 |
Isotopie(s)
|
 |
et cohérence textuelle
|
...
lire c'est- d'abord chercher à rendre l'énoncé lisible ...
J.-M. ADAM
J'ai
voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens.
A. RIMBAUD |
Le concept d'isotopie, très largement utilisé dans le champ de la
recherche universitaire ( sémiotique, sémantique, rhétorique par
exemple ), ne semble pas encore avoir fait l'objet d'une transposition
didactique suffisamment affirmée qui l'intégrerait dans l'appareil
conceptuel couramment utilisé, aujourd'hui, dans les collèges et
lycées, pour la formulation et la validation d'hypothèses de lecture des
textes par les élèves.
Or, il semble bien que ce concept est l'un des plus nécessaires pour
la construction du sens 1 d'un
texte; bien plus, notamment, que la notion de champ lexical qui n'est, au
sens strict qu'une isotopie lexicale et sémantique particulière, et
pourtant toujours convoquée dans cet exercice périlleux. En effet, la
reconnaissance d'une ou plusieurs isotopies dans un énoncé en assure la
cohérence.
« Le concept de
cohérence, lorsqu'on cherche à l'appliquer au discours, semble
à première vue devoir être rapproché de celui, plus général,
d'isotopie, comprise comme la permanence récurrente, tout au long
du discours, d'un même faisceau de catégories... » 2 |
Les définitions de l'isotopie sont très nombreuses, et peuvent varier
notablement selon que leur utilisateur est sémanticien ou sémioticien,
qu'il se réclame de l'école de GREIMAS ou de celle de RASTIER, etc.
Celles qui, sans faire entrer le débat dans des considérations
philosophiques ou psycholinguistiques trop éloignées de la finalité «
scolaire » d'un outil d'analyse textuelle, semblent les plus opératoires
sont les suivantes :
« Dans son sens le
plus extensif, l'isotopie désigne la répétition de n'importe
quel élément linguistique ( phonème, sème, lexie, structure
phrastique, etc. ). Dans une acception plus restreinte et plus
communément admise, l'isotopie sémantique désigne la
répétition de sèmes qui assure l'homogénéité sémantique de
la séquence textuelle envisagée. Ces sèmes peuvent être
dénotatifs ou connotatifs, génériques ou spécifiques. » 3
« Les réseaux de
signes reliés entre eux dans un texte par leur appartenance à de
mêmes catégories textuelles sont nommés des isotopies ( grec, iso
: même,- topos : lieu ). [... ] On peut distinguer des
isotopies simples et d'autres plus complexes. Les plus simples
rassemblent des éléments d'une même nature : sonore,
morphologique ( mots de même famille ou classe ), lexicale (mots
se rapportant à un même sujet ), sémantique ( signes ayant des
sèmes communs ). Les plus complexes combinent des éléments de
ces quatre catégories, et qui peuvent relever d'aspects
différents du texte. » 4
« On
admettra d'appeler isotopie tout réseau sémantique marqué par
des redondances sémiques dans un texte. Qu'on utilise ou non le
terme d'archilexème pour désigner la lexie-type, occurrente ou
non, indiquant le réseau considéré, n'a aucune importance. Ce
qui compte, c'est d'isoler, par exemple, des isotonies de la mort,
ou de l'amour, ou de la nier, ou des oiseaux, ou de la
transformation, même si aucune de ces lexies-types n'apparaît
dans le texte, même si certaines lexies correspondantes
n'appartiennent pas évidemment ni de soi à ce réseau-là dans
d'autres contextes, et même si surtout la production du sens dans
le texte se fait par imbrication et réaction de ces isotopies les
unes par rapport aux autres. » 5
« [ ... ] on a parlé
à plusieurs reprises d'isotopies sémantiques, phonétiques,
prosodiques, stylistiques, énonciatives, rhétoriques,
présuppositionnelles, syntaxiques, narratives. Cela nous autorise
à supposer que l'isotopie recouvre divers phénomènes
sémiotiques génériquement définissables comme cohérence d'un
parcours de lecture, aux différents niveaux textuels. » 6
|
De ces définitions, il convient de retenir plus particulièrement les
traits suivants :
L'isotopie consiste en un acte de lecture, de construction 7
d'un sens, dont l'objectif premier est l'intégration de la plupart des
éléments d'un énoncé, sinon tous, dans un ensemble non ambigu qui
assure la réduction de la polysémie textuelle.

|
L'isotopie construit un
parcours cohérent dans la lecture d'un texte parce qu'elle permet
d'inscrire ces éléments, qui ne se situent pas tous au même
niveau d'analyse textuelle, et qui, à première vue, peuvent
sembler étrangers les uns aux autres, dans une unité de sens. |

|
L'isotopie,
contrairement en cela au champ lexical, intègre les valeurs
connotatives, métaphoriques des termes dans la construction du
sens. |

|
L'isotopie se constitue
même en l'absence de termes qui y renvoient explicitement. Ainsi
l'isotopie [mort] doit être construite dans Le Dormeur du val
d'A. RIMBAUD, même si aucun terme ne renvoie explicitement à la
mort ; autrement dit, en l'absence de tout champ lexical de la
mort. |

|
L'isotopie se construit
sur un phénomène que tout lecteur-expert doit identifier : la
récurrence. |
En définitive, c'est à une telle expertise qu'il faut amener les
élèves, parce que c'est du sentiment de la récurrence, de sa juste
évaluation, que dépend l'embrayage de la lecture isotopique. En dépend
également, cette autre technique, trop souvent oubliée, la
rétrolecture, retour en arrière qui permet d'intégrer dans un sens
global certains éléments de l'énoncé " mis entre parenthèses
parce que ne semblant pas trouver d'emblée leur place dans l'organisation
du discours examiné. " 8.
Cette rétrolecture est naturellement une des formes privilégiées de la
lecture/construction de sens.
Appréhension des récurrences, (co)construction des isotopies,
rétrolecture sont donc les techniques sur lesquelles se fondent les
ébauches de pistes didactiques présentées ici et qui pourraient servir
à l'élaboration d'une séquence d'apprentissage visant à l'acquisition,
par les élèves, de compétences spécifiques de lecture méthodiques.
Ils devraient alors être capables de formuler et de justifier par
l'analyse une ou des hypothèses de lecture d'un texte.
NOTES
1 L'utilisation du singulier ne
donne pas à entendre qu'il n'y aurait qu'une seule interprétation
possibles d'un texte, et donc qu'un seul sens. Au contraire, le
recours à la notion d'isotopie montre qu'il y a interprétations (
dans ce strict domaine ) cohérentes du texte, même si elles ne sont
pas compatibles, tant qu'il est possible d'intégrer ses éléments
significatifs dans une isotopie qui en rende
compte. retour
au texte
2 GREIMAS, A. J. : (1976), Sémiotique
et sciences sociales, Le Seuil, p.
20 retour
au texte
3 FROMILHAGUE, C. & SANCIER,
A. : (1991), Introduction à l'analyse stylistique, Bordas, p.
63 retour au
texte
4 SCHMITT, M. P. & VIALA,
A. : (1982), Savoir-lire, Didier, p.
28 retour au
texte
5 MOLINIÉ, G. :(1986) Éléments
de stylistique française, P.U.F., p.
24 retour au
texte
6 ECO, U. : (1985), Lector
in fabula, Le Livre de Poche, coll. Biblio Essais, p.
117 retour
au texte
7 « [...] l'isotopie
n'est pas un « déjà là », mais est à chaque fois construite,
selon des modalités propres, par tel discours particulier » Groupe m
: (1990), Rhétorique de la poésie, Points Seuil, p.
40 retour au
texte
8 GREIMAS, A. J. & COURTÈS,
J. : (1993), Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du
langage, Hachette Supérieur, p. 317 retour
au texte
|