Lingolsheim, haut lieu de pèlerinage à la Sainte-Croix
La célébrité de Lingolsheim vint d'abord d'un pèlerinage qui doit son origine à Eberhard de Landsberg, seigneur de Lingolsheim (mort en 1439). De retour de Terre Sainte, il fit. élever trois grandes croix en pierre représentant Jésus crucifié entre les deux larrons. Cet ensemble sculptural devait évoquer le Calvaire à proximité de Jérusalem. Érigées sur "le chemin d'lllkirch", ces trois croix se dressaient sur un terrain communal (Allmend), l'actuelle rue de la Chapelle reliant la rue de Graffenstaden à la rue d'Ostwald. Une petite chapelle construite près des croix fut consacrée en 1458.
Le Seigneur Gottfried de Landsberg invita le conseil (Stadtrat) de Strasbourg à "la dédicace de la chapelle Notre-Dame", qui devait avoir lieu à la fête de Saint-Matthieu à Lingolsheim. Le calvaire est mentionné lors du renouvellement du ban en 1731. Bien que le pèlerinage soit tombé en désuétude après le passage à la Réforme, Samson de Landsberg fit construire vers 1760, au-dessus des croix, une chapelle dite "des trois croix". A proximité, il fit aussi construire un ermitage, pour les deux religieux qui étaient chargés de la surveillance et de l'animation du pèlerinage. De près et de loin les pèlerins affluaient. En 1778, la chapelle fut agrandie et sept stations représentant des scènes de la Passion du Christ furent érigées le long du chemin vers la chapelle.
Ce genre de chemin de croix était déjà connu au Moyen Age en Alsace. Le peuple appelait ces stations les "sieben Fussfalle" (traduction littérale: "zu Fuss fallen" tomber à genoux). Au début de l'année 1782, les stations furent restaurées et bénies le 20 avril au cours d'un office dont la prédication fut assurée par l'abbé Jeanou, le célèbre prédicateur de la cathédrale. Le Pape Clément XIII, lors de la Révolution Française, avait encouragé le pèlerinage par l'octroi de nombreuses indulgences. En 1790, la chapelle et l'ermitage furent mis sous séquestre et confiés à la surveillance de la municipalité qui fut fort ennuyée par cette charge.
Pour des raisons de sécurité, la municipalité estima qu'il y avait lieu de retirer tous les effets de ladite chapelle et de les remettre en dépôt à la cathédrale, puis de fermer la chapelle et de la mettre en vente dès que se présentera un "soumissionnaire" pour l'acquérir. La requête fut entendue et la chapelle fut fermée le 13 mars après une visite relatée par le compte rendu suivant :

  "En 1792, le 13 mars à 1 heure de l'après-midi, je, François-Joseph Stoecklen, me suis transporté à Lingolsheim, accompagné du sieur Berge~ garde-magasin du mobilier des églises supprimées, pour évacuer la chapelle dite "des trois croix'; j'ai prié les sieurs maire et procurateur de la commune dudit Lingolsheim de faire ouvrir ladite chapelle et d'assister à leur évacuation; ceci fait, j'ai examiné soigneusement tous les tableaux et effets insérés dans l'inventaire dressé les 29 et 30 décembre de l'année dernière par Monsieur Wandere~ membre du Conseil Général dudit district et enfin j'ai reconnu qu'ils ne valaient pas les frais de transport à l'exception cependant des habits et linges nécessaires pour le prêtre lors de la célébration du service divin, avec un calice et sa patène que j'ai remis au sieur Berger ainsi que les couronnes, colliers (de bouquet), chapiteaux aux deux croix attachés à la Vierge de la plus modique valeur pour être par lui exposés, ainsi que le Directoire du District le jugera convenable, le surplus consistant en tableaux de la plus mauvaise peinture, chandeliers en bois, fleurs de terre, je l'ai fait déposer à la sacristie que j'ai fermée à clé, ainsi que le tabernacle de l'église, toutes les clés au nombre de 4 ont été également remises à Monsieur Berger pour être par lui déposées au Directoire dudit district, de tout quoi j'ai dressé le présent procès-verbal".

 

La remise des objets emportés se fit le 15 mars 1793, l'an 1 de la liberté, "II a été remis parle sieur Berger au magasin du mobilier des églises supprimées, au secrétaire du district de Strasbourg un calice avec sa patène de cuivre doré, plus une couronne de carton garnie de fausses perles, un calice de grenat avec trois pendants de cuivre doré, un chapelet et deux petites croix d'argent pro- venant de la Vierge placée en la ci-devant chapelle de Lingolsheim".
L'adjudication de la chapelle a eu lieu le 1er juillet 1793, à 9 heures du matin, à la Préfecture du Bas-Rhin. Treize bougies avaient été prévues pour fixer le temps de la mise à l'encan. Après que la 12ème eût été allumée, le Directoire adjugea la chapelle au citoyen Jean Chrétien Meyer, notaire à Strasbourg, comme au plus offrant et dernier enchérisseur, pour la somme de 7100 livres.
L'ermitage et le terrain où se trouvait le puits ont été acquis par le même sieur Meyer. Les sept "stations" lui ont été aussi adjugées, obligation lui ayant été faite d'enlever la chapelle et l'ermitage dans un délai d'un mois. La chapelle fut détruite mais l'ermitage existe encore de nos jours, maison devenue la propriété de la famille Thomas - Ruhlmann, au 9 de la rue de la Chapelle. Sur l'emplacement de l'ancienne chapelle s'élève la maison appartenant à la famille Adam.
Dans le jardin sont exposées les têtes des trois crucifiés. Après la Révolution, les sept "stations" existant toujours, le célèbre prédicateur de la cathédrale, l'abbé Mühe, songea à ressusciter le pèlerinage. Comme ce n'était plus possible à Lingolsheim, il fit ériger, avec l'autorisation du maire de Strasbourg et avec les fonds collectés par lui, une chapelle sur un petit tertre du cimetière Saint-Urbain de Strasbourg et fit placer les sept "stations" autour. Ce fut le point de départ d'un pèlerinage animé au début par l'abbé Mühe lui-même et confié ensuite à la paroisse Sainte-Madeleine de Strasbourg. L'abbé Mühe fut invité à prêcher à la fête patronale à l'église mixte, le 24juin 1812.