

Si l'on résume le vaste champ de la recherche, voici les leçons les plus importantes. D'abord, nous devons renoncer à la notion de la transmission de la connaissance à des esprits qui l'absorbent; L'apprentissage est un processus de changement conceptuel. Deuxièmement, le changement conceptuel est un processus lent de transformation. Plutôt que de rejeter les connaissances antérieures et d'accepter la connaissance enseignée, les apprenants doivent graduellement raffiner et restructurer leurs connaissances antérieures. Troisièmement, pour surmonter le paradoxe de la continuité, nous devrions étudier le succès, éviter les méthodes empiriques à base de dichotomie, considérer la connaissance antérieure comme pourvoyeuse d'éléments de construction, se représenter l'apprentissage comme transformation à long terme de la connaissance dans des ensembles plus vastes, plus systématiquement coordonnés.

   

La connaissance antérieure dans les théories de l'apprentissage

La recherche dans le domaine de l'apprentissage des sciences et des mathématiques n'a pas encore produit de théorie de l'apprentissage couronnée de succès, des théories ne sont pas disponibles non plus dans d'autres domaines. L'état actuel de notre maîtrise, comme il est décrit ci-dessus, suggère simplement un ensemble d'hypothèses-cadres qui atténuent suffisamment le paradoxe de la continuité pour permettre à l'enseignement de se déployer.

Mais comment la connaissance change-t-elle et s'accroît-elle ? Pour répondre à cette question, nous devons nous tourner vers des théories plus générales de l'apprentissage. Philosophiquement, la question de la connaissance antérieure surgit dans l'Épistémologie, l'étude des opinions véridiques justifiées (Edwards, 1967) Kant s'est intéressé à l'identification de la connaissance authentique. Il a distingué entre savoir « a priori » et savoir « a posteriori ». Un schème « a priori » consiste en structures de base qui nous permettent de détecter des régularités dans l'environnement. L'espace et le temps étaient les candidats premiers de Kant au statut « d'a priori ». Bien d'autres connaissances proviennent de la combinaison synthétique de schèmes et de l'expérience sensible.

La plupart des théories du changement conceptuel restent fidèles à ce cadre de structures « a priori » se combinant synthétiquement avec la nouvelle expérience, quoiqu'elles fassent varier les notions de schèmes, d'expérience, et le processus de construction dans lequel schèmes et activité se combinent. Elles diffèrent aussi par leur noyau dur : Piaget met l'accent sur les transformations psychologiques qui aboutissent aux schèmes, Dewey souligne les possibilités de transformation de l'expérience et Vygotsky met en évidence le rôle de l'interaction sociale dans la reconstruction du rapport des structures avec l'expérience. Dans les quelques courtes pages dont je dispose ici, je vais effectuer un tour d'horizon rapide pour montrer comment ces théories traitent la question de la connaissance antérieure.

  

Piaget : schèmes et développement

La théorie des schèmes de Piaget (Inhelder & Piaget, 1958; Ginsburg & Opper 1979; Gruber & Voneche, 1979) concerne le développement des schèmes par rapport à une nouvelle expérience. Les enfants, comme les adultes, combinent leurs schèmes antérieurs avec l'activité. Cependant, les notions d'espace et de temps, chez l'enfant, diffèrent qualitativement de celles des adultes (Piaget, 1970) 1. Piaget élabore une théorie du changement conceptuel qui se concentre sur le développement des schèmes de l'enfance à la maturité.

Piaget présente une caractérisation des connaissances des enfants en quatre stades de maturité, nommés le stade sensori-moteur, le stade préopératoire, le stade des opérations concrètes et le stade des opérations formelles (Corsini, 1994). À chaque stade successif, les enfants disposent de structures d'inclusion supplémentaires pour donner du sens à leurs activités. Ainsi, Piaget montre que les enfants ne peuvent pas exécuter des expérimentations contrôlées avec des variables, ou raisonner avec des proportions, avant le stade des opérations formelles. Les connaissances antérieures, sous forme de schèmes structurels, jouent ainsi un rôle déterminant dans la façon dont les enfants construisent du sens dans des activités interactives.

Piaget rend compte du changement conceptuel en affirmant que la connaissance se développe par la reformulation. Il identifie un ensemble de fonctions de transformation invariantes, innées, universelles et indépendantes de l'âge. Il s'agit de l'assimilation, l'accommodation et l'équilibration. L'assimilation augmente la connaissance tout en préservant la structure mentale, par intégration de l'information dans les schèmes existants. L'accommodation augmente la connaissance en modifiant la structure mentale pour rendre compte de la nouvelle expérience. Pour Piaget, les épisodes critiques dans l'apprentissage se produisent lorsqu'une tension surgit entre l'assimilation et l'accommodation, parce qu'aucun de ces mécanismes ne peut réussir tout seul. L'équilibration coordonne l'assimilation et l'accommodation, permettant à l'apprenant de trouver un nouvel équilibre, plus cohérent entre schème et manifestation sensorielle. La reformulation ne remplace pas la connaissance antérieure, mais la différencie plutôt et l'intègre dans un ensemble plus cohérent.

L'influence de Piaget sur les éducateurs ne tient pas seulement à sa théorie, mais également à sa méthode. Il a passé de longues heures pour appréhender les modes de pensée des enfants ( par l'utilisation de l'entretien clinique, dont nous parlerons ultérieurement ). A la suite de Piaget, nous devons faire l'hypothèse que les enfants construisent le sens de leurs actions en utilisant leurs propres schèmes. De même, nous devons également interroger les enfants avec sérieux , pour chercher à comprendre leur style de cohérence. La plupart des disciples de Piaget sont constructivistes; ils pratiquent une évaluation rigoureuse de la construction du sens par les enfants, et conçoivent des activités interactives en conséquence.

Piaget a été à l'origine d'environnements de tâches nombreux et innovants dans lesquelles les enfants sont impliqués dans la manipulation active d'objets physiques. Essayer d'atteindre un but à l'occasion d'une tâche physique peut favoriser le conflit entre l'assimilation et l'accommodation dans la tâche psychologique associée. Bien plus, des actions physiques diverses peuvent conduire à des opérations conceptuelles différentes et, par là même, les occasions qui surgissent dans l'activité physique peuvent provoquer une restructuration mentale. Se fondant sur ces idées, Kuhn & al. (1988) ont montré que les enfants peuvent apprendre à intégrer théorie et pratique en plusieurs semaines si on leur fournit des tâches attractives, amusantes et stimulantes. Harel & Papert (1991) prolongent ce point en suggérant que les meilleures tâches pour construire des idées soient celles où les enfants doivent construire quelque chose qui fonctionne. Même si « construction » et « constructivisme » ne sont pas nécessairement liés, ils vont ensemble. La théorie de Dewey, présentée dans la section suivante, attribue également à la conception, la fabrication et la manipulation des objets réels un rôle déterminant dans le changement conceptuel.

En résumé, Piaget donne à entendre que les apprenants surmontent le paradoxe de la continuité à l'aide de processus de maturation lents, qui fonctionnent lorsqu'une tâche provoque un conflit entre l'accommodation et l'assimilation, et concourent à l'équilibration. Il préconise que les concepteurs d'activités interactives s'impliquent dans l'effort empirique nécessaire pour prendre en compte le point de vue de l'apprenant. A partir de cette compréhension, il est possible de concevoir des tâches qui vont probablement tout à la fois attirer les apprenants, provoquer une déséquilibration, et favoriser le nécessaire mais difficile travail de reformulation des connaissances. Ces tâches devraient être simples et directes, requérir des opérations concrètes individuelles étroitement liées aux opérations conceptuelles en jeu. Une activité dans laquelle les apprenants construisent un dispositif physique opérant est souvent très efficace pour construire la connaissance; par exemple, la meilleure façon de dépasser votre compréhension antérieure d'un tableau pourrait consister à tenter d'en peindre un semblable.

    

Dewey : les conditions de l'Expérience Réfléchie

Alors que Piaget développe une théorie du développement des schèmes structurants, Dewey décrit en détail le côté expérientiel de l'apprentissage (Dewey, 1938b). Piaget considère les structures « a priori » de Kant comme des variantes génétiques, pas des vérités statiques. Dewey expose la nature problématique de l'expérience, que n'est pas « donnée » non plus, mais créée dans nos transactions avec la nature et les uns avec les autres; elle est par conséquent dépendante de la connaissance antérieure que nous y apportons.

Dewey rend compte de l'apprentissage (Dewey, 1916; Dewey, 1938a; McDermott 1981) comme de la manifestation d'une expérience problématique. Pour lui, l'expérience primordiale survient dans une situation physique et sociale. De plus, les apprenants ne sont pas « dans » une situation comme la peinture est « dans » un seau; l'expérience est plutôt une transaction active qui associe le faire et le subir (Dewey, 1938b). Même dans l'observation d'un tableau, nous dirigeons activement notre regard et subissons une transformation de notre champ visuel. Les interactions résultant de l'expérience ont des qualités simples que nous pouvons directement appréhender; par exemple, elles peuvent être joyeuses, effrayantes, savoureuses, ou harmonieuses.

La plupart du temps, nous passons sans à-coup d'une interaction à la suivante, en utilisant et en appréciant les objets de notre expérience. Mais parfois, l'expérience présente la caractéristique d'être problématique. Par là Dewey signifie que nous nous sentons embarrassés, incertains, incohérents, incapables d'agir. Nous sommes incapables d'associer connaissance et habitude antérieures pour faire face aux exigences du moment. En situation d'expérience problématique, nous pouvons adopter un comportement qui diffère de l'utilisation et du plaisir, que Dewey appelle l'enquête.

L'enquête (Dewey, 1938a) est la transformation réfléchie de la perception, la pensée et l'action, qui refond l'expérience en un ensemble plus satisfaisant. Le processus d'enquête implique la réflexion sur l'expérience; nous utilisons les outils que sont les concepts, les dessins et les gestes pour attirer l'attention sur les particularités de l'expérience qui nous embarrassent. En même temps, nous utilisons des outils pour projeter des solutions possibles. Par l'expérimentation et la réflexion, les schèmes et la perception sont lentement transformés pour apporter cohérence, coordination et signification à nos interactions.

L'enquête implique une interaction psychologique, physique et sociale. Schön (1979) en donne un bon exemple. Une équipe d'ingénieurs tentait de concevoir un pinceau synthétique, mais la peinture ne se déposait pas régulièrement. Un ingénieur a décidé de regarder avec la plus grande attention comment fonctionne une brosse en soies. Pendant qu'il peignait lentement, les autres observaient. Petit à petit ils ont vu que la véritable brosse ne ressemblait pas à une éponge. Les métaphores de« pompage » et de « creusement de sillons » ont été utilisées dans la discussion pour décrire comment la peinture coulait sans à-coup des soies. Avec le temps, les ingénieurs ont transformé leur conception de la peinture : d'absorption de la peinture, ils sont passés à la notion de pompage et de sillon. Cela leur a permis de concevoir une brosse synthétique efficace.

Dans cet exemple, nous voyons comment une expérience problématique implique la connaissance antérieure. On a recouru à la connaissance antérieure à la fois dans la création de la problématique initiale ( concevoir une brosse comme libérant de la peinture ) et dans la nouvelle compréhension ( les métaphores de pompage et de creusement de sillon ). Le processus d'enquête implique l'interaction psychologique, sociale et physique qui a graduellement permis aux ingénieurs de transformer leur perplexité en compréhension nouvelle .

Dewey est souvent considéré comme un éducateur centré sur l'enfant, qui a mis l'accent sur le développement de l'intérêt et des capacités de l'enfant à partir des objectifs d'un programme d'études. Pourtant, il a déployé beaucoup d'efforts pour s'opposer à toute tentative de mettre en conflit ou en position dichotomique la connaissance antérieure d'un enfant et la connaissance curriculaire à acquérir(Dewey, 1938b). Nous ne devrions encourager ni les désirs innés des enfants par rapport à la sagesse durement gagnée des disciplines, ni les considérations figées sur l'esprit des enfants. Dewey a recommandé de considérer le savoir des enfants comme fluide, flexible, génératif et désordonné. En concevant des activités appropriées, un éducateur devrait être capable de passer de l'intérêt et des capacités de l'enfant aux contenus plus stables, mieux définis et structurés de domaines organisés. Ainsi la responsabilité d'un éducateur consiste aussi bien à permettre à l'enfant de s'engager dans l'enquête, que de guider cette enquête pour qu'elle le mène à une participation plus large à la culture qu'il doit s'approprier.

Toute sa vie, le travail de Dewey a porté sur la compréhension des conditions qui favorisent l'enquête, et c'est dans ce domaine que les concepteurs d'activités interactives devraient trouver leur sujet de réflexion le plus important. Voici la leçon majeure : faire attention à ce qui est problématique dans une interaction résultant de l'activité, du point de vue de l'apprenant, et donner du temps et de l'espace pour permettre à l'enquête de se manifester comme une activité légitime. Une préoccupation secondaire consiste à fournir les outils qui permettent à l'enquête d'être efficace. L'enquête n'émerge pas dans la tête, mais dans l'engagement direct avec le monde et avec les autres. Pour réussir, les apprenants ont besoin des moyens d'esquisser et d'explorer idées et phénomènes, et de tester expérimentalement des alternatives. De plus, le langage ( que Dewey appelle « l'outil des outils » ) peut être un moyen inestimable pour la re-description, la réorientation et la restructuration de l'activité. Les tentatives pour ajuster la compréhension d'une personne avec celle d'une autre déplacent graduellement les idées particulières vers un terrain commun. Ainsi les éducateurs intéressés par l'étude de la connaissance antérieure des enfants devraient chercher des situations dans lesquelles cette connaissance antérieure devient problématique et devraient créer trois conditions qui permettent à l'enquête de réussir : temps, outils et interactions verbales.

Dewey surmonte le paradoxe de la continuité en se concentrant sur la nature de l'expérience. Dans des conditions adéquates, un apprenant aux prises avec une activité problématique peut transformer sa connaissance antérieure. Cette transformation restructure sa pensée, sa perception et les éléments de l'action en un ensemble plus intégré, plus cohérent. Sur une longue période, grâce à des conseils avisés, le résultat final de bien des transformations locales peut être un ensemble complet d'idées et de pratiques qui se rapprochent du noyau central d'un domaine organisé.

    

Vygotsky : la reconstruction sociale de la connaissance antérieure

Vygotsky a développé son travail partiellement en réponse à la négligence par Piaget de l'interaction sociale. Là où Piaget souligne la maturation des schèmes dans l'individu, Vygotsky (1986) a soutenu que les concepts essentiels apparaissent d'abord dans l'interaction sociale et ne deviennent que graduellement accessibles à un individu. Ainsi Vygotsky a principalement mis en lumière le rôle d'interaction sociale dans la transformation de connaissance antérieure.

Dans une de ses études, Vygotsky (1986) a spécifiquement examiné le rôle de la connaissance antérieure dans l'apprentissage des sciences. Il a soutenu que les enfants forment des concepts spontanés et des concepts scientifiques, que ceux-ci ne sont pas en conflit, mais font plutôt partie d'un processus unitaire. Dans ce processus, Vygotsky voit des concepts spontanés allant vers la généralisation, préparant le terrain pour un raisonnement plus systématique. Simultanément, les concepts scientifiques, qui sont présentés par l'enseignement, s'affaiblissent pour organiser et utiliser les concepts spontanés. Lorsqu'il arrive à une interpénétration complète et systématique, l'apprenant gagne à la fois le pouvoir de l'abstraction ( l'essence maximale ) et du concret ( l'applicabilité maximale ).

Le processus de restructuration qui permet l'imbrication des concepts spontanés et spécialisés survient dans l'interaction sociale et est obtenu par la médiation de systèmes de signes, comme le langage et le dessin. Tandis que Piaget se concentre sur le déséquilibre entre schèmes, que Dewey se centre sur les activités problématiques, Vygotsky attire notre attention sur la« zone promixale de développement » (ZPD) (Wertsch, 1985; Newman, Griffith & Cole, 1989). La ZPD est formée par la différence entre ce qu'un enfant peut faire sans aide et ses compétences dans l'interaction avec d'autres. Dans cette zone de construction, l'enfant peut participer à des pratiques culturelles légèrement au-dessus de sa propre capacité individuelle. La participation couronnée de succès peut mener à l'appropriation. Dans l'explication de Vygotsky, les ressources originelles pour restructurer la connaissance antérieure viennent de la culture. De plus, le processus de restructuration lui-même survient de l'extérieur, dans le discours social. Les enfants partagent du sens, le négocient et le mettent en pratique dans l'activité sociale, et les adultes peuvent façonner ces significations en les rapportant à une pratique culturelle.

Les traductions récentes de Vygotsky ont inspiré les concepteurs d'activités interactive de plusieurs façons. D'abord, le concept de ZPD suggère que les concepteurs fournissent « l'étayage » pour permettre aux apprenants de participer à un discours plus complexe que celui qu'ils pourraient manipuler tout seuls (Brown & Ferrara, 1985). Cet étayage peut prendre la forme de processus sociaux qui permettent aux apprenants de gérer certains aspects de la complexité d'une tâche, leur permettant d'y participer en se concentrant sur un de ses aspects seulement. De plus, les éducateurs peuvent s'engager dans le « modelage cognitif » par lequel ils représentent et verbalisent un processus de raisonnement qui apparaît d'habitude seulement dans la tête d'un expert (Palinscar & Brown, 1984). Ainsi les apprenants peuvent acquérir des pratiques raisonnées par l'imitation et le compagnonnage (Collins, Brown & Newman, 1989; Rogoff, 1990). Finalement, Vygotsky encourage les concepteurs à créer des « moyens médiationnels » qui permettent aux apprenants de négocier verbalement la signification d'un concept (Hickman, 1985). Ces moyens peuvent consister en un système de notation graphique ou un ensemble de conventions linguistiques qui étendent la capacité des élèves de parler et d'agir sur la relation entre leur compréhension et celle d'une autre personne.

Comme les autres théoriciens, Vygotsky surmonte le paradoxe de la continuité en suggérant que l'apprentissage associe les concepts spontanés et spécialisés dans un processus graduel de transformation. À la différence de l'explication piagétienne de maturation, Vygotsky voit l'origine de la structure dans la culture et théorise son extension graduelle dans le répertoire psychologique des individus par l'interaction sociale dans la ZPD. Par l'étayage, le modelage et la négociation, des adultes expérimentés sont capables de guider l'apprentissage afin d'amener l'apprenant à une communauté culturelle spécialisée.

   

Traitement de l'informations et apprentissage contextualisé

Piaget, Dewey et Vygotsky ont chacun développé leurs théories dans la première moitié du 20ème siècle. Dans la deuxième moitié du siècle, le point de vue du traitement de l'information était dominant, récemment seulement remis en cause par un ensemble d'idées sommairement associées appelé la « cognition contextualisée ». Nous examinerons brièvement les ressources complémentaires que ces avancées théoriques ont apportées à une compréhension de la connaissance antérieure.

La psychologie du traitement de l'information se fonde sur la métaphore de l'esprit comme un calculateur de données symboliques (Newell & Simon, 1972; Posner, 1989). Les modèles performants du traitement de l'information (IP 2) utilisent des mécanismes semblables à ceux décrits par Piaget : l'accommodation modifie un schéma, ou l'assimilation modifie les données pour adapter un schéma existant. Cependant, la modélisation computationnelle a le mieux fonctionné dans les domaines où la notion de connaissance antérieure est la plus faible - dans la logique formelle et la théorie des jeux. La modélisation de l'apprentissage dans des domaines où le bon sens est efficace s'est avéré une tâche immense. Plus encore, l'analogie entre l'esprit et un ordinateurs s'écroule rapidement là où la connaissance antérieure est importante : vous pouvez reprogrammer un ordinateur, remplacer complètement son programme, tandis que l'esprit humain doit construire une nouvelle connaissance à partir d'une ancienne. De même, les modèles computationnels présentent des possibilités médiocres pour analyser l'expérience et l'interaction sociale.

Ceux qui s'intéressent à la connaissance antérieure et à l'apprentissage voient dans l'élaboration de systèmes de représentations novateurs et d'une méthodologie scientifique pour l'analyse des processus d'apprentissage consistante la contribution principale des modèles du traitement de l'information. Les contributions méthodologiques principales des modèles computationnels sont brièvement récapitulées plus loin dans cet article. Les représentations peuvent être fécondes de deux façons. D'abord, elles peuvent permettre de décrire plus facilement la connaissance antérieure avec précision. Par exemple, VanLehn (1989) a montré comment on pouvait donner une description précise des concepts qui sous-tendent les erreurs dans les problèmes d'addition. A partir de ce diagnostic spécifique, un enseignant pourrait prodiguer un enseignement plus focalisé. Deuxièmement, les représentations peuvent être un outil qui permet à l'apprenant de réfléchir. Par exemple, les enfants peuvent utiliser des « réseaux sémantiques » pour dresser la carte des liens entre les idées avant, pendant et après l'apprentissage. De même, les diagrammes en arborescence peuvent aider les élèves à comprendre les processus hiérarchiquement plutôt que linéairement agencés, la génération d'une démonstration géométrique par exemple (Koedinger & Anderson, 1990). Le fait de fournir un outil pour représenter la connaissance antérieure peut permettre aux apprenants de réfléchir plus systématiquement sur leurs connaissances antérieures.

L'apprentissage contextualisé (Brown, Collins & Duguid, 1989; Lave, 1988) est apparu au cours de la dernière décennie comme une critique de la focalisation des modèles computationnels sur les schèmes interne en négligeant le contexte physique et social. L'apprentissage contextualisé, comme la théorie de Dewey, soutient que tout apprentissage se produit à partir des interactions résultant de l'activité - synthèse entre l'action personnelle et les structures environnementales. Comme Vygotsky, l'apprentissage contextualisé met également l'accent sur la construction sociale du savoir. Le plus frappant par rapport aux explications computationnelles, est la conception générale de l'apprentissage comme enculturation. Au lieu de focaliser sur les relations entre schèmes et activité, les explications contextualistes mettent l'accent sur l'acte d'apprendre en termes de relations entre les personnes, les matériaux physiques et les communautés de culture (Lave & Wenger, 1989). La connaissance est développée, partagée et transmise à la génération suivante par les communautés locales qui sauvegardent un discours particulier ou une pratique professionnelle, comme une corporation ou une discipline universitaire. La capacité progressive de participer à une culture basée sur la communauté a la priorité sur la capacité de savoir. En fait, l'apprentissage contextualisé a relativement peu à dire de la « connaissance antérieure » en tant que telle, mais se concentre plutôt sur la façon dont le travail ordinaire et les pratiques discursives peuvent se spécialiser et dont les identités se développent.

En l'état actuel ( qui se développe rapidement ), l'apprentissage contextualisé propose une critique constructive des conceptions kantiennes de l'apprentissage. D'abord, il nous rappelle que le savoir et l'identité sociale sont fermement liés. La connaissance antérieure d'une personne fait partie de son identité personnelle dans la société. Le changement conceptuel implique presque toujours une transformation d'identité - la spécialisation des concepts liés au mouvement permet non seulement à un enfant de penser plus précisément comme un scientifique, mais lui permet également de progresser vers l'état de scientifique. Participer à une communauté peut être une motivation plus forte d'augmenter son savoir. C'est là un correctif utile pour les éducateurs qui se penchent sur le « savoir pertinent » et oublient de se demander quelle personne un apprenant devient.

Lave & Wenger (1989) proposent la notion de « participation périphérique légitime » (LPP 3) pour préciser ce point. Cette notion spécifie que le « devenir » exige la participation aux activités d'une communauté. Cependant, les apprenants ne peuvent pas toujours participer aux activités fondamentales d'un groupe expert, par exemple une personne ordinaire ne peut pas rejoindre un laboratoire scientifique. Ainsi l'apprentissage se fait souvent à la périphérie de la communauté, aux places spécifiques qui ont été légitimées comme points d'entrée. Les musées, les écoles et les clubs (par exemple 4H 4) peuvent servir ce but. La « participation périphérique légitime » nous guide pour développer des activités interactives qui font partie d'une trajectoire légitime vers la pleine adhésion à une communauté culturelle spécialisée. C'est parce que le changement d'identité et le changement conceptuel opèrent tous deux progressivement et à long terme qu'il est important de spécifier une trajectoire complète qui permette à un apprenant de se déplacer de la périphérie vers le cœur d'une communauté.

À l'avant-garde de la réflexion actuelle sur la connaissance antérieure, nous trouvons des chercheurs intéressés par l'interaction mutuelle de pratiques discursives sociales et d'activités constructives et coopératives.

 

Comment étudier la connaissance antérieure

En raison de l'influence décisive des connaissances antérieures dans l'apprentissage, les bons concepteurs d'activités interactives doivent cultiver une sensibilité aux différents points de vue auxquels les apprenants se placeront à l'occasion d'une activité. Cette sensibilité est la plus profitable à partir d'une expérience de première main avec les points de vue des autres; aucune description, dans la littérature, ne peut totalement transmettre le caractère et la conformation de la connaissance antérieure des apprenants. Heureusement, se sensibiliser à la connaissance antérieure n'est pas difficile. Il faut simplement regarder et écouter de près comment les apprenants emploient votre matériel. Quand quelque chose d'étrange et d'incompréhensible arrive, ne cédez pas à la tentation du rejet; prenez cette situation comme une occasion d'apprendre.

La compréhension de la connaissance antérieure repose sur 90 % de transpiration et 10 % de méthode. Des tests standard sont inutiles, parce qu'ils sont presque toujours conçus dans la perspective de l'expert. Au lieu de cela, il est crucial de faire parler les apprenants et de prêter une scrupuleuse attention à ce qu'ils disent et font. Trois méthodes spécifiques mises au point par la communauté des chercheurs peuvent être utiles :
    

Piaget a développé l'entretien clinique comme méthode d'analyse de la construction de sens chez l'enfant. Un entretien clinique (Posner & Gertzog, 1982; White, 1985;) implique ordinairement une tâche dans laquelle l'apprenant manipule des objets physiques. Les tâches pertinentes sont simples et fermement centrées sur le concept en jeu de sorte qu'un ensemble insolite d'actions dans la tâche indique aisément une sensibilité différente. L'intervieweur explore alors la compréhension de l'apprenant en posant des questions à propose de ce que l'apprenant a dit ou fait et en évitant les questions frontales. En cours d'entretien, il est souvent utile de demander à l'apprenant de considérer des alternatives afin d'examiner quelle est la stabilité d'un concept particulier. Une transcription de l'entretien qui en résulte fournit beaucoup de détails sur la connaissance antérieure.

Les chercheurs du courant de la théorie du traitement de l'information ont développé la technique du protocole de pensée à haute voix (Ericsson & Simon, 1984; Simon & Kaplan, 1989), qui permet de recueillir des informations sur le processus de résolution de problème d'un apprenant. Celui-ci est entraîné à « penser à haute voix » par l'exécution d'une tâche simple, comme effectuer une addition. Penser à haute voix consiste simplement à verbaliser le monologue intérieur et non pas à expliquer ou justifier ses actions. L'intervieweur ne pose pas de questions, mais incite simplement l'apprenant à « dire ce qu'il pense » chaque fois qu'il s'arrête de parler. Ensuite on donne à l'apprenant la tâche de résolution de problèmes cible et on l'enregistre sur bande audio. Le« protocole » qui en résulte peut alors être analysé pour mettre en évidence la connaissance antérieure et les différences dans les processus de pensée (Robertson, 1990).

La communauté de l'apprentissage contextualisé développe des techniques pour utiliser des enregistrements en vidéo en vue d'étudier la connaissance antérieure dans un contexte social et environnemental authentique (Roschelle & Goldman, 1991; Suchman & Trigg, 1991; Jordan, en préparation). D'habitude, les façons de travailler d'un petit groupe d'apprenants et les discussions générées par une tâche commune sont enregistrées sur bande vidéo. La caméra est réglée selon un cadrage constant ( grand angle ), laissée sans surveillance, afin d'éviter les intrusions. On prend grand soin du son. Quand l'enregistrement vidéo est terminé, on peut l'utiliser de différentes façons. Les apprenants peuvent visionner la vidéo avec un intervieweur, ce qui crée une occasion d'interpréter leur propre comportement. De plus, il est souvent utile d'observer la vidéo avec un panel multidisciplinaire de collègues; des interprétations étonnamment diverses apparaîtront souvent . Enfin, l'avantage le plus évident de la vidéo est que, lorsque survient un événement problématique, l'investigateur peut le visionner en boucle. Par l'observation répétée et l'exploitation consciente de perspectives multiples, un investigateur sera a même d'apprécier la connaissance antérieure et les dispositions de chaque participant.

 

Conclusions : Connaissance Antérieure et évaluation de l'action des Musées

La connaissance antérieure a des effets variés et déterminants sur l'apprentissage. Les activités proposées dans les musées ne peuvent pas éliminer ou neutraliser la connaissance antérieure, mais doivent plutôt travailler avec elle, de sorte que les musées, comme toutes les institutions éducatives, doivent se saisir du paradoxe de la continuité : la connaissance antérieure est à la fois nécessaire et problématique. Le changement conceptuel doit d'une façon ou d'une autre résoudre, surmonter ou éviter ce paradoxe.

La connaissance antérieure est impliquée aussi bien dans l'échec que dans la réussite; c'est pourquoi on considère plutôt la connaissance comme une matière première à raffiner. Au lieu de faire l'hypothèse de dichotomies bipolaires là où la connaissance désirée remplace la connaissance antérieure, les concepteurs devraient s'attendre à ce que l'apprentissage survienne à travers un processus de transformation, de restructuration qui produit des ensembles intégrateurs organisant les éléments préexistants. Le perfectionnement et la restructuration apparaissent par amplification et par degrés; le changement conceptuel est un rude travail qui demande beaucoup de temps.

Les musées sont potentiellement bien placés comme lieux du changement conceptuel. Ils fournissent au visiteur des occasions de se confronter directement à des objets authentiques. Ces confrontations cognitives provoquées par l'interaction avec des objets sont au cœur de la théorie de Piaget, aussi bien que de celle de Dewey. Les musées permettent aux visiteurs d'apprendre socialement dans des groupes limités et volontaires. Les interactions discursives sociales sont, dans la théorie de Vygotsky, les moyens privilégiés du changement conceptuel, de même que les propositions contemporaines de l'apprentissage contextualisé. Les musées peuvent fournir des cadres nouveaux et motivants, riches en occasions qui suscitent l'interaction, l'introspection et l'enquête. Dewey attire l'attention sur la nature problématique des activités à portée pédagogique et, pour les concepteurs, sur la nécessité de prévoir les ressources dont les apprenants auront besoin pour résoudre les conflits conceptuels. Les musées peuvent fournir ces ressources cognitives, physiques et sociales qui facilitent la résolution d'activités problématiques.

Mais trop souvent, de mon point de vue, les musées ne relèvent pas ce défi; plutôt que de prendre en compte le point de vue de l'apprenant et de travailler à partir de là, ils présentent une vision agressivement professionnelle. Trop souvent les expositions semblent présupposer qu'une bonne présentation rendra les concepts sous-jacents évidents, et donc ne fournissent que peu de ressources, sinon aucune, quand je trouve l'exposition problématique : étrangère, maladroite, embarrassante, irritante, inaccessible, incompréhensible, mystérieuse, agressive, absconse, étrange, ou juste trop exotique. Trop souvent les musées négligent la nature sociale des visites, et je trouve que l'interaction est alors difficile ou inconfortable.

Le succès, cependant, ne serait pas difficile à obtenir. Il commence par le développement de la capacité de regarder, d'écouter et de comprendre le point de vue de l'apprenant, et de découvrir les graines qui feront germer la connaissance et l'identité. D'autres institutions, les écoles particulièrement, font un travail franchement sensationnel pour appuyer le changement conceptuel, comme cela a été bien documenté dans toute la littérature sur le sujet. Les gens sont des apprenants naturellement actifs, tout au long de leur vie. Comme Csikszentmihalyi le signale, les musées ne doivent pas faire beaucoup plus que de fournir une expérience de haute qualité qui engage la connaissance antérieure dans un défi intellectuel réalisable, et d'aider les visiteurs à mobiliser les ressources physiques, intellectuelles et sociales qui leur permettront le succès. À la différence des écoles, les musées n'ont pas à engager les visiteurs dans l'assimilation d'un programme particulier; ils peuvent se concentrer sur la catalyse d'une réaction spontanée qui implique connaissance antérieure, objets authentiques, interaction sociale et ressources pour l'enquête.

L'évaluation de la réussite à long terme est une question plus difficile. Comme cela est apparu pendant le colloque, les musées ont des buts qui vont au-delà du contenu : encourager la curiosité, l'intérêt et l'exploration; fournir une expérience positive et mémorable; favoriser des processus d'apprentissage constructivistes; et développer le sentiment d'une identité personnelle, culturelle et communautaire. Une centration excessive sur la connaissance peut agir au détriment de ces autres buts et passer ainsi à côté de l'importance des musées dans l'acte d'apprendre. Tout au long de cette partie, j'ai soutenu que le changement conceptuel spectaculaire est un processus lent, imprévisible, difficile. Il est donc tout à fait abusif de s'attendre à ce qu'un changement conceptuel profond survienne de manière prévisible d'une simple visite, ou même de quelques-unes si elles sont courtes. Au contraire, quand le changement conceptuel profond survient vraiment, il implique presque à coup sûr des ressources qui sont au-delà du contrôle des musées comme des livres, des vidéos, des coffrets de science, des cours, des clubs, etc. Attribuer un mérite partiel dans la concrétisation d'un apprentissage à long terme est une affaire douteuse, au mieux. Finalement, minorer l'attention que les musées portent aux changements des contenus conceptuels peut nuire à d'autres buts également respectables. Par exemple, on peut négliger la curiosité et l'exploration si l'on tente de se concentrer sur un domaine; l'identité personnelle et culturelle pourrait alors se définir exclusivement par rapport à la communauté qui se reconnaît dans ce domaine, plutôt que par l'ouverture à divers modes de participation.

La connaissance antérieure est néanmoins impliquée dans tous les buts que se fixent les musées. La curiosité, l'intérêt et l'exploration commencent par ce que vous savez actuellement. Une expérience mémorable met en jeu et associe la connaissance antérieure, l'expérience présente et les buts futurs d'une façon cohérente. L'apprentissage constructiviste exige l'attention à la continuité du savoir. La connaissance et l'identité sont liés - nous choisissons des avenirs personnels basés sur ce que nous savons et comprenons aujourd'hui. Ainsi dans l'évaluation de l'apprentissage dans les musées, nous ne pouvons ni donner trop d'importance à la connaissance antérieure, ni l'ignorer .

Cela conduit à penser que l'évaluation à long terme des musées devrait mettre l'accent sur la manière dont ils activent la connaissance antérieure du visiteur, ouvrant des routes nouvelles et efficaces pour l'apprentissage à long terme. Les musées rendent-ils les visiteurs plus conscients de perspectives alternatives ? Les visiteurs formulent-ils des questions pertinentes pour eux ? Les visiteurs comprennent-ils comment ils peuvent exploiter leur connaissance actuelle pour entrer dans un nouveau champ d'enquête ? Les musées fournissent-ils des modèles de processus d'apprentissage constructifs grâce auxquels les visiteurs peuvent continuer à apprendre ? Les visiteurs prennent-ils conscience des livres, des vidéos et des autres ressources qui commencent par ce qu'ils savent déjà ? Les musées sont-ils des lieux où les visiteurs peuvent utiliser leur connaissance antérieure pour aider leurs amis et leur famille à apprendre ? Les musées fournissent-ils un cadre propice à l'intégration d'éléments divers qui conduisent à une compréhension féconde ?

Les nombreuses anecdotes, fortes et émouvantes, racontées pendant ce colloque montrent que les musées activent vraiment la connaissance antérieure de bien des façons remarquablement intenses. Bien que l'évaluation ne prouvera pas que les musées provoquent des changements conceptuels à long terme, de multiples dispositifs pourraient mettre en lumière les différentes façons dont les musées peuvent partir des points d'accès proches de ce qu'un visiteur connaît déjà et ouvrir la voie à ces modes d'enquête, de participation et d'expérimentation que notre société estime au plus haut point.

 

 

NOTES

1 Piaget recoupe ainsi la position de Kant que l'on ne peut pas raisonner sans certains concepts antérieurs d'espace et de temps. Les enfants ont des concepts différents de ceux que Kant a conjecturés, mais ils peuvent néanmoins raisonner. Piaget a montré que des éléments essentiels de raisonnement se développent lorsque les enfants mûrissent. Einstein a montré de la même façon que les concepts fondamentaux d'espace et de temps doivent également changer pour que la physique progresse. Piaget et Einstein étendent ainsi considérablement la réflexion sur ce qui se transforme dans le changement conceptuel; les enfants et les scientifiques changent les bases mêmes de ce qu'ils savent. Bien sûr, des changements si profonds se produisent très lentement.    retour au texte

2 IP signifie « Instructionnal Processing » qu'on peut traduire par « traitement de l'information » ou encore « computationnel », suivant le contexte (NdT).     retour au texte

3 LPP signifie « Legitimate Peripheral Participation » (NdT).     retour au texte

4 « 4H » : Head - Heart - Hands - Health. Ces clubs regroupent adolescents et adultes dans des activités collaboratives qui visent le développement cognitif et humain de leurs membres. Voir la page d'un de ces clubs à l'adresse
http://www.alamedacounty4h.org/whatis4h.htm  (NdT).    retour au texte

      

Consulter la bibliographie ( en anglais )

    

    

* Jeremy ROSCHELLE est l'un des collaborateurs du Pr. Roy D. PEA au Centre de Technologie Éducative du Stanford Research Institute International ( CTL - SRI International ).

Il co-dirige le projet SimCalc et le projet Educational Software Components of Tomorrow, tous deux orientés vers l'utilisation des nouvelles technologies dans l'apprentissage des mathématiques.

Cet article, tiré de Public Institutions for Personal Learning : Establishing a Research Agenda, a été publié en 1995 par l'Association américaine des Musées (  American Association of Museums ).

  

La page de J. ROSCHELLE sur le site du CTL : http://www.sri.com/policy/ctl/html/roschelle.html

  

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