Carnets de guerre sur la campagne 1914-1918

Commandant Jean Maurice ADDE

142ème Régiment Territorial d’Infanterie

 

Photo : aimable don de JPLescorce

 

La villa Julienne au début du siècle. C’est dans cette villa d’été que Jean Maurice passe ses vacances en famille.

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Vacances d’été dans la station balnéaire de Soulac sur mer en Médoc. Louise est assise à gauche vêtue de blanc, debout à sa droite son fils Louis, mon grand père maternel.

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Paul RASCOL né à Pauillac le 2 décembre 1877, ami de la famille. Reçu Docteur en médecine le 26 juin 1903 puis Docteur et Pharmacien à Pauillac.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : source A.Thers, Histoire & Collection

 

Arme de poing probablement utilisée par Jean Maurice. Revolver d’officier modèle 1874 calibre 11 mm. En principe remplacé par le revolver 1892 en 8 mm, il est encore utilisé en 1914 dans la Territoriale ou la Réserve.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Louise, Marguerite «Guiguite», René et Louis «Loulou».

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Jean Maurice sur sa jument «Rainette».

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

René ADDE adolescent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

JM.ADDE surveillant la préparation des tranchées.

 

Source : Internet

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Sergent secrétaire Gaillard.

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

 

Source : Internet

Officier et groupe de «Uhlands» à la coiffe si caractéristique.

 

Source : Internet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

« Le fidèle » Damestoy.

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Vaguemestre Landouard.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Officier CELHAY.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : l’Illustration Keystone

 

Général de Division LERE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Internet

Modèle d’avion utilisé par les Allemands : «Aviatik».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Sergent secrétaire GAILLARD.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Histoire & Collection AThers.

 

Colonne de prisonniers allemands.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Diverses photos des régiments indous affectés au Corps Expéditionnaire Britannique lors de ce conflit.

 

 

 

 

Source : Internet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Lieutenant GAVINI.

 

 

 

 

 

Source : l’Illustration Keystone

 

Gavini en réserviste alors au 49ème.

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

 

 

Source : Internet

 

Soldats anglais du British Expeditionary Forces dans les tranchés.

 

 

 

Photograph by courtesy of the Trustees of the Manchester Regiment Archive collection. Remerciements à Michael Keane Archiviste.

 

Harold FISHER Captain 1st Battalion Manchester Regiment.

 

 

Source : Internet

 

Généraux anglais commandants du Corps Expéditionnaire Britannique.

 

Source : Internet

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Adjudant CAZALIS.

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Lieutenant GAVINI.

 

Source : L’Illustration Keystone et

Photo : collection personnelle François Darriet

 

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Cimetière improvisé dans un village du Nord.

 

Chapitre un

CopyrightÓ darrietadde-f.darriet 2004 -Merci de demander l’autorisation avant d’utiliser tout document issu de ce site.

CopyrightÓ darrietadde-f.darriet 2004 -Please ask before using any element contained in this site

1914

 

 

Le dimanche 26 Juillet, nous sommes à Soulac, villa Julienne ; mon père, ma mère, Simone et Georges sont venus passer la journée avec nous. Guiguite, René et Loulou sont ravis d'avoir leurs cousins. Je lis dans la Petite Gironde que l'Autriche après une tension politique a envoyé un ultimatum à la Serbie.

Craignant de graves complications je décide d'aller le lendemain par le train à Bordeaux pour compléter mon équipement de guerre.

La semaine s'avance avec de plus en plus de complications européennes, l'Autriche déclare la guerre la Serbie puis à la Russie enfin le samedi 1er Août, à 16 heures, la mobilisation générale en France est annoncée à Pauillac pour commencer le dimanche 2 août. Je pars par l'express du soir pour Soulac, embrasser une dernière fois avant mon départ ma chère Louise et mes enfants chéris. La soirée que nous avons passé sera pour nous tous inoubliable.

 

 2 AOUT 1914

Je quitte Soulac à 5h18 ; à Pauillac j'équipe mon cheval et le fais partir à 8h par la route monté par Lajaunie. A 10h30 je pars en auto avec Rascol et Agier ; Mesdames Rascol et Agier nous accompagnent à Bordeaux. Louis Agier part à 17h25 pour le 10ème Hussard à Tarbes. Paul (Note Du Rédacteur : Rascol médecin à Pauillac) doit rejoindre le service de santé le 30. Ces deux dames ont gravi un véritable calvaire dans cette après-midi : elles ont eu pour moi toutes les provenances possibles. Nous nous embrassons avant de partir ; je quitte Bordeaux à 19h40 pour Bayonne après avoir embarqué mon cheval. Arrivée à 23 heures sans mes bagages.

 

 3 AOUT

Je me rends au quartier, puis au cantonnement de ma Compagnie. Toutes mes pièces de mobilisation y sont déjà. Le cantonnement a été préparé la veille par le 49ème sous la direction de mon Lieutenant M.Dulau. Nous prenons toutes nos dispositions pour recevoir nos hommes le lendemain.

 

 4 AOUT

La mobilisation est admirablement préparée ; nos hommes arrivent plein d'entrain mais le coeur gros d'avoir quitté leurs familles. Des femmes ont accompagné leurs maris jusqu'au cantonnement. Un groupe de 3 hommes avec leurs femmes pleurent en silence ; ils m'entendent dire que je vais recevoir 346 hommes mais que ne devant partir qu'avec 250 dans ma Compagnie, j'en laisserai une centaine au dépôt.

Ils se regardent mutuellement et les hommes se détachent pour me demander de ne pas les laisser derrière ; afin de ne pas émotionner davantage leurs femmes, je réponds que nous verrons ultérieurement ce qu'il y aura lieu de faire et que peut être ils pourront rester à Bayonne. Ce sont alors les trois femmes qui viennent me trouver et l'une d'elles prenant la parole me dit textuellement ceci :

"Monsieur le Capitaine, nous sommes pauvres, mais nous sommes Basques. Il ne faut pas que vous laissiez nos maris derrière, ils seront braves".

"J'ai 3 enfants, elles n'en ont que 2 chacune, mais si au pays on disait qu'ils sont restés ici, on croirait qu'ils sont des lâches".

"Emmenez les M. le Capitaine, et nous prierons pour vous en même temps que pour eux".

Evidemment les larmes m'ont gagné comme à tout ceux qui nous entouraient. J'ai vécu là une minute bien émotionnante.

J'ai regretté ensuite de ne pas avoir pris le nom de ces 3 hommes, mais parmi les 200, tous rasés, que j'ai, je ne les ai plus reconnus ; à coup sûr ils sont dans ceux qui partent, sans quoi ils m'auraient sûrement rappelé ma promesse.

 

 5 AOUT

Les hommes continuent à arriver, tout se passe normalement. Nous nous préparons activement.

 

 6 AOUT

J'envoie au dépôt une cinquantaine de malingres, tout marche bien.

 

 7 AOUT

Rassemblement en armes ; encore une fournée au dépôt et demain nous formons définitivement notre Compagnie.

 

 8 AOUT

Composition de la compagnie.

 

 9 AOUT

Mon anniversaire. J'ai 41 ans, c'est dimanche ; je sors à 7 heures de l’hôtel et j'apprends que Mulhouse est pris aux Allemands. C'est la grande joie ; toutes les figures sont radieuses. A midi, mon camarade Bergeon me fait dire d'aller voir Labrouste, le Capitaine Major du régiment. Je le trouve à 2 heures couché ; il me fait part de la proposition du Colonel, qui veut me prendre comme Major ; je suis ravi. Après midi, promenade à Biarritz, beaucoup de monde, pendant que les autres se battent à la frontière.

 

 10 AOUT

Premier exercice avec ma Compagnie ; Rainette (ma jument) va admirablement ; je lui fais grimper un talus impossible, elle s'en sort à merveille. Le soir avant le dîner, Pontien me fait une sortie au sujet de ma nomination éventuelle de Capitaine Major.

 

 11 AOUT

Après déjeuner le Colonel m'annonce devant l'hôtel Capagorry, que bien que ma nomination ne soit pas encore officielle je devrais prendre mon service le lendemain matin. Je suis Capitaine Major, quoique le plus jeune du régiment ; je suis véritablement dans la joie et je m'empresse de télégraphier la bonne nouvelle à Louise et à Pauillac.

 

12 AOUT

Je rentre au bureau à 7 heures du matin, après avoir été faire mes adieux à ma Compagnie en armes ; c'est émouvant. Après midi je suis très ému à la prise du drapeau du 249 qui part pour la frontière.

 

 13 AOUT

Je me mets au courant du service ; cela va bien, je commence à croire que je m'en sortirais bien.

 

 14 AOUT

Je fais toutes les nominations de grades au régiment ; cela marche à merveille.

 

 15 et 16 AOUT

Travail au bureau jusqu'à 18 heures bien que ce soit fête.

 

 17 et 18 AOUT

Je commence à espérer voir revenir Louise à Bayonne ; elle me télégraphie qu'elle quitte Soulac le lundi 17 et ira à Pauillac ; le mardi elle sera à Margaux.

 

 19 AOUT

Grande joie, Louise arrive à 9 heures du soir. J'éprouve une des plus grande satisfaction qu'il soit possible d'avoir. Je me rends compte que j'avais un peu de nostalgie de la maison.

 

 20 au 23

Nos journées se passent au mieux ; je fais mon travail puis viens rejoindre Louise pour déjeuner et ensuite je reprends Louise vers 5 heures pour la soirée. C'est charmant.

 

 24 AOUT

Grande revue de 10.000 hommes au camp Saint Léon ; je défile pour la première fois en tête du régiment immédiatement derrière le Colonel ; tout se serait passé à merveille si le cheval du Colonel ne s'était abattu 2 fois en le contusionnant sérieusement après la revue ; nous assistons à la messe militaire de la cathédrale c'est très imposant. Un soldat prêtre dit la messe, il est assisté de deux servants en tenue militaire. Les Basques chantent leurs cantiques en basque. Cérémonie fort bien ; après déjeuner, promenade à Biarritz pendant que nos camarades de la frontière ont commencé la grande bataille.

 

 25 au 27 AOUT

Notre préparation se continue ; j'ai toujours le bonheur d'avoir Louise auprès de moi. Le 27 nous sommes avisés qu'il nous faut prendre nos dispositions de départ pour Orléans. René m'a écrit pour m'envoyer une lettre de recommandation pour le Maroc, croyant que nous allons y être expédiés. Le 27 au soir, voyant mon départ imminent j'engage Louise à finir sa malle ; soirée pénible ; Louise a du courage la brave petite ! Je cherche à la persuader que nous allons garder des voies ferrées quoique je sois avis‚ que nous sommes régiment de marche.

 

 28 AOUT

Les malles et cantines sont faites. Je vais à la gare accompagner Louise à 9 heures du matin. Triste séparation, nous avons tous deux la même impression ; nous reverrons nous jamais. Après midi préparation au départ qui a lieu à 9 heures du soir. Je télégraphie à Pauillac et Montbrun pour annoncer mon passage à Bordeaux, samedi à 7 heures du matin.

 

 30 AOUT

A 7 heures en entrant la gare St Jean, je trouve mon père et ma mère. Quelle bonne maman j'ai ; elle n'a pas hésite à partir à 4 heures du matin de Pauillac pour venir embrasser une dernière fois son fiston. Elle n'a pas versé une larme devant moi ; je les présente tous deux à mon Colonel et à plusieurs de mes camarades. J'ai un gros chagrin de ne pas trouver mes gosses à la gare, mais une grande joie d'embrasser maman. Ces 40 minutes ont passé comme un éclair mais j'en garderai un souvenir éternel. Nous passons notre journée dans le train ; à Vivonne vers 5h du soir un Sergent tombe du train en marche ; on croit qu'il l'a fait volontairement, il avait trop manifesté son regret de partir ; c’est un lâche et devrait en crever. A 9h nous apprenons que nous sommes dirigés sur Paris au lieu d'Orléans ; on continue à rouler jusqu'à 7 heures du matin ; 34 heures de train pour aller de Paris à Bayonne c’est plutôt long.

 

 31 AOUT

A 7h30 je débarque à Ivry et pars au trot de Reinette pour faire le cantonnement de mes 3200 hommes à Choisy le Roi ; Maurel m'escorte. Tout va bien, nous devons rester ici pendant quelques jours. Je me couche vers 10h dans une chambre d'auberge infecte. A 1h du matin on me réveille pour m'annoncer le départ pour Aulnay sous Bois à 3 heures du matin ; je me lève aussitôt ; les nouvelles de la guerre sont mauvaises ; la colonne part à 3 heures, je reste jusqu'à 5 heures pour ramasser les traînards. Je rejoins la colonne à Noisy le Sec ; nous avons fait le tour de Paris en partie. Nos territoriaux basques et landais ont été extraordinaires ; la marche est de 34 kilomètres dont 27 sur le pavé ; presque pas de traînards pour les hommes de 35 à 40 ans avec chargement de guerre.

 1er SEPTEMBRE 1914

A 6 heures je vais faire le cantonnement à Tremblay les Gonesse. Nous avons 3 Compagnies en réserves d'avant postes à Mesnil Amelot et 1 Compagnie en grand garde à Maurepas ; nous nous préparons pour faire des tranchées demain matin.

 

 2 SEPTEMBRE

Journée d'émotions ; dès 6 heures nous avons 2000 hommes munis d'outils réquisitionnés occupés à faire des tranchées ; à 8 heures le Général de Division nous donne l'ordre de prendre nos dispositions de combat car l'ennemi est à quelques kilomètres seulement en avant de notre ligne défense, et nous nous trouvons en première ligne. Je réjouis le Colonel sur le terrain ; nous arrêtons toutes les dispositions. Les notes des Généraux se succèdent jusqu'à midi de demie heure en demie heure. A 2h nous recevons l'ordre d'envoyer à 6 heures un bataillon bivouaquer sur la ligne et nous de nous tenir en cantonnement d'alerte ; c à d de dormir tout armé prêt à partir au 1er signal. Je suis péniblement impressionné à cette idée de voir le feu pour le première fois aujourd'hui. Voyant la certitude de partir, j'écris à mes parents et à Louise, j'y joins mes chers enfants et je leurs fais mes adieux ; je mettrai ces lettres à la poste en partant au combat. Le Colonel revient d'inspecter les avant postes et il est très pessimiste car les renseignements nous permettent de savoir que l'armée allemande forte de 400.000 hommes marche droit sur Paris. Dans la nuit nous devons prendre le contact et demain certainement être écrasés, nous, pauvres territoriaux avec des hommes braves mais peu de gradés ; quelle boucherie cela va être. Enfin, à 6h30 au moment où le 2ème Bataillon part pour le bivouac on nous le fait arrêter ; un Corps d'Armée commandé par le Général Maunoury s'est interposé entre l'ennemi et nous ; nous avons une nuit de répit ; tant mieux il y a encore de l'espoir.

Gaillard est venu me faire ses adieux, nous nous promettons mutuellement d'aviser nos familles en cas de malheur. A 7 heures des avions allemands nous survolent on leur tire dessus et j'ai le plaisir de tirer également un coup de fusil sur lui ; c'est la première fois que je vise un être humain, mais comme c'est un Allemand cela ne compte pas. A 9 heures je viens pour me coucher mais le Général me fait appeler ; il me fait envoyer chercher des mitrailleuses au fort de l'Est à St-Denis. Il compte que nous combattrons demain ou après demain. L'avion sur lequel j'ai tir‚ est tombé dans les lignes anglaises à Mesnil Amelot ; demain je tâcherai d'avoir des détails.

 

 3 SEPTEMBRE

Les nouvelles sont toujours pessimistes. Le canon tonne à profusion à quelques kilomètres (8/10) ; en avant de nous on construit des tranchées pour hommes à genoux. Les ordres se multiplient, nous ne savons où donner de la tête pour que tout soit prêt au moment décisif.

 

 4 SEPTEMBRE

Les Allemands ont parait-il commencé un mouvement vers l'est, dans la direction de Meaux. Nos troupes de premières lignes sont renforcées à coups d'automobiles qui vont et viennent ; nos hommes font une deuxième ligne de tranchées. Je vais à Paris en auto pour télégraphier de mes nouvelles à Pauillac ; Paris est absolument mort ; les neuf dixièmes des magasins sont fermés, c'est une impression de tristesse profonde.

 

 5 SEPTEMBRE

Toujours des tranchées ; on approfondit et on prépare des abris. Les Allemands continuent leur changement de direction.

 

 6 au 7 SEPTEMBRE

Tout continue à marcher à peu près ; on se prépare mais avec moins d'énergie ; on sent que le danger s'éloigne.

 

 8 SEPTEMBRE

Nous recevons l'ordre de d'envoyer un Bataillon assainir le champ de bataille à St-Soupplets. Je demande au Colonel à aller au devant de cette colonne pour tout préparer ; j'ai reconnu ensuite que j'avais commis une grosse imprudence. En effet, je pars à 13h45 escorté‚ par un marchin de hussards et nous avons 25 kil. à faire ; vers Thieux ou Juilly, le pays est abandonné, les cadavres de chevaux en putréfaction sont sur la route, c'est épouvantable d'odeur. A Juilly, nous nous arrêtons pour laisser souffler les chevaux. Je visite une ferme superbe où tout paraît avoir été mis au pillage ; j'entre dans l'habitation dont les portes sont grandes ouvertes ; c'est navrant à voir. Dans un salon superbe les meubles sont chavirés, les lettres ont été éparpillées sur les tapis, elles sont en majeures parties adressées à des jeunes filles. La table de salle à manger est couverte d'assiettes sales et de bouteilles vides ; c'est le véritable saccage. En repartant un vieillard nous certifie avoir vu la veille des "uhlands" (NDR : troupes allemandes de Cavalerie) dans les environs ; nous veillons et au passage d'un pont de chemin de fer nous apercevons dans la plaine 1800 mètres une forte patrouille de 60 cavaliers ; malheureusement nos jumelles sont insuffisantes pour pouvoir distinguer les uniformes. Nous arrêtons nos chevaux derrière des buissons en attendant que la patrouille se soit éloignée et nous détalons.

Arrivés à Montg. en Goele on nous signale que les Allemands n'ont été délogés du village que l'avant veille ; comme nous avons un bois très touffu à traverser sur environ 3 kil. de longueur, Hardoy et moi partons au trot le revolver au poing ; arrivés à la sortie du bois, nous apercevons St-Soupplets, notre terminus. Dans la vallée, tout le train régimentaire de la division, des centaines de fourgons divers. Le canon fait rage au delà de St-Soupplets ; soudain deux obus éclatent à 800 mètres à notre gauche ; ils étaient évidemment destinés au parc mais ont raté leur but ; nous nous hâtons vers le village.

Au Quartier Général de la 6ème Armée, le Général Maunoury a fait mettre sur le perron deux drapeaux pris le matin à Brégy ; passent des blessés, je les interroge, l'un d'eux a reçu une balle a l'épaule il y a une heure à Forfry ; je m'arrange avec le Général Delarue, directeur D.E.S (NDR : Direction des Etapes et Services), pour qu'il m'autorise à faire contourner le bataillon à Montg. ; je ne veux pas que mes camarades de régiment risquent d'être bombardés cette nuit. Je vais moi même coucher à Montg.

 

9 SEPTEMBRE

A 6h, je pars avec le Commandant Delvalley pour St-Soupplets ; après notre entrevue avec le Colonel Roques, je laisse le Commandant rentrer à Montg. et vais voir en curieux la bataille qui fait rage à 4 kil. Je me dirige vers Forfry à travers champs. Trois Régiments d'Infanterie sont en réserve en arrière de la crête du coteau. Je m'y dirige puis arrivé près de la crête je mets pied à terre pour arriver à genoux au sommet et tâcher de voir. Les Français sont bien placés dans des embryons de tranchées et au dessus du ruisseau qui est dans le fond de la vallée distribuent des pruneaux aux Allemands sur l'autre versant. La fusillade est effrayante et dès mon arrivée à la crête deux obus allemands viennent éclater en avant de moi ; immédiatement je saute en selle et défile au galop. Ce serait idiot de ma part de risquer ma peau sans utilité plus longtemps. En rentrant, je suis un peu ému et me reproche ma stupide aventure qui aurait pu si mal tourner sans aucun profit que celui d'avoir eu en somme une impression plutôt désagréable. Je rentre à Montg. et à 11 heures je reprends le chemin de Tremblay ; je suis très fatigué le soir, et j'attribue cette fatigue à ma course de 40 kil. à cheval ; mais je crois que mon émotion du matin y a également contribué.

 

 10 SEPTEMBRE

Alors que je dormais très profondément à 2h20 du matin, Maurel qui couche dans la chambre voisine m'avertit qu'il y a un pli urgent de la Division ; j'ouvre ; c'est l'alerte ; il faut qu'à 4h30 nous soyons tous à nos places de combat dans les tranchées. A 6h le Général Mercier passe les lignes en revue ; tout est calme ; je finis par croire que c'est un simple exercice quant à 2h un aviateur que le Colonel interroge nous confirme que la veille au soir deux colonnes dont on a exagéré l'importance s'étaient présentées à Senlis. A 4h, nous sommes avisés que le Général Maunoury a repoussé les Alboches au delà de la Marne, et presque mis en déroute ; nous sommes heureux et rentrons tous au cantonnement après avoir cru passer la nuit au bivouac sur nos positions.

 

 11 SEPTEMBRE

Repos. Les nouvelles sont meilleures, nous buvons le champagne. Je reçois mes premières lettres depuis mon départ de Bayonne et ce n'est pas trop tôt.

 

 12 SEPTEMBRE

On s'arrache les journaux ; nous avons effectivement remporté la victoire à la bataille de la Marne. Toutes les figures sont radieuses. Nous apprenons aujourd'hui que c'est bien grâce à notre présence au Tremblay et dans l'intervalle N.E que les Boches n'ont pas continu‚ sur Paris le 2 Septembre. Leurs avions ayant aperçu des quantités d'hommes dehors, ont certainement dû dire que s'il y en avait autant d'apparent, ceux qui étaient cachés devaient être en nombre considérable. Voila donc comment nous avons sauvé Paris rien qu'en nous faisant voir.

 

 13 SEPTEMBRE

Nous faisons un exercice de brigade et nous attendons la visite du Général en chef qui d'ailleurs ne vient pas.

 

 14 SEPTEMBRE

Nous partons pour une destination inconnue mais probablement Villers-Cotterets. Nous cantonnons à Longperrier, près de Dammartin. Le soir, l'ordre nous parvient d'abandonner notre marche sur Villers-Cotterets et de rentrer au Tremblay après avoir fait une reconnaissance dans la forêt d'Ermenonville. L'habitation dans laquelle nous cantonnons a été mise sans dessus dessous par nos prédécesseurs.

 

 15 SEPTEMBRE

Nous faisons notre reconnaissance sous une pluie battante ; on ne trouve pas d'Allemands mais on ramasse un de leurs téléphones abandonné dans la forêt. Déjeuner à Ermenonville qui doit être un pays merveilleux par un beau soleil.

 

 17 SEPTEMBRE

Nous rentrons en cantonnement à Moussy-le-Vieux log‚ dans un château superbe ; parc merveilleux, pas de draps aux lits, tout a été reversé dans le château ; c'est pitoyable à voir.

 

 18 SEPTEMBRE

Rentrée à Tremblay.

 

 19 SEPTEMBRE

Je vais à Paris faire des achats pour l'hiver ; je reçois des lettres de tous les miens.

 

 20 SEPTEMBRE

Rien de sensationnel.

 

 21 SEPTEMBRE

Exercice de brigade ; on rentre à 17 heures.

 

 22 SEPTEMBRE

Rien à signaler.

 

 23 SEPTEMBRE

Je vais à Paris pour procurer certains objets au Régiment ; j'en profite pour laisser un paquet d'effets d'été aux Chargeurs (NDR : société de transports maritimes des Chargeurs Réunis).

 

 24 SEPTEMBRE

Un de nos bataillons part pour Villers-Cotterets commencer des retranchements en cas de retraite de l'active.

 

 25 SEPTEMBRE

On nous envoie toute le Division pour faire des retranchements ; je loge à Dammartin chez de braves gens qui m'accueillent à bras ouverts ; ils ont eu les Allemands chez eux.

 

 26 SEPTEMBRE

Nous cantonnons au château de St-Mard à Auger-St-Vincent près de Ormoy-Villers ; habitation superbe, phonographe jusqu'à 10h du soir.

 

 27 SEPTEMBRE

Nous arrivons à Béthisy-St-Pierre, je loge chez un pharmacien. Lui est mobilisé, sa femme est avec son père. Ici tout a été occupé par les Allemands ; on nous reçoit comme des sauveurs. Accueil merveilleux ; depuis trois jours que nous marchons le canon tonne à outrance à une vingtaine de kil. Je vois des quantités de troupes qui ont souffert considérablement du feu des Allemands. Les premières tombes que j'ai vues sont en avant de Nanteuil-le-Haudoin ; c'était celles du 102ème de ligne.

 

 28 SEPTEMBRE

Toute la nuit des camions automobiles ont transport‚ des troupes sous mes fenêtres ; c'est l'armée de Castelnau qui vient des Vosges et se porte vers notre extrême aile gauche. Je vais à Crepy-en-Valois prendre les ordres de la brigade, puis, pendant que je suis au cantonnement, on m'annonce qu'on vient de voir des individus avec appareils photographiques, se cachant dans les taillis au passage des autos militaires. Je saute immédiatement dans l'auto, revolver prêt ; j'emmène Martin et Celhay ; nous suivons nos types à la piste sur indications mais ils sont rentrés à Crépy, impossible de les dénicher.

 

 29 SEPTEMBRE

Rien d'extraordinaire, le canon semble tonner un peu moins fort. Nous faisons nos tranchées ; je fais expulser de Bethisy deux familles allemandes qu'on a eu la bêtise d'y laisser sous prétexte que personne ne vient porter de plaintes contre eux. Par derrière tous disent que ce sont des espions qui ont bien reçus les Alboches ; mais quand la gendarmerie les interrogent tous les gens, de crainte de représailles, n'osent rien dire. Enfin, on les emmène.

 

 30 SEPTEMBRE

Tout va bien ; le canon tonne de moins en moins. A 4 heures du soir, on vient nous porter l'ordre de partir et d'être à Verberie à 5 heures demain matin. Donc départ de Béthisy-St-Pierre à 3h30 ; lever à 2h30. Mes hôtes ici sont Mme Girardot, pharmacienne, et son père ; elle ressemble étonnamment à Marguerite (NDR : prénom de sa fille aussi surnommée « Guiguite »). Mme Girardot a eu beaucoup d'amabilités pour les Français ; elle se ressentait de ce que les Allemands l'avaient terrorisée avec leurs revolvers ; c'est elle même qui a repassé mon linge, reprisé mes chaussettes. Elle souhaitait que sont mari, dont elle est sans nouvelles depuis un mois et demi, trouve quelqu'un de complaisant sur sa route qui lui rende ces petits services.

 

 1er OCTOBRE 1914

Etape un peu dure ; nous traversons l'Oise à Verberie sur un pont de bateaux, les autres sont sautés. Arrivée à Hemevillers à 13h ; installés au château, assez confortablement, mais ce qui me dégoûte c'est que sur les portes des chambres sont des inscriptions allemandes ; la mienne portait "Herr Major". A 17h, je vais à Rouvillers aux ordres du Général ; rien d'arrivé, mais nous entendons une canonnade furieuse à environ 25 kil. de nous ; nous avons la sensation que nous approchons sérieusement de l'ennemi et par conséquent du danger. A 10h30 on me réveille pour les ordres ; nous partirons en auto, tout le Régiment pour Arvillers. Arvillers doit être à 12 kil. de la ligne allemande si ils sont encore à Chaulnes, ainsi que le communiqué officiel le disait avant hier.

 

2 OCTOBRE

A 4h30, je vais expédier mon train régimentaire, le train de combat et tous les chevaux des officiers ; Lecomte est très inquiet, je sens qu'il va nous lâcher. Aura-t-il la force de caractère suffisante pour vaincre la peur ? A 9h30, après notre départ (du Colonel et moi) nous sommes à Bellevue, 1500 mètres Arvillers ; un bicycliste vient nous dire que le Lt Lecomte a mal au pied et ne peut nous suivre. La peur a été la plus forte, c'est malheureux ; il a lutté et a dû beaucoup souffrir moralement avant de se laisser abattre. A 10H30, sur la route nous arrivent les autobus qui vont nous transporter à Arvillers ; on met les hommes 25 par autobus. Ils sont organisés par groupes de 40 voitures ; je pars en petite voiture avec le Lieutenant chef de groupe. Tout le long de la route nous entendons la canonnade mais en passant entre Montdidier et Arvillers nous voyons nos artilleurs en batterie ; d'ailleurs nous entendons la canonnade de plus près. A Arvillers nous sommes encore en une fort belle habitation mais un peu inquiets ; le soir après dîner nous allons sur le côté‚ ouest du village ; vaste plaine très découverte ; à l'horizon les villages flambent, la canonnade redouble.

Nous rentrons vers 9h ; mais à peine arrivés sur la place de l'église nous entendons les mitrailleuses ; nous refaisons notre route rapidement ; en arrivant, non seulement ce sont les mitrailleuses que nous entendons mais aussi les cris d'une charge à la baïonnette ! Décidément on ne dormira pas tranquille. Et de fait je dors d'un oeil. Vers 1h du matin cela se calme ; Maurel qui couche dans ma chambre est heureusement comme moi, il ne s'émotionne guère ; aussi nous entendons nous très bien.

 

 3 OCTOBRE

A 5 heures réveil en fanfare, juste je commençais à prendre un bain de pied dans un seau à tirer le lait ; il nous faut déménager par ordre du Général et aller à Lignières, à 10 kil. au sud. Je vais avec un convoi d'outils de parcs (?) à Davenescourt, où est l'Etat-Major dans un superbe château. Là j'apprends par le chef d'E.M. (NDR : Etat Major) de la Grange que nous faisons une Division indépendante (NDR : sous le Général de Division Léré), destinée à construire des tranchées en arrière de nos troupes, qui sont sur la ligne de feu, en cas qu'elle se replient. Arrivée à 11h à Lignères, les travaux commencent à 1h ; le canon tonne très fort, on voit très bien éclater les obus à 4 ou 5 kil de nous. Le soir nous sommes en cantonnement d'alerte, les hommes travaillent toute la nuit aux tranchées. La canonnade redouble vers 7 heures, tout l'horizon est à feu. Mauvaise nuit, Maurel est encore dans ma chambre, j'en suis très heureux car il a l'oreille fine.

 

 4 OCTOBRE

Le matin, travaux aux tranchées ; vers 7 heures nous entendons des canons tirer très près de nous ; le Colonel m'envoie voir à Becquigny ce qui se passe ; j'y trouve un Général qui me donne les positions de nos batteries, elles sont très rapprochées de Lignières. Vers 1h le Colonel vient d'aller aux tranchées que l'on fait en haut de Becquigny et moi je vais en promenade voir éclater les obus qui me paraissent très près. A peine arrivé à la lisière du village je vois des bataillons qui se déploient sur le versant de la colline opposée à la notre ; un simple bas fond à pic nous sépare. Soudain les obus éclatent au dessus de ces bataillons, c'est au maximum à 1 kil. de moi ; je saute vite en auto prévenir le Colonel qui m'expédie à la Division. Le Général Léré‚ est parait il de fort méchante humeur et c'est moi qui doit lui faire seul mon rapport ; ni le Brigadier ni le chef d'E.M. (NDR : Etat Major) ne veulent l'aborder. En traversant la cour du château de Davenescourt ma décision est prise je vais lui parler sec, comme quelqu'un qui ne craint rien et nous verrons. Ma tactique a réussi, j'ai fait mon compte rendu et demandé des ordres précis, y compris la ligne de retraite, en cas de nécessité. Les ordres sont "occupez les tranchées et défendez les à outrances" ; ma réponse a été "bien mon Général c'est tout ce que nous demandons, nous les garderons jusqu'au bout". Je le décide à venir voir le champ de bataille. Le spectacle est superbe dans son horreur ; les obus allemands éclatent partout, nous voyons des hommes tomber à 1 km de nous. Jusqu'à 6h je ne peux m'y arracher ; à 6h nous reprenons l'offensive et jusqu'à minuit  ç'est un vacarme épouvantable. Maurel, qui est dans ma chambre, et moi, écoutons les mitrailleuses et le canon jusque vers 11h et je m'endors.

 

 5 OCTOBRE

Nous quittons Lignières à 6 heures pour Pierrepont où nous devons nous reposer un jour ; tout le long de le route nous sommes survolés par les avions allemands, mais ils sont trop hauts pour que nous puissions les tirer. Arrivé vers 9h à Pierrepont ; très bien installés chez Mr Azeuf ; je vois défiler une brigade de cavalerie anglaise ; ils ont de très beaux chevaux ; Rainette a un abcès percé à la ganache.

 

 6 OCTOBRE

Départ à 6 heures, nous venons à Camon près d'Amiens ; le soir je vais à Amiens ; télégraphe fermé ne reçoit que les officiels ; je trouve une agence qui moyennant 0,50 par télégramme envoie une auto le matin à 6 heures à Eu, d'où partent tous les télégrammes envoyés de cette façon.

 

 7 OCTOBRE

De Camon nous venons à St-Gratien, château superbe mais peu confortable ; nous traçons les tranchées à faire pour organiser un cercle de défense formidable autour d'Amiens.

 

 8 OCTOBRE

Pendant la nuit la canonnade qui avait complètement cessé hier reprend avec une violence extraordinaire ; nous entendons les mitrailleuses toute la matinée ; le 120 long se fait entendre en force et à quelques kil. à l'est de nous. Les hommes sont aux tranchées ; à 2 heures on nous signale que nous aurons probablement à déloger pour laisser place aux Anglais. Je vais préparer le cantonnement à Querrieux ; mais à 4 heures, les Anglais ne venant pas je rentre à St-Gratien. On se couche bien tranquille, toujours au son du canon.

 

 9 OCTOBRE

A 1 h55 du matin Sarthou vient me dire : "mon Capitaine, il y a alerte il est 2 heures nous partons à 2h 30 en autos" ; à 2 h15 je suis en bas ; avec un ordre admirable nos hommes sont à leurs postes à 2h 30. Malheureusement les autos camions sont moins exacts ils n'arrivent qu'à 5 heures ; on embarque et en route pour St-Pol où nous trouverons des ordres. A St-Pol à 1 heure on nous envoie à Hersin-Coupigny ; j'ai déjeuné ce jour avec deux oeufs à la coque cuits dans l'eau du moteur et en marche. Nous les absorbons d'ailleurs fort peu commodément. Arrivés vers 3h à Hersin-Coupigny. Cantonnement très bien.

 

 10 OCTOBRE

On recommence des tranchées, mais l'ennemi est très près de nous. On nous annonce que nous avons des chances d'aller au feu ; à midi nous nous mettons à table avec un Colonel du Génie, quand un officier nous porte un ordre que le Colonel lit et aussitôt il nous dit : "Messieurs, je regrette de vous quitter mais nous partons au combat". Le Colonel du Génie lui répond : "Notre place n'est plus ici, vous nous avez invités à déjeuner, nous partons avec vous". A ces paroles solennelles j'éprouve un léger frisson et aussitôt je me lève pour prendre revolver et lorgnettes. Je suis prêt à aller au feu ; j'ai la joie de sentir que je ne ressens pas de crainte et je le dis bien franchement, aucun sentiment de peur ; c'était ce que je craignais, je ne l'ai pas eu. Par contre, j'ai l'émotion de songer à ma femme et mes enfants et intérieurement je me dis une chance d'être tué contre deux : blessure ou indemne, il y a de l'espoir allons y avec courage.

Nous partons en auto et arrivés sur le terrain on rassemble les hommes et on prend les dispositions de combat. L'artillerie marche fort, les mitrailleuses en avant de nous en donnent, mais entre 4h 30 et 5 heures c'est un vacarme d'artillerie épouvantable ; les obus ronflent, c'est effrayant ; aucun de nous ne bronche. Tout va bien on nous annonce que les Boches sont en déroute ; hourra, aucune avarie pour nous, mais on va bivouaquer. A 9h je vais à Ruitz voir le Général de Division ; je lui fais le rapport de la journée. Il a reçu d'excellentes nouvelles du front et me donne ordre de rentrer le Régiment au cantonnement ; je rentre illico. Nos chambres sont prises par un E.M. de Division ; à 10 heures du soir on en trouve d'autres, un vieux monsieur me fait un lit, je vais en profiter.

 

11 OCTOBRE

A 7 heures notre 2ème Bataillon a repris sa position de le veille mais à 8 heures nous recevons l'ordre de le porter à l'est de la fosse n°1 de Noeux-les-Mines pour y construire des tranchées et nous préparer a faire le coup de feu. Je suis envoyé comme officier de liaison au Général de Division qui me donne l'ordre de faire approfondir les tranchées à l'est de Noeux, en avant du pont de chemin de fer, et de résister en cas d'attaque allemande. Les obus allemands tombent à Mazingarbe, notre artillerie est à 800 mètres en avant de nous ; nous continuons nos travaux jusqu'à la nuit. On aménage le déblai de la voie ferrée pour faire une résistance sérieuse ; à 9h du soir nous arrive l'ordre de bivouaquer en avant de Noeux ; je couche dans une auberge à côté du bivouac.

 

 12 OCTOBRE

A 5 heures tout le bataillon reprend ses positions de la veille ; à 10 heures nous recevons l'ordre d'appuyer l'attaque sur Vermelle et Noyelle-les-Vermelle qui va être faite par la division. Nous devons être en place à l'ouest de Marzingarbe à midi ; à 10h30 on déclenche le mouvement, je vais seul sur la ligne des tranchées en pleine vue des lignes allemandes. Je me promène les mains aux poches sans aucun sentiment de crainte, j'éprouve même une certaine satisfaction à cela. Le mouvement déclenché, le Colonel prend le devant ; je l'accompagne, nous passons en arrière des lignes d'artillerie.

Nous gravissons à peine la pente qui va à Marzingarbe qu'un obus explosif de gros calibre (une "marmite") éclate sur notre gauche au Colonel et à moi, à 50 mètres environ. J'en suis tout saisi et très ému ; une seconde marmite éclate presque aussitôt après à quelques mètres de la première. J'ai repris mon sang froid et me précipite vers une meule de paille pour me protéger contre les éclats qui pleuvent sans force, tout autour de nous, même assez longtemps après que la marmite a éclaté. Je suis à peine arrivé d'ailleurs à ma meule qu'une nouvelle salve plus près de nous éclate à nouveau ; nos hussards éclaireurs qui ont mis pied à terre se sauvent comme nous de meule en meule et même à un moment je vois parfaitement éclater une marmite sur la meule que venait de quitter le Maréchal des Logis et deux de ses hommes. Enfin, toujours prévenu par ce sifflement lugubre qui annonce le pétard, je cours toujours vers une nouvelle meule lorsque à un moment donné, avant que j'ai eu le temps d'atteindre un abri, une marmite éclate à 20 mètres à ma droite ; je sens à la jambe droite un léger choc, comme si je m'étais entravé à un fil de fer et je tombe la tête le première dans le sol ; je reste bien soigneusement allongé, attendant la deuxième explosion avec une grande perplexité ; enfin elle arrive et éclate à 15 mètres de moi ; je suis couvert de terre et pardessus tout être passe avec un ronflement effrayant toute cette décharge. Je me ressaisis vite, je à ma jambe, elle ne me fait pas souffrir, j'en conclus qu'elle n'est pas brisée ; je pose le pied droit à plat, tout va bien, je n'ai pas de mal ; vite en avant et je me sauve par la fuite éperdue en avant. J'arrive ‚puis‚ contre une meule protectrice, je m'y blottis le temps de reprendre haleine et je continue ma course ; je rejoins le Colonel au coin d'une rue de Marzingarbe, les hussards arrivent, puis les Sergents de liaison ; tous m'ont vu tomber et m'ont cru blessé sérieusement. Nous reprenons la marche, bien défilés, et arrivons à notre poste de combat ; à ce moment le Colonel voit que le bataillon ne nous a pas suivi ; il y a eu un moment d'hésitation ; nous sommes obligés de l'envoyer relancer. L'hésitation passée tout arrive, ce sont des braves gens, ils ont eu crainte et 52 marmites ne pouvaient que les effrayer ; ils se sont ressaisis et sont arrivés ; je les admire.

Pendant que la 6ème Compagnie se ?, je demande à notre petit groupe si personne n'aurait à boire, j'ai très soif ; un cycliste qui arrive m'offre un bonbon, ce sont des dragées ; alors tout souriant, j'en offre une au Colonel et nous célébrons notre baptême du feu. J'envoi le cycliste au village chercher du vin et nous rapporte deux bouteilles de Saint-Emilion de la maison A.Bourbon Bordeaux ; on les boit en coeur à notre santé ; nous sommes heureux de l'avoir échappée si belle.

A 5 heures du soir, Bell arrive avec l'auto nous porter notre déjeuner au Colonel et moi ; il est plutôt froid, nous devions le manger à 11 heures ; qu'importe nous l'avalons de bon appétit. Lorsque entre le Colonel et moi vient siffler une balle allemande ; nous nous regardons tous deux, nous ne sommes pas blessés, je lève mon quart et bois à sa santé ; il en fait de même, c'est touchant. Enfin, vers 7h mon brave Maurel nous porte les ordres de la Division ; on va rentrer cantonner à Noeux-les-Mines. Le Colonel et moi couchons chez de braves mineurs qui nous ont certainement cédés leurs lits.

 

13 OCTOBRE

A 7 heures nous sommes réunis avec les 2ème et 3ème Bataillons au même pont à l'est de Noeux ; on continue simplement les travaux. Lorsque la brume se lève, nous constatons que le clocher de Noyelles-les-Vermelles est tombé ; il a achevé de brûler dans la nuit. Nous attendons les ordres ; vers 11 heures je demande au Colonel de venir déjeuner à 200 mètres en arrière à la première maison ; à peine sommes nous à 50 mètres de la maison que le sifflement d'un explosif nous arrive et presque aussitôt sur notre droite à 100 mètres un premier obus vient tomber sur la bordure de l'usine de Noeux ; le second ne se fait pas attendre et éclate presque au même point ; puis il nous en arrive ainsi une douzaine. Nous sommes derrière une meule ; quand l'averse a fini nous gagnons notre maison ; les vitres ont volé en éclats, nos secrétaires sont plus morts que vifs. Le déjeuner est prêt, on se met à table ; à midi, ordre de faire rentrer notre premier Bataillon ; je vais à cheval à Bouvigny, Rainette est extrêmement énervée. Nous finissons après des ordres et contre ordres à (?) coucher à Bouvigny. A 10 heures du soir je couche dans l'auto.

 

 14 OCTOBRE

On fait des travaux ; le 149 occupe les tranchées ; à 2 kil. de nous les Allemands ont les leur à 400 mètres en avant ; la nuit on se canarde.

 

 15 OCTOBRE

On continue à Bouvigny, mais j'éprouve ce jour là un gros chagrin. Le Docteur a écrit au Colonel que son fils est obligé de partir pour être évacué ; il est repris de sa tuberculose. Le Colonel, qui est très fatigué, décide de demander à être relevé de son commandement. La journée se passe en allées et venues, enfin, vers 4h, l'ordre vient de la Division ; le Colonel va partir avec les regrets du Général et le Commandant Cantau prendra le commandement provisoire du régiment. Je vais annoncer moi-même au Colonel cette décision ; il en est atterré et moi donc !! Le soir vif émoi ; la fusillade crépite tout près de nous à 1 kil. de 8 à 10h ; enfin tout se calme et on se couche.

 

 16 OCTOBRE

Ce matin se sont les adieux de notre Colonel ; je l'accompagne à la voiture et le vois partir les larmes aux yeux. Je prends mon service avec le Commandant Cantau ; je crains que cela ne marche pas comme avec mon brave Colonel Farine ; enfin espérons tout de même. Je fais nommer Gaillard mon sergent secrétaire et l'après midi je profite d'une diarrhée un peu forte pour prendre une demie journée de repos. Je viens me coucher à 2 heures et je passe une très mauvaise nuit, cholérine très forte.

 

 17 OCTOBRE

Je me lève quand même à 5 h30, je fais mon «étape jusqu'à Noeux et nous croisons en route le 144 qui va nous remplacer à Bouvigny. D'après ce que nous a dit le Général Léré, nous allons à Noeux pour nous reposer pendant deux jours. En arrivant à notre fameux pont du chemin de fer à l'est de Noeux, je vais indiquer les tranchées à Lapeyre et me rends auprès du Général Léré à la mairie de Noeux-les-Mines ; il me donne les ordres pour le Régiment ! en fait de repos il faut faire des tranchées. En rentrant de la division, je suis très fatigué et suis obligé de me coucher pour l'après midi ; je suis logé à la Direction de Noeux-les-Mines ; très belle habitation et beau logement, bureau du conseil d'administration.

 

 18 OCTOBRE

A 5 h55, Martin vient me dire que l'ordre est arrivé de partir immédiatement pour moi à Sailly-Labourse me mettre en liaison avec la 58ème Division ; le Régiment doit suivre sur Annequin et un Bataillon à Burbure. Je passe ma journée avec Maurel au quartier général du Général Bolgert ; à 4 heures nous partons à Burbure donner des instructions au 2ème Bataillon ; en passant devant les batteries de 75 derrière le crassier de la fosse n°9, elles nous envoient une salve de 4 coups qui fait bondir Rainette. Je rentre le soir à Grande rue coucher sur la paille ; mauvaise nuit.

 

 19 OCTOBRE

Journée très dure et à émotions violentes ; le matin le Commandant Cantau me donne comme mission de n'aller qu'à 10 heures prendre les ordres du Général Joubert à Burbure, 116ème Brigade à la disposition de qui nous sommes. Je vais à 10h30 trouver le Commandant Delvalley à Burbure escorté de mon brave Maurel qui me garde Rainette ; je les laisse contre la maison ; puis je vais voir le Général Joubert, je cause un moment avec un officier anglais et à ce moment les marmites à pleuvoir près de nous. Nous commençons à sentir la maison du Q.G qui tremble, les marmites se rapprochent, les vitres volent en éclats. Le téléphone nous donne ordre d'évacuer le maison qui est certainement repérée par les Allemands à la suite de renseignements d'espions. Nous nous précipitons, Général en tête, dans la souillarde, une marmite éclate plus près de nous ; tout voltige dans la maison. Quelqu'un dit "il y a une cave" ; on s'y précipite, il était temps. Cinq ou six marmites tombent sur nous, démolissant la maison au dessus de nos têtes ; la dernière marmite m'a donné une commotion cérébrale formidable ; j'avais la tête près de la voûte ; au même instant un officier d'artillerie : "encore un à la même place et nous sommes perdus". Heureusement pour nous celui qui vient après tombe 10 m plus loin mais malheureusement il a attrapé la 7ème qui a eu deux tués et 16 blessés dans le fossé le long de notre maison. Nous attendons 10 minutes, plus rien, nous sortons de notre cave au milieu des plâtres ; je suis fortement secoué par la tête mais j'ai mon sang froid. Je cours à ma jument, elle a reçu un petit éclat au cou, Maurel s'est abrité derrière elle, il n'a rien Dieu soit loué. Nous faisons la reconnaissance des blessés et je repars à cheval chercher les brancardiers.

J'arrive à Annequin très ému, beaucoup plus qu'au sortir de ma cave ; j'avais pensé à ma chère femme et mes enfants en faisant ma route de retour ; je dois être fort pâle à mon arrivée. Je raconte notre aventure et bois un peu d'alcool, soigne ma jument. J'émets l'espoir que je vais au moins en avoir pour 8 jours avant de subir une nouvelle émotion ; cela n'a guère été vrai car vers 4 heures à Annequin une nouvelle bardée de marmites nous arrive ; décidément elles me poursuivent.

Je vois tomber mort un homme de la 2ème nommé Lapèque ; notre maison reçoit encore l'assaut, je reprends une nouvelle cave avec des camarades. Quand l'averse est finie, nous allons nous rendre compte des pertes ; 2 morts et une vingtaine de blessés, un Adjudant de la 2ème est en train de mourir ; nous changeons de côté de la route et allons coucher à 100 mètres plus loin. Nuit meilleure.

 

 20 OCTOBRE

Nous recevons ordre de venir à Combrieu ; dès notre arrivée une attaque formidable allemande. Les marmites pleuvent, c'est effrayant. Enfin à 11 heures tout se calme. Je passe mon après midi au Q.G du Général Joubert, dans son nouveau château . Beaucoup d'artillerie pendant l'après midi mais sans mal pour nous. Enfin le soir arrivé, je suis fatigué par la tension nerveuse ; bonne nuit sur un matelas par terre.

 

 21 OCTOBRE

Dès le matin je me rends au Q.G où j'écris en lignes ; je ne m'y sens pas à l'aise car je sens une certaine atmosphère hostile aux "Territoriaux". On les craint, on a peur qu'ils ne marchent pas. Déjà hier à l'arrivée sur les lignes, lorsqu'il a fallu sortir des tranchées, 2 Compagnies ont eu l'air de montrer de l'hésitation, le Capitaine (Thévena) ? de l'Etat-Major a menacé du revolver ; tous ont marché ; c'était une hésitation bien naturelle, les balles pleuvaient, la mitraille partout c'est terrifiant la première fois qu'on le voit ; après midi mitraille sur nous, visite à la cave avec le Général. Le soir de 8 heures à 9 heures violente fusillade. Il m'est impossible de passer la rue, les balles sifflent trop et je serais certainement descendu avant d'avoir parcouru les 300 mètres qui me séparent du Q.G.

 

 22 OCTOBRE

A 4h 1/2 du matin les Boches nous ont attaqués avec une violence inouï ; ils viennent à la baïonnette jusqu'à 30m de nos tranchées, nos hommes ont été admirables, ils ont observé une discipline merveilleuse. Ils ont laissé arriver les Boches à 30m sans tirer un coup de fusil, puis ils les ont tous fauchés ; c'est une véritable boucherie.

Devant les tranchées il y a plus de 200 morts, nos Territoriaux ont fait des prisonniers, ils sont ravis.

On rend compte de leur conduite au Général qui me charge de leur faire des félicitations ; le soir, interrogatoire des prisonniers.

 

 23 OCTOBRE

A 2h 1/2 du matin nouvelle attaque des Boches repoussée comme les autres, mais qui m'oblige à arriver au Q.G à 2h 1/2 et à commencer ma journée un peu de bonne heure. Bombardement le matin ; en rentrant déjeuner on m'annonce que mon Caporal fourrier Diriart de la C.H.R vient d'être tué par un schrapnell ; j'en ai beaucoup de peine, c'était un gentil garçon. Après midi très meurtrier nous descendons plusieurs fois à la cave. Nos chevaux l'ont échappé belle ; j'assiste à un repérage de tir d'artillerie en aéroplane, c'est certainement cela qui nous a attiré le déluge de (?) que nous avons reçu. En rentrant dîner j'apprends que ce pauvre Adjudant Mauvoisin est devenu subitement fou dans la cave de notre maison. Depuis le commencement de notre bombardement je le voyais très effrayé.

 

 24 OCTOBRE

Nuit très calme ; elle précède peut être la tempête ; en arrivant à 6h au Q.G le Lieutenant Chapenon ? nous porte d'excellentes nouvelles de (Ypres ?), les Boches y seraient en déroute si c'est exact ; nous allons en avoir le contre coup, attendons ! pour le moment c'est calme il est 9h du matin. A 11h je rentre déjeuner un peu précipitamment car les schrapnells éclatent sur Cambrin. Nous prenons le café quand les 150 Allemands commencent la danse ; un vient éclater juste derrière le mur mitoyen de notre cour ; nos vitres de la salle à manger volent en éclats, dans mon dos les bouteilles voltigent. Nous descendons à la cave et y sommes retenus près d'une heure et demie. Le bombardement est épouvantable ; enfin à 2h je puis sortir, nous avons des tués et des blessés c'est horrible à voir.

Dès le début on a couché sur un matelas un malheureux cycliste la tête ouverte, une jambe à moitié arrachée. En sortant nous trouvons le Caporal fourrier de la 9ème qui est en bouillie ; il est coupé en trois ou quatre morceaux. Je rejoins le Q.G très ému ; à 9h du soir la fusillade commence avec violence ; je me lève pour venir au Q.G, les balles sifflent dans la rue, j'avoue que le trajet n'a rien d'agréable. A 11h je rentre me recoucher ; vers minuit les marmites retombent sur le village ; j'en compte 22 autour de nous dans un rayon de 100 mètres et je m'endors sans attendre la suite ; Martin en a compté 38.

 

 25 OCTOBRE

Dimanche, que nous réserve celui là ? j'ai toujours remarqué que c'est le plus mauvais jour de la semaine, depuis le commencement de la campagne ; matinée très calme c'est même inquiétant. A 2h la douze commence ; ce sont les Anglais au nord du canal qui entrent dans la mélée ; à 4 heures pluie de marmite sue l'artillerie à côté du Q.G ; nous sommes arrosés copieusement. Vers 6 heures, Cambrin est bombardée d'une façon épouvantable ; nous sommes à la cave. Quand je peux sortir vers 7 heures je trouve le Commandant Cantau avec la 9ème dans la rue ; notre maison a été démolie par les obus ; ils étaient dans la cave, pas de mal, mais Maurel et Lapeyre ont disparus; Je passe 1 heure d'anxiété épouvantable je vais partir à leur recherche moi-même avec Gaillard quand enfin un des cyclistes envoyé à leur recherche nous les signale ; bon Dieu que j'ai eu peur pour ce pauvre Maurel. A 8 heures du soir nous prenons un autre logement ; à 10 heures nous dînons et on se couche très tranquillement sur des matelas dans le petit salon du greffier de Cambrin. Nuit bonne, pluie dehors ; l'attaque qui était signalée sur Pont-fixe a échouée.

 

 26 OCTOBRE

Jusqu'à 9 heures, calme, mais comme chaque journée va crescendo qu'aurons nous ce soir ; les avions allemands sont sur nous. Après-midi canonnade assez violente ; à 7h 1/2 du soir nous arrivent 390 hommes de Bayonne ; nous les mettons dans les tranchées de réserve. Pauvres gens qu'elle nuit ils ont dû passer ; arrivés à Bayonne où tout est calme, et sentir siffler les obus. Toute la nuit la canonnade a fait rage et la fusillade n'a pas cessé. Ils ont dû se terrer et nous avons été tout surpris en nous réveillant de voir qu'ils n'étaient pas tous devenus fou.

 

 27 OCTOBRE

Changement de Général de Brigade, le Général Joubert va défendre Givenchy, il est remplacé à Cambrin par le Général Gaillot ; le beau Gaillard a l'air bien piteux en entendant le canon et voyant les éclatements au dessus de nous ; ce ne sont que des schrapnells, que dirait-il si c'étaient des marmites dans le jardin. La journée a été d'un calme plat et le nuit merveilleuse de tranquillité. C'est épatant qu'on ait pu dormir ainsi. Nous avons fait faire une tranchée abri dans notre jardin, cela nous portera bonheur, je suis sûr que ces sales Boches ne nous démoliront plus de maison sur notre tête.

 

 28 OCTOBRE

Tout va bien. Ce matin Gaillard pensait se recoucher à 6h et faire le grasse matinée ; je crois qu'il s'est trompé ; le canon tonne sérieusement, tout se passe normalement mais nous avons encore des tués et blessés ; Vallé nous quitte évacué, le jour où il est mis en première ligne. J'ai attrapé un beau rhume.

 

 29 OCTOBRE

Canonnade furieuse, Gaillard va voir Maison-Rouge mais il est malade depuis son retour ; le soir on doit faire un tir d'artillerie de nuit comme Cambrin va probablement être arrosé en conséquence. Nous décidons de coucher dans notre tranchée ; je crois que comme remède à mon rhume ce ne sera pas fameux ; je dors très mal, l'artillerie nous a fait un raffut terrible toute la nuit mais nous n' avons pas été arrosés.

 

 30 OCTOBRE

L'arrosage nous est venu ce matin, il a été copieux : de 9h à 11h  nous passons notre temps dans la tranchée abri ; quel déluge. Le soir on décide de dormir dans notre salon ou plutôt celui de Melle Cornelle.

 

 31 OCTOBRE

Les schrapnells marchent toute le journée mais nous n'en faisons plus grand cas quand ils n'éclatent pas tout près. Nuit calme. Fusillade intermittente, quelques coups de canon échangés.

 1er NOVEMBRE 1914

Toussaint et dimanche ; j'ai le coeur un peu gros de me sentir éloigné des miens un jour de fête ; le journée étant extrêmement calme j'ai le loisir de penser à ce qui se passe à la maison. Le 141 (NDR : 141ème Régiment) a commencé à nous relever en première ligne ; depuis deux jours je suis ennuyé, il va falloir que je prenne le commandement d'une Compagnie, le Général Léré voulant absolument me nommer chef de Bataillon et que je reprenne une Compagnie pour me confirmer.

 

 2 NOVEMBRE

La nuit a été calme ; mais à 5h 30 nous recevons les ordres de la journée. Les Indous vont attaquer à notre gauche et nous devons les appuyer. C'est surtout les batteries qui donnent ; à 2h j'assiste depuis l'observatoire du Général à la démolition du clocher d'Aulchy-la-Basée, merveille de précision. Le soir, en réponse, nous avons une avalanche d'obus et la nuit c'est à croire que tout va s'écrouler autour de nous.

 

 3 NOVEMBRE

Matinée d'obus de 77 ; à 11h30 je dois partir pour remplir les fonctions de juge au Conseil de Guerre. Les 77 crachent à qui mieux mieux. Dans la cour, devant moi, le cheval d'un médecin est tué ; à midi je pars, je suis repéré sur la route et les obus de 77 m'accompagnent pendant 2 kil. Rainette est presque ankylosée par 17 jours de repos à l'écurie, elle n'avance pas ; enfin, nous ne sommes touchés ni l'un, ni l'autre.

A 2h à Noeux-les-Mines, nous jugeons Sansoulet, il a vol‚ un poulet, mais ses mauvais antécédents lui font attraper 3 mois de prison ; il a de veine que j'ai travaillé pour lui ; sans cela avec les inexpérimentés qui étaient au Conseil, malgré eux, il prenait 5 ans de réclusion. Retour calme à la tombée de la nuit, mais pour ma dernière soirée à Cambrin, elle a été mouvementée ; pendant le dîner, les Boches nous cassent les vitres avec leur 77 ; à 11h 30, 22 coups de canon à moins de 100m autour de nous, je suis tellement éreinté que je ne les ai pas entendus.

 

 4 NOVEMBRE

A 3h 1/2 du matin ils recommencent ; comme c'est le moment du départ ils tuent deux hommes et en blessent trois de ma Compagnie. A 4h, je prends le commandement de la 12 ème Compagnie et je pars pour Bruay garder des aéroplanes. Dès mon arrivée c'est le rêve, plus de bruit, le calme plat, c'est un rêve. Je prends un bain, me change de tout linge et le soir je dors dans un lit.

 

 5 NOVEMBRE

J'ai fait un seul somme de 8h du soir à 6h du matin ; journée idéalement calme ; promenade à cheval pour voir mon deuxième parc d'aviation ; je monterais peut-être en biplan ces jours ci, mais je pense beaucoup à ma femme et mes gosses ; cela me fait hésiter. Enfin, grande joie, je reçois 12 lettres ou cartes ; combien de temps y avait-il que pareille fête ne m'était arrivée.

 

 6 au 11 NOVEMBRE

Journées sans histoires, idéalement calmes ; je suis très enrhumé, j'en profite pour faire la grasse matinée. Mais le 11 à 2h 1/2 Maurel m'arrive avec l'ordre de rentrer à Sailly avec un peloton ; à 3h, nous partons désolés de quitter ce pays du calme pour rentrer en enfer.

 

 12 NOVEMBRE

Coucher au château des Près ; pour nous réaccoutumer à la mitraille, les obus passent au dessus du château pour tomber sur Beuvry et Béthune. De temps en temps il y en a quelqu'un qui est court et tombe près de Sailly. C'est arrivé que ce matin un d'entr'eux a tué ici 5 chevaux.

 

 13 NOVEMBRE

A 9h on vient me chercher pour aller au bureau de Colonel ; deux compagnies vont partir avec l'Etat-Major pour Beuvry et je deviens Commandant du cantonnement de Sailly avec un été et demi.

 

 14 NOVEMBRE

Nombreux laissez-passer à signer ; violente attaque le soir sur Cambrin.

 

 15 NOVEMBRE

Dimanche ; calme, rien de sensationnel si ce n'est le temps maussade. Froid et un peu de neige.

 

 16 et 17 NOVEMBRE

Calme et repos à Sailly.

 

 18 NOVEMBRE

A 3h, Maurel nous porte l'ordre de nous rendre avec la demie Compagnie au Préal, 3 kil. au nord de Beuvry. Maurel arrive au moment où nous regardons bombardé un avion Boche, il est manqué de bien peu, quel dommage, nous aurions été si heureux de le voir plonger. Nous partons à 6h, nuit très noire et froide ; arrivée au Préal vers 7h 1/2 ; installation de fortune.

 

 19 NOVEMBRE

Repos mais les obus nous passent sur le tête pour aller à Béthune, on ne s'en occupe plus. La nuit pétarade sérieux sur la ligne.

 

 20 NOVEMBRE

Nous faisons une tranchée, abri sérieux au Préal. Reconnaissance des tranchées au nord du canal de la Bassée ; visite au (?) à Gorre.

 

 21 NOVEMBRE

Continuation des travaux, nous devons aller ce soir en 1ère ligne à Givenchy en avant de la Bassée. A 1 heure je pars avec Salles et plusieurs sous-officiers reconnaître les emplacements que nous devons occuper ce soir ; le long de la route en approchant de Givenchy les balles sifflent. Après visite au Colonel venu voir la première ligne, les balles sifflent de plus en plus. A 8 heures du soir j'arrive avec mon peloton ; je couche dans une tranchée abri dans laquelle on ne peut entrer qu'à quatre pattes et où on ne peut se tenir debout ; c'est une existence de troglodyte qui commence.

 

 22 NOVEMBRE

Dormi sur le paille, très froid ; toute la journée les balles ont sifflé. Le téléphone avec tous les secteurs marche continuellement ; je vais faire la reconnaissance de toutes les tranchées de 1 ère ligne avec le Capitaine Lahutte. Nous sommes enclavés dans le 285ème (NDR . 285ème Régiment) nos 1ères lignes sont à 80 mètres des tranchées allemandes ; les balles sifflent dures. L'une d'elles nous a manqué, elle est venue entre Lahutte et moi, dans le talus, or il y avait 50 centimètres entre nous deux. On se regarde et on change de place, en riant, non sans avoir dit tous les deux ensemble "merci".

Notre nouveau domaine est un labyrinthe extraordinaire, on s'y perd d'ailleurs facilement. Le soir je reçois ordre d'aller demain siéger au Conseil de Guerre à Noeux ; quelle veine de sortir d'ici pendant 2 jours.

 

 23 NOVEMBRE

La nuit a beaucoup à la première dans notre hutte ; à 4h 30 je pars pour Noeux en passant par Beuvry, mais jusqu'à ma sortie à 1kil. ouest de Givenchy les balles sifflent dans tous les sens. Il fait très froid aussi on marche très vite. Arrivé vers 7h 30 à Beuvry, je prends un excellent chocolat, puis je vais me changer, quand passe dans la salle où nous sommes un petit garçon de 5 ans en chemise de nuit. Les larmes me montent aux yeux et je revois tous les miens, mes petits qui sont certainement comme celui là à cette heure ci. J'ai un moment de dépression morale épouvantable ; pendant tout le temps que je me change de linge et fais ma toilette ce n'est qu'une crise de larmes. Combien il aurait mieux valu que cet enfant ne paraisse pas ! son image va ma suivre pendant encore de longues journées.

A midi je pars à Noeux, nous avons à juger onze accusés de vols ; nous en acquittons six, ces malheureux ont chacun pris un tricot et des chaussettes neuves et on mis à la place dans les ballots leurs vieux tricots et chaussettes. Les 5 autres attrappent 1 an à 18 mois de prison, ils ont volé pour vendre. Le soir je retrouve Adone et Frémond, j'en ai grand plaisir. Coucher chez de braves gens qui m'ont monté un lit dans leur salle à manger.

 

 24 NOVEMBRE

Un verglas effrayant ; je rentre à bicyclette à Beuvry ; je remets ma tenue de tranchée et repars à midi pour Givenchy. Comme c'est pour aller aux tranchées je ne suis pas pressé, je m'arrête avec les uns et les autres à causer ; j'arrive enfin à 5h aux tranchées où j'apprends que ma Compagnie, complétée par le peloton de Bruay, est partie pour la première ligne depuis le matin. Le soir, tournée sous les balles et enfin rentrée dans ma nouvelle hutte ; on entre à quatre pattes et c'est à peine si on peut y rester assis par terre.

Désagréable surprise lorsqu'avant de dormir je sors un instant pour à deux balles explosives viennent éclater à peine à 2 ou 3 mètres de ma tête ; je rentre vivement. Mais pendant 1h ce ne sont que des « dum dum » qui éclatent au dessus de nous ; cette turne est repérée, je la changerai. Je couche mal à côté de Gavini ; mauvaise nuit, pas d'alerte.

 

 25 NOVEMBRE

Je fais la ligne complète de la 1ère ligne, causant aux hommes pour leur montrer qu'ils ont un chef qui ne se cache pas. Après midi encore un tour et le soir arrive enfin ; encore mauvaise nuit.

 

 26 NOVEMBRE

Nous revenons en 2ème ligne à 4h 30 du matin mais nous trouvons une nouvelle hutte un peu mieux que la première ; on peut se tenir debout. Gavini la fait aménager et nous nous y installons ; il y a cependant un désagrément sérieux à cette nouvelle maison c'est que toutes les balles qui passent sur le canal de la Bassée qui est à 50 mètres de nous passent devant notre porte ; j'ai eu ainsi deux hommes blessés devant ma porte.

 

 27 NOVEMBRE

Toujours en 2ème ligne ; même musique, plus ou moins d'obus toute la journée. Le soir je suis en arrière de ma porte dans l'intérieur de ma cahute écoutant une violente canonnade et fusillade sur notre droite lorsqu'une balle traverse la cloison et vient se caler dans le poteau à 0,20m derrière ma tête ; j'ai eu de veine. Le combat s'arrête vers 9h, la nuit est assez calme.

 

 28 NOVEMBRE

Journée calme, mais l'après midi notre 120 à donner fort pendant 1/2 heure ; il doit avoir des renseignements. Le fait est qu'après midi les Boches ont moins canonné‚ que d'habitude. Nuit calme.

 

 29 NOVEMBRE

Dimanche, notre dernier jour de 2ème ligne ; on reprendra demain matin la 1ère ligne à 5 heures ; oh surprise à 3 heures on m'envoie chercher pour aller à Givenchy voir Salles. Le Bataillon est relevé ce soir, quelle veine. L'opération se fait à 8h du soir sous une véritable grêle de balles ; un seul de mes hommes est touché, il a la jambe traversée. Nous couchons au Préal.

 

 30 NOVEMBRE

Départ pour Bruay avec un peloton, l'autre reste au Préal. Je vais pouvoir soigner un peu mon rhume.

 

 1er DECEMBRE 1914

Vie calme et sans bruit, logé dans un estaminet en face du camp d'aviation ; visite aux officiers, cercle.

 

 2 DECEMBRE

Soins énergiques, lever tard, après déjeuner cercle.

 

 3 DECEMBRE

Soins encore plus énergiques, 12 ventouses ; ce n'est guère agréable.

 

 4 DECEMBRE

Je tousse un peu plus gras, espérons que cela va aller mieux ; toujours à Bruay la vie calme.

 

 5 DECEMBRE

Vie de plus en plus agréable ; si je reviens de la campagne écrire à Mr Buscail, route de Houdain à Bruay, représentation vins. Je quitterai Bruay à regret, ces quelques journées m'ont paru si courtes, en plein calme, que c'en était presque du bonheur. Nous devons repartir aux tranchées demain soir ; encore une période d'anxiété. D'autant plus que le Médecin Chaniolleau m'a annoncé aujourd'hui la prise de Vermelles et que nous devons continuer la marche en avant.

 

 8 DECEMBRE

Départ à midi de Bruay pour Givenchy ; je me rappellerai ce bon séjour où nous avons tous été si bien accueillis. Je pars au devant de la colonne pour Beuvry et me fait ausculter par le Dr Ricaud, c'est un professeur de philosophie mais il n'a jamais dû savoir ce qu'était un malade. Il me trouve 37.4ø, m'ausculte à fond et me déclare que je ne suis même pas enrhumé. Heureusement d'autres comprennent mieux que lui ; d'ailleurs j'ai un petit compte à régler avec lui et il est probable qu'un jour ou l'autre l'orage éclatera. Je dois donc partir aux tranchées, à Givenchy Salles me donne l'hospitalité, je coupe aux 4 jours de 2ème ligne.

 

 9 DECEMBRE

J'ai eu une nuit épouvantable à empêcher tout le monde de dormir et chacun après cela et de plus en plus convaincu que Ricaud est un être ignare. La fusillade a marché toute la nuit. Dans l'après midi quelques obus dans notre voisinage.

 

 10 DECEMBRE

Je reste avec Salles qui a été fort aimable pour moi. Journée semblable à la précédente.

 

 11 DECEMBRE

Nous prenons nos dispositions pour aller relever en 1ère ligne le lendemain et naturellement je marcherai. Mais mon rhume va considérablement mieux. Nous devons partir à 5 heures, quand à 4 heures je reçois ordre de me mettre à la disposition du Colonel du Régiment de Manchester. Nous sommes relevés sur tout le front de La Bassée par les Anglais.

Je vais à Givenchy par le boyau, 1 kilomètre ; le Colonel refuse mon concours, il me charge de remercier mon Général. Je rentre vers 6h au Q.G. Le Général insiste auprès de la Division, enfin les téléphones finissent par conclure que je dois me rendre en 1 ère ligne à Givenchy. Raison donnée : il ne faut pas que les Allemands s'aperçoivent qu'il n'y a que des Anglais devant eux. Raison réelle : la 58ème Division se rassemble en arrière, elle veut être sûre que le front ne manquera pas, aussi fait elle mettre dans chaque secteur une Compagnie du 142ème, qui elle sait ne lâcherait pas et que de ce fait les Anglais se maintiendraient.

Je retourne donc auprès du Colonel du Manchester's Regiment. Après diverses communications il finit par me prendre. J'envoie chercher ma Compagnie. Pendant ce temps on m'offre un lunch. Je pensais par coeur, j'accepte l'invitation avec enthousiasme. Puis commence le calvaire, nous passons dans des kilomètres de boyaux, dans de la terre argileuse, il y pleut à torrent, nous marchons dans l'eau jusqu'à mi-jambe. Je relève un peloton en 1 ère ligne et je place le second aux abris. Nous finissons le mouvement à 2h du matin, j'étais rompu de fatigue. Le Major m'offre le thé et nous nous couchons sur la planche où je dors comme un loir jusqu'à 5h30.

 

 12 DECEMBRE

Je repars chercher mon 2ème peloton, fais une relève en 1ère ligne avec Captain Fisher. Puis je visite tout le front de la route de La Bassée au canal. Toujours dans l'eau à mi-jambe. (NDR : le pauvre Fisher sera tué à 9heures du matin le 15 alors qu’il était en reconnaissance depuis la veille près du chemin de fer)

A 11 heures deux officiers du Génie anglais viennent me chercher pour examiner et étudier les améliorations à apporter au secteur que je commande. Ces officiers ont un mépris de la mort incroyable. Ils font et me font faire par amour propre les plus grosses imprudences. Nous levant jusqu'à mi-corps au dessus de nos tranchées, d'où pluie de balles, allant jusqu'à pénétrer dans une ancienne tranchée abandonnée entre nos deux lignes, et me menant ainsi à 10 mètres des Allemands. Bien entendu à couvert et nous levant simplement de place en place comme des marionnettes pour voir, ce qui n'empêchait pas l'arrosage. Enfin à l'extrémité du secteur sur le canal je les abandonne et pas fâché. C'est un miracle que nous n'ayons pas été tués tous les trois 100 fois pour une. A ma gauche j'ai à 6 mètres de mes tranchées 4 cadavres Allemands dont 1 capitaine, impossible de les faire enterrer, les Boches qui sont à dix mètres plus loin nous le défendent avec leur mitrailleuse. Quelle sale race. Enfin je rentre fourbu à 3h à mon poste de commandement.

Il n'y a pas ½ heure que je suis arrivé qu'on m'annonce notre relève. Je suis bien fatigué mais néanmoins je suis en joie. On attend une attaque ce soir, je faisais donner 300 cartouches à chacun de mes hommes, quelle veine d'y couper. A 4 heures le défilé commence, adieu à tous les officiers Anglais qui ont tous été plus aimables les uns que les autres à mon égard ; expression de regrets (hypocrites) de les quitter. J'arrive enfin à Pontfixe à 6 heures littéralement fourbu. Ma capote pèse 30 kilos tellement elle est couverte d'argile.

A Pontfixe je monte sur Rainette mais pas plus tôt partis les balles sifflent de partout, les obus tombent à 100 m derrière nous. Encore un miracle aucun de nous n'est touché. Rainette est folle il me faut 2 hommes à la bride et moi aux rênes pour la tenir. Nous sommes sur le bord du canal. Enfin à 7 heures je suis au Préol, mon lit y est bien mauvais, mais comme j'y dors bien.

 

 13 DECEMBRE

Je passe ma matinée à écrire ; après-midi je vais promener à Beuvry et le soir au lit à 8h30. Quel bonheur de pouvoir coucher dans des draps.

 

 14 DECEMBRE

Je vais faire une promenade à cheval à Béthune, foule d'Anglais. Chevaux superbes. Après-midi correspondance. Matinée calme, toujours en réserve des Anglais. A 4 heures on nous prévient qu'il doit y avoir une attaque ce soir et que le Bataillon doit aller en renfort des Anglais. Départ à 5h30. A 5 heures les ordres changent, l'attaque ne doit plus se faire que le lendemain. Réunion à 7 heures chez Salles.

 

 15 DECEMBRE

A 7h30 nous sommes à 500 mètres ouest de Pontfixe. L'attaque est sérieuse. Vers 10 heures canonnade extraordinaire, c'est grandiose. Nous sommes abrités, les schrapnelles tombent à 100 mètres, on se sent en sécurité, on jouit du spectacle. Je cause 2 heures avec des officiers anglais. A midi nous rentrons au Préol sans avoir eu à donner.

 

 16 DECEMBRE

Promenade à Beuvry le matin, et à 2 heures ordre de me porter avec la Compagnie en réserve de brigade anglaise à Guinchy, cantonnement d'alerte. En arrivant on me prévient qu'une pauvre vielle femme a été abandonnée dans une maison. Je la fais transporter à l'ambulance ; Dr Vallée la soigne ; elle meurt dans la nuit. Elle a au moins 80 ans, sa famille la laissant mourir seule. Que de tristes choses on voit ici.

 

 17 DECEMBRE

Je vais faire enterrer cette pauvre vieille au cimetière. Nous avons eu un bombardement cette nuit ; j'y suis tellement habitué que je n'ai rien entendu. Gavini et Vallée s'étaient levés prêts à ouvrir les fenêtres pour éviter l'éclatement des vitres. Ce matin 2 blessés Hindous sont soignés chez nous. Encore quelques jours en enfer.

 

 18 DECEMBRE

Journée de bombardement ; on nous annonce que nous serons relevés demain matin à 6h30 par la 11ème Compagnie. Le soir à 10h on nous porte un blessé‚ Anglais ; à 2h20 du matin un officier anglais vient avec un soldat. Il me font tout l'effet d'être des clampins (?). Je reçois une note secrète d'avoir à me tenir prêt a appuyer une attaque anglaise qui aura lieu à 5h30. Le bombardement durera 4 minutes et on attaquera ensuite.

 

 19 DECEMBRE

L'attaque s'est produite, très violente, on prétend que des tranchées ont été prises. Les Hindous nous font l'effet d'être de piètres soldats en Europe, c'est de la chair à canon tout au plus. On a pas eu besoin de nous. La 11ème vient nous relever à 10 h seulement. Nous rentrons au Préol. J'écris à Salles pour demander l'autorisation d'être exempt de service le lendemain afin de me purger.

 

 20 DECEMBRE

Purgation avec installation plus que rudimentaire dans ma chambre. A 11 h ordre est donné d'envoyer la Compagnie à Pontfixe que les Hindous ont lâché et qu'il faut les soutenir. Je reste me trouvant dans l'impossibilité de partir à cause de ma purgation. Je vois ensuite défiler vers ce point le 2ème Bataillon. Puis je le vois revenir en position vers le Préol. Décidément c'est sérieux. Givenchy serait pris par les Boches. Enfin, je m'habille prêt à filer à la Compagnie si on m'appelle. Je couche tout habillé sur mon lit.

 

 21 DECEMBRE

 

A 6h30 je pars à la recherche de la 12ème. Dr Reboul au Pont de bateaux a eu beaucoup de blessés. Je vais vers Pontfixe lorsque Perruquon passant de l'autre côté‚ du canal m'annonce que Salles est blessé. Je m'informe où est la 12ème, et file vers Givenchy ; les balles sifflent sérieusement sur la route en montant ; à hauteur de l'église, ou plutôt ce qui fut l'église, je trouve Cazalis, adjudant de Bataillon et me renseigne. Nous sommes à peine séparés, lui descendant moi montant, que je trouve Tapia précédant une bande d'Anglais baïonnette au canon hurlant "German, German !!". Je rattrape quelques Français de la 12ème qui étaient parmi eux ; nous rentrons.

Je trouve Dupont qui essaie de rassembler la Compagnie. Le Lieutenent Oyhambure (?) qui commandait n'est pas là. Nous allons repartir quand des Anglais fuyant je ramène la Compagnie en arrière mais nous sommes entravés à Ponfixe. Tapia est blessé sur la route. A l'usine je rassemble définitivement. Puis je reçois ordre de prendre le commandement du Bataillon. Je remonte la Compagnie sans encombre, sauf les balles. Je place la Compagnie dans une ferme ; ordre est donné de tenir jusqu'au bout en défendant la route. Je mets en liaison avec les Manchester's Rifles à droite. Pour, joindre les officiers il faut passer sur deux cadavres d'Anglais dans le boyau, brrr Puis j'établis ma 12ème dans la ferme. Gavini a disparu ; je vais dans le boyau à gauche où je trouve Darrabéhèrie (?), Pollidoux (?) et Calmon. Je suis au centre du Bataillon ; Capitaine Ribes est blessé à la tête. A 2 heures commence une avalanche de marmites pendant 1h30. C'est effrayant mais on le supporte bien. A 3h30 attaque des boches. Ils sautent dans un bout de notre tranchée ; un Lieutenant qui était en tête nous tue 10 hommes puis il me vise avec un fusil, traverse le haut du devant de mon képi. Je prends un fusil à mon tour et je le tue sûrement en plein front, il est tombé à la renverse en levant les bras.

Nous repoussons cette attaque mais les Manchester à ma droite fiche le camp. Pendant qu'à ma gauche une contre attaque anglaise merveilleuse se produit ; même des cavaliers se rendent aux tranchées.

Je suis seul à droite ; j'envoie Calmon avec le fourrier Brunet et 4 hommes pour voir où sont les Anglais. Ils ne sont jamais revenus. Je prends la 9ème et la profile à droite de la route. Puis j'y mets des Scots Guards et reprends la 9ème. La nuit, incendie de la maison à côté‚ éclatement des cartouches, fusillade formidable. Gavini revient ; je l'embrasse, Roger blessé, renvoyé à l'arrière n'a jamais reparu et nombre d'autres.

 

22 DECEMBRE

A 7 heures attaque de tranchées par les Anglais, réussie mais à 9 heures ils reviennent repoussés. Je suis lâché à droite et à gauche je me trouve seul avec la 12ème en pointe, la 9ème‚ tant descendue. Je vais au Colonel anglais demander des renforts. A 11 heures j'avais une Compagnie puis à 1 heure deux mitrailleuses. Nous sommes sauvés mais l'avons paré belle. A 9 heures Bergeon vient me relever, je rentre, on me félicite.

Rentrée au Préol vers 8 heures, Carty, simple soldat, vient me dire que j'ai fait l'admiration de tous mes hommes, qu'ils prétendent que je leur ai sauvé la vie. Dans ma 12ème j'ai 71 tués, blessés et un disparu. Dans le Bataillon il y en a en tout 154.

(NDR : cette aptitude à avoir brillamment fait face aux dangers et à maintenir les positions avec ses hommes vaudra à Jean Maurice sa Croix de Guerre avec Palme car citation à l’ordre de l’Armée. Plus tard, dans une lettre à sa femme Louise le 13 août 1917 Jean Maurice dira que son 3ème Bataillon du 142ème RTI aura été le seul Bataillon de Territorial a avoir été cité à l’ordre de l’Armée française).

 

 23 DECEMBRE

Etats de proposition, rapports et déménagement à Labourse.

 

 24 DECEMBRE

Repos. Le Colonel vient nous rejoindre. Gaillard et Maurel viennent coucher dans ma chambre. Nous faisons excellent dîner champagne.

 

 25 DECEMBRE

Messe. Déjeuner parfait. champagne. Revue de Bataillon à 4h. Je me gonfle (?). A 6 heures le Colonel me dit que le Bataillon est cité à l'ordre de l'Armée.

 

 26 DECEMBRE

Réunion du Bataillon dans la cour du Colonel ; félicitations aux hommes. Lecture de la citation à l’ordre ; j’apprends que je suis proposé pour une citation à l’ordre de l’armée. J'en suis très fier et très heureux. Je le télégraphie à la maison.

 

Photo : collection personnelle François Darriet

 

Relevé Topographique de JMAdde sur le secteur de Sailly-Labourse le 30 décembre 1914.

 

CopyrightÓ darrietadde-f.darriet 2004 -Merci de demander l’autorisation avant d’utiliser tout document issu de ce site.

CopyrightÓ darrietadde-f.darriet 2004 -Please ask before using any element contained in this site

AccueilHome