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Enseignement du français

- ce que nous croyons -

 

« Faire progresser les élèves dans la maîtrise orale et écrite de la langue d'aujourd'hui »

« Permettre aux élèves de s'insérer 1 dans des situations de communication variées »

« Développer les compétences de communication »

« Enrichir leur culture »

« S'approprier une culture commune par la fréquentation des textes et des oeuvres littéraires, picturales ou filmiques »

l'ordre des priorités s'inversant du BEP au Baccalauréat Professionnel.

Ce sont là les « objectifs » ( nous dirions les priorités ) assignés à l'enseignement du français dans les Instructions Officielles du dernier quart du XXème siècle, en lycée professionnel. Ces finalités, affirmées comme assertions incontestables, font rarement l'objet d'une contestation - qu'elles suscitent par ailleurs adhésion, désapprobation, résignation ou, tout simplement, indifférence.

Nous les soumettrons cependant à la question, sur la base de l'état des recherches et des réflexions actuelles portant sur la « langue » et son « enseignement ».

 

Les termes de langue, langage, parole sont souvent employés de façon imprécise ou confuse, par leurs utilisateurs ( rédacteurs d'instructions, enseignants, manuels scolaires, journaux... ). Aussi les mettrons-nous entre guillemets pour signifier qu'ils sont à prendre dans une acception plus précise, mais aussi plus limitée.

Depuis SAUSSURE, il est convenu d'appeler

langage : le système ( ensemble structuré ) de signes verbaux socialisé qu'analyse la linguistique générale ;

langue : un cas particulier de langage ( la langue française, alémanique,... ), système partagé par les membres d'une communauté linguistique ;

parole : la langue assumée et transformée par un sujet parlant, c'est-à-dire les performances réalisées lors de la mise en oeuvre des « compétences » qui définissent le langage.

Pour ce qui concerne la « langue », notre première hypothèse de travail ( donc notre croyance ) est qu'elle est avant tout, non un objet d'enseignement ( la matière première de notre... matière d'enseignement ), mais une activité humaine.

Une activité, c'est-à-dire qu'elle ressortit au domaine du « faire », de la pratique 2, de la pragmatique 3. Le XXème siècle, qui montrait une faiblesse ( coupables ? ) pour les analogies en termes économiques, n'hésitait pas à parler de « production » ou « d'échange » langagiers : on peut récuser la connotation économique de ces termes, mais non la notion « d'activité de sujets parlants » 4 qu'ils portent en eux.

Une activité humaine, pour le rôle fondamental que « le langage joue dans toutes les activités humaines » ( GADAMER 5 ). L'activité langagière traverse les autres activités humaines, les accompagne, les porte, les éclaire :

« La lumière qui donne le relief à toutes choses de façon à les rendre claires et intelligibles, c'est la lumière de la parole » 6

Humaine, parce que de toutes les activités de l'homme, c'est certainement la plus spécifique.

« Ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est la parole. Non pas le langage, car les animaux aussi ont un langage. Mais l'aptitude à créer un monde spécifiquement humain par des représentations verbales » 7

Notre deuxième croyance, ( donc hypothèse de travail ), est que l'homme est un être de parole, dans le sens saussurien du terme, plus que de langage. « Notre chrysalide à nous, c'est la parole... et nous vivons dans le monde aérien de la parole » ( B. CYRULNIK ). La parole utilise la « langue comme système » ( le langage ) pour le transformer en « parole comme activité ». Et le sujet parlant organise cette parole en discours, « activités de sujets inscrits dans des contextes déterminés ». 8

L'homme est un être de parole ( de discours ) parce que de désirs, de besoins. Un être pensant, rêvant, fabulant, argumentant. Un être de pouvoir, inventeur de mythes, de poésie. Un animal discursif, créateur d'un univers spécifiquement humain par ses activités discursives. Un être vivant et respirant dans un environnement discursif d'une richesse et d'une variété impressionnantes : discours d'aujourd'hui et de toujours, explicites, implicites, autorisés, clandestins, imposés, oubliés, transformés, dérivés, redondants, paraphrasés, copiés, volés ; discours cris, discours murmures, ruisseaux, torrents, flots ; sur les murs, sur les trottoirs, dans les livres, sur les écrans,...

Notre troisième postulat, corollaire du précédent, c'est que « l'homme est par nature dialogal » 9, et que l'interactivité est un élément foncier de tout discours ( y compris ceux qui n'attendent pas de réponse : textes écrits, cours magistraux... ). Pour M. BAKHTINE, tout discours possède une dimension dialogique :

« Toute énonciation, même sous sa forme écrite figée, est une réponse à quelque chose et est construite comme telle... Toute inscription prolonge celles qui l'ont précédée, engage une polémique avec elles, s'attend à des réactions..., anticipe sur celles-ci, etc. » 10

Cet homme dialogal, HAGÈGE le conceptualise comme « énonceur ( c'est-à-dire énonciateur et énonciataire ) psychosocial » 11.

Ce dialogisme foncier de tout discours, n'hésitons pas à l'élargir au « dialogue » qu'il entretient avec les autres discours du monde ( de la sphère de tous les énonceurs psychosociaux ) : l'interdiscursivité conçue comme une imprégnation de chaque discours par les autres

Sur la base de ces postulats, et en nous appuyant sur les principes essentiels des théories constructivistes de l'apprentissage, nous dirons ( sachant cependant que tout énoncé de ce type ne peut qu'être provisoire ) qu'enseigner le français c'est

mettre en place / animer des situations induisant des processus d'apprentissage qui aident l'élève

à se situer par rapport aux discours du monde,

à les comprendre, les interpréter, les critiquer,

à y prendre part ( productions et échanges discursifs ),

à agir à travers eux,

à s'exprimer et à exprimer le monde,

à trouver des solutions discursives aux questions posées par son être-au-monde.

Ces situations d'apprentissage se traduisent par la réalisation de tâches contextualisées, non exclusivement discursives, mais que le discours ( la dominante discursive ) transforme en activités spécifiquement humaines.

 

NOTES

1 Les Instructions Officielles ne sont pas avares en « vilains mots » ! Tentons un jour, rien que pour voir, de nous « insérer » dans une « situation de communication » ! Plus sérieusement, c'est bien entendu sur ces « écarts de langage » que se concentrent les critiques pour, dans un même mouvement, inclure l'ensemble du « discours » dans une vengeresse détestation.     retour au texte

2 « ... activité en vue d'un résultat, opposée à la connaissance, d'une part, à l'être d'autre part. » Le ROBERT     retour au texte

3 « ... qui accorde la première place à l'action. » Le ROBERT     retour au texte

4 MAINGUENEAU, D. : (1996) Les termes-clés de l'analyse du discours, Seuil, coll. Mémo, p. 28     retour au texte

5 Hans Georg GADAMER ( 1900 - 2002 ). Disciple de Heidegger, il a exposé les fondements de son herméneutique dans « Vérité et méthode » (1960), dont la traduction française a été publiée en 1996.     retour au texte

6 références en cours de vérification    retour au texte

7 Boris CYRULNIK, dans un article du « Monde » publié le 1er Février 2002 : « Notre chrysalide à nous, c'est la parole », propos recueillis par Pierre LE HIR. Boris CYRULNIK est neurologue, psychiatre et psychanalyste. Il enseigne l'éthologie humaine à Marseille et anime un groupe de recherche en éthologie clinique à l'hôpital de Toulon-La Seyne.     retour au texte

8 Pour une clarification des emplois ( très ) polysémiques du terme « discours », cf. CHARAUDEAU, P. & MAINGUENEAU, D. ( ss la dir. de ) : (2002), Dictionnaire d'analyse du discours, Seuil, pp. 185 sq.     retour au texte

9 HAGÈGE, C. : (1996), L'Homme de paroles : contribution linguistique aux sciences humaines, nouvelle édition avec préface inédite, Fayard, coll. Le Temps des sciences, chap. V.     retour au texte

10 références en cours de vérification    retour au texte

11 HAGÈGE, C., op. cit.     retour au texte

 

 

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