Oulan-Bator
Arrivés de bon matin à la capitale Oulan-Bator, on s'est empressés de poser nos sacs chez Ari et Gallia, un médecin et une prof de russe de l'université, retraités tous deux ; ça tombe bien car le mongol m'est totalement incompréhensible à part "kharacho", bien, comme en russe. Nous allons donc pouvoir communiquer grâce au russe. Puis nous partons visiter le monastère de Gandan Khiid avec notre guide anglophone Evan (son nom mongol est imprononçable) et notre chauffeur Adzé. Ce monastère, le plus grand d'Oulan-Bator, abrite en fait trois temples. Dans le plus grand, on vénère Bouddha et sa statue dorée de 27m. Notre guide nous explique le symbolisme des différentes représentations de dieux qui entourent Bouddha, les rites du bouddhisme, les coutumes dans les temples et envers les moines. On peut voir les élèves moines étudier les livres sacrés et psalmodier les prières au milieu des fidèles venus demander l'intervention de Bouddha pour résoudre les problèmes de leur vie quotidienne et faire des offrandes. Après cette entrée en matière sous le signe de la religion, nous allons sur la place centrale d'Oulan-Bator, Sükbaatar Square, où on trouve les principaux monuments et bâtiments de la ville. L'imposante statue de Gengis Khan est visible de loin, objet de la fierté des mongols.
Statue de Gengis Khan.
On ne s'éternise pas trop car il fait une chaleur torride et la ville par ailleurs n'offre que peu d'intérêt architectural. Là aussi la ciculation est anarchique et il vaut mieux ne pas être piéton. L'urbanisation forcenée a fait des ravages et le manque d'infrastructures est criant. Les collines environnantes se couvrent de bidonvilles et de gers (yourtes en Russie) des nomades attirés par les mirages de la ville. Gallia nous a expliqué que l'hiver 2009-2010 particulièrément rigoureux et long a été catastrophique pour les nomades éleveurs dont le bétail a été décimé, entraînant un renchérissement du prix de la viande, nourriture de base en Mongolie et une augmentation de l'exode de la campagne vers la ville. Oulan-Bator regroupe maintenant plus de la moitié de la population du pays grand comme trois fois la France, soit 1,6 millions d'habitants. On peut aisément imaginer les problèmes qu'une telle situation peut engendrer du point de vue de l'hygiène, de la pollution, de la santé, du chômage, de l'environnement et de la sécurité ...Pour le diner, Gallia nous a concocté des buuzs, gros raviolis fourrés à la viande et arrosés de sauce au soja dont on se lèche encore les babines.
Dans la steppe mongole
On quitte donc Oulan-Bator avec notre guide Evan et notre chauffeur Adze pour aborder la steppe mongole. Dès la sortie des faubourgs de la ville, le paysage de la steppe qui nous entoure nous subjugue. Ce ne sont que collines verdoyantes à perte de vue, des ger disséminées ça et là avec des troupeaux plus ou moins importants de chevaux, de moutons, de chèvres ou de vaches et de boeufs aussi. Les animaux se regroupent près des points d'eau, rivières, lacs ou mares. Ils paissent souvent en liberté, occupant quelquefois la route, le chauffeur les faisant dégager à grands coups de klaxon ou slalomant entre les vaches impavides. D'autre groupes sont gardés et menés par des cavaliers et même des bergers à moto. Là aussi le modernisme avance à grands pas. Nous nous arrêtons pour une pause près d'un Ovoo (prononcez avaa), autel de pierres chamaniste dressé au bord de la route et auquel les voyageurs de passage laissent des offrandes sous forme de petites coupures ou d'amulettes. Nous arrivons enfin chez nos hôtes nomades qui ont dressé leur campement au pied des montagnes de Khögnö Khan, au centre du pays.
Notre ger à Khögnö Khan.
Le camp de la famille se compose de cinq gerS que se partagent Bayarsaikhan, son épouse Baasansuren, leurs petites filles Bolorerdene et Bolorjargal, ainsi que les parents de Bayarsaikhan et deux petits cousins qui sont venus pour aider pendant les vacances scolaires. Pendant les trois jours de notre séjour, nous occuperons la ger du jeune couple qui dormira dans la petite ger cuisine à côté, ce qui nous gêne mais ils ne veulent pas en démordre. L'hospitalité mongole n'est pas un vain mot et dès notre arrivée nous goûtons notre premier thé au lait salé qui ma foi passe bien contrairement à la crainte que j'avais? des biscuits faits par la maîtresse de maison. A noter que l'homme est toujours servi en premier, surtout l'invité, ce qui n'est pas fait pour me déplaire malgré le regard noir de Chantal. La galanterie française n'est pas de mise en Mongolie, je lui ai dit qu'on devait adopter les coutumes du pays qu'on visite! Le maître de maison est fier de nous montrer les médailles et diplômes gagnés à la course de chevaux, l'épreuve reine pour les mongols, au cours des Naadam 2006 et 2007. Le Naadam est la fête nationale des mongols qui a lieu tous les ans à partir du 11 juillet, qui dure trois jours et qui regroupe des épreuves de courses de chevaux, de tir à l'arc et de lutte où chaque village, chaque clan ou famille cherche à se distinguer. Le confort est rudimentaire, le ruisseau qui coulait encore en début d'après-midi est asséché le soir et il faut aller chercher l'eau à la citerne du village le plus proche à des kilomètres. Il y a un panneau photovoltaïque juste suffisant pour maintenir la charge d'une batterie qui alimente une ampoule dans la ger et occasionnellement une petite télé. La vie est fruste et il n'y a même pas de tinettes, les besoins se faisant dans la nature. Si quelqu'un s'approche de votre lieu de commodités, vous pouvez toujours crier "occupé" dans la steppe! La famille possède des chevaux, des moutons, des chèvres et quelques yacks. Pendant ces trois jours, nous allons voir un concentré de la vie des nomades dans la steppe. Autant dire qu'elle est rude et bien remplie. Chacun y a son rôle. Les femmes s'occupent des enfants, des gers, de la cuisine, de la traite, de ramasser la laine que les moutons perdent en se grattant sur des troncs prévus à cet effet, de ramasser le crottin de cheval qui servira de combustible après avoir été séché, etc... Les hommes, et les garçons, à cheval presque toute la journée, s'occupent des bêtes, à les rassembler, leur faire changer de pâturage, à les marquer, à tondre les moutons . La journée commence à 5h du matin et finit quand il fait nuit, soit 21h30/22h en cette saison d'été. Bayarsaikhan et son père entraînent aussi des chevaux et les garçons pour le Naadam. Et le patriarche n'est pas tendre, ni avec les enfants ni avec les bêtes. Notre chauffeur, qui a quitté la steppe pour la ville, n'hésite pas à leur donner un coup de main pour soigner les chevaux, attraper les moutons pour les tondre. Chassez le naturel, il revient au galop! J'ai enfin aussi pu monter à cheval et les leçons d'Albert dans la puszta hongroise m'ont été bien utiles mais j'ai fait dire à Bayarsaikhan que je ne lui disputerai pas la victoire au prochain Naadam, il a de la chance que nous partions avant. Le plus soulagé devait être le cheval, car je dois peser le double de son cavalier habituel.
Bayarsaikhan au travail.
Nous avons le temps de visiter le monastère d'Ovgön Khiid dans les montagnes de Khögnö Khan toutes proches. C'est un monastère qui a été détruit sur ordre de Staline lors des purges de 1938, plus de 300 moines y ont été tués, et qui a été reconstruit et ouvert au public à la fin des années 50. C'est un monastère de l'obédience des "bonnets rouges", contrairement au monastère de Gandan Khiid à Oulan-Bator qui est de l'obédience "bonnets jaunes".
Le monastère d'Ovgön Khiid.
Il est composé de plusieurs petits temples et stupas érigés à flanc de montagne et il y a les ruines de l'ancien monastère bâti au XVIème siècle. Non loin de là, on voit aussi les dunes de sable de Mongol Els, une curiosité de la nature, à côté d'un lac et de marécages! L'ocre clair du sable se détache du vert de la steppe et les bêtes viennent se désaltérer en laissant leurs empreintes dans le sable. Des mongols avisés ont flairé la bonne affaire et font faire des ballades à dos de chameau aux touristes qui s'arrêtent. Pour ma part, je préfère attendre d'être dans le désert de Gobi pour sacrifier au rite, ce sera plus authentique.
Le deuxième jour, nous nous rendons à Kharakhorum, l'ancienne capitale de l'empire de Gengis Khan qui a été complètement détruite mais où a été construit le grand monastère d'Ederne Zuu au XVIIème siècle. Dans l'enceinte de ce monastère dont les murs comportent 108 stupas, il y a quatorze temples dédiés à Bouddha et aux autres dieux du bouddhisme, ainsi qu'au Dalaï Lama.
A Kharakhorum, le monastère d'Ederne Zuu.
Le paysage de la vallée derrière Kharakhorum est superbe, vu de la colline qui surplombe la ville et où est érigé un monument à la gloire des différents empires mongols au cours des siècles. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons au camp des parents d'Adze, notre chauffeur. Nous y sommes reçus comme des princes, la meilleure place dans la ger est pour nous, on nous offre du thé au lait salé, des khuushuurs, sorte de pâtés fourrés de viande (on apprendra plus tard que c'est de l'estomac de mouton) et de l'airag, lait de jument fermenté, toutes choses que j'ai moins appréciées mais on a fait bonne figure. Chantal m'a dit après qu'elle a pensé à Koh Lanta en ingurgitant ces mets. On a pu assister à la traite des juments pour le lait servant à fabriquer l'airag dont la mère d'Adze n'a pas manqué de lui donner deux bouteilles. Lui doit en raffoler car il en a vidé une cruche et demi le temps qu'on était là. Le troisième jour au campement, on doit faire les adieux et c'est avec un pincement au coeur qu'on le fait, tant cette famille mongole s'est montrée généreuse dans son hospitalité. On ne peut que souhaiter qu'ils puissent continuer à maintenir les traditions de la vie des nomades mongols, sachant que cela sera de plus en plus difficile. En tous les cas, pour nous, ça a été une expérience inoubliable.
Retour à Oulan-Bator
Le lendemain soir, nous assistons au parc Nairamdal à un spectacle de musique, de chants, de danses traditionnels donné par l'ensemble Tumen Ekh, et à un numéro de contorsionniste qui nous laisse pantois. Le chant de gorge, le khöömii est aussi très impressionnant et surprenant, c'est vraiment un spectacle d'une heure qui vaut la peine d'être vu, même s'il est évidemment fait pour les touristes étrangers.
Chants et danses mongols traditionnels.
Pour notre diner d'adieu, Gallia nous a fait un bortsch avec de la viande de derrière les fagots. Demain matin nous prenons le train pour Sainshand, porte du désert de Gobi dans le sud du pays. Comme je n'ai pas eu le temps d'aller à un Internet Café, je vais avoir un gros retard de photos et d'articles à charger. J'espère pouvoir le faire à Sainshand, sinon il faudra attendre Pékin.
Dans le désert de Gobi
Trois jours dans la steppe et trois jours dans le désert de Gobi chez les nomades mongols vous apprennent à relativiser les petites tracasseries de notre vie quotidienne et les problèmes existentiels, s'il y en a. Encore plus dans le désert de Gobi que dans la steppe, là où l'herbe et l'eau et les voisins sont encore plus rares. Nous sommes reçus dans le ger de Ulzii et de son épouse Tsendsuren, et leurs petits enfants en vacances. Si la vie dans la steppe est rude, elle l'est encore plus ici, les conditions climatiques et la nature étant encore plus sévères. Les troupeaux sont plus petits, essentiellement des chèvres et des moutons, les chameaux remplacent les vaches, et ils n'ont que trois chevaux de monte pour le travail. Leur ger est encore moins bien équipé que celui qu'on a connu dans la steppe. Mais l'hospitalité mongole est toujours de mise et ils sont prêts à partager avec vous le peu qu'ils ont. Leur journée de travail est tout aussi longue et bien remplie à s'occuper d'emmener les bêtes paître, à traire les chèvres et les chamelles, à s'occuper de la ger, des enfants, etc...
Les chameaux au campement dans le désert de Gobi.
Durant ces journées nous allons visiter le musée du moine-poète Danzanravjaa, le monastère de Khamariin Khiid, le centre d'énergie spirituelle de Shambala, les premières dunes de sable du Gobi, les Nuuts Tarniin, le site des grottes des 108 jours où les moines étaient emmurés 108 jours, nourris 54 jours et délivrés après 54 jours de jeûne s'ils avaient survécu. Le soir il y avait de l'animation au campement car il y avait la famille qui venait visiter les parents, donner un coup de main pour tuer deux chèvres et un mouton, les dépecer et se partager la viande, chercher de l'airag et du fromage. Même des moines rentrant à cheval à leur monastère nous ont fait l'honneur de leur visite, la curiosité, péché véniel, n'étant pas étrangère à leur passage. Cerise sur le gâteau, j'ai pu monter sur un chameau et faire un petit tour autour du campement. Chantal n'a pas voulu, ayant peur des mâchoires de ces camélidés. J'ai trouvé cela plus confortable à enfourcher que le cheval, bien que plus remuant pour le lever et l'assise de l'animal. Puis c'est la piste pour le retour vers Sainshand où le chauffeur insiste pour nous montrer le monument du Tank, un T72 de l'ère soviétique qui a été planté sur une hauteur dominant la ville. Et nous reprenons le Transmongolien qui a deux heures de retard pour quitter la Mongolie vers la Chine et Pékin.
C'est avec un pincement au coeur que nous quittons la Mongolie et ses grands espaces, ses paysages variés et ses habitants si hospitaliers. Bien sûr on n'a fait qu'entrevoir en si peu de temps la vie des nomades, mais c'était suffisant pour se rendre compte de leurs difficultés et de leur mérite à sauvegarder un mode de vie qui nous paraît hors du temps.