Toutes les actions ont potentiellement une orientation communicative. On l’a dit 1, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. Verbalement, par le geste ou l’immobilité, par l’action ou le refus de l’action. Le silence lui-même est un message. Le langage, et singulièrement le langage oral, est un moyen d’organiser le monde, d’y affirmer sa place. Beaucoup d’entre nous voient dans la manière de s’exprimer de leurs semblables un indice de leur éducation, de leur niveau d’instruction, de leur appartenance sociale, voire de leur « intelligence ». Même si elles sont parfois excessives, ces considérations n’en sont pas moins représentatives des enjeux que représente la maîtrise de la langue. Du point de vue de la communication, acquérir des compétences langagières solides et pertinentes, c’est augmenter ses possibilités de communiquer et, donc, de s’intégrer dans un tissu social donné. Plus un individu dispose d’outils langagiers performants et plus il sera en mesure de s’adapter à des situations variées et complexes. Pourtant, dans le champ scolaire, l’expression de la nécessité d’un enseignement/apprentissage systématique de l’oral est relativement récente, et il faut attendre les programmes et instructions élaborés dans les années 1990 pour que soit affirmée, pour l’oral, une place équivalente à celle accordée à l’enseignement/apprentissage de l’écrit, par exemple . Dans le champ didactique, les recherches concernant l’oral sont rares, récentes également, et sont loin de couvrir l’ensemble des pratiques ; la conversation et l’argumentation orale sont, à ce jour, les formes d’interactions verbales les plus étudiées. C’est que, dans les représentations communément partagées, la communication orale se présente comme une activité spontanée, dont la maîtrise est assurée par une pratique constante, de façon empirique et largement non réflexive. Bien avant l’entrée à l’école, les compétences langagières de l’enfant sont déterminées par des pratiques sociales façonnées par son milieu familial et fortement tributaires du milieu socioculturel dans lequel il est immergé. De la même manière, tout au long de sa scolarité, la pratique de l’oral sera quotidienne, parce que transversale à toutes les disciplines . C’est vraisemblablement cela qui contribue à expliquer pourquoi il est si malaisé de considérer l’oral comme un véritable « objet d’enseignement », et plus encore comme un « objet d’apprentissage ». Pourquoi, en effet, apprendre et travailler l’oral, puisque sa pratique est permanente ? Pourquoi mettre en place des situations réelles d’apprentissage, puisque c’est par la pratique seule que se réalisent les apprentissages liés à la maîtrise de l’oral ? Nous voudrions, dans cet article, signaler un certain nombre de pistes à même de fournir des éléments pertinents pour un enseignement/apprentissage de l’oral dans le cadre de séquences globalisées en français.
1. Oral et pratiques sociales de référence La notion de « pratique sociale de référence » a été proposée par J.-L. MARTINAND ; il désigne ainsi toutes les situations sociales, vécues, connues ou imaginées, auxquelles peut se référer un élève pour donner du sens à ce qu’il apprend. La réalité vécue, ou au moins imaginable, cognitivement et affectivement, par l’élève, lui permet d’appréhender les connaissances en les mettant en relation avec des pratiques familiales, professionnelles, culturelles, etc., qui lui sont plus familières. Dans le domaine de l’oral, les pratiques sociales de référence sont de trois ordres :
Dans la sphère privée, les interrelations entre individus fournissent le cadre de pratiques langagières orales fortement déterminées par le statut et le rôle des individus : parent, enfant, adulte, demandeur, détenteur de l’autorité, etc. C’est dans cette sphère que l’enfant est initié à la nature et à la forme des interactions verbales qu’il rencontrera dans sa vie sociale et publique. Mais c’est également dans ce cadre familial que l’enfant peut apprendre, si le rapport des individus aux interactions verbales est « faussé », que la parole est réservée à ceux qui détiennent le pouvoir, souvent inutile, dangereuse parfois . Dans la vie sociale et publique, les pratiques de référence sont celles des modèles que l’individu se donne ou qui lui sont fournis par son expérience et les médias, entre autres. La vedette qui répond à une interview, le débat qui oppose deux hommes politiques en vue d’une élection, le journaliste qui commente un fait d’actualité au journal de 20 heures, la conversation avec les collègues de travail, la réunion de travail ou syndicale, la représentation théâtrale, autant de pratiques sociales de l’oral qui, elles-mêmes, renvoient à des genres déterminés d’interactions verbales. Dans le cadre scolaire, enfin, existent également des pratiques langagières orales que l’on peut considérer comme de véritables pratiques sociales de référence : celles du pédagogue qui assure la transmission d’informations et de connaissances, celles du récitant ou du « lecteur à d’autres » qui fait partager un sentiment ou une émotion, celles d’intervenant dans une discussion pour présenter, défendre ou réfuter un point de vue, etc. La connaissance des pratiques sociales de référence par l’élève, et leur utilisation comme point d’appui didactique et pédagogique par le professeur, semble donc l’un des objectifs fondamentaux de l’enseignement/apprentissage de l’oral. Le document d’accompagnement des programmes de la classe de Troisième le formule d’ailleurs explicitement :
Écouter/regarder et analyser ces corpus de référence ( émissions de radio et de télévision notamment : conférence, débat, commentaire, témoignage… ) conduit à éduquer l’élève à l’écoute critique, à l’observation des caractéristiques et des procédés propres à chaque genre d’interaction orale.
2. Typologie des interactions et genres oraux Comme pour les textes écrits, il existe de nombreuses typologies de l’oral. Parce qu’elle est étroitement liée aux pratiques sociales de référence, nous avons pris le parti de privilégier celle qui est proposée par Robert VION . Il a regroupé tous les « types » d’interactions verbales en fonction de leurs caractéristiques génériques : le type d’oral considéré correspond-t-il à une pratique sociale de référence, est-il marqué par un échange entre interlocuteurs, le caractère de l’échange est-il formellement défini ?... En prenant également en compte les pratiques scolaires de l’oral, en les mettant en relation avec les pratiques sociales de référence, on peut, à la suite de cet auteur, proposer la typologie des interactions suivante :
L’un des avantages de cette typologie par rapport à l’approche, plus restrictive quant aux genres à aborder en classe, de B. SCHNEUWLY & J. DOLZ est qu’elle permet de mettre en relation pratiques sociales et scolaires, en montrant l’analogie de forme et de fond entre certaines d’entre elles, la conférence et l’exposé, par exemple. En ce sens, elle ne coupe pas les pratiques scolaires des pratiques sociales et elle permet, entre autres, de mesurer la nature de la transposition didactique opérée entre deux types d’oraux analogues. Un autre avantage est qu’elle permet, d’emblée, de « penser » l’oral à la fois en termes de typologie générique ainsi que de similitude générique. Un « genre » d’interaction verbale comme l’entretien permet de rendre compte de sous-genres discursifs différents, mais qui se trouvent ainsi typologiquement unifiés : l’interview journalistique, l’entretien littéraire, l’entretien d’embauche présentent en effet des similitudes formelles indéniables. Il en va de même pour l’allocution officielle ( le discours ) et la récitation ou la lecture de telle page littéraire, en ce sens qu’elles sont foncièrement des écrits oralisés, même si, par ailleurs, leurs visées communicatives sont différentes. Plusieurs raisons plaident pour une approche plus résolument générique dans l’enseignement de l’oral. En effet, dans ce domaine comme dans celui de l’écrit, ce sont les genres qui, en tant que formes relativement stables, déterminent les représentations « de haut niveau » liées aux textes que construisent les individus. Ce sont ces représentations qui assurent la possibilité de la communication par la reconnaissance des règles, plus ou moins codifiées, qui caractérisent un genre.
Pour autant, les genres oraux qui doivent faire l’objet d’un enseignement/apprentissage à l’école sont essentiellement ceux qui rythment la vie sociale et publique : débat, discussion, négociation, témoignage, entretien… ; naturellement les genres plus spécifiquement scolaires - exposé, récit, débat, lecture et récitation - seront nécessairement abordés parce que, d’une part, ils sont en eux-mêmes des vecteurs d’apprentissages dans la plupart des disciplines et, d’autre part, parce qu’ils constituent souvent des cadres d’évaluation pour d’autres compétences. Les interactions verbales plus spontanées qui apparaissent dans la sphère familiale - conversation notamment - trouvent, quant à elles, moins de légitimité à être abordées dans le cadre scolaire. L’approche de l’oral par les genres présente cependant une difficulté qu’il convient de ne pas négliger. Chaque genre peut se subdiviser en de nombreux sous-genres, ce qui rend malaisée une exploitation scolaire rationnelle. Ainsi de l’interview journalistique, qui est considérée comme un sous-genre du genre plus général « entretien », pour laquelle on a pu recenser douze formes différentes : interview portrait, interview informative, interview de fond ( d’opinion ), interview express, etc. . Les compétences liées à la gestion de l’échange, aux modes de l’interaction, aux compétences langagières spécifiques seront certainement différentes dans chaque situation. D’autre part, il est rare qu’une interaction verbale soit typologiquement homogène. Comme on peut également le constater dans les textes écrits , une interaction verbale « glisse » fréquemment d’un genre à l’autre, d’une conversation relativement informelle à un échange plus structuré par exemple, ou inversement.
3. Les formes de l’oral Oral spontané, oral scriptural et écrit oralisé sont les trois formes de réalisation des interactions verbales. A chacune ses conditions de production propres, à chacune donc ses caractéristiques propres.
a. l’oral spontané C’est le mode de réalisation de l’oral le plus naturel, celui qui se développe de façon privilégiée dans les interactions de la sphère privée. Il est marqué par des traits spécifiques, qui en font un mode de réalisation de la langue très différent de l’écrit ( cf. le tableau 1 en annexe). L’étude de ces traits spécifiques à l’oral spontané, leur présence, de manière plus ou moins perceptible, même dans les oraux scripturaux, devrait être menée avec rigueur parce que cette connaissance explicite est seule garante de l’attention que pourront porter les élèves à la présence, dans leurs réalisations orales, de ces traits. C’est à partir de cette prise de conscience qu’il sera possible de les amener à développer des compétences caractéristiques de la maîtrise d’un oral plus formel. Ces traits, les plus caractéristiques de l’oral spontané, ne doivent pas être disqualifiés, perçus comme « somme d’écarts et d’incohérences » et jugés comme des « fautes ». Au contraire, on estime qu’ils dessinent une « grammaire » propre à ce mode de réalisation de la langue.
b. l’oral scriptural Qu’on l’appelle oral formel, oral institutionnel ou oral scriptural ( cette dernière dénomination semble la plus appropriée ), il existe une forme d’oral qui a sa place entre l’oral spontané et l’écrit oralisé. Ce mode de réalisation est celui d’une production langagière très largement privilégiée par l’école, dans la pratique de l’exposé notamment ; la plupart des pratiques « institutionnelles » de l’interaction orale, lors d’une prise de parole en public, lors de réunions, de débats publics par exemple, privilégient également cette forme d’oral. L’oral scriptural présente de nombreuses analogies avec l’écrit. Ses conditions de production, les modalités de sa planification le distinguent nettement de l’oral spontané. Ses caractéristiques lexicales et syntaxiques sont plus ou moins calquées sur celles de structures écrites parce que le locuteur focalise son attention sur le lexique qu’il emploie et qu’il s’attache à produire des « phrases » très proches de celles de l’écrit. L’oral scriptural est donc un parler « contrôlé », qui s’élabore dans un registre cultivé ou académique, et dont l’école, souvent, privilégie la pratique. On peut en entendre un écho dans les instructions pour la classe de Troisième :
En fonction des contraintes de la situation, du lieu et de la nature de l’interlocution, de la qualité des interlocuteurs, les caractéristiques formelles et structurelles de l’oral scriptural varieront, comme sur une échelle graduée, tout en conservant cependant, même s’il s’approche au plus près de l’écrit, des traces plus ou moins perceptibles de l’oral spontané.
Bernard LAHIRE, pour expliquer la prégnance de cette forme d’oral à l’école, note que
C’est pourquoi les élèves issus de milieux défavorisés, qui ont fréquemment un rapport plus immédiat et plus « pratique » à la langue orale, rencontrent, dans ce domaine, de fortes difficultés à l’école.
c. L’écrit oralisé Point n’est besoin de décrire outre mesure ce type d’oral. En effet, il s’agit toujours d’un texte écrit « mis en voix », qu’il soit lu ou restitué après mémorisation. Les activités de lecture et de récitation seront donc, à l’école, celles qui privilégient ce mode de réalisation orale ; les compétences liées à la maîtrise de la voix en relation avec la production de sens seront au cœur des apprentissages à réaliser. Cependant, il convient de signaler - pour s’en préserver - la dérive fréquente de certains oraux scolaires vers des écrits oralisés ; ainsi de l’exposé, très fréquemment rédigé in extenso, et lu par les élèves devant leurs condisciples, alors que sa pratique devrait donner lieu à un apprentissage de la production d’un oral scriptural à partir de notes ou d’un canevas écrits qui doivent servir uniquement de points d’appui.
4. Connaissances et compétences liées à l’oral On se pose souvent la question de savoir quels doivent être précisément les contenus de l’enseignement /apprentissage de l’oral. Et, souvent, la confusion entre apprentissage de l’oral et pratique de l’oral ( c’est-à-dire activités qui se réalisent à l’oral sans apprentissage spécifique, cf. Pratique de l’oral et apprentissage de l’oral ) obscurcit cette question. Dans le champ de la didactique du français, l’oral est souvent mal connu. Les études qui l’ont pris pour objet sont récentes et cela peut expliquer la difficulté relative que rencontrent les enseignants pour l’enseigner et l’évaluer. Très fréquemment, l’oral est abordé en référence à l’écrit, et il n’est pas rare que dans cette confrontation écrit/oral, ce dernier soit très largement dévalorisé. « C’est de l’oral » est une appréciation négative ; « Parlez correctement » recouvre, de manière souvent explicite, une demande de calquer l’oral sur les structures de l’écrit. Les objets de l’enseignement/apprentissage de la production orale sont de trois ordres : techniques, pragmatiques et linguistiques. Il est d’ailleurs souvent malaisé de distinguer ces trois domaines ; en effet, l’une des caractéristiques principales d’une prestation orale, c’est qu’elle engage l’ensemble de la personne. Le corps, la voix, l’espace, les habitus sociaux et culturels signifient autant que les paroles. A l’oral, les silences eux-mêmes peuvent être signifiants. A ces éléments, il convient d’ajouter ceux qui relèvent d’un domaine encore trop souvent négligé, l’écoute. Il est en effet primordial de faire travailler les élèves sur cet axe, parce que, plus encore que celles qui relèvent de la production, les compétences des élèves dans ce domaine sont souvent défaillantes. Il est impossible, dans le cadre de cet article, de proposer un détail exhaustif des connaissances et compétences qui constituent la base des apprentissages à réaliser dans le cadre d’un enseignement de l’oral. Nous ne nous attacherons qu’à la présentation de quelques-unes.
a. Les aspects techniques de la production orale Ce sont essentiellement les dimensions para-verbales d’une interaction orale qui feront l’objet d’un enseignement/apprentissage.
Le para-verbal La voix est un outil et, à ce titre, il faut apprendre à s’en servir. Outre le timbre et la hauteur, sur lesquels il est parfois difficile de travailler, les élèves auront à identifier, analyser et exercer les paramètres suivants :
Les types d’interactions qui se prêtent le mieux à ces apprentissages sont ceux qui relèvent de l’écrit oralisé, la lecture et la récitation, et ceux qui nécessitent la production d’un oral scriptural relativement « contrôlé », l’exposé notamment. Les séquences structurées autour de l’étude de la poésie et du théâtre fourniront un cadre tout particulièrement propice à la réalisation de ces apprentissages
b. La dimension pragmatique de la production orale De nombreuses approches, ethnosociologiques, ethnométhodologiques, philosophiques, linguistiques, entre autres, ont jeté les bases d’une pragmatique des interactions verbales. Nous n’en retiendrons que quelques aspects, utiles pour fonder et nourrir un enseignement/apprentissage de l’oral.
Les paramètres non verbaux de la communication orale L’apparence ( naturelle ou acquise ), la tenue, les attitudes et les postures peuvent être analysés, en elles-mêmes, comme des langages ; ces éléments constituent des « indices de contextualisation » importants ( l’âge et le sexe, l’appartenance ethnique et socioculturelle ) et sont, pour la plupart, des normes à respecter - ou à enfreindre, en fonction de ses intentions de communication. Regards, mimiques et gestes, tout comme la voix, sont des moyens privilégiés pour l’expression des émotions et rendent compte, souvent, de l’état de la relation entre les interlocuteurs. Les paramètres non verbaux susceptibles d’être étudiés en classe, à l’occasion d’activités de réception essentiellement, pour le rôle important qu’ils jouent dans le décodage et la compréhension des intentions de communication, sont détaillés en annexe dans le tableau 2.
Les notions de statut et de rapport de places
Les différentes positions statutaires que peut occuper un sujet concernent, toujours d’après LINTON :
Adulte, père, client, enseignant, autant de statuts latents qui peuvent caractériser un même individu, mais qui ne s’actualisent, en fonction des circonstances, qu’à des moments différents. Ainsi le père ne « parle » pas en même temps que l’enseignant, qui lui-même laissera le champ au client dans une autre situation. Ces positions statutaires, institutionnalisées, s’accompagnent, dans les interactions verbales, de positions occasionnelles qui résultent de la nature de l’échange et de son objectif ; on peut ainsi occuper, successivement, un rôle de séducteur, de conseilleur, de demandeur, de conciliateur, etc. Il semble bien que ce soit l’identification pertinente de ces statuts et rôles des interlocuteurs que visent, dans les programmes de BEP, des énoncés de compétences tels que « se construire une représentation du locuteur », « identifier le récepteur », « choisir les moyens d'expression adaptés au destinataire » ou encore, dans les programmes de Baccalauréat professionnel, « identifier le locuteur et la position qu’il occupe », « prendre conscience de l’image de l’autre », etc. FLAHAULT intègre ces notions dans celle de rapport de places, affirmant que dans toute interaction verbale, on ne peut parler sans occuper une place déterminée et sans contraindre son (ses) interlocuteur(s) à se situer en fonction du rapport établi.
On peut parler ainsi d’un rapport de places enseignant/élève, adulte/adolescent, élève/élève, etc.
Relations horizontales et relations verticales Catherine KERBRAT-ORECCHIONI insiste sur ces relations, qui s’instaurent nécessairement à l’occasion d’une interaction verbale. Elle analyse en termes de relation horizontale la distance qui sépare ou qui rapproche les interlocuteurs : se connaissent-ils, quelle est la nature du lien socio-affectif qui les unit, quelle est la nature, informelle ou formelle, de la situation de communication ? La notion de relation verticale rend compte, parallèlement à la question des rapports de places, de la position « haute », de « dominant » qu’occupe, ou que cherche à occuper, l’un des partenaires de l’interaction, alors que l’autre occupe une position « basse », de « dominé ». Cette distance, dissymétrique par essence, n’est pas stable dans l’échange, mais représente un enjeu important de l’interaction : conserver ou gagner la position « haute » . Les grilles que l’on peut construire à partir de la réflexion de cet auteur sont des outils puissants et efficaces de l’analyse des différents corpus d’interactions verbales que l’on aura pu constituer à partir de documents authentiques ( cf. tableaux 3 et 4 en annexe ). Pour un développement des notions synthétisées dans ces deux grilles, nous renvoyons à l’ouvrage cité de C. KERBRAT-ORECCHIONI ( cf. note 26 ).
c. Les aspects linguistiques de la production orale S’agissant des aspects linguistiques de la production orale, on fait surtout référence aux compétences linguistico-discursives des interactants, c’est-à-dire les compétences, et connaissances associées, qui doivent être mises en œuvre dans toute production textuelle . SCHNEUWLY & DOLZ distinguent quatre sous-ensembles d’opérations de production textuelle :
Nous ne développerons pas ces différents points et nous renvoyons, pour une information plus détaillée, à l’ouvrage cité. Nous ajouterons cependant, au chapitre des compétences linguistiques et discursives à maîtriser par les élèves, les opérations de planification, de structuration des énoncés produits, ainsi que toutes les compétences liées à la gestion des échanges . Un autre contenu linguistique particulièrement important pour l’enseignement/apprentissage de l’oral concerne les notions connues sous la dénomination générique d’actes de parole . Cette notion est fondamentale parce qu'elle fonde la compréhension/production discursive sur une philosophie du langage tout à fait nouvelle : la parole doit être considérée comme aussi lourde de conséquences que tout acte; la parole n'est plus seulement un univers de mots, sans lien avec l'univers des actes, mais elle pèse de tout le poids de son énonciation et de son interprétation, puisqu'elle est en elle-même un acte, et que l'interaction langagière devient ainsi une responsabilité partagée. D'après J. L. AUSTIN , toute énonciation non seulement dit quelque chose - acte locutoire - mais, en même temps, accomplit quelque chose, réalise une action - acte illocutoire - qui, comme les actes non linguistiques, modifie la situation interactive en faisant (re)connaître au co-énonciateur les intentions pragmatiques de l’énonciateur.
d. l’écoute Dans tous les textes officiels traitant de l’enseignement de l’oral, un accent tout particulier est mis sur l’apprentissage de l’écoute . Cette capacité fondamentale, mise en œuvre dans toutes les situations de réception d’un énoncé oral, repose sur une connaissance approfondie des notions dont il a été fait état précédemment. Une fois encore, le document d’accompagnement des programmes de Troisième est celui qui présente, de la façon la plus claire, les enjeux de cet apprentissage. Nous nous permettrons, ici, de citer in extenso, le passage qui lui est consacré :
5. Pratique de l’oral et apprentissage de l’oral On le voit, les objets de l’enseignement / apprentissage de l’oral sont multiples et permettent de nourrir des séances d’apprentissage riches et diversifiées. Il me reste , cependant, et pour conclure, à mettre en avant l’un des problèmes récurrents dans l’enseignement de l’oral et que l’on observe parfois à l’occasion des activités proposées aux élèves dans les séquences globalisées mises en place au Lycée Professionnel et en CFA. Je suis en effet convaincu que bon nombre de situations d’apprentissage de l’oral qui leur sont proposées à l’occasion de tel ou tel objectif à dominante « orale » ne sont, de fait, que des activités de pratique orale au service d’un contenu d’apprentissage qui ne vise pas, au premier chef, la maîtrise de compétences proprement liées à l’oral. Si l’on veut, dans une séquence globalisée, distinguer nettement séances d’apprentissage de l’oral et activités qui se réalisent à l’oral, il faut veiller à ne pas considérer, trop hâtivement, qu’une séance d’apprentissage à dominante « orale » est réalisée à partir du moment où les élèves « parlent ». Leur réflexion sur les caractéristiques propres de l’oral ( génériques, techniques, pragmatiques et linguistiques ) suppose un cadre d’apprentissage qui va au-delà du simple exercice de la parole. Ainsi, organiser un débat dans la classe est une proposition aux élèves d’exercer des compétences liées à l’oral et à l’argumentation et non une activité centrée sur un apprentissage spécifique de l’oral. C’est pourquoi, il faudrait s’efforcer de mettre les élèves en situation de réflexion, dans des activités de réception , sur les caractéristiques propres à certains types d’interaction ( débat, requête… ) et sur certains savoirs à maîtriser pour que ces interactions réussissent. En ce sens, la plupart des apprentissages attendus devraient viser les caractéristiques génériques, pragmatiques et linguistiques des situations sur lesquelles les élèves ont eu à travailler. Un exemple, pour illustrer le propos. Dans une séquence globalisée dont l’objectif général vise la maîtrise du texte descriptif, un objectif intermédiaire est formulé ainsi : " Décrire oralement, à ses camarades, un objet technique simple " . Le but de l’apprentissage proposé à l’occasion de cette séance, qui se veut « à dominante orale », concerne, à l’évidence, la maîtrise de compétences liées à la description et non pas l’apprentissage de compétences spécifiquement liées à l’oral. L’oral n’est que le mode de réalisation de l’activité proposée. Pour proposer une séance d’apprentissage de l’oral dans le cadre de cette séquence, il conviendrait que la réflexion didactique de l’enseignant s’oriente prioritairement vers les genres d’interaction orale ( et donc vers les pratiques sociales ) où la compétence « décrire » doit s’exercer d’une façon spécifique à ce mode de réalisation langagière. Le témoignage semble être le genre qui privilégie, dans certains cas, la description ; mais le témoignage avec toutes ses caractéristiques d’oral spontané et cependant relativement formel, sans structure d’échange, toujours subjectif et souvent fortement narrativisé. On pourrait donc utilement orienter les élèves vers des activités de réception visant l’apprentissage de certaines des caractéristiques génériques, pragmatiques et linguistiques de ce type d’interaction orale ; puis, à l’occasion de séances d’entraînement on les amènera à exercer, en production, les connaissances et compétences mises en évidence dans la phase d’apprentissage précédente. Je ne saurai proposer de meilleure conclusion, à l’issue de ce bref tour d’horizon sur les contenus de l’enseignement de l’oral, que celle de Joaquim DOLZ ; elle me semble en effet résumer, on ne peut mieux, les enjeux majeurs d’un enseignement de l’oral, systématique et conscient :
NOTES
ANNEXES
Quelques traits spécifiques de l’oral
Quelques aspects de l'oral
Relations horizontales
Relations verticales
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