Toute énonciation, c'est-à-dire tout acte de« mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation » 1, se situe, consciemment ou non, par rapport à son ancrage dans l'actualité énonciative, et manifeste, à travers les énoncés produits, la plus ou moins grande distance qu'elle établit avec cette actualité : ce sont les plans ( ou niveaux ) d'énonciation, qui donnent à chaque énoncé une ( ou des ) tonalité(s) énonciative(s) propre(s). Dès 1966, BENVENISTE distinguait deux grands types d'énoncés, issus de deux types d'énonciation :
Cette opposition prête cependant à confusion : un récit - surtout à l'oral - peut être énoncé sur un plan embrayé, et tout énoncé non-embrayé n'est pas forcément un récit. D'autre part, le terme de discours est trop polysémique; il faudrait, à notre avis, le réserver à l'opposition texte / discours. Pour éviter ce brouillage notionnel, il paraît plus sûr - et plus pédagogique - de s'en tenir aux notions de plan ( d'énoncé ) embrayé / non-embrayé. COMBETTES, FRESSON & TOMASSONE 5 nuancent d'emblée l'opposition récit / discours par l'introduction de la notion de « textes hésitants », c'est-à-dire de textes qui oscillent entre les deux systèmes - par exemple dans les reportages sportifs... et dans les rédactions d'élèves ! ). Des illustrations récurrentes se trouvent dans l'Histoire de France d'Ernest LAVISSE ( 1931 ) qui passe de l'énonciation historique à l'énonciation personnelle, parfois à l'intérieur du même paragraphe. Ces glissements permettent de passer d'une énonciation quelque peu désincarnée à une énonciation impliquant - et intéressant - davantage les lecteurs. Ils donnent aux récits une tonalité plus subjective et même plus moralisante. Cependant, même dans les « textes hésitants », on en reste à une analyse dichotomique des plans d'énonciation. Jean-Michel ADAM 6 veut en finir avec elle. Il distingue une « tonalité énonciative d'ensemble » conférée à un texte par un « ancrage énonciatif global » tandis qu'alternent d'incessants changements de plans énonciatifs pour lesquels il propose plusieurs grands types de « repérages énonciatifs » :
Cette typologie est assez proche de celle que J. SIMONIN avait élaborée dès 1975 7 pour remédier à certains « points aveugles », qui font problème chez BENVENISTE. Cinq modes énonciatifs étaient distingués :
La question des marques textuelles des modes énonciatifs - en particulier l'opposition passé composé / passé simple, les déictiques anaphoriques - a été suffisamment traitée et bien didactisée, notamment chez COMBETTES, FRESSON & TOMASSONE. La distance que le choix des modes énonciatifs permet d'instaurer entre l'énoncé et son actualité énonciative ( et particulièrement l'actualité de l'énonciateur ) ne doit cependant pas être confondue avec le mode d'engagement de l'énonciateur dans son énoncé. Cette question relève de la subjectivité dans le langage.
La notion de plan d'énonciation est fondamentale, tant pour la compréhension que pour la production langagière. COMBETTES la situe comme intermédiaire entre l'énonciation et l'énoncé ( avec les notions d'hypothèse de savoir partagé, de premier et de second plan, etc. ). Autant dire que le choix d'un mode énonciatif constitue un passage obligé de toute mise en discours. Seul Oswald DUCROT 8 a récusé l'énonciation historique, et n'a admis l'existence du récit que comme « l'horizon d'attente mythique de certains discours ». Ce débat théorique ne change rien à la réalité observable, qui est que tous les énoncés s'organisent autour de deux pôles énonciatifs opposés : le plan totalement embrayé sur la réalité énonciative, et le plan qui semble totalement désembrayé, avec des « hésitations » d'un plan à l'autre, mais aussi des degrés de distanciation plus ou moins typés, plus ou moins marqués, qui font que seule la notion d'ambiguïté / hétérogénéité énonciative peut rendre compte, dans tous les cas, de cette complexité.
NOTES
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